Une expérience passionnante sur un sujet cardinal dont TOUS les citoyens devraient devenir des spécialistes.
[color=black]NOTE EXPLICATIVE
Un mode de scrutin n’est qu’une règle parmi beaucoup, qui toutes ont pour objectif de choisir le candidat réellement voulu par l’électorat. Chaque mode de scrutin a ses avantages et inconvénients. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours a le double avantage d’être facilement compréhensible par l’électeur et de conduire à une procédure de dépouillement très simple. Par contre il peut conduire à des comportements qui ne se traduisent pas par un « vote sincère », le plus connu étant le « vote utile ».
L’objectif de notre expérience scientifique est de tester un autre mode de scrutin qui est le « vote préférentiel transférable ». Avec cette procédure, les électeurs sont simplement appelés à classer, en les ordonnant, les candidats selon leurs préférences . Les électeurs ne sont pas obligés de classer tous les candidats en ordre de préférence; s’ils le désirent, ils peuvent en ordonner seulement un, deux, trois … Comme ils peuvent choisir de classer du premier au dernier tous les candidats en lice.
Lorsqu’ils ont classé plusieurs candidats dans leur bulletin, leur vote est transférable selon la procédure suivante : supposons un bulletin qui pour les 12 candidats en lice à cette présidentielle n’en a classé que 3 (candidat A en n°1, candidat B en n°2 et candidat C en n°3). Si le candidat A a reçu le moins de suffrage (dans les premières intentions de vote (en n°1)), il est éliminé et tous les électeurs qui avaient classé le candidat A en n°1, voient leur vote transféré sur leur deuxième choix (si il y en a un). En l’occurrence, dans notre exemple, sur le candidat B. Cette procédure est réitérée jusqu’à ce qu’un candidat ait obtenu la majorité absolue.
Le vote préférentiel transférable a un certain nombre d’avantages : il ne nécessite qu’un tour et surtout il permet de réconcilier le vote sincère (1 er choix) avec le vote utile (2 ème choix ou suivant). Mais comme toute procédure de décisions collectives, il possède également certains désavantages, en particulier la complexité du dépouillement.
Nous vous demanderons de remplir un tel bulletin en ordonnant les candidats : inscrire 1 dans la case située en face du candidat qui a votre préférence, inscrire 2 dans la case en face du candidat pour lequel vous souhaitez transférer votre vote si votre numéro 1 a été éliminé, inscrire 3 dans la case en face du candidat pour lequel vous souhaitez transférer votre vote si vos candidats 1 et 2 ont été éliminés, etc.[/color]
J’ai relevé notamment les réflexions suivantes (mais il faut tout lire, c’est très intéressant) :
[color=black]« [b]1 Introduction : le mode de scrutin actuel et ses limites[/b]
Le scrutin actuel, au suffrage universel direct, est de type uninominal majoritaire à deux tours. Ce système amène les deux candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour à être les seuls à pouvoir se présenter au second tour. Ce mode de scrutin, quoique récent puisque né au début du 20ème siècle, est le plus appliqué aujourd’hui dans les pays qui élisent leurs dirigeants au suffrage direct et à la majorité absolue des suffrages exprimés. Outre la France, il est pratiqué par exemple en Autriche, dans la plupart des pays d’Amérique Latine, et a été utilisé pour la désignation du Premier ministre en Israël entre 1992 et 2001.
En plus de sa simplicité, l’une des raisons de la faveur dont jouit ce mode de scrutin est qu’il permet aux électeurs, lors du premier tour, de pouvoir s’exprimer sur une ”offre” ´electorale étendue sur la plus large part du spectre politique. On peut ainsi assimiler le premier tour à une ”primaire” qui aurait lieu au sein de chaque ”camp” (Droite et Gauche, le plus souvent) afin de déterminer quel candidat portera les couleurs de son camp face à l’autre. En conséquence, ce mode de scrutin favorise la fragmentation du champ politique, et peut induire des choix qui ne sont pas forcément fondés sur des critères rationnels (que ce soit au premier ou au second tour, comme l’a montré l’élection présidentielle française de 2002, par exemple).
Ce mode de scrutin favorise les partis politiques qui disposent d’une ”réserve” de votes au second tour, grâce au jeu des alliances qui peuvent se dessiner entre les deux tours. Il favorise enfin au second tour les candidats les plus charismatiques, susceptibles de rallier les suffrages exprimés au premier tour sur des candidats ”de conviction”. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est donc le plus profitable aux candidats dont la position dans leur champ politique est dominante (au sens où ils sont plutôt au centre de l’ensemble du spectre politique, mais à l’un des extrêmes de leur partie du champ).
À l’inverse, ce mode de scrutin défavorise, par définition, les candidats qui représentent la préférence première d’une petite partie de l’électorat, mais aussi ceux qui bénéficient d’un large capital de sympathie d’une large fraction de l’électorat, sans toutefois être classés premiers. Un autre avantage est qu’il produit un vainqueur nécessairement majoritaire au second tour, ce qui renforce la perception de légitimité du nouvel élu.
