Démocratie et règle de la majorité (suite)
@Jacques Roman : je suis un peu déçu car votre message 430 est essentiellement le même que votre message 424. J'ai l'impression que vous ne répondez pas aux questions que je soulève.
Je continue donc mes arguments contre l'idée que démocratie = majorité.
Je vous cite : « Une fois qu’on a défini la démocratie comme se ramenant essentiellement au gouvernement de la majorité, la règle de la majorité est forcément bonne. »
Je vois plusieurs risques à cette affirmation :
- La majorité peut être manipulée quand elle est consultée sur des sujets qu’elle connait mal
Il est possible de tromper une majorité de concitoyens. Notamment si l’on est en mesure d’influer sur le contenu des médias. Il semble que 70% des français s’informent encore essentiellement par les journaux télévisés. La règle de la majorité reviens donc à donner un pouvoir important à ceux qui détiennent le pouvoir médiatique.
Cela est possible car la majorité de la population est mal informée, en particulier sur les questions qui ne les concernent pas directement, les questions des minorités typiquement.
Pourquoi un nomade réclame t’il le droit de vivre dans une caravane ? Ne serait il pas plus heureux en HLM ? Il faut du temps pour appréhender sérieusement cette question. Il est relativement plus aisé de convaincre une majorité de sédentaire que les nomades sont des voleurs ou que sais-je encore… Car dans ce dernier cas l’on s’appuie sur les pulsions de peur et de rejet de l’inconnu, alors que pour expliquer l’inverse il faut surmonter ces pulsions.
Lorsqu’un sujet est peu ou mal connu de nos concitoyens la règle de la majorité ne me semble pas optimale pour faire émerger l’intérêt commun.
- Stratégie pour changer de constitution
J’ai pu constater que différentes minorités se méfient de la règle majoritaire. Elles se représente la majorité au pouvoir comme ce monstre hémiplégique et borgne qui décide sans savoir (exemple des sédentaires qui légifèrent sur le nomadisme sans y avoir sérieusement réfléchi, sans même connaitre un seul nomade). Mais aussi mémoire des juifs qui se souvient qu’Hitler a pu réunir une majorité de ses concitoyens autour de son projet.
Changer la constitution peut donc sembler assez effrayant pour les minorités. Car pour se protéger ces minorités ont tissé des contrepouvoirs informels qui les protègent un minimum. Balayant la constitution vous balaierez aussi ces contrepouvoirs. Les minorités risquent donc de s’opposer à une réforme constitutionnelle si elle leur semble plus risquée que le statuquo actuel. Je redoute que vous ne sous-estimiez cet aspect car nous sommes tous le minoritaire d’une majorité.
- Justice et efficacité
Corriger le principe majoritaire de ses prévisibles erreurs par des règles de « bonne gouvernance » ou par le respect d’autres textes eux même issu de votes majoritaire (que vous appelez « non-arbitraire ») ne permet toujours pas de prendre en compte le point de vue des minorités dans le processus de décision. Pourquoi se priver volontairement des points de vue minoritaires ? Peut être aucune solution constitutionnelle ne permet elle de prendre en compte tous les points de vue. Mais pourquoi renoncer à priori à un système plus complet et plus juste ??
Cette question (démocratie = majorité) est elle tranchée définitivement sur ce forum ? Si oui, je redoute que malgré la grandeur des sentiments qui vous anime vous ne plaidiez pour une nouvelle dictature, celle de la majorité en la confondant avec le gouvernement dans l’intérêt de tous, qui me semble être l’objectif de la démocratie.
Je propose qu’un des grand principe de la constitution soit de rechercher des méthodes pour garantir que les points de vue minoritaires soient pris en compte dans la décision publique.
J’espère que mon message n’apparait pas comme trop véhément…
Rassurez-vous, fourminus, il y a beaucoup plus véhément que votre message sur notre Forum !
Voici comment je comprends, en les résumant, les questions que vous avez posées explicitement ou implicitement dans vos messages 422, 427 et 429 (vous me corrigerez le cas échéant), et auxquelles je n’ai en effet pas répondu assez précisément dans mes 424 et 430 :
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La protection des minorités face aux majorités ne relève-t-elle pas d’un grand principe ?
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N’est-il pas vrai que la démocratie ne saurait être réduite à la règle de la majorité ?
