Le tirage au sort à des niveaux sérieux exige une modification de la constitution. Ou bien pas ?
Cette question ne m'est pas adressée, j'y réponds quand même.
- L’Article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) se lit comme suit :
La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
- La constitution française en vigueur dispose ce qui suit (premier alinéa du préambule) :
Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004.
En vertu de cette référence notamment, la Déclaration de 1789 est considérée comme faisant partie du « bloc constitutionnel » français, avec le préambule de la constitution de 1946 et la Charte de l’environnement.
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Par « niveaux sérieux », expression utilisée par Ana, on doit à mon avis comprendre au minimum la désignation de toute personne chargée de représenter les citoyens aux fins de la formation de la loi. La raison en est qu’il n’y a pas de représentation sans mandat, et que le tirage au sort ne confère pas un mandat et ne peut donc effectuer qu’une simple désignation d’agents publics dont les attributions sont déjà spécifiées par la loi.
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Cette façon de voir est confirmée par l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (instrument d’application de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948), dont l’article 26 ainsi conçu :
[i] Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;
c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. [/i]
- Il découle d’après moi de ces dispositions prises ensemble que, s’agissant d’adopter la loi, les représentants du peuple doivent être des élus du peuple (serait-ce au second degré) et non des tirés au sort.
Par contre, il serait théoriquement possible de tirer au sort les personnes chargées de fonctions publiques autres que celles de former la loi à condition que la quatrième clause de l’Article VI de la Déclaration de 1789 soit respectée : c’est-à-dire à condition que le tirage au sort ait lieu parmi des candidats remplissant tous au même degré les conditions de capacité, de vertus et de talents envisagées dans l’article VI de la Déclaration de 1789.
Mais le tirage au sort ne serait pas compatible avec l’Article VI s’il aboutissait à désigner des personnes moins capables, vertueuses ou talentueuses que d’autres. En pratique, l’égalité de capacités, de vertus et de talents est impossible à assurer, et cela devrait exclure le tirage au sort dans tous les cas, sauf s’agissant de tâches purement mécaniques (comme de compter des bulletins, d’assurer la police d’une réunion) pour lesquelles tous les candidats au tirage au sort disposeraient des qualités à la fois nécessaires et suffisantes sans qu’il y ait lieu d’établir des degrés.
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Le tirage au sort étant ainsi exclu en l’état actuel de notre constitution – du moins pour ce qui est de désigner des représentants du peuple chargés de former la loi au nom du peuple, à savoir le président de la République et les députés et sénateurs –, si l’on voulait remplacer l’élection par le tirage au sort, il faudrait réviser la constitution, soit en supprimant purement et simplement la référence préambulaire à la Déclaration de 1789, soit en modifiant l’Article VI de cette déclaration.
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J’imagine que le peuple français y regarderait à deux fois avant d’approuver un changement aussi profondément contraire à la tradition constitutionnelle issue de la Révolution. JR