Lisez un livre là-dessus, non ? Je vous suggère Hansen « La démocratie Athénienne à l’époque de Démosthène », ou Finley « Démocratie antique et démocratie moderne », dont je vous ai préparé la reproduction du premier chapitre :
[b]1. Dirigeants et dirigés[/b]
La « découverte » la mieux connue peut-être, et certainement la plus célébrée, dans les recherches modernes concernant l’opinion publique, c’est l’indifférence et l’ignorance de la majorité des électeurs dans les démocraties occidentales*. Ces derniers ne peuvent définir des problèmes dont la plupart leur sont complètement indifférents ; beaucoup ne savent pas ce qu’est le Marché commun ou même les Nations unies ; beaucoup ne peuvent citer leurs représentants ou le titulaire de telle ou telle charge. Les appels pour la constitution d’un groupe de pression publique, s’ils sont bien rédigés, comportent toujours quelque remarque de ce genre : « Vous pouvez trouver à la bibliothèque municipale le nom de vos sénateurs et de vos représentants, si vous n’en êtes pas sûrs. » En certains pays, les électeurs dans leur majorité ne se soucient même pas d’exercer leur très précieux droit de vote.
Cela pose non seulement une question descriptive - comment la démocratie fonctionne-t-elle ? —mais aussi une question prescriptive ou normative— comment doit-on, si possible, faire quelque chose à ce sujet ? Le nombre des discussions érudites concernant ce problème s’accroît sans cesse ; certaines d’entre elles ne sont pas sans éveiller quelque écho chez un historien de l’Antiquité. Lorsque Seymour Martin Lipset écrit : « Les mouvements extrémistes… touchent particulièrement les mécontents, les déracinés, ceux qui ont connu l’échec ou qui se trouvent privés de contacts sociaux, sans sécurité économique, les gens peu instruits, peu évolués et dans tous les milieux sociaux ceux qui sont portés à l’autoritarisme », l’accent mis sur les gens sans éducation, peu évolués, éveille l’écho des objections sans cesse élevées par Platon contre le rôle des cordonniers et des boutiquiers dans la prise de décisions politiques.
Ou bien lorsque Aristote (Politique, VI, 1319a, 19-38) affirmait que la meilleure démocratie existerait dans un État comportant un vaste arrière-pays rural et une population relativement nombreuse de cultivateurs et de bergers « qui, par suite de leur dispersion dans la campagne, ne se rencontrent pas très souvent et n’éprouvent pas non plus le besoin de ce genre de réunion » (trad. Aubonnet), on sent là quelque affinité avec un spécialiste contemporain de sciences politiques, W. H. Morris Jones, qui a écrit dans un article au titre révélateur, « Défense de l’apathie »: « Bien des idées liées au thème général du devoir électoral appartiennent, à proprement parler, au camp totalitaire et sont déplacées dans le vocabulaire de la démocratie libérale » ; l’apathie politique est un « signe de compréhension et de tolérance de la diversité humaine » et a « un effet bénéfique sur l’ambiance de la vie politique», parce qu’elle est « un contrepoids plus ou moins efficace aux fanatiques qui constituent le véritable danger qui menace la démocratie libérale ».
Je n’ai nullement l’intention, je me hâte d’ajouter, de me lancer dans le développement banal : « rien de nouveau sous le soleil ». Le professeur Lipset serait stupéfait et probablement horrifié, d’être traité de platonicien et je doute que le professeur Morris Jones se considère comme aristotélicien. Tout d’abord, Platon et Aristote désapprouvaient tous deux la démocratie en son principe, tandis que les deux penseurs modernes sont démocrates. De plus, tandis que tous les théoriciens politiques de l’Antiquité examinaient les diverses formes de gouvernement de façon normative, c’est-à-dire en fonction de leur capacité à aider l’homme à atteindre un but moral dans la société, la justice et la « vie bonne », les écrivains modernes qui partagent l’orientation de Lipset et de Morris Jones sont moins ambitieux : ils évitent les buts idéaux, les concepts tels que la « vie bonne », pour mettre l’accent sur les moyens, l’efficacité du système politique, son pouvoir de paix et d’ouverture.
Cette conception nouvelle reçut un puissant essor de la publication en 1942 du livre de Joseph Schumpeter, « Capitalisme, socialisme et démocratie » ; un des progrès critiques qui s’y trouvent réalisés est le suivant : « Il définit la démocratie comme une méthode bien conçue pour donner un gouvernement fort, faisant autorité. Aucun idéal ne s’attache à la définition de la démocratie elle-même. Elle n’implique par elle-même aucune notion de responsabilités civiques ou de participation politique étendue, ou une idée quelconque de buts à atteindre pour l’homme… La liberté et l’égalité qui ont été partie intégrante des anciennes définitions de la démocratie sont considérées par Schumpeter comme ne faisant pas essentiellement partie d’une telle définition, si estimables que puissent être ces idéaux. »
Le type de but poursuivi par Platon est donc rejeté, non seulement comme un mauvais but, mais plus fondamentalement parce que c’est un but. Les buts idéaux sont en eux-mêmes une menace, aussi bien dans des philosophies plus modernes que chez Platon. Le livre de sir Karl Popper, « The Open Society and Its Enemies » (La société ouverte et ses ennemis) est peut-être la meilleure expression connue d’une telle conception, mais cette dernière est également présente, probablement à son corps défendant, dans la distinction que sir Isaiah Berlin établit entre le concept « négatif » et le concept «positif» de la liberté, la liberté d’échapper à l’ingérence et à la contrainte, qui constitue une bonne chose, et la liberté de se réaliser soi-même, qui (l’histoire le montre selon sir Isaiah) dévie aisément en une justification de « la contrainte exercée par certains hommes sur d’autres, en vue de leur faire atteindre un niveau « plus élevé » de liberté », un « tour de passe-passe » accompli à partir du moment où l’on a décidé que « la liberté en tant qu’auto-direction fondée en raison… s’appliquait non seulement à la vie intérieure de l’homme mais à ses relations avec les autres membres de la société à laquelle il appartient ».
