Le film « Dédale » et les idées politiques d’Étienne
J’ai visionné le film (http://www.youtube.com/watch?v=_X6oco2-yAY&feature=player_embedded), en particulier les passages concernant les interventions d’Étienne.
Il m’a semble très instructif et je suis convaincu qu’il mérite d’être diffusé largement.
Je trouve scandaleux qu’on ait pu décider d’arrêter sa diffusion parce que quelques analphabètes politiques amateurs de dictature intellectuelle attribuent à Étienne des tendances politiques qui (j’en suis sûr pour fréquenter assidûment son site depuis 7 ou 8 ans) ne sont même pas les siennes.
Sur la base de ces interventions d’Étienne dans le film, j’ai essayé de définir nos points d’accord et de désaccord : ça me paraît utile par rapport au projet de refonte de la constitution actuelle présenté ici.
Points d’accord :
– Une constitution est la base de toute organisation politique ; les citoyens auraient tort de s’en désintéresser ;
– Une constitution n’impose pas de devoirs aux citoyens : seulement au pouvoir publics ;
– Tout citoyen a suffisamment de compétences pour décider du contenu de la constitution, c’est-à-dire de l’organisation et du fonctionnement des pouvoirs. Dans ce domaine, l’« amateurisme »(pour parler comme Étienne) devrait donc être la norme. Pas de professionnalisme si possible ;
– La rotation des charges et le non-cumul des mandats sont parmi les grands moyens d’éviter que les citoyens tombent sous la coupe de « maîtres » ;
– La démocratie exclut les « chefs », mais pas la possibilité d’un ordre politique rigoureux. L’« anarchie » entendue dans ce sens n’est pas le chaos ;
– La commune est l’unité démocratique de base. Elle doit dans le mesure du possible fonctionner en autonomie. La démocratie est possible à petite échelle ;
– Les citoyens votent la loi ; ceux qui sont chargés de l’appliquer sont désignés par tirage au sort ou par élection, mais le tirage au sort ne doit pas servir à désigner des décideurs ;
– L’éventuel tirage au sort devrait reposer sur le volontariat, sur le contrôle des volontaires (examen d’aptitude) et sur la possibilité d’exclure des volontaires du tirage au sort. Les désignataires devraient être révocables à tout moment. Au terme du mandat (et pendant, pourquoi pas ?), les tirés au sort devraient être soumis à l’obligation de redditionalité ;
– Qu’on procède par tirage au sort ou par élection, il faut admettre le droit à l’erreur : les tirés au sort peuvent se tromper, mais les élus aussi. La vie politique comme la vie biologique sont des suites d’erreurs rectifiées (sauf peut-être la dernière…) ;
– Les réseaux sociaux (l’Internet) sont de nos jours à la base de la vie démocratique ;
– Il appartient aux citoyens eux-mêmes de préserver leur liberté ou de la recouvrer.
Points de désaccord
– Le principal désaccord est paradoxalement celui qui a le moins d’importance en pratique. Il concerne la vision de départ d’Étienne, plus précisément son postulat schopenhauerien que les détenteurs du pouvoir sont intrinsèquement corrompus et que leur unique souci est de préserver leurs pouvoirs et la possibilité d’en abuser. Comme d’un autre côté Étienne ne dit jamais que les citoyens aussi sont corruptibles et uniquement soucieux de préserver leurs intérêts, on est face à une conception manichéenne qui fausse le jugement et les propositions sur certains points.
Le pouvoir corrompt, le pouvoir rend fou, c’est entendu : mais uniquement s’il est organisé de manière à le permettre, à moins que le peuple lui-même soit fou ou corrompu.
Il est manifestement inexact qu’un politicien en place, un « représentant », soit forcément empêché par des conflits d’intérêts d’écrire la séparation des pouvoirs ou autres mesures limitatives des pouvoirs : on a la preuve abondante du contraire, en particulier à l’occasion de la première constitution française (1791) – voir la présentation raisonnée du projet de déclaration des droits de l’homme par Sieyès sous < http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495230/f557.image.langFR.swfv >, p. 256.
Ma conviction personnelle est que les politiciens, comme d’ailleurs les citoyens, sont animés en général d’intentions sociales bienveillantes, ce qui n’exclut nullement, la nature humaine étant ce qu’elle est, l’amour des privilèges et l’attachement à des intérêts particuliers. Face à cette situation de fait, le rôle d’une constitution démocratique est d’organiser très précisément le contrôle de l’exercice des pouvoirs par les politiciens et par les citoyens de manière à éliminer ou réduire les risques de dérive ;
– Il ne faut pas raisonner en termes d’affaiblissement des représentants (ou des détenteurs de pouvoirs), ni même en termes de de contrepouvoirs (point de vue classique mais illogique et inefficace à mon sens : car pourquoi mettre en place des pouvoirs pour les charger de se combattre ?). La question qui se pose est d’organiser des garde-fous et des contrôles assortis de sanctions efficaces. Admettons pourtant qu’il s’agisse là d’une querelle de mots plutôt que d’un vrai désaccord ;
– Sans exclure qu’une assemblée constitutionnelle puisse être tirée au sort (à condition que cette assemblée n’ait pas d’autre pouvoir de décision que celui de soumettre le texte qu’elle aura adopté au référendum), on peut douter de l’efficacité du tirage au sort dans ce cas, sauf si l’on procède à un contrôle d’aptitude préalable particulièrement strict des tirés au sort. Peut-être serait-il bon de combiner le tirage au sort et l’élection parmi les tirés au sort ?
– La diabolisation de l’élection est d’autant plus inacceptable que tous les riques qu’Étienne redoute avec l’élection, notamment le risque de corruption, se présentent de même dans le cadre du tirage au sort, et que les contremesures proposées pour le tirage au sort seraient tout aussi valables et praticables dans le cas de l’élection : contrôle préalable des candidatures (examen d’aptitude), non-cumul et non-reconductibilité des mandats, révocabilité de l’élu, redditionalité en cours et en fin de mandat. Surtout, qu’on le veuille ou non, l’élection permet à l’électeur de choisir celui qui agira en son nomm, ce que le tirage au sort ne permet pas.
Il est à souligner une nouvelle fois que l’avant-projet de constitution présenté ici organise le contrôle généralisé et permanent de l’exercice des pouvoirs publics et parapublics par tous les citoyens et à tous les niveaux à partir de la commune dans le cadre d’une association générale « loi de 1901 » dont les organes collégiaux seraient tirés au sort parmi les membres volontaires de base, association qui aurait aussi pour fonction d’aider les citoyens à mettre en œuvre les procédures de la démocratie participative. À première vue, ce système radical devrait satisfaire Étienne : et je dois dire que son silence m’étonne, car il doit bien se rendre compte que les considérations générales sur les mérites comparés du tirage au sort et de l’élection ou sur les vertus de la pseudodémocratie athénienne n’ont guère, jusqu’à présent, produit de résultats concrets.
Merci, Étienne, de dire (si vous en trouvez le temps) si la liste des points d’accord et de désaccord présentée plus haut vous semble exacte, ce qui permettrait d’avancer dans la recherche d’un consensus. JR