TCE/traité de Lisbonne : comparaisons (suite)
[b]Étienne (9851, 9858) :
J’admire la force de vos convictions, mais je regrette qu’elle vous pousse à des excès idéologiques qui vous empêchent d’entendre ceux qui ne sont pas, ou pas entièrement, de votre avis et de les traiter de « collabos » ou de « crédules » au risque de discréditer les parties beaucoup plus objectives de votre discours.
Exemple : votre message 9858 :
Où avez-vous vu que je « gobe la justification de la ratification parlementaire contre les référendums populaires », comme vous dites ? Relisez svp ce que j’ai écrit à ce sujet , y compris mes propositions EUROCONSTITUTION 1-Rév. 4, Vous verrez que je suis partisan de la démocratie référendaire et qu’à mon avis, d’un point de vue de morale politique, le traité de Lisbonne aurait dû passer par le référendum.
Ce qui ne m’empêche pas de penser que la ratification parlementaire était conforme à la constitution, qui jusqu’à preuve du contraire donne pouvoir au président de la République d’organiser ou de ne pas organiser un référendum : ce n’est pas pour rien que cette disposition figure dans la constitution (approuvée référendairement).
Le même excès d’idéologie vous fait faire du traité de Lisbonne une copie conforme du TCE. Je ne pense pas que les arguments de détail que vous trouverez à la suite vous convaincront du contraire, mais les voici quand même (en bleu foncé, après vos remarques en vert).
De toute façon, je vous suis reconnaissant de cette occasion d’éclaircir pour mon compte personnel un certain nombre de questions. JR[/b]
Jacques Roman a écrit:
Traité de Lisbonne/Traité constitutionnel (TCE)
Étienne (8844) :
Voici les grandes différences entre les deux traités telles que répertoriées par « Toute l’Europe » (http://www.touteleurope.eu/fr/divers/to … dbbea3e942) :
- Le traité de Lisbonne ne se substitue pas aux traités existants (traité instituant la Communauté européenne et traité sur l’Union européenne). Il apporte des modifications à ces textes qui restent en vigueur. (Le Traité instituant la Communauté européenne change de nom et devient « Traité sur le fonctionnement de l’UE ») ;
Objection : Le fait que le TL modifie les traités sans s’y substituer ne prouve nullement qu’il soit différent du TCE sur le fond.
Le TCE, lui, se substituait aux traités antérieurs en les rendant plus lisibles et en en modifiant les règles.
Le TL peut parfaitement procéder aux mêmes modifications en modifiant les traités, sans s’y substituer et de façon beaucoup moins lisible (c’est d’ailleurs exactement ce qu’il fait).
Cette prétendue « différence » n’en est donc pas une.
Étienne]
[Contre-objection : il s’agit d’une différence de forme majeure, significative d’une autre vision de la construction européenne par rapport au TCE. JR]
- Retrait des références de type constitutionnel (appellation, lois et lois cadres, symboles…) ;
[Objection : le fait de retirer l’étiquette d’un flacon de poison ne rend pas le poison moins dangereux.
Au contraire même, car on s’en méfie moins.
Au mieux, c’est du foutage de gueule.
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne]
[Contre-objection : même remarque que précédemment. JR
- Retrait de la partie III du TCE sur les politiques de l’UE (les modifications prévues dans cette partie seront apportées au TUE) ;
[Objection : les règles européennes que le TCE avait rangées dans sa « partie III » existaient déjà dans les traités, et elles existent toujours dans les traités.
Les dispositions de cette partie III ont été expressément rejetées par le peuple français en 2005 puisqu’elles figuraient expressément dans le TCE.
Donc, prétendre que la partie III a été retirée, c’est encore nous prendre pour des imbéciles, puisque toutes ses dispositions restent en vigueur malgré notre NON.
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne]
[b][color=blue][Contre-objections :
-
Votre conclusion que les dispositions de la partie III ont été expressément rejetées par le peuple français parce qu’elles figuraient expressément dans le TCE est erronée en logique. Toutes les dispositions figurant dans le TCE étaient forcément expresses. Ce que le peuple français a rejeté en 2005 en réponse à la question référendaire, c’est donc le TCE en bloc, sans qu’on puisse dire avec certitude quelles dispositions étaient particulièrement visées ;
-
Surtout : le TCE constitutionnalisait ces dispositions, alors que le traité de Lisbonne leur laisse seulement la valeur de dispositions de traité ordinaires. C’est la raison principale pour laquelle des gens comme moi avaient voté contre le TCE. JR][/color][/b]
- Renforcement des compétences attribuées au Parlement européen : grâce au développement des champs de la codécision, procédure législative ordinaire, dans lesquels Parlement et Conseil des ministres partagent le pouvoir législatif ;
[b][color=green][Objection : c’est une blaque ? le « renforcement des compétences du PE », c’est par rapport aux traités antérieurs, mais le TL par rapport au TCE ne renforce rien du tout.
Ou bien il faut me dire précisément quelles dispositions du TL sont nouvelles par rapport au TCE.
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne][/color][/b]
[Réponse : j’ai en effet du mal à repérer les dispositions correspondantes. J’y reviendrai plus tard si je trouve quelque chose. JR]
- Renforcement des compétences nationales : grâce au renforcement des pouvoirs des parlements nationaux qui auront la charge de veiller a l’application correcte du Principe de subsidiarité;
[Objection : idem : aucun changement dans le TL par rapport au TCE. Les changements invoqués sont ceux du TCE par rapport aux traités antérieurs, ou bien il faut signaler les nouveautés : donnez-nous des numéros d’article.
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne]
[b][color=blue][Contre-objection : Voici l’Article 12 du nouveau TUE, à comparer avec le protocole 1 annexé au TCE [/i]:
Article 12
Les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l’Union:
a) en étant informés par les institutions de l’Union et en recevant notification des projets d’actes législatifs de l’Union conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne;
b) en veillant au respect du principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité;
c) en participant, dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, aux mécanismes d’évaluation de la mise en oeuvre des politiques de l’Union dans cet espace, conformément à l’article 70 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et en étant associés au contrôle politique d’Europol et à l’évaluation des activités d’Eurojust, conformément aux articles 88 et 85 dudit traité;
d) en prenant part aux procédures de révision des traités, conformément à l’article 48 du présent traité;
e) en étant informés des demandes d’adhésion à l’Union, conformément à l’article 49 du présent traité;
f) en participant à la coopération interparlementaire entre parlements nationaux et avec le Parlement européen, conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne.
JR][/color][/b].
- Suppression de la concurrence libre et non faussée comme objectif de l’UE. La concurrence devient un moyen pour réaliser l’objectif d’une économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social ;
[b][color=green][Objection : La redoutable concurrence libre et non faussée est toujours un principe fondateur dans le TL, mais bien caché dans les dispositions « annexes » (protocole 6, page 228 du TUE-TFUE consolidés).
Les objectifs trompeurs claironnés dans les premiers articles (les seuls articles qui seront lus par de nombreux lecteurs) ne sont pas nouveaux, mais ils sont toujours une couverture, un leurre, puisque les dispositions ayant force contraignante (les seules qui comptent vraiment, si on est de bonne foi) sont plus loin dans le texte, bien cachées, et parfaitement en contradiction avec les grands principes placés en tête mais privés de force contraignante.
Cette présentation est donc une escroquerie, et en voici deux exemples, relatifs précisément au texte que vous invoquez (et j’en ai d’autres si ceux-là ne vous suffisent pas) :
- le plein emploi n’est pas recherché par l’UE, mais au contraire le chômage est institutionnalisé, imposé en douce, théorisé et enraciné en profondeur, au moyen d’une politique monétaire dédiée exclusivement à la seule lutte contre l’inflation (ce qui est mécaniquement chomagène) et cette politique proprement scandaleuse est placée totalement hors de portée des élus !!!
- le progrès social est radicalement combattu par l’UE au moyen d’une concurrence fiscale garantie (harmonisation expressément et répétitivement exclue et interdite) et d’une concurrence sociale garantie (idem).
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est donc pas une.
Étienne][/color][/b]
[b][color=blue][Contre-objection :
C’est mal évaluer la portée du changement : objectif de l’UE dans le défunt TCE (voir art. I-3-2), la « concurrence libre et non faussée » n’est plus mentionnée à l’article 3-2 du nouveau TUE, et le protocole no 6 en fait un « système », autrement dit un mécanisme parmi beaucoup d’autres que prévoit le TL : on peut dire que le TL a mis fin à un dogme intimement lié à une vision « libérale » mercantile de la construction européenne. Sur ce point particulièrement, il a donc été tenu compte des rejets référendaires de 2005.
[Article 3-3 du nouveau TUE] L’Union établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. JR]
[/color][/b]
- La Charte des droits fondamentaux acquiert une force juridique contraignante pour 24 Etats membres, le Royaume-Uni, la République tchèque et la Pologne bénéficiant d’une dérogation quant à son application.
[Objection : rien de nouveau dans le TL : ceci était déjà le cas dans le TCE.
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne]
[b][color=blue][Contre-objection : L’exclusion de la Charte des droits fondamentaux du corps des traités européens, même si ces traités lui reconnaissent valeur juridique, constitue une grande amélioration par rapport au TCE. L’inclusion de la Charte dans le TCE sous forme de partie II était un mauvais coup porté aux droits de l’homme en dépit de toutes les bonnes intentions : j’ai dit ailleurs pourquoi : voir http://www.euroconstitution.org, note explicative [48c]).
Même si le TL reconnaît valeur juridique à cet instrument extérieur au traité lui-même, il est évident que cette valeur juridique est tout à fait relative du moment que trois parties au traité sont exemptées de son application en tout ou en partie : on pourra vraisemblablement s’en tenir aux instruments des droits de l’homme véritablement sérieux : les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (la Déclaration universelle n’étant pas un traité à proprement parler). JR][/color][/b]
- La clause implicite affirmant la primauté du droit européen sur le droit national, comme c’est le cas depuis 1963, est remplacée par une déclaration sur les principes établis par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE).
[Objection : rien de nouveau dans le TL : ceci était déjà le cas dans le TCE.
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne]
[Contre-objection : Il suffit de comparer la « Déclaration relative à la primauté » (Déclaration 17, et avis juridique y annexé) et l’article I-6 du TCE ( « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres ») pour se rendre compte qu’on passe d’un principe constitutionnel absolu à une interprétation jurisprudentielle : autrement dit, le droit de l’Union ne primera pas le droit national que si la Cour décide qu’il en sera ainsi dans le cas considéré, même si le Service juridique du Conseil fait tout ce qu’il peut pour faire croire à l’existence d’un principe général. La Déclaration et l’avis juridique sont évidemment le reflet d’un compromis politique qui dit une chose tout en disant son contraire. JR]
Pour moi, les modifications 2, 4, 5, 6, et 8 constituent des changements considérables par rapport au TCE.
La différence la plus significative de notre point de vue ici est sans doute l’abandon du principe de la concurrence libre et non faussée au bénéfice du principe de l’économie sociale de marché (point 6).
J’y ajouterais la substitution au « ministre des affaires étrangères de l’UE » prévu par le TCE d’un « haut représentant » pour les affaires étrangères et la sécurité commune : ce changement à lui seul dénote un infléchissement institutionnel majeur par rapport au TCE.
[Objection : rien de nouveau dans le TL : on a changé l’étiquette d’une baudruche vide et vous vous extasiez de tant d’audace et de créativité…
Là encore, cette prétendue « différence » n’en est pas une.
Étienne]
[Contre-objection] Je ne m’extasie pas, mais le changement d’étiquette participe du changement de vision fondamental dont je parlais plus haut par rapport au TCE. JR]
À signaler aussi que le traité de Lisbonne est assorti de clauses d’option négative (faculté de ne pas appliquer certaines dispositions), de dérogations d’application et de déclarations interprétatives concernant notamment la Charte des droits fondamentaux, l’affirmation de l’indépendance de chaque Etat membre en matière de politique extérieure et (Protocole no 9) les services d’intérêt général.
Même si vous ne considériez pas ces changements comme considérables, ils sont plus que suffisants en tout cas pour établir entre le traité de Lisbonne et le TCE la différence d’identité dont j’ai parlé, d’autant plus que le traité de Lisbonne comporte environ 119 000 mots contre 157 000 pour le TCE (d’après mes calculs).[/b][/color]
[Objection : la dimension misérable de ces différences est une véritable insulte à notre vote, massif et clair, et je m’étonne toujours que vous collaboriez à ce tour de pendard.
Décidément, toutes ces prétendues « différences » n’en sont pas. Étienne]
[color=blue][b][Contre-objection : Je ne considère pas comme un « misérable progrès » l’apport du Protocole no 9, que je citerai donc ci-après :
Protocole n° 9
Article premier
Les valeurs communes de l’Union concernant les services d’intérêt économique général au sens de l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comprennent notamment :
- le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l’organisation des services d’intérêt économique général d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ;
- la diversité des services d’intérêts économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ;
- un niveau élevé de qualité, de sécurité et d’accessibilité, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des utilisateurs.
Article 2
Les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres relative à la fourniture, à la mise en service et à l’organisation de services non économiques d’intérêt général. JR][/b][/color]
[Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Étienne]
[Comme vous avez raison ! JR]
Il est incontestable que le traité de Lisbonne et le TCE sont substantiellement différents, ce qui ne m’empêche pas de continuer à penser qu’ils avaient suffisamment de points communs pour que le second soit, par souci de moralité politique, soumis comme le premier au référendum en France. JR]
[color=green][Vous voudriez bien que nous prenions vos vessies pour des lanternes, mais ça ne marche pas. Étienne][/color]
[Il y a vessie et vessie, lanterne et lanterne, et des lanternes que je ne prendrais pas pour mes vessies! JR]
[b][color=blue]PS. ET PUIS TOUT DE MÊME : comment peut-on soutenir que le traité de Lisbonne n’a pas pris en compte le rejet référendaire du TCE alors qu’il en revient purement et simplement à la situation antérieure à ce rejet, sauf quelques améliorations de présentation (on ne parle plus de « Communauté européenne » mais uniquement d’Union européenne", ce qui simplifie beaucoup les choses) et des innovations institutionnelles (président du Conseil européen, majorité qualifiée, pétition du « million de citoyens », &) largement non contestées par l’opinion publique dans sa majorité pour autant qu’on puisse en juger ? À quoi s’ajoutent les changements décrits plus haut, plus d’autres non contestés non plus semble-t-il (notamment : le maintien d’un commissaire par État membre à la demande de l’Irlande, effectué par décision du Conseil européen).
La différence fondamentale entre le TL et le TCE, en définitive, c’est que le TL a rendu aux dispositions politiques (en gros, celles de la partie III du TCE) le caractère de simples politiques intergouvernementales qu’elles avaient avant. Et le grand mérite du débat TCE, en définitive, c’est d’avoir sensibilisé les citoyens français et néerlandais aux dangers de mettre dans une constitution des dispositions politiques qui deviennent alors très difficiles à modifier par les voies parlementaire ou référendaire.
Ces deux réalités (la différence fondamentale et le grand mérite) n’apparaissent pas clairement à l’opinion publique parce que certains ont voulu greffer là-dessus des débats à mon avis parasites : à savoir 1) que le TCE était un traité et pas une constitution (faux : c’était un traité introduisant une constitution) ou 2) plus généralement, que seuls les États pouvaient avoir une constitution (faux : les exemples du contraire ne manquent pas). Reconnaissons que le citoyen ordinaire a du mal à s’y retrouver !
Pour répondre par avance aux objections prévisibles, je rappellerai que la situation antérieure au rejet du TCE résultait pour une part essentielle du traité de Maastricht sur l’Union européenne (1992), approuvé en France par référendum, comme chacun sait.[/color] JR[/b]
[[color=red]NB. Message édité à plusieurs reprises le 12 décembre, et encore le 13 décembre. Pardon si ça vous oblige à relire ce texte, que je voudrais aussi précis et clair que possible.
Étienne : je propose de faire passer les derniers messages à partir du 9843 sur le fil « Traité de Lisbonne » (fil 8 de la rubrique « Spécificités européennes »), puisqu’ils ne concernent ni le vote à points ni le vote électronique. JR[/color]]