« Constituante » et conflit d’intérêts
Bonjour Étienne.
Je ne suis pas opposé par principe au tirage au sort d’une assemblée constitutionnelle qui serait chargée d’établir un projet de constitution nouvelle ou révisée à soumettre au référendum.
Seulement, il y a grand risque à mon avis que sous sa forme sèche (projet établi par les tirés au sort et soumis directement au peuple) ce système produise un résultat médiocre, impraticable et ne donnant pas corps aux véritables aspirations politiques de la majorité des citoyens. Cela parce que les aléataires auront dans l’ensemble manqué des compétences voulues pour mener sur chaque disposition un débat éclairé et approfondi et rédiger un texte pleinement cohérent.
Je ne connais pas de texte juridique (attention : je ne parle pas de propositions simples mais de textes complets) rédigés par des aléataires et qui aient passé le cap du référendum. Si je me rappelle bien, un projet de loi établi dans ces conditions a été soumis au référendum en Colombie britannique, mais il a été rejeté.
Connaissez-vous d’autres exemples (pardon si vous les avez déjà donnés quelque part) ?
Nous différons sur un certain nombre de postulats :
- La Constitution sert à protéger les gouvernés[/b] contre les abus de pouvoir des gouvernants (et pas l’inverse).
Pour moi, la constitution sert à organiser les pouvoirs publics et leur fonctionnement, dans l’intérêt général.
La protection des gouvernés fait automatiquement partie d’une bonne constitution, mais elle est garantie non pas par la constitution elle-même mais par la volonté des gouvernés telle qu’elle s’exprime dans la constitution.
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2. L’intérêt général est principalement celui des gouvernés (plutôt que celui des gouvernants).
De toute façon, il n’y a d’intérêt général que l’intérêt des citoyens. il n’y a pas d’intérêt général des gouvernants.
- Il n’y a « CONFLIT d’intérêts » dans le processus constituant QUE SI l’intérêt personnel des constituants est CONTRAIRE à l’intérêt général.
Tout à fait d’accord.
- Donc, le peuple (les 99%), s’il est soucieux de se donner à lui-même de véritables GARANTIES contre les injustices (et très spécialement celles — très habituelles, non théoriques — des 1% contre les 99%), ferait bien de redouter le vrai conflit d’intérêts qui permet aux professionnels de la politique catapultés « constituants » de programmer des règles supérieures dont ils n’auront, en fait, jamais rien à craindre ; et ce même peuple n’a rien à redouter (il a même tout à espérer) du faux « conflit d’intérêts » qui conduirait des amateurs catapultés « constituants » à programmer des règles supérieures capables enfin de tenir, à toute heure du jour et sans trêve, les gouvernants en respect, pour le plus grand bien du plus grand nombre.
Le peuple a tout à redouter aussi – certains diront plus encore – de personnes désignées au hasard dans la plus parfaite obscurité quant à leur caractère, à leurs intentions et à leurs capacités, ce que seul le processus électoral permet (plus ou moins) d’éviter.
Le principal argument donné en faveur du tirage au sort est qu’il permettrit une représentation sociale à peu près exacte de la population alors que le système de l’élection aboutirait à la professionnalisation de la politique et à l’incrustation des politiciens.
Autant que les politiciens professionnels les tirés au sort seront soumis à des conflits d’intérêts du fait de leurs intérêts sociocatégoriels. Et le risque d’incompétence ou d’indifférence politique est considérable.
[i]Je peux essayer de dire ça autrement :
• Quand des amateurspolitiques (ils reviendront ensuite à la vie normale : ils obéiront aux maîtres du moment) sont constituants, leur intérêt particulier (bénéficier à tout moment de solides garanties contre les abus de pouvoir) n’est PAS EN CONFLIT avec l’intérêt général (garantir à tous et à tout moment de solides garanties contre les abus de pouvoir) : il n’y a pas de conflit d’intérêts puisque les intérêts en question concordent parfaitement.
• En revanche, quand des professionnels politiques (ils resteront en dehors de la vie normale : ils seront les maîtres, par métier) sont constituants, leur intérêt particulier (être inquiété le moins possible par des contrôles quotidiens) EST EN CONFLIT avec l’intérêt général (garantir à tous et à tout moment de solides garanties contre les abus de pouvoir) : il y a conflit d’intérêts puisque les intérêts en question se contredisent frontalement.
=> Quand je défends le tirage au sort de l’assemblée constituante, je ne dis pas (pas du tout) que ces tirés au sort seraient incorruptibles (personne ne l’est) : je dis qu’en les tirant au sort, on aura au moins évité qu’ils soient TOUS D’EMBLÉE CORROMPUS (PAR CONSTRUCTION : DU FAIT D’UN CONFLIT D’INTÉRÊTS MAJEUR, opposition irréductible entre leur intérêt personnel et l’intérêt général).[/i]
S’il est permis de partir du principe que les politiciens professionnels privilégieront toujours leur maintien en place plutôt que d’adopter une bonne constitution, alors il doit être également permis de partir du principe que les tirés au sort, surtout s’ils sont volontaires, chercheront toujours à privilégier leurs intérêts socioprofessionnels individuels, voire simplement de profiter des avantages d’une sinécure ou d’une sorte d’année sabbatique.
Je ne crois ni l’un ni l’autre.
Il me semble qu’il y a d’autres moyens d’éviter la professionnalisation de la politique que de perdre les avantages du libre choix de véritables représentants politiques, ce qui serait infailliblement le cas si l’on remplaçait l’élection par le tirage au sort.
Je pense en particulier au non-cumul et à la non-reconductibilité des mandats, à l’association de citoyens ordinaires au travail de l’élu, à la possibilité de rappel de l’élu en cours de mandat.
Ces dispositions pourraient être adoptées par des constitutionnels précisément élus sur un tel programme beaucoup plus logiquement et naturellement que par des tirés au sort. C’est ce principe qu’il faut appliquer à la désignation des futurs constitutionnels" (s’il doit y avoir une assemblée constitutionnelle). JR