[bgcolor=#FFFF99]Aux côtés d’André Bellon,
Raoul Marc Jennar se prononce à son tour CONTRE le tirage au sort[/bgcolor]
Le blog de Raoul : Portail Finance, Banque et Immobilier - Jennar
Le blog d’André : http://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article417
Je viens de signaler sur le blog le début d’une controverse sur le tirage au sort qui, en me poussant à affûter mes arguments, comme je vais le faire aussi avec Sandy sur ce forum, va sans doute me faire beaucoup progresser, en me forçant à préciser toutes les modalités qui doivent l’être. (Vous avez le droit de m’aider
)
[bgcolor=#FFFF99]Voici d’abord l’analyse de Raoul[/bgcolor] (j’y répondrai, point par point, rationnellement, respectueusement, dès les jours prochains) :
[size=12][bgcolor=#FFFF99][b]Le tirage au sort : une chimère[/b][/bgcolor][/size]
La démocratie est tellement confisquée, le suffrage universel est tellement dévoyé, que nombre de citoyens s’interrogent sur leur pertinence ? C’est dans ce cadre que certains bons esprits proposent tout simplement de s’en passer. Illusion ? Archaïsme ? Sans doute, mais DANGER ! Raoul-Marc Jennar répond ci-dessous à ces dérives.
[align=center]***[/align]
La démocratie représentative postule la désignation de représentants. Une longue lutte populaire, qui prit les allures d’un véritable combat de classes, a conduit à l’instauration du suffrage universel comme mode de désignation des représentants.
Aujourd’hui, cette manière de choisir les représentants du peuple est instituée comme un critère incontournable pour juger du caractère démocratique d’un système politique. Mais le principe un citoyen-une voix, qui devait assurer que la majorité du peuple, celle qui ne vit que de son labeur, se retrouve majoritaire dans les enceintes élues, a été détourné à la fois par des techniques électorales et par un dévoiement de la représentation. De telle sorte qu’aujourd’hui, et l’abstention le confirme, un grand nombre de représentés ne se sentent plus représentés par leurs représentants.
Pour beaucoup, la formule par laquelle Abraham Lincoln définissait la démocratie - le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple - est plus que jamais éloignée de la réalité. En France, la Constitution de la Ve République proposée par la droite, en affaiblissant le pouvoir de la représentation tout en renforçant le pouvoir exécutif, a affecté le caractère démocratique de la République. L’élection du président au suffrage universel à laquelle se sont ajoutés, à l’initiative du PS, le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier des scrutins présidentiel et législatif ont accentué cette dérive. Les lois successives de décentralisation ont confirmé au niveau des collectivités territoriales cette suprématie de l’exécutif sur la représentation.
Aujourd’hui, certains voient dans l’élection comme mode de désignation des représentants la source de tous les maux. Si on lit un des auteurs les plus acharnés à faire le procès de l’élection, celle-ci induirait « mécaniquement une aristocratie élective ». « Avec l’élection, écrit-il, les riches gouvernent toujours, les pauvres jamais. » Selon lui, « après deux siècles de pratique, on constate que l’élection pousse au mensonge, prête le flanc à la corruption, étouffe les résistances contre les abus de pouvoir et s’avère naturellement élitiste parce qu’elle verrouille l’accès au pouvoir du plus grand nombre au profit des riches. » Et de proposer, en guise de remède, une chimère : le tirage au sort.
Je ne partage absolument pas cette approche des problèmes posés par la représentation et la solution proposée. A mon estime, ceux qui proposent le tirage au sort confondent causes et effets et fournissent ainsi une illustration de la confusion des esprits et du désarroi qui affectent bon nombre de citoyens, sincèrement attachés à la démocratie et désorientés par les dérives et les dévoiements qu’elle subit. Il y a confusion entre le principe de l’élection et celui de l’éligibilité, entre suffrage universel et modalités électorales de son application, entre mode de désignation des représentants et exercice de la représentation.
Renoncer à l’élection, c’est renoncer au principe du contrat social et du mandat qu’il met en place entre le peuple et ceux qu’il choisit pour agir temporairement en son nom. On ne s’en remet pas au hasard pour choisir son représentant : on le choisit pour les valeurs qu’il défend, pour les orientations qu’il propose, pour la politique qu’il veut mettre en œuvre. On passe avec lui un contrat moral en lui confiant un mandat dont il devra rendre compte de la manière dont il l’a rempli. Le hasard n’a pas sa place dans un tel choix totalement conditionné par le débat d’idées dans lequel il s’inscrit.
Que déciderait aujourd’hui une telle assemblée sur le sort à réserver aux immigrés ou aux musulmans ? Quel serait le mandat d’un représentant tiré au sort ? En quoi un « élu » né du hasard serait-il plus indépendant, en particulier à l’égard des lobbies, qu’un élu issu d’un choix conscient et délibéré ? Quelle garantie aurait l’électeur d’une telle assemblée que la raison ne cède pas aux modes, aux pulsions, aux démagogies du moment ? En quoi, une assemblée issue du tirage au sort serait-elle davantage représentative qu’une assemblée élue selon la règle du scrutin proportionnel ? En quoi, un « élu » du tirage au sort serait-il davantage comptable de ses choix qu’un élu du suffrage universel ? De quelle manière le tirage au sort empêcherait-il que se constituent entre « élus » de la sorte des coalitions d’intérêts ?
Les partisans du tirage au sort prétendent améliorer la démocratie en supprimant un de ses fondements : le libre choix d’un candidat par les citoyens. En fait, dans un tel système, le citoyen s’en remet au hasard en ignorant tout de celui qui le représentera. On prétend remédier aux maux qui affectent la représentation en la supprimant. On crée l’illusion d’une démocratie directe en confiant à des inconnus le sort du peuple.
Les maux que prétendent résoudre les partisans du tirage au sort sont réels. Leur remède n’en est pas un. C’est un placebo. Les solutions sont dans le travail que devrait effectuer une assemblée constituante pour réinventer une démocratie nouvelle, pour instaurer enfin la République. Trois maux affectent profondément le système représentatif : le mode de scrutin majoritaire, la personnalisation du débat politique et la professionnalisation de la représentation.
Le scrutin majoritaire, à un ou deux tours, est un véritable détournement du suffrage universel. Au motif qu’il assure des majorités stables - une affirmation qui ne se vérifie plus aussi automatiquement à mesure que les citoyens ne distinguent plus nettement ce qui différencie les projets politiques proposés - ce système refuse la présence dans une assemblée censée représenter le peuple tout entier de sensibilités certes minoritaires mais qui s’inscrivent dans la durée ou reflètent des préoccupations nouvelles. Ce système conduit progressivement au bipartisme, dont on voit, dans les pays où il est pratiqué, combien il favorise le système en place et ses conservatismes. Les abus en France du mode de scrutin proportionnel, entre 1946 et 1958, ont convaincu à tort de la nocivité de ce système. Pourtant, encadré par des techniques qui ont fait leurs preuves ailleurs (taux plancher requis pour accéder à la représentation, motion de méfiance constructive indispensable au changement d’une coalition gouvernementale, etc.), la représentation proportionnelle, en permettant à tous les courants de la société réellement représentatifs de se retrouver dans les assemblées élues, conforte la confiance des citoyens dans le système représentatif, mais surtout favorise l’apport d’idées nouvelles et l’enrichissement du débat.
La personnalisation du débat politique remplace le choix des politiques par le choix des personnes. Elle résulte d’une part de la concentration des pouvoirs au sein d’une même personne (Président de la République, Président de région, Président de conseil général, Maire) et d’autre part de l’effondrement du politique face à l’économique.
Le ralliement inconditionnel de la gauche dite de gouvernement au libre échange le plus débridé, qui conduit à la concurrence de tous contre tous, n’offre plus d’alternative crédible à la dictature des marchés. De telle sorte qu’on évolue vers un système politique où les choix se réduisent à des choix de personnalités certes porteuses d’accents différenciés, mais d’accord sur l’essentiel. Entre un Valls et un Copé , quelle différence ? Quand on ne peut plus changer le cours des choses qu’à la marge, alors que les inégalités et les injustices sont criantes, alors que tout un système politico-économique est au service d’une minorité, c’est le système qu’on rejette. La démocratie représentative ne retrouvera un sens que si elle propose des alternatives et pas seulement des alternances.
La professionnalisation de la représentation a totalement perverti la notion de mandat. Et de ce fait remet en cause le contrat social. C’est un des maux qu’il faut combattre le plus vigoureusement. Cumuler des mandats et les indemnités qui les accompagnent, exercer pendant trois, quatre, cinq législatures le même mandat, ce n’est plus porter dans une assemblée les attentes du peuple, c’est exercer un métier. Il en résulte de nombreuses dérives conditionnées par le souci de la réélection et les habitudes nées de la pratique prolongée du mandat. Il importe de mettre fin à tout ce qui favorise cette professionnalisation.
Quant à la démocratie directe, après plus d’un siècle d’enseignement obligatoire, avec un niveau général d’éducation élevé, avec un accès renforcé aux informations, elle s’avère devenir un complément nécessaire de la démocratie représentative aux échelons où elle peut se pratiquer le plus facilement, celui de nos collectivités territoriales. Au plan national, le référendum d’initiative populaire doit être retenu sans que le Parlement puisse y faire obstacle, pourvu qu’il écarte toute possibilité plébiscitaire et que les conditions de son application soient à l’abri d’initiatives démagogiques. Les solutions aux perversions de la démocratie représentative existent. Une assemblée constituante peut les apporter. Point n’est besoin de recourir à des remèdes qui seraient pires que les maux qu’on prétend combattre. Ce n’est pas en convoquant l’obscurantisme qu’on instaure la lumière.
Raoul-Marc Jennar
Réflexion publiée en deux lieux : http://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article417 et Portail Finance, Banque et Immobilier - Jennar
Je veux prendre le temps de répondre très sérieusement à cette réflexion qui m’importe. Demain ou après-demain, ce week-end au plus tard.
[bgcolor=#FFFF99]Voici ensuite ma première réaction, à chaud, hier soir, sur le blog d’André Bellon[/bgcolor], et relayée chez moi sur le blog :
De : Étienne
Le mardi 7 juin 2011 à 01:44
[bgcolor=#FFFF99]L’ÉLECTION, UNE CHIMÈRE (UN MYTHE QUI N’A JAMAIS TENU SES PROMESSES)[/bgcolor]
Bonsoir,
À la demande d’André Bellon, mon cher Raoul Marc (Jennar) a rédigé un billet pour prendre position CONTRE le tirage au sort :
http://www.jennar.fr/?p=1975
et j’ai publié sur son blog un bref commentaire pour convenir d’un prochain rendez-vous/échange.
Cette position n’est pas étonnante a priori : Raoul est un « vieux de la vieille » comme on dit, un héroïque résistant de longue date (il a tout mon respect, mon estime, mon amitié, je lui dois beaucoup), pour qui le suffrage universel est notre seule arme pour conquérir la justice sociale, pied à pied. Je comprends donc très bien combien cela doit être difficile pour lui de même seulement envisager de perdre cette institution vénérée.
Mais je ne désespère pas de le convaincre (comme j’espère un jour convaincre André) : il est généreux et intelligent ; on va pouvoir discuter. Et puis, si ça se trouve, c’est moi qui me trompe.
On verra.
Je reviens bientôt pour lui répondre point par point, rationnellement, tranquillement.
Bonne nuit à tous.
Étienne.
PS : Je vous propose quelques citations utiles, à connaître, il me semble :
• [bgcolor=#FFFF99]« Les élections sont aristocratiques et non démocratiques : elles introduisent un élément de choix délibéré, de sélection des meilleurs citoyens, les aristoï, au lieu du gouvernement par le peuple tout entier. »[/bgcolor]
Aristote, Politique, IV, 1300b4-5.
• [bgcolor=#FFFF99]« Ce sont les Grecs qui ont inventé les élections. C’est un fait historiquement attesté. Ils ont peut-être eu tort, mais ils ont inventé les élections ! Qui élisait-on à Athènes ? On n’élisait pas les magistrats. Les magistrats étaient désignés par tirage au sort ou par rotation. Pour Aristote, souvenez-vous, un citoyen est celui qui est capable de gouverner et d’être gouverné. Tout le monde est capable de gouverner, donc on tire au sort. Pourquoi ? Parce que la politique n’est pas une affaire de spécialistes. Il n’y a pas de science de la politique. Je vous fais remarquer d’ailleurs que l’idée qu’il n’y a pas de spécialistes de la politique et que les opinions se valent est la seule justification raisonnable du principe majoritaire. »[/bgcolor]
Cornélius Castoriadis, Post scriptum sur l’insignifiance.
• « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Abbé SIEYÈS, discours du 7 septembre 1789.
• «Je ne crains pas le suffrage universel : les gens voteront comme on leur dira. »
Alexis de Tocqueville.
Moi, je trouve que ça invite à réfléchir (LIBREMENT) à une alternative… sans dogme imposé.
[bgcolor=#FFFF99]Voici ensuite ma deuxième réaction[/bgcolor], sur le blog de Raoul, ce matin tôt, avant de partir au travail (je n’ai dormi que 2 h hier) :
Étienne Chouard a dit :
juin 7th, 2011 à 6 h 24 min
Bonjour.
Juste un mot avant de partir bosser (quelques citations très utiles) :
[bgcolor=#FFFF99]« La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même. »[/bgcolor]
ROBESPIERRE, discours du 18 pluviôse an II.
Cette définition, je la prends pour moi, je suis prêt à l’assumer.
——
Alors que le « gouvernement représentatif » (notre régime actuel, partout sur terre où l’on nous parle de « démocratie »), expressément, dès le départ, était pensé comme LA NÉGATION MÊME DE LA DÉMOCRATIE.
La preuve ?
La pensée de Sieyès, le penseur victorieux de la Révolution française :
Lisez plutôt, c’est édifiant :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Abbé SIEYÈS, discours du 7 septembre 1789.
Je trouve ça assez clair.
Et c’est ce régime, antidémocratique DÈS L’ORIGINE, que nous autres humanistes défendons aujourd’hui, bec et ongles… C’est incohérent (je trouve).
——-
Autres pensées utiles :
« Les élections sont aristocratiques et non démocratiques : elles introduisent un élément de choix délibéré, de sélection des meilleurs citoyens, les aristoi, au lieu du gouvernement par le peuple tout entier. »
Aristote, Politique, IV, 1300b4-5.
—–
« Ce sont les Grecs qui ont inventé les élections. C’est un fait historiquement attesté. Ils ont peut-être eu tort, mais ils ont inventé les élections ! Qui élisait-on à Athènes ? On n’élisait pas les magistrats. Les magistrats étaient désignés par tirage au sort ou par rotation. Pour Aristote, souvenez-vous, un citoyen est celui qui est capable de gouverner et d’être gouverné. Tout le monde est capable de gouverner, donc on tire au sort. Pourquoi ? Parce que la politique n’est pas une affaire de spécialistes. Il n’y a pas de science de la politique. Je vous fais remarquer d’ailleurs que l’idée qu’il n’y a pas de spécialistes de la politique et que les opinions se valent est la seule justification raisonnable du principe majoritaire. »
Cornélius Castoriadis, Post scriptum sur l’insignifiance (Entretiens avec Daniel Mermet).
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« J’entends par jury un certain nombre de citoyens PRIS AU HASARD et revêtus momentanément du droit de juger. (…) le jury est avant tout une institution politique ; on doit le considérer comme un mode de la souveraineté du peuple ; il faut le rejeter entièrement quand on repousse la souveraineté du peuple, ou le mettre en rapport avec les autres lois qui établissent cette souveraineté. Le jury forme la partie de la nation chargée d’assurer l’exécution des lois, comme les Chambres sont la partie de la nation chargée de faire les lois ; et pour que la société soit gouvernée d’une manière fixe et uniforme, il est nécessaire que la liste des jurés s’étende ou se resserre avec celle des électeurs. (…)
De quelque manière qu’on applique le jury, il ne peut manquer d’exercer une grande influence sur le caractère national ; mais cette influence s’accroît infiniment à mesure qu’on l’introduit plus avant dans les matières civiles.
Le jury, et surtout le jury civil, sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit du juge ; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre.
Il répand dans toutes les classes le respect pour la chose jugée et l’idée du droit. Ôtez ces deux choses, et l’amour de l’indépendance ne sera plus qu’une passion destructive. Il enseigne aux hommes la pratique de l’équité. Chacun, en jugeant son voisin, pense qu’il pourra être jugé à son tour. Cela est vrai surtout du jury en matière civile : il n’est presque personne qui craigne d’être un jour l’objet d’une poursuite criminelle ; mais tout le monde peut avoir un procès.
Le jury apprend à chaque homme à ne pas reculer devant la responsabilité de ses propres actes ; disposition virile, sans laquelle il n’y a pas de vertu politique. Il revêt chaque citoyen d’une sorte de magistrature ; il fait sentir à tous qu’ils ont des devoirs à remplir envers la société, et qu’ils entrent dans son gouvernement. En forçant les hommes à s’occuper d’autre chose que de leurs propres affaires, il combat l’égoïsme individuel, qui est comme la rouille des sociétés.
Le jury sert incroyablement à former le jugement et à augmenter les lumières naturelles du peuple. C’est là, à mon avis, son plus grand avantage.
On doit le considérer comme une école gratuite et toujours ouverte, où chaque juré vient s’instruire de ses droits, où il entre en communication journalière avec les membres les plus instruits et les plus éclairés des classes élevées, où les lois lui sont enseignées d’une manière pratique, et sont mises à la portée de son intelligence par les efforts des avocats, les avis du juge et les passions mêmes des parties. Je pense qu’il faut principalement attribuer l’intelligence pratique et le bon sens politique des Américains au long usage qu’ils ont fait du jury en matière civile.
Je ne sais si le jury est utile à ceux qui ont des procès, mais je suis sûr qu’il est très utile à ceux qui les jugent. Je le regarde comme l’un des moyens les plus efficaces dont puisse se servir la société pour l’éducation du peuple. »
Tocqueville, « De la démocratie en Amérique », livre 1, partie 2, chapitre VIII.
—–
[b][bgcolor=#FFFF99]« Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie.[/bgcolor]
Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie.
Mais, comme il est défectueux par lui-même, c’est à le régler et à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés.
Solon établit à Athènes que l’on nommerait par choix à tous les emplois militaires, et que les sénateurs et les juges seraient élus par le sort.
Il voulut que l’on donnât par choix les magistratures civiles qui exigeaient une grande dépense, et que les autres fussent données par le sort.
Mais, pour corriger le sort, il régla qu’on ne pourrait élire que dans le nombre de ceux qui se présenteraient; que celui qui aurait été élu serait examiné par des juges, et que chacun pourrait l’accuser d’en être indigne : cela tenait en même temps du sort et du choix. Quand on avait fini le temps de sa magistrature, il fallait essuyer un autre jugement sur la manière dont on s’était comporté. Les gens sans capacité devaient avoir bien de la répugnance à donner leur nom pour être tirés au sort. »
Montesquieu, « L’esprit des lois », Livre II, Chapitre 2.[/b]
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Je vous propose enfin de consulter cette compilation passionnante (je trouve) que j’ai composée sur ce sujet :
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Ressources_UPCPA/UP_d_Aix_sur_le_tira ge_au_sort_kleroterion_Sintomer_Montesquieu_Tocqueville.pdf
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Je vais bosser. À plus tard.
Très amicalement.
Étienne.
[bgcolor=#FFFF99]Voici enfin ma troisième réaction, ce soirsignalée chez moi[/bgcolor], toujours sur le blog d’André, et et chez Raoul :
De : Étienne
Le mardi 7 juin 2011 à 21:34
Sur le blog d’André Bellon, un jeune homme s’est emporté contre moi, furibard et je viens de lui répondre ceci (billet en cours d’examen) ::
[bgcolor=#FFFF99]RÉPONSE (AMICALE) D’ÉTIENNE CHOUARD À JÉRÉMY MERCIER [/bgcolor]
Bonjour,
Bon, comme ça crépite de partout, je dois parer au plus pressé. Je vais donc commencer ce soir par ce message très emporté de Jérémy Mercier.
Pour faciliter la lecture, je vais reproduire son message (en italiques bleues) et répondre directement dans son texte, [ÉC : entre crochets].
[ÉC : Cher Jérémy Mercier,
je n’ai aucune haine ou mépris à votre égard, et je sais même que nous sommes probablement tout proches, par les valeurs ; faites-moi le crédit de le croire un peu, le temps que je vous le prouve.]
JM : « Je suis effaré par les commentaires de Etienne Chouard en réponse à ceux qui sont hostiles au tirage au sort. Lorsqu’il répond à Bellon, il explique que sa position ne vaut rien car Bellon a été élu. »
[ÉC : Je suis juriste de formation et, en matière de justice, je redoute évidemment les CONFLITS D’INTÉRÊTS. (Pas vous ?) Un élu ne devient pas un saint, au-dessus des grands principes, par le seul fait d’avoir été élu. Un élu doit se conformer au droit, comme tout le monde. Il me semble —et je suis prêt à changer d’avis si on me démontre le contraire— que PERSONNE sur terre, en aucune matière, ne peut prétendre ÊTRE JUSTE en étant à la fois JUGE ET PARTIE.
Tous les pays du monde respectent naturellement une procédure de RÉCUSATION des juges ou des parties qui ne sont PAS DÉSINTÉRESSÉS à l’affaire EN COURS. Cela ne signifie d’ailleurs nullement que les récusés soient malhonnêtes, j’attire votre attention sur ce point : le conflit d’intérêts ne prouve aucun vice, bien sûr (sauf s’il perdure), le conflit d’intérêts est seulement une situation à éviter à tout prix.
Interrogez-vous sur cette procédure universellement respectée, s’il vous plaît. Les élus sont-ils au-dessus de cette règle de bon sens et de ce grand principe de droit ? Pour ma part, je ne le crois pas.
Je voudrais que vous soyez sensible au FAIT QU’UN ÉLU OU UN CANDIDAT, OU MÊME UN HOMME DE PARTI (qui se projette dans l’avenir et qui sait très bien qu’il sera bientôt élu) SONT EN SITUATION DE CONFLIT D’INTÉRÊTS AU MOMENT D’ÉCRIRE LA CONSTITUTION : en effet, la Constitution sert à AFFAIBLIR les pouvoirs, pour protéger le peuple contre les abus de ceux qui le représentent. Une bonne Constitution doit donc séparer les pouvoirs, les tenir sous un contrôle permanent et permettre la mise en cause sévère et implacable de leur responsabilité, laisser une grande place à l’initiative citoyenne, etc. TOUTES ces institutions vont CONTRE L’INTÉRÊT PERSONNEL des hommes de partis, et particulièrement des élus ; ce n’est pas une opinion, c’est un fait.
Et je ne dis pas du tout que les élus sont malhonnêtes en toutes matières : je dis qu’ils ne peuvent PAS être honnêtes DANS CETTE CIRCONSTANCE PRÉCISE DU PROCESSUS CONSTITUANT, et ce simplement POUR CAUSE DE CONFLIT D’INTÉRÊTS, situation totalement indépendante de leurs vertus.
Tirant la conclusion logique de cette constatation de fait, je prétends que, si toutes les Constitutions du monde sont aussi mauvaises, si toutes elles programment l’impuissance des peuples face à leurs élus (et leurs sponsors), c’est pour une raison simple, que l’on trouve si l’on cherche LA CAUSE DES CAUSES, qu’un enfant peut comprendre (mais apparemment pas un homme de parti) ; cette cause fondamentale, la voilà :
CE N’EST PAS AUX HOMMES AU POUVOIR D’ÉCRIRE LES RÈGLES DU POUVOIR.
Peut-être Raoul a-t-il changé d’avis depuis, je ne le sais pas, j’espère que non, mais je l’ai connu à une époque où il me soutenait chaleureusement sur ce point précis de mon analyse, et sur ce slogan emblématique.
Pour qu’une Assemblée constituante soit désintéressée, pour que ses membres n’écrivent pas des règles pour eux-mêmes (évitant ainsi soigneusement tout contrôle populaire réel et autonome), je propose que les Constituants soient tirés au sort, puisque je pense que TOUT VAUT MIEUX QU’UN CONFLIT D’INTÉRÊTS.
Mais, par souci de COMPROMIS et pour rapprocher les points de vue, j’ai trouvé UNE COMBINAISON ASTUCIEUSE d’élection et de tirage au sort qui pourrait bien donner aussi le merveilleux résultat d’une Assemblée constituante DÉSINTÉRESSÉE : JE PROPOSE QU’ON TIRE AU SORT PARMI DES ÉLUS NON CANDIDATS ; chaque citoyen serait d’abord invité à élire autour de lui une ou plusieurs personnes qu’il juge — librement — VALEUREUX, sans que ces « valeureux » n’aient fait acte de candidature (ceci est essentiel, je crois). Et c’est ensuite parmi ces valeureux librement choisis (librement par rapport aux faux choix imposés d’habitude par les partis et par leurs chefs), parmi ceux qui l’accepteraient du moins (puisqu’ils pourraient refuser d’être élus), qu’on tirerait au sort les membres de l’Assemblée constituante (et du Conseil constitutionnel). Le peuple bénéficierait ainsi des vertus des deux procédures : le choix des meilleurs Citoyens par l’élection, —sans le terrible carcan des partis—, et l’incorruptible justice distributive du tirage au sort.]
JM : « Lorsqu’il répond à Jennar, il explique que c’est parce que c’est un « vieux de la vieille » (sic) avec des habitudes de pensée (au passage, il insinue que Jennar ne peut faire un article seul, mais qu’on le lui a demandé). »
[ÉC : si Jémémy Mercier savait de quoi il parle, il saurait que Raoul (je ne parle pas de « Jennar », évidemment) compte pour moi plus qu’aucun homme politique, c’est lui qui m’a éveillé en politique, en 2004 et 2005, c’est lui qui a réveillé ma conscience endormie, c’est un ami. Ce procès d’intention est ridicule, emporté par je ne sais quelle passion, JM voit le mal partout : rassurez-vous, JM, je peux très bien écrire ce que j’ai écrit sur Raoul avec AFFECTION, avec AMITIÉ, avec TENDRESSE, mais Jérémy ne l’a apparemment pas cru possible. C’est un simple malentendu.]
JM : « Tout cela est pathétique ; seul Chouard, tel le chevalier blanc, aurait une pensée pure, éloignée de toute préoccupation personnelle et de toute influence de sa propre situation. »
[ÉC : Le désintéressement de tout pouvoir institué est tellement loin de votre propre vision que vous le croyez impossible ? Pensée pure, je ne sais pas, mais j’ai beaucoup plus à perdre qu’à gagner à toutes ces nuits passées à CHERCHER UN SYSTÈME SIMPLE, ROBUSTE ET UNIVERSEL D’INSTITUTIONS PROTÉGEANT ENFIN TOUS LES MALHEUREUX DU MONDE CONTRE LES ABUS DE POUVOIR.