Les détracteurs du scrutin majoritaire à deux tours lui reprochent donc d’induire une concurrence électorale qui se définit par la séduction exercée par des candidats charismatiques, plutôt que par les choix idéologiques qu’ils devraient représenter. La légitimité même des institutions peut donc être fragilisée par le choix d’un mode de scrutin qui ne respecterait pas suffisamment les préférences des électeurs. En effet, si ce n’est pas le cas en 2007, la désaffection électorale peut en tout cas menacer un système politique dont le mode de scrutin exclurait par trop (ou trop souvent selon les électeurs) un certain nombre de mouvements politiques, forcés dès lors de renforcer l’extrémisme de leurs positions ou propositions. Si elles deviennent trop nombreuses, les forces politiques non représentées, même émiettées, peuvent devenir importantes au total, et leur exclusion saper les bases de la démocratie.
Une autre critique énoncée à l’égard de ce scrutin est qu’il peut inciter les électeurs à ne pas voter sincérement (pour leur candidat préféré) lors du premier tour ; l’exemple de vote non sincère le plus courant étant le “vote utile”. Dernière critique, et non des moindres, le scrutin majoritaire à deux tours peut conduire à la défaite du vainqueur de Condorcet, lorsqu’il existe.
Ces critiques du mode de scrutin actuel montrent bien qu’une règle électorale n’est pas qu’une formule mathématique ou une série d’instructions techniques ou légales. Bien au contraire, le choix d’un mode de scrutin sculpte profondément le champ politique, notamment en termes du nombre de partis, du mode d’affrontement des candidats et de la façon dont les électeurs voient, au final, leurs préférences être représentées.
L’expérience électorale menée par le laboratoire Equippe vise donc à examiner les conséquences d’un mode de scrutin alternatif, plus respectueux de l’ensemble des préférences exprimées par l’électorat, en l’occurence le vote préférentiel transférable. Il est analysé selon les deux premiers des trois critères qui permettent de définir un “bon” mode de scrutin : 1) il doit être simple, 2 ) il doit sélectionner le vainqueur de Condorcet, lorsque celui-ci existe et 3) limiter les possibilités de manipulation. (…)
2 Le vote préférentiel transférable
Sous le vocable de vote préférentiel transférable, on trouve en réalité deux processus qui se distinguent uniquement par la méthode de dépouillement : la méthode de Hare (ou encore vote alternatif ) et la méthode de Coombs. La première est pratiquée pour l’élection présidentielle en Irlande et au Sri Lanka, et a été instaurée pour des élections nationales à la fin des années 90 et début des années 2000 dans les îles Fidji et en Papouasie Nouvelle-Guinée. L’Australie, pour l’élection de la Chambre des représentants (ou Chambre basse) a recours au vote alternatif depuis 1918. Enfin, au niveau local, cette procédure est employée pour l’élection de la municipalité de San Francisco depuis 2002. Il n’existe pas d’exemple d’application de la méthode de Coombs.
Quelle que soit la méthode retenue, l’électeur reçoit un seul bulletin de vote, comportant les noms de l’ensemble des candidats, et doit les classer dans l’ordre de ses préférences. Le numéro 1 est son premier choix, le numéro 2 son deuxième et ainsi de suite. Il n’est pas contraint de classer l’ensemble des candidats. Si aucun candidat n’a obtenu la majorité des voix lors du comptage des bulletins de vote (le nombre de voix correspond au nombre de bulletin où le candidat a été placé en numéro 1), le candidat ayant le plus mauvais résultat est éliminé et les voix qu’il a obtenues sont alors reportées sur le candidat indiqué comme deuxième choix ; cette procédure est renouvelée jusqu’à ce qu’un candidat recueille plus de la moitié des suffrages exprimés. Ce qui distingue la méthode de Hare de celle de Coombs c’est la manière de définir le candidat ayant le plus mauvais résultat (cf. ci-dessous).
[bgcolor=#FFFF99]Par rapport au scrutin majoritaire à deux tours, l’un des avantages de ce système est qu’il évite le retour aux urnes, l’ensemble des préférences étant exprimées dès le premier et unique tour. Il permet donc à l’électeur d’exprimer pleinement ses préférences entre tous les candidats en lice. Sachant que le vote peut être transféré sur tout candidat qui a été ordonné, refuser de classer un candidat revient à refuser de lui donner sa voix à toutes les étapes du processus de dépouillement. Basé sur les préférences initiales, le choix des électeurs n’est, par définition, pas influencé par les résultats du premier tour, et donc par les préférences des autres électeurs telles qu’elles se sont exprimées lors de ce premier tour. L’électeur devant exprimer ses préférences en une seule fois et en permettant le transfert de la voix sur les candidats successifs, ce système électoral réduit considérablement les incitations à ne pas voter sincérement.[/bgcolor] Pour autant, ce mode de scrutin n’élimine pas complétement les possibilités de manipulation (vote non sincère).
