Re: 4A Les principes fondamentaux, déclarés en tête de la Constitution, devraient primer sur toute autre règle- Philosophie et constitution
Bonjour,
Merci pour toutes ces réactions. Tout d’abord je voudrais reprendre les mots de Jacques Roman: « Une constitution, pour être efficace, doit se borner à régler l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics (nationaux, européens) ». C’est bien ce qu’ont fait les Constitutions jusqu’ici avec le « succès » que l’on sait. Une Constitution effectivement doit être courte et lisible, mais le débat qui précède sa rédaction détermine le poids qu’elle aura. C’est donc maintenant que doivent s’ouvrir les débats de fond car les mots inscrits n’auront de valeur que si chacun a pu se les approprier pleinement.
Je comprends parfaitement votre point de vue, mais il me semble que les sociétés humaines ont profondément changé et, qu’en particulier, elles se sont dotées de pouvoirs technologiques tels qu’ils modifient non seulement notre rapport à la nature et à la réalité, mais jusqu’à notre composition biologique (avec l’introduction des OGM et des nanoparticules dans les organismes vivants -dont l’homme). La frontière entre l’inerte et le vivant est en passe de s’estomper, ouvrant à la production de machines pensantes et d’êtres humains dotés des performances des machines.
L’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics est orienté en fonction de la définition que l’on adopte du vivant en général et de l’homme en particulier. Il ne peut en être autrement, même si l’on évite d’y faire référence. Le mythe de l’individu, entité qui se vit comme séparée et autonome, ne peut engendrer le même fonctionnement et la même organisation que celui et celle qui prévalent, par exemple, chez les indiens Kogis de Colombie pour qui l’individu (dans le sens pré-cité) n’a aucune sorte de « réalité ».
Vous pensez que l’être humain est " la seule unité biologique douée d’une conscience indivisible capable d’agir sur le monde" : c’est votre point de vue ; un point de vue très partagé, notamment par les promoteurs de la techno-science qui, forts de cette certitude, pensent avoir fait le tour de la question du vivant et s’emploient donc à le transformer pour le rendre plus « performant ». Cette certitude, le mythe de l’individu et la marchandisation du vivant ont à voir en commun et « modèlent » le type de société soumis aux lois de l’économie néo-libérale dans laquelle nous sommes. Ce que nous vivons est loin d’être exaltant : il est donc temps de questionner les fondements d’une certitude fondée sur une logique réifiante.
Ce débat pouvant trouver sa place, comme suggéré, dans un espace distinct, je vais clore ici ma remarque pour aborder votre question:
« Quels sont le ou les principes constitutionnels fondamentaux qui correspondraient à votre vision de la place de l’être humain dans le monde ? » Je propose deux pistes de réflexion :
1. Un principe posant que l’homme n’a pas une place prééminente dans l’ordre du vivant mais qu’il est un de ses composants et interdépendant (pour s’en rendre compte, il suffit de savoir que la disparition des seules abeilles compromettrait définitivement notre existence sur terre).
Et que ce constat impose le respect du vivant sous toutes ses formes. Ce respect signifierait, entre autres, qu’aucune action visant à modifier génétiquement ou atomiquement le vivant ne puisse être entreprise sans un débat de la société civile à l’échelle planétaire, qu’il ne peut en aucun cas être l’objet de brevets, et que sa préservation a prééminence sur TOUTE autre décision.
2. Un principe posant que toute décision devrait être le fruit d’une concertation et d’une discussion de la collectivité et non d’un ou d’une poignée d’individus, au niveau des sociotopes (et non pas des départements ou régions qui correspondent à des découpages artificiels), lesquels enverraient un chargé de mission au niveau régional ou national ou international pour porter la voix du consensus auquel a abouti la collectivité locale. Ces chargés de mission de la société civile seraient révocables à tout moment s’ils ne remplissent pas ou trahissent leur mission.
3. Que chacun des trois pouvoirs (économique, politique et culturel) doit s’exercer dans le respect mutuel des missions et valeurs des deux autres. Les actions de la sphère économique (banques, entreprises) et la sphère politique (Etat, institutions) doivent être constamment contrôlées et limitées par la sphère culturelle (société civile) et une Constitution devrait contenir les principes d’une telle limitation.
Bien entendu, il ne s’agit là que d’une vague idée de ce que pourraient être les bases d’une nouvelle Constitution qui ne peut naître que d’un débat fécond entre tous les citoyens.
L'idée principale étant d'en finir avec une conception erronée de la fonction du politique: le pouvoir politique doit essentiellement [b]veiller à l'égalité en droit pour tous[/b]. [color=red]Il n'est pas là pour prendre à notre place des décisions sur des choix de société.[/color] En le faisant, il outrepasse sa mission et musèle le pouvoir culturel. De même le pouvoir économique a pour mission de veiller à une juste répartition des biens assurant la fraternité et non pas à imposer à la société civile et à la sphère politique les seules valeurs du Marché. Son hégémonie actuelle tient au fait que le pouvoir politique n'assume plus sa fonction et au fait que le pouvoir culturel est spolié même s'il tend à se réveiller et tente plus et plus de récupérer son espace de décision.
Pour répondre à la question d'Alain Guillou: "Comment respecter l'environnement sans faire exploser les dogmes économistes ?" je dirais que les dogmes économistes ne sont qu'une prolongation du mythe de l'individu. Il n'est pas étonnant que le triomphe de l'individualisme corresponde au triomphe de l'économie néo-libérale.
Ce que nous pouvons changer, ici et maintenant, c’est bien notre manière de nous re-lier au monde et aux autres: la véritable révolution se situe là et pourtant on trouve encore beaucoup d’adeptes de la « révolution » qui consiste à faire changer les autres, à les « éduquer », à prêcher… Les dogmes de l’économie néo-libérale ne changeront que si nous changeons… et sous le poids des conséquences qu’elle engendre.
Plus concrètement, retirer au FMI, à la Banque Mondiale et à la Banque Européenne le pouvoir de décision exorbitant et l’autonomie dont ils disposent est une urgence. Dissoudre l’OMC, cette instance non élue, est tout aussi requis. Et tout ceci ne peut s’obtenir qu’en créant et en participant ACTIVEMENT à des solidarités internationales renforcées et en créant d’autres formes d’organisation économique (AMAPs, budgets participatifs, etc…). Un texte comme une Constitution ne peut pas être seulement le résultat de cogitations (aussi lumineuses soient-elles), mais d’un engagement et d’une expérience de tous les jours.
Pour répondre à Sam, effectivement la question du droit de propriété doit être entièrement repensée et tout ce que vous citez comme limitations est très pertinent. Cette question est apparue notamment au moment des procès intentés contre les faucheurs volontaires d’OGM. Ceux-ci ont été condamnés pour avoir enfreint « le droit de propriété » (du cultivateur/de la firme d’OGM) nonobstant le fait que ce cultivateur fait pousser des plantes qui produisent …du droit ! En effet, les plantes OGM brevetées peuvent se resemer dans un champ à l’insu de son propriétaire qui pourtant peut être poursuivi pour culture illégale d’une plante brevetée ! [bgcolor=#FFFF99]Au nom du « droit de propriété » des gens sont condamnés pour s’être défendu contre des plantes qui se reproduisent à l’infini et créent partout où elles poussent un droit de propriété surgi de terre ![/bgcolor]
Le droit de propriété a donc grand besoin d’être repensé, encadré et soumis aux valeurs supérieures que sont le respect du vivant sous toutes ses formes (le cultivateur qui choisit de ne pas semer d’OGM faisant partie des êtres non-respectés).
Comme vous le faites remarquer, le « droit à un environnement sain » a déjà été proclamé et allègrement piétiné. Ceci est à mon sens le signe que toute décision prise « par le haut » impose un modèle qui ne correspond pas à la réalité. Cette décision doit venir « du bas ».
Mais plutôt que de parler « d’environnement »- ce qui renforce l’idée d’un « dedans » et d’un « dehors » de l’individu, nous pourrions plutôt nous référer au « droit de vivre* » en l’étendant à tous les êtres vivants puisqu’ils sont indispensables à notre survie. (* en prenant soin bien sûr qu’il ne devienne pas un argument pour les anti-IVG)
Il n’est pas, bien sûr, question ici que « les pouvoirs publics m’imposent les considérations que je dois avoir pour moi-même », mais de changer la conception que nous avons de ce « moi-même ». Et nos efforts ne viennent pas « trop tard » parce que ce qui importe n’est pas le résultat de nos efforts mais la dignité que nous conservons en ne nous soumettant pas à l’iniquité.