La différence fondamentale de point de vue peut se marquer encore d’une autre façon. Platon et Lipset voudraient tous deux abandonner la politique à des experts, le premier à des philosophes rigoureusement formés, qui, après avoir appréhendé la Vérité, seraient ensuite guidés par elle de façon absolue ; le second à des hommes politiques professionnels (ou à des hommes politiques agissant en accord avec une bureaucratie) qui seraient guidés par leur compétence dans l’art du possible, et périodiquement contrôlés au moyen d’élections, procédé démocratique qui donne au peuple le choix entre des groupes d’experts en concurrence et, dans cette mesure, une part de contrôle. Bien que tous deux soient d’accord pour juger désastreuse l’initiative populaire dans les décisions politiques, et idéologie naïve l’idée d’« un gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple », la divergence que reflète la distinction entre deux types différents d’experts exprime deux conceptions totalement différentes du but en politique, des conceptions différentes des buts que l’État doit servir.
Platon était radicalement hostile au gouvernement populaire ; Lipset, lui, l’admet à condition qu’il entre dans ce mélange plus de « gouvernement » (en tant que distinct de la tyrannie ou de l’anarchie) que de « populaire », en particulier à condition qu’il n’y ait pas de participation populaire au sens classique. Ainsi l’« apathie» est-elle transformée en un bien politique, une vertu, qui, de façon mystérieuse, se vainc elle-même (en même temps que l’ignorance politique sous-jacente) lorsque, de loin en loin, le peuple est invité à choisir entre des groupes d’experts en concurrence.
J’aurais pu parler d’élite plutôt que d’experts. Les théories élitistes de la politique et de la démocratie sont devenues familières dans le domaine universitaire, beaucoup moins cependant, pour des raisons évidentes de « relations publiques », parmi les hommes politiques en place, depuis que les conservateurs Mosca et Pareto les ont fait connaître en Italie vers le début de ce siècle, suivis par l’ouvrage encore plus déterminant de Robert Michels, Les Partis politiques, publié peu avant la Première Guerre mondiale. Ce dernier, qui était alors un social-démocrate allemand (il fut cependant plus tard un partisan enthousiaste de Mussolini ; sur son invitation personnelle, il accepta une chaire à l’université de Pérouse en 1928), était politiquement et psychologiquement hostile aux « élites » et préférait le terme « oligarchie » : le sous-titre de son livre est : « une étude sociologique des tendances oligarchiques dans les démocraties modernes ».
Le terme « élite » soulève des difficultés sémantiques. Il a toujours eu et conserve encore une extension de sens trop grande, beaucoup de ces sens étant étrangers au contexte présent ou pouvant en l’occurrence induire en erreur, par exemple le sens aristocratique traditionnel8. Parmi les très influents spécialistes de sciences politiques, dont Lipset m’a fourni un symbole, certains trouvent la désignation « élitiste » offensante (ce n’est pas cependant l’avis de Lipset lui-même). En dépit de ces protestations (et j’avoue ne pas m’émouvoir de cette indignation), l’expression « théorie élitiste de la démocratie » caractérise cette conception de façon plus pertinente que toute autre désignation proposée et j’en userai désormais.
Toute question de désignation mise à part, il y a là, de toute évidence, un problème historique majeur qui demande examen, un problème d’histoire des idées et d’histoire politique à la fois. Dans l’Antiquité, les intellectuels, à une écrasante majorité, désapprouvèrent le gouvernement populaire et fournirent toute une gamme de justifications pour leur attitude, toute une gamme aussi de contre-propositions. Aujourd’hui leurs homologues, en particulier en Occident mais pas uniquement là, admettent, probablement à la même écrasante majorité, que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement, la meilleure forme connue et imaginable ; cependant beaucoup admettent aussi que les principes par lesquels on a traditionnellement justifié la démocratie ne sont pas opératoires dans les faits et même qu’on ne peut les laisser opérer, si l’on veut que la démocratie survive. Ironie du sort, la théorie élitiste est développée avec une vigueur particulière en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les deux démocraties qui, dans la pratique, ont rencontré le plus grand succès à l’époque contemporaine. Comment cette position curieuse, paradoxale, a-t-elle été atteinte ?
Qu’il y ait une confusion sémantique dans cette position, c’est évident. Une analyse récente a souligné que « démocratie » et « démocrate » