Merci Étienne pour la mise en page plus lisible.
Philosophie et constitution : (suite)
Je relève dans ce qui a été dit un problème important: l’utilisation d’une logique à deux termes et du tiers exclu pour traiter de problèmes qui ont trait au vivant. Ce type de logique, très utile pour gérer des stocks de billes -par exemple- est totalement réductrice si on l’applique à la complexité du vivant. Ainsi la proposition « Notez que la notion de droit et de devoir implique la conscience individuelle de droits et de devoirs. C’est pourquoi n’y a pas de droits des animaux, sans parler des plantes ou des choses. Il y a des devoirs de l’homme à l’égard des autres êtres vivants. Aussi, de nos jours, on ne condamne plus à mort une truie qui a mangé un bébé, mais on condamne un homme pour acte de cruauté envers un animal. »
Cela « ressemble » à un raisonnement plausible. Jacques, vous appliquez ici une logique à deux termes à des niveaux de réalité qui ne peuvent être appréhendés qu’à l’aide d’une logique à trois termes, c’est-à-dire tenant compte dans la relation que vous établissez entre « droit/devoir » et « animaux », du langage (3ème terme- tiers inclu) qui, seul, vous permet de les placer sur le même niveau de réalité.
Fort de cette réduction logique, vous en concluez que seul l’être humain est doté de conscience. On peut faire d’innombrables « démonstrations » ainsi qui « semblent » logiques. Mais les problèmes auxquels nous sommes malheureusement confrontés requièrent toute notre énergie pour modifier nos habitudes de penser. Sans quoi nous risquons de continuer à « avoir raison dans notre logique » tandis que nous allons dans le mur.
La logique du Marché est précisément celle-ci: « ce lac au Canada contient des millions de m3 d’eau pure. Il y a des régions aux USA où l’eau est rare. Nous allons donc prendre 25% de l’eau de ce lac, l’embouteiller et la vendre aux USA » (dixit un chef d’entreprise interviewé dans le film « Le Bien Commun »). L’eau, organisme vivant, est ainsi placé -par le seul effet du langage- sur le même niveau de réalité qu’une marchandise (bouteille d’eau). Cette proposition « paraît logique ». Pourtant elle entraîne une réification grossière: cette eau a une fonction bien plus complexe dans l’équilibre du vivant qu’une simple marchandise, et la disparition de 25% du volume de ce lac pourrait entraîner une catastrophe écologique due à l’augmentation du taux de salinité d’un estuaire situé à des centaines de km et alimenté en eau douce par ce lac.
C’est un exemple parmi des milliers de la façon dont nous raisonnons. [bgcolor=#FFFF99]Si nous voulons avancer, nous DEVONS tenir compte de la fonction du langage dans nos raisonnements. Celui-ci nous permet d’effacer les différents niveaux de réalité, mais dans le réel ceux-ci co-existent et ne peuvent être gommés.[/bgcolor]
La conséquence principale de l’utilisation d’une logique inadaptée est de nous contraindre à répondre à des questions qu’autrement nous ne nous serions pas posées. Dans l’exemple ci-dessus, on va par exemple chercher à savoir si cette exploitation du lac doit être privée ou publique, si l’on peut créer des poissons génétiquement modifiés pour s’adapter à un taux de salinité différents, etc.
Changer de logique est particulièrement important si on veut s’atteler à quelque chose d’aussi déterminant qu’une Constitution. Pour cela, il faut partir de la personne humaine habitant une situation donnée. Il n’y a pas de contradiction « personne/société », il s’agit d’un tout indivisible. Dés qu’il y a séparation, différents modèles de société vont s’affronter et « l’individu » va se trouver opposé à « la société » qu’il va tenter de transformer selon ce qu’il identifie comme étant ses besoins propres, au détriment des besoins de la situation qu’il habite.
Si je CROIS, car il s’agit bien d’une croyance, que je suis seulement cette entité délimitée par ce corps et ce mental que je perçois, alors tout ce qui n’est pas « moi » ne relève de ma responsabilité ou de mon attention qu’à titre optionnel. Si par contre, je crois que je suis tout ce qui vit et que tout ce qui vit est moi (pour simplifier), alors je suis reliée à / responsable de la situation que j’habite.
Partant donc de la croyance de base de chaque personne, nous arrivons à la croyance partagée, celle qui donne une orientation en profondeur à la société. Changer les institutions « par le haut », c’est imposer un modèle. Changer les institutions « par le bas », c’est travailler tous ensemble sur ces croyances de base, examiner leurs conséquences et en changer si ces conséquences ne répondent pas aux besoins des situations que nous habitons.
Si l’on prend une décision telle que celle concernant l’introduction des cultures OGM, par exemple, un réel débat ne peut se produire qu’à une échelle réduite et pourtant cet enjeu concerne toute la planète. La question des choix en agriculture ramenée à l’échelle des sociotopes permet de poser les vraies questions : la situation que nous connaissons parce que nous l’habitons requiert-elle l’usage des cultures OGM ? Y a t’il un « besoin de la situation » dans ce sens ? [b]
Si l’on écarte d’emblée les conflits d’intérêts individuels pour répondre à cette seule question, on s’aperçoit vite qu’il n’existe pas un tel besoin. [/b]Il existe des besoins en eau, besoin de lutter contre certains parasites, etc. La question se déplace et la réponse avec : étudions toutes les modalités de ce besoin en eau ou de cette lutte contre un parasite.
Peut-être faut-il envisager un autre mode de culture ou de travail des sols, d’autres réponses, utiliser le potentiel de la nature plutôt que le combattre, se tourner vers des réponses agroécologiques plutôt que techniques, etc. Admettons qu’à l’échelle des sociotopes nous tombions d’accord sur la non-pertinence des cultures OGM. Quelqu’un se propose dans chaque sociotope pour être chargé de mission afin d’aller porter le fruit de nos débats dans la sphère politique et dans la sphère économique.
[bgcolor=#CCFFFF][b]Si la mission du pouvoir politique est clairement de veiller à l'égalité en droit pour tous, son seul souci n'est pas de contredire le résultat du débat qui s'est exprimé mais de trouver les moyens de faire appliquer l'interdiction des OGM en droit et de veiller à cette application, notamment envers les lobbies des biotechnologies. [/b][/bgcolor]
On assiste à l’inverse pour l’instant et ceci a pour conséquences de laisser les entreprises décider du sort de l’humanité en instaurant une contamination irréversible pour un profit à court terme sans assumer aucune responsabilité.
« Chargés de mission de la société civile » n’a rien à voir avec « députés » pour la simple raison que les députés appartiennent à la sphère
politique tandis que les chargés de mission appartiendraient à la sphère
culturelle. Cette distinction est TRÈS importante car elle rejoint l’idée de modifier radicalement la conception du pouvoir politique et de sa mission. Par « sociotopes » (concept développé par
Nicanor Perlas), j’entends des rassemblements de personnes qui ont à gérer une situation en commun.
Le défi qui est devant nous est d’apprendre à s’occuper des besoins réels des situations, alors que jusqu’à présent on gère davantage les conflits d’intérêts individuels. Je parlais de déléguer les chargés de mission au niveau régional parce qu’il s’agit, à un moment donné, de dialoguer avec le pouvoir politique : pour l’instant sa représentation est régionale, nationale, internationale, mais il peut trouver d’autres formes adaptées à sa mission reformulée.
Il est bien évident que si le pouvoir politique reconnaissait le pouvoir culturel (société civile) comme un pouvoir à part entière et qu’il doit respecter, les élus politiques n’auraient plus le pouvoir exorbitant qu’ils s’octroient.
Le politique, l’économique et le culturel (production des valeurs, des choix de société et des grandes orientations) sont très différents. Mais une société dominée par le pouvoir politique (ex URSS) a fait la preuve de ses carences.
L’hégémonie actuelle du pouvoir économique ne doit pas conduire à l’éliminer en tant que pouvoir capable de contribuer à l’équilibre d’une société. Il a seulement besoin d’être limité et il ne peut l’être que si le pouvoir politique et le pouvoir culturel remplissent aussi pleinement leur fonction.
Je suis d’accord sur le fait que le terme « société civile » a été détourné de son sens, mais les « citoyens » ne représentent pas tout le monde: des tas de gens n’ont pas ce statut et pourtant sont là. Alors le terme de société civile permet de les englober, même si des tas d’ONG sont davantage au service du pouvoir politique ou du pouvoir économique.
Pour clore ici, l’écriture d’une Constitution n’est pas un simple travail de formulation, mais un cheminement dans lequel on accepte de changer notre rapport au monde et aux autres. Et cela passe par revisiter nos croyances personnelles de base et les paradigmes fondateurs de la Science actuelle afin de pouvoir inscrire dans ce texte quelque chose qui puisse modifier en profondeur l’idée que l’on se fait de la place et du rôle de l’homme sur cette planète et des rapports des hommes entre eux.
Je ne crois pas aux déclarations d’intention sur la préservation de « l’environnement ». Je suis persuadée que l’on n’obtiendra rien d’effectif tant que l’on confondra pouvoir politique et pouvoir culturel.
[bgcolor=#FFFF99][b]Le politique prend actuellement des décisions sur tout, ce n'est pas son rôle. La question de l'environnement montre parfaitement que c'est la société civile et elle seule qui contraint le politique à adopter des mesures: elle doit maintenant exiger le pouvoir de prendre des décisions, et exiger que ses décisions soient respectées, et cette exigence doit faire partie de la Constitution.[/b][/bgcolor]