Cher Étienne,
Tu dis « Je trouve simplement très intéressante l’analyse critique du suffrage universel au vu des corruptions, tromperies et blocages qu’il semble générer partout… ».
C’est un peu trop définitif, à mon goût, comme avis… Bien sûr, qu’on peut et qu’on doit en discuter, mais si tu pars avec cet a priori là, ça va devenir difficile de faire entendre ta voix… et de trouver des solutions « réalistes et réalisables ».
Tu as vraiment étudié tous les systèmes ? Y inclus les nordiques ? Qui, même s’ils ne sont pas parfaits, ont quand même réussi à mettre en place des mécanismes de contrôle et de moralisation de la vie politique que je leur envie à tous points de vue… Non accessoirement, ce qui est intéressant et paradoxal, c’est qu’ils se disent eux-mêmes en crise, mais pour d’autres raisons que les nôtres, sans arriver encore à bien définir les contours de leur désespérance…
À mon avis, c’est parce que la « construction européenne » (entre guillemets, car pour moi ce qui a été fait jusqu’à présent est plus une « déconstruction des responsabilités ») et la « mondialisation » ont tellement brouillé les cartes que plus personne ne s’y retrouve, même les démocraties nordiques…
Quoi qu’il en soit, jamais un Chirac n’aurait pu devenir Président en Suède (où du moins à la fonction qui en fait office) et, à mon sens, c’est bien, sur les systèmes qui conduisent à nos perversions (le comble ayant été atteint, quand nous avons dû voter pour un escroc pour empêcher un facho de passer) qu’il faut travailler, et seulement accessoirement en pensant qu’un tout autre système, entre guillemets « non démocratique », pourrait tout arranger…
Je ne sais plus où, quelqu’un (toi ou un intervenant ou peut-être un de nos échanges s’étonnait du mélange des genres qu’il y a sur ton site où tu discutes en même temps la constitution française et l’européenne… Même, si ça peut paraître brouillon ou irréaliste de te pencher sur les deux concomitamment, en réalité, c’est toi, sans même peut-être t’en rendre compte, qui es dans le vrai en faisant ça…
Il ne me semble pas que tu l’ais formulé clairement (je n’ai pas pu tout lire), mais je te le confirme, en réalité, notre problème démocratique fondamental, c’est qu’actuellement nos systèmes voudraient nous faire croire que l’on peut encore, décider de nos avenirs, alors qu’aucun politique (sauf ceux qui pensent que la solution est de se re-barricader dernières nos frontière) n’ose nous dire clairement qu’avec nos engagements européens actuels, ceux que nous avons signés au niveau de l’OMC, de l’ONU ou encore de l’OIT, les « vrais centres de décisions » (ceux qui permettraient vraiment de changer la vie des Français) nous échappent totalement, à nous … et à nos élus…
Oui, tout le monde sait, sent ou pressent ça, sans forcément se le dire clairement, et c’est une donnée essentielle de la crise politique et démocratique française et européenne, et du rejet massif (conscient ou inconscient, formulé pour de bonnes ou de mauvaises raisons) de « tous ces menteurs par omission »…
Je ne le sais que trop bien ; au moins une bonne moitié de mes propositions est inapplicable sans renégocier ou dénoncer un bon nombre d’accords européens et internationaux…
Le plus grave, c’est que cela est devenu vrai également pour les décisions que nous pourrions prendre pour la seule France, où il est devenu impossible de modifier profondément les systèmes institutionnels, sans mettre en branle des contre-pouvoirs, le plus souvent occultes et nuisibles, qui ne défendent que des intérêts particuliers, en empêchant toutes les réformes de fond… Pour ne reprendre qu’un seul exemple, tant la liste exhaustive pourrait, à elle seule, faire plusieurs bouquins : la professionnalisation des tribunaux de commerce, voulue par Guigou et espérée par tous les professionnels de l’entreprise depuis 20 ans, qui aurait pu mettre fin à toutes les petites et grandes magouilles, à tous les dénis de justice, est passée à la trappe, dans une indifférence quasi générale… sans que cela n’ait ému personne… comme s’il était normal, qu’une ministre doive plier devant une corporation, en sacrifiant, au passage, les intérêts du plus grand nombre et ce pour quoi elle avait été élue…
C’est pourquoi, je ne pense pas qu’introduire une assemblée souveraine tirée au sort permettrait de sortir de ce problème de fond sur les « centres de décisions »… non seulement, il l’aggraverait, par la « déqualification » de notre représentation auprès de tous les autres pays démocratiques, qui ne comprendraient plus avec qui, ils discutent… mais en plus, il laisserait le champ libre à tous les groupes d’influences qui sont déjà suffisamment nuisibles, sans que nous en rajoutions encore, en n’ayant plus aucun contrôle sur nos élus…
Aussi, au contraire de toi, qui veut supprimer les nuisances de notre système en lui retirant tout pouvoir et tout attrait pour quelqu’un qui voudrait en faire une profession, je pense, moi, qu’il faut réinventer un système démocratique qui redonne de vrais pouvoirs étendus à nos représentants, une vraie légitimité, une vraie représentativité, … pour leur permettre d’aller à la bagarre française, européenne et internationale avec notre plein soutien… Mais également, aggraver notre pouvoir de sanction sur eux s’ils ne tiennent pas leur programme et démocratiser les centres de décisions français, en facilitant leur accès à tous…
C’est, entre autres, tout le sens que j’ai voulu développer dans mes propositions institutionnelles.
Nous n’avons pas de divergences sur les objectifs… mais, sur ce que nous abandonnerions avec un système au hasard… Je pense qu’il y d’autres façons d’empêcher la création de castes (objectif que je partage à 200 %), inscrire dans les lois le non cumul, l’interdiction de se présenter plus de 3 fois sur des périodes de mandat réduites à 4 ans, l’obligation de panachage des listes avec des personnes issues de la société civile, le système d’accès facilité pour tous aux fonctions électives, la transparence sur les alliances et l’origine des financements, et cetera, devraient déjà calmer quelques ardeurs… après on verra si, définitivement, le pouvoir corrompt tout…
Fondamentalement, j’adhère à la formule de Churchill « la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ». Même si nous ne vivons qu’une réalité très imparfaite et très éloignée d’un idéal démocratique, ce système porte, néanmoins, en germe, tout ce qui constitue les espérances de notre humanité :
- des humains libres de choisir leurs représentants,
- des humains libres de se tromper,
- des humains libres de collaborer,
- des humains auxquels on demande de faire des choix d’adulte, même si leur âge mental, leur éducation ou leur culture (ou autres), les rend manipulables,
- des humains en lesquels, on a suffisamment confiance pour croire qu’ils sauront prendre leurs responsabilités et choisir ce qui est le meilleur pour eux…
Évacuer ses objectifs en confiant le pouvoir au hasard, c’est renoncer à ce qu’un jour, chacun devienne responsable de sa vie, sans plus dépendre d’un pouvoir quel qu’il soit…
Amicalement.