Normalement, Jérémy, nous devrions être côte-à-côte et pas face-à-face, car je suis sûr que vous pourriez partager cet objectif qui me donne ma force depuis six ans. N’est-ce pas ? Alors, ne serions-nous pas plus malins, tous les deux, à essayer de rapprocher nos points de vue, quitte à imaginer une idée nouvelle, encore inconnue aujourd’hui peut-être, une idée nouvelle qui prendrait du bon aux première thèses imaginées ? Je ne vous hais point. Et je vous sais humaniste. Rien de grave ne nous sépare, en fait. Laissez-moi simplement vous décrire une voie que j’ai découverte et qui, peut-être, nous sauvera tous… Qu’avez-vous donc à perdre, que quelques heures à échanger avec moi. Ce que je fais n’est pas facile ; vous ne vous déshonorerez pas en étudiant mon travail, il est sérieux, de bonne foi en tout cas, et documenté. Je peux me tromper, mais peut-être pas sur tout…, et vous saurez peut-être, VOUS, trouver la pépite vraie, la graine de révolution VRAIE qui traîne peut-être dans le torrent de mes réflexions. J’ai besoin de vous pour progresser. J’ai besoin de la contradiction pour renforcer ma thèse, ou l’abandonner si elle est mauvaise. Mais ce n’est pas la peine d’être méchant. Je peux vous écouter et vous comprendre sans que vous m’insultiez.]
JM : «Pour moi, (je précise que j’ai juste 27 ans pour éviter des commentaires stupides) le suffrage universel est le résultat d’un combat populaire et historique »
[ÉC : rectification de fait : c’est Napoléon III en France, et Bismarck en Allemagne, qui ont institué le suffrage universel, si je ne m’abuse. Vous êtes-vous demandé s’ils l’auraient fait s’ils en redoutaient quoi que ce soit ? Pourquoi, à votre avis, les hommes les plus riches du monde défendent-ils ardemment le suffrage universel ? Le feraient-ils s’ils en craignaient quoi que ce soit ? Où avez-vous donc vu le suffrage universel améliorer la vie des pauvres ? EN RÉGIME ÉLECTORAL, LES CONQUÊTES SOCIALES SE GAGNENT DANS LA RUE, car ce sont les riches qui tiennent les élus par le cou (et par le portefeuille) ; notez bien ceci : les élus du front populaire, exactement comme leurs prédécesseurs de droite pendant toute la IIIe République, avaient promis à François de Wendel (à la fois Gouverneur de la très privée « Banque de France » et président du redoutable Comité des Forges, le MEDEF de l’époque), LES ÉLUS DU FRONT POPULAIRE DONC, AVAIENT PROMIS AU PATRON DES PATRONS ET DES BANQUIERS DE… NE RIEN LÂCHER SUR LES SALAIRES (vous avez bien lu ; je vous renvoie aux travaux passionnants d’Annie Lacroix-Riz, qui n’est pas une fasciste…), et donc, qu’est-ce qui a permis au peuple d’arracher les congés payés, la semaine de 40 h, l’augmentation considérable du salaire minimum, etc. ? Ce ne sont pas les élections, Jérémy : ce sont des millions de personnes dans la rue prêtes à tout casser, et les banquiers qui, en cette occurrence terrifiante pour eux, lâchent tout (pour mieux le reprendre plus tard, d’ailleurs, grâce à quoi ?… grâce à l’élection et à sa campagne électorale, si difficile à financer).
Donc oui, je conteste LE MYTHE du suffrage universel parce que ce mythe n’a JAMAIS tenu ses promesses, et que, au contraire, l’élection de représentants au suffrage universel, toujours et partout sur terre, DONNE LE POUVOIR POLITIQUE AUX PLUS RICHES, ET MÊME (CARRÉMENT) REND POSSIBLE LE CAPITALISME (vérifiez les dates, ça se tient).
Regardez LES FAITS : QUI DIRIGE les pays où on élit des représentants au suffrage universel depuis 200 ans ?
LES RICHES OU LES PAUVRES ?
Que répondez-vous, Jérémy ?
Est-ce que ça compte, pour vous, les faits ?
Pour moi, oui.]
JM : «… et ceux qui veulent le remettre en cause sont des ennemis de la démocratie. »
[ÉC : PROUVEZ-LE.