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N’est-il pas vrai qu’une majorité peut être manipulée par rapport à une question qu’elle connaît mal ?
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Pourquoi pas une « constitution nomade » qui garantirait leurs droits aux nomades en tant que Français ?
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En balayant la constitution actuelle, ne risque-t-on pas de balayer les contrepouvoirs que les minorités ont édifiés pragmatiquement dans son cadre ?
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Un des grand principe d’une constitution ne doit-il pas être de rechercher des méthodes pour garantir que les points de vue minoritaires soient pris en compte dans la décision publique ?
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Le principe de la protection des minorités n’est-il pas l’un des grands principes à traiter sur le présent fil de discussion ?
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La question (démocratie = majorité) est-elle définitivement tranchée sur ce forum ?
Voici maintenant mes réponses :
- La protection des minorités relève en effet d’un grand principe, mais il ne s’agit pas d’un principe constitutionnel.
Le but d’une bonne constitution est de régler l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics – rien d’autre.
Le grand principe dont vous parlez (la protection des minorités) est d’une autre nature, et il est supérieur par nature à tout principe constitutionnel.
Il s’agit des droits fondamentaux de l’être humain, proclamés dans les articles IV (« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), V (« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société ») et VI (« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse […] ») de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, déclaration rattachée par référence rappelée en tête de la constitution actuelle.
Spécifiquement, en ce qui concerne les minorités, la France est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 27 est ainsi libellé :
Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue.
C’est sur cette base que les minorités peuvent être protégées.
- À mon avis (minoritaire ici, vous le remarquerez), le cœur de la démocratie est en effet la règle de la majorité. Mais il faut supposer que toute décision de la majorité aura été précédée par un débat public approfondi et soumise à des contrôles constitutionnels adéquats.
C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je suis opposé au référendum d’initiative citoyenne « sec » (un groupe de citoyens enregistre une question auxquels tous les citoyens sont appelés à répondre par oui ou par non).
Vous verrez sous http://www.euroconstitution.org (concernant la question d’une future constitution européenne, à laquelle plus personne ne s’intéresse ici), que j’ai pour ma part suggéré de mettre en place un système de proposition citoyenne de dépôt d’un projet de loi, avec référendum d’initiative citoyenne (RIC) possible, sous réserve de conditions de seuils de participation et d’adoption et de délai. Cette procédure s’apparente à l’initiative populaire suisse et laisserait beaucoup de temps à la réflexion et au débat.
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Une majorité ne sera pas facilement manipulée si le débat public visé au point 2) a bien lieu.
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Je ne vois pas comment une « constitution nomade » pourrait coexister avec la constitution française. Mais si voulez dire qu’il faudrait revoir et compléter les disposition législatives applicables à la situation particulière des nomades, alors, je n’ai aucune objection.
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Vous avez tout à fait raison de dire qu’en balayant la constitution de 1958 comme certains voudraient le faire on courrait le risque de balayer en même temps tous les aménagement pratiques et officieux qui ont été bâtis dessus. C’est une manie française de vouloir toujours repartir de zéro, et dans bien des cas elle n’est pas justifiée. C’est pourquoi je propose plutôt de réformer la constitution en vigueur pour y apporter les améliorations voulues.
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Non, ça ne peut pas être « un des grands principes d’une constitution » que de « rechercher les méthodes pour garantir que les points de vue minoritaires soient pris en compte dans la décision publique ». Mais une constitution doit être rédigée de manière à garantir ce résultat, au besoin en instituant des procédures spéciales.
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En effet, si vous aviez des propositions à faire concernant la protection des minorités (des nomades plus particulièrement), le présent fil de discussion serait tout indiqué.
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Non, la question démocratie = majorité n’est pas tranchée sur ce Forum. Il n’y a pas eu de vote, mais ma position dans ce sens est apparemment minoritaire.
[b]J’en reste pour ma part à la définition classique de la démocratie : gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, et je constate que ce gouvernement ne peut s’exercer que par la règle de la majorité.
Par contre j’ai spécifiquement dit qu’il était possible qu’une décision parfaitement démocratique soit parfaitement arbitraire.[/b] Aux constituants d’éviter ce genre de situation.
Si j’ai raté quelque chose, dites-le moi.
Cordialement. JR