La loi d’airain
Il y a à présent une chose que je voudrais souligner. C’est délicat mais je tiens à mettre les points sur les i.
Plusieurs membres ont haussé les épaules en disant que les insultes du Yéti sont bénignes car il nous traite juste de benêts (ou de bobos, terme valise et archi vague, qui revient un peu, je crois, au pharisien d’antan). Je ne vois pas du tout les choses de cette manière. Faire un classement dans le degré des insultes est une diversion lorsqu’il s’agirait de voir l’intention malveillante, mais il n’y a pas que ça. Il y a un stade où la malveillance devient la seule logique, à côté de laquelle les envolées littéraires se réduisent à de la diversion.
Rappelle-toi un instant le qualificatif « gentil » (décliné en « goy », je crois, dans la version « antisémite ») qui est répété à l’envie dans les fumeux Protocoles, nième avatar du bréviaire totalitaire. Le choix de ce qualificatif y est tout sauf approximatif : il désigne précisément le contraire de la logique en question, laquelle découle toute entière de la première « leçon » :
Leçon n°1 : le mal l’emporte toujours avec infiniment plus de facilité que le bien, c’est évident. Or, si ça n’est pas nous qui prenons le côté gagnant du manche, d’autres le feront de toutes manières. Aussi va-t-on soumettre entièrement notre logique d’action à celle qui consiste à s’appliquer minutieusement à faire le mal. Ça marche à tous les coups ; le seul hic avec cette logique, la logique proprement totalitaire, c’est que c’est comme le pacte avec le diable : on peut obtenir le pouvoir sur tous les autres… à conditions de se soumettre soi-même à la logique monstrueuse qui, dès lors, s’impose à nous.
En corolaire, tous les « gentils », à savoir ceux dont la logique d’action obéit à des principes humanistes, sont bien gentils mais ils se feront systématiquement baiser… pourvu justement que « nous » nous en tenions mordicus à la ligne de conduite que l’on vient d’énoncer. Le « gentil », selon cette même logique commune à tout mouvement totalitaire, c’est tout simplement celui qui ignore ladite loi d’airain, qui ne la prend pas au sérieux ou qui refuse de se résoudre à s’y soumettre. Il sera aussi, également par construction directe, un pur pion (attribution parfaitement opposée à toute étique) qui va en prendre plein la gueule. Conclusion et résumé : le « gentil » s’en prendra forcément plein la gueule, même si ce « forcément » pourrait paraître impliquer notre volonté ; on sait que c’est dégueulasse mais malgré ça et même justement de ce fait on va écraser le gentil, ce sera même le coeur de notre ligne de conduite.
Bref, on a là une charmante logique, froide au possible, qui n’admet ni contre-argument ni exception et qui rejette par nature toute obligation éthique.
Maintenant, tu sais que je ne suis pas du genre gauchiste effarouché ou autrement sectaire, et que je n’ai pas l’étiquette rapide, mais il y a quand même quelque chose de très frappant dans la prose de l’animal à poil : il n’est pas difficile de voir que la malveillance est déclinée en long en large et en travers dans les messages du Yéti, qu’elle suinte de la forme, du fond et du programme qu’il dessine. Même quand il conchie l’immigration, que nous sert-il sur le champ ? Il retombe dans un délire paranoïaque, autrement dit dans la même logique automatique, ce de manière flagrante au possible, en accusant tout le monde, d’emblée, d’adorer l’immigration sans limites. Qui n’est pas avec moi est forcément contre moi. Ce n’est pas juste ridicule, c’est très inquiétant. Parce que même en remontant loin dans sa « logique », on ne trouve que la haine.
Pour cette raison très précisément, je n’ai strictement aucun scrupule à condamner ce type en le classant dans le rang de mes ennemis jurés. Pas parce que je le veux, mais parce que sa logique n’appelle décemment pas d’autre réaction.
Et la moindre des choses pour me faire changer d’avis (j’aimerais bien) serait tout de même un petit geste montrant qu’il n’est pas à ce point enfermé dans une logique malveillante.
Pour en revenir aux termes, tu comprendras peut-être, à présent, que de la part d’un type qui s’exprime et qui agit comme le fait le Yéti, je préfère sincèrement me faire traiter de connard, et même de type qui n’aime pas les gens, plutôt que de me faire traiter de benêt. Dans le premier cas ça sentirait la cour de récré ; dans le deuxième, plutôt un pathos réconfortant ; dans le troisième, rien à voir, ça pue le calcul glacé. Bref, ça ne me fait pas du tout rigoler, mais alors pas du tout.