Je pourrais dire la même chose (et je le fais, sauf que je dis que c’est INVOLONTAIRE, ce qui est nettement moins insultant, reconnaissez-le) de ceux qui défendent l’élection en prétendant, contre toute évidence lexicale, qu’elle est démocratique. Nous avons tous les deux à PROUVER nos assertions, n’est-ce pas ? Regardons les faits, donc, voulez-vous ?]
JM : « Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certains (et Chouard semble en faire partie) globalisent tous les élus (ou anciens élus) dans le même sac et proposent même qu’ils ne participent plus à la vie publique. »
[ÉC : Ne déformez pas mon propos, je n’oppose pas le peuple et les élus : je considère que le peuple n’a pas besoin d’élus, ce qui est très différent. Je prétends (parce que j’observe DES FAITS qui sont UNANIMES) que les 200 ans de pratique du tirage au sort ont vu la période d’activité politique la plus intense et la plus généralisée que la Terre ait jamais connue depuis : 200 ans sans élus, 200 ans sans partis, le croiriez-vous, et une foule nombreuse qui fait de la politique tous les jours… ce sont des faits.
Je prétends donc que mon idée RENDRA la politique au commun des mortels, alors que, DE FAIT, L’ÉLECTION DE REPRÉSENTANTS CONFISQUE LA POLITIQUE AU PEUPLE : 200 ans d’expériences concrètes et variées à travers le monde le confirment quasiment sans exception (et je connais les exceptions, moi qui m’enflamme au spectacle de l’Amérique latine, exemplaire ces temps-ci, véritable laboratoire de l’émancipation ; mais je ne me contente pas d’une probabilité INFIME de libération TEMPORAIRE pour me soumettre à un régime quasiment TOUJOURS INJUSTE). L’élection de représentants au suffrage universel est une ILLUSION, Jérémy, c’est une mise en scène mensongère de FAUX CHOIX, une illusion qui ne sert que les élus, et surtout, ceux qui les font élire en finançant leur campagne électorale.]
JM : « Ces discours ont été tenus plusieurs fois dans l’Histoire, par exemple par les forces d’extrême droite en 1934 ; je ne rajoute pas des exemples encore pires. Habituellement, ceux qui demandent ce type d’ostracisme font remarquer avec raison que la démocratie actuelle ne marche pas et ils en tirent comme conclusion qu’on doit supprimer le suffrage universel. Au contraire, il faut lui redonner son sens. Je suis profondément indigné de voir ressurgir ces vieilles réactions et surtout qu’elles puissent à nouveau trouver écho.»
[ÉC : Sacrée insulte, n’est-ce pas ? Vous sentez que c’est un peu facile, non ? Est-ce que vous me connaissez, Jérémy ? Demandez à ceux qui me connaissent si je suis d’extrême droite. Ce n’est pas sérieux. Je préfère le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au droit des élus à disposer des peuples, alors, je suis d’extrême droite ?! Quels sont vos critères ? Vous vous laissez peut-être emporter par une passion partisane : « ceux qui ne sont pas dans mon camp, celui du bien, tout bien, sont dans le camp ennemi, celui du mal, tout mal ».
Restez ouvert à la raison : on peut contester une institution que vous considérez comme une vache sacrée, intouchable et incriticable, sans être pour autant un nazi.
Je reviens à mon offre, Jérémy : essayez d’imaginer, quelques heures seulement, que j’aie (un peu) raison, juste pour écouter mes arguments comme il faut. Avez-vous vu ma conférence de Marseille ? Je ne suis pas un nazi, Jérémy ; mais c’est vrai, ma pensée est libre, je me sers de mon esprit critique et je suis capable de remettre à l’étude une icône républicaine. Peut-être à tort, je le sais bien. Pas de quoi me vouer aux gémonies, en tout cas : si vous n’êtes pas un carriériste politicien, je ne suis pas votre ennemi.]
JM : Jérémy Mercier, secrétaire général de l’Association pour une Constituante.
[Étienne Chouard, Citoyen libre.]
Le tirage au sort comme bombe politiquement durable contre l’oligarchie : la vidéo
CENTRALITÉ DU TIRAGE AU SORT EN DÉMOCRATIE
Vous êtes libre de venir m’aider ici ou là, bien sûr, ça me fera bien plaisir, et ça m’aidera beaucoup, mais je vous demande d’être parfaitement aimables avec Raoul, que j’aime et respecte profondément. Tout cela n’est qu’un débat de société, absolument décisif et fondateur, certes, mais à traiter à travers un débat respectueux, surtout entre amis.
Au plaisir de vous lire.
Étienne.