Le vote préférentiel transférable est assis sur la participation électorale la plus large, évitant les défections des électeurs des formations perdantes du premier tour d’un scrutin majoritaire à deux tours. D’autre part, le vote alternatif permet, potentiellement, l’élection d’un candidat qui représenterait la préférence première d’une petite partie de l’électorat. Il ne favorise donc pas forcément les ”grands partis”.
Un dernier avantage de cette procédure de vote, quel que soit le mode de dépouillement, est qu’elle produit, à l’instar du scrutin majoritaire à deux tours, un vainqueur majoritaire.
Il faut noter une difficulté inhérente à ce processus électoral : la difficulté du dépouillement. Celui-ci, à la différence de l’actuel scrutin majoritaire à deux tours, ne peut être réalisé au niveau de chaque bureau pris individuellement ; le résultat national dans le mode de scrutin actuel n’étant que l’aggrégation des résultats par bureaux. Avec le vote préférentiel transférable, la somme des dépouillement locaux n’aboutit pas au résultat du dépouillement effectué sur la totalité des bulletins de la circonscription électorale. Le dépouillement doit être réalisé en une seule fois au niveau de la circonscription ; et ceci, quelle que soit la méthode de dépouillement utilisée. De plus, compte tenu de la complexité du dépouillement avec le report des voix des bulletins qui ont classé en premier le candidat éliminé, le dépouillement est fortement facilité par le recours à l’informatique, dés lors que le nombre de votants est élevé. Il peut également apparaitre plus compliqué pour les électeurs que le mode de scrutin actuel. Choisir un candidat peut sembler a priori plus simple qu’opérer une sélection par classement sur l’ensemble des candidats en lice.
2.1 La méthode de Hare (ou vote alternatif )
Le plus mauvais résultat selon cette méthode va être défini en fonction de la capacité à fédérer [bgcolor=#CCFFFF]l’adhésion[/bgcolor] autour de sa candidature. Le candidat ayant recueilli le plus faible nombre de voix en première intention est éliminé et ses voix sont réparties sur les candidats figurant sur le bulletin de ses électeurs en préférence deuxième. Si, suite au transfert des voix, un candidat reçoit la majorité des suffrages, il est élu. Sinon, une nouvelle itération est effectuée, jusqu’à dégager un vainqueur majoritaire.
Ce système électoral fonctionne sur les sympathies relatives, comme le scrutin majoritaire. Il conduit généralement à un résultat similaire, les modalités du dépouillement étant finalement assez proche du scrutin majoritaire à deux tours. Dans la procédure de dépouillement, les itérations évoquées plus haut peuvent se comprendre comme différents tours fictifs du processus électoral. À chaque tour, le plus mauvais candidat est éliminé. Les électeurs ayant exprimé leur classement préféré entre tous les candidats, il n’est pas nécessaire de les faire revenir voter au tour suivant. La seule opération à réaliser entre chacun de ces tours fictifs, consiste à opérer sur les bulletins le transfert des voix sur les candidats qui suivaient immédiatement le candidat éliminé et à comptabiliser les voix pour chacun des candidats restant en lice. Alors que dans le scrutin majoritaire à deux tours, les 10 plus mauvais candidats ont été éliminés entre le premier et le deuxième tour, dans le vote préférentiel transférable, on élimine les candidats les uns après les autres. Néanmoins, cette méthode ne conduit pas systématiquement au même résultat que celui obtenu avec le vote majoritaire à deux tours.
2.2 La méthode de Coombs
Le plus mauvais résultat selon la méthode de Coombs va être défini en fonction du niveau de [bgcolor=#FF66FF]rejet[/bgcolor] que le candidat a cristallisé autour de sa personne (de son programme). Il s’agit d’une toute autre philosophie que celle prévalant dans les modes de scrutin actuels. Contrairement à la méthode de Hare, le critère qui est opérant n’est plus le niveau d’adhésion mais celui de rejet. Concrètement, à la première itération, le candidat qui comptabilise le plus grand nombre de bulletins dans lesquels il n’a pas été classé ou classé en dernière position (ici la douzième) est éliminé et ses voix sont réparties sur les candidats figurant sur le bulletin de ses électeurs en deuxième position. Si, suite au transfert des voix, un candidat reçoit la majorité des suffrages en première intention, il est élu. Sinon, une nouvelle itération est effectuée, le candidat qui comptabilise le plus grand nombre de bulletins dans lesquels il n’a pas été classé ou classé en dernier (ici la onzième) est éliminé et ce processus se poursuit jusqu’à dégager un vainqueur majoritaire. (…) »[/color]
Personnellement, je trouve intéressants les scrutins (comme la méthode de Coombs) qui prennent en compte
(objectif majeur de la démocratie athénienne) : un candidat qui a la majorité des adhésions, disons 55%, mais aussi 40% de crainte ou de détestation, favorisera sans le vouloir la discorde, alors qu’un candidat moins charismatique mais haï par personne aura plus de facilité pour inspirer la concorde.