Et d’ailleurs, puisque tu as ouvert une parenthèse régie par la loi d’exception, je m’offre le privilège de saisir l’occasion pour dire à ce monsieur combien je le hais, et pas du tout cordialement. Je ne le méprise pas. Rien à voir. Je lui fais savoir qu’il est mon ennemi jusqu’à nouvel ordre, que je ne lui ferais aucun cadeau et que je suis tout à fait près (que dis-je, zélé) pour me défendre contre lui.
Que ce monsieur soit à plaindre, qu’il ait beaucoup souffert pour en arriver là, c’est une chose (plutôt évidente), mais comme chez l’enfant qui tape du pied, il y a que tout pouvoir s’étend jusqu’à ce qu’il trouve des limites, et la moindre des choses à faire, y compris pour aider ce pauvre bougre, c’est de lui en fixer, des limites. Tu parles qu’il ricane, l’autre, en nous voyant nous écraser. Tu lui cherches de l’humanité et une forme d’intelligence de « gentil », mais c’est justement ce qu’il rejette. Tu ne l’aideras, et nous avec, qu’en posant des limites sur le terrain qu’il s’est lui-même choisi, pas en l’invitant naïvement (pardon) à raisonner dans le monde des « benêts ».
Car c’est très exactement parce qu’on ne lui en fixe pas, de limites, même lorsqu’il pousse très loin le bouchon, qu’il nous traite de benêts : n’est-ce pas, en effet, une preuve évidente que nous, animaux dégénérés, avons perdu jusqu’à nos instincts de défense / de survie les plus essentiels ? Que dit-il d’autre lorsqu’il parle des benêts colonisés ? Qu’est-ce donc qu’un « bobo » sinon une sorte d’animal déraciné à l’excès ? En réalité, les paumés qui rejoignent les camps d’entraînements totalitaires, ont bien plus encore lâché prise mais toute la différence, croient-ils, est qu’eux l’ont fait par calcul.
Comme le savait si bien Hitler, les manifestations de violence fascinent aisément les gens – des gens qu’il pouvait finalement envoyer à la mort sans même qu’ils poussent un cri. Cela choque mais justement à force de répétition et à force de ne pas voir de résistance, ça fascine. On se dit : en dépit de tous ses agissements de salopard, ce mec doit forcément avoir du génie. Autant fouiller… En prendre et en laisser. Seulement il n’y a rien à fouiller, la seule recette, substitut à l’intelligence, est celle que je viens de rappeler plus haut. Quant à en laisser, ce genre de logique prend tout et ne laisse rien.
Plus l’envahisseur dit Yéti nous tape sur la gueule et nous provoque, plus nous la fermons, nous penchons sur son petit cas bien ragoutant et même, plus nous montrons de la compassion, jusqu’à passer des heures (je sais de quoi je parle) à lire et à tenter de déchiffrer ses longs paragraphes et ses innombrables références qui, en réalité, relèvent bien plus du cadavre exquis que de la réflexion.
Faites ça pour un enfant et une chose est sûre, vous ne lui rendez pas service. Faites ça avec ce genre de barbouzes, par exemple ceux qui cassent de l’étudiant dans les manifs, et vous laissez tranquillement se mettre en place des gentils gouvernements fascistes de demain.
Le « merdeux » (que je me complais à opposer ici au « gentil »…), tyran totalitaire en puissance, a beau manier une logique on ne peut plus contraire à la logique de vie, paradoxalement, lui sait parfaitement ce qu’est l’instinct de survie : facile, tandis que les autres sont livrés au déluge de ses merdes, lui n’a que celui-là à se rappeler. Les bobos, les benêts, eux, se perdent dans les détails et leur prose suinte l’humanisme à tout va, mais eux auraient à l’inverse perdu l’essentiel. Ainsi, le merdeux se conforte chaque jour dans l’idée que sa stratégie de merde, en dépit complet des apparences, sert finalement l’humanité. Il y a bon sens et bon sens, quoi. Ainsi vu, on comprendra peut-être que, comme disait Arendt, les mouvements totalitaires sont les seuls avec lesquels toute cohabitation est impossible. De même qu’on perd son temps à essayer de cohabiter avec les véritables fous.
Désolé pour cette froide déconstruction du Yéti, qui le réduit, je l’admets, à son animalité primitive. Mais ne t’en fais pas, mon ami : à lui elle ne peut faire que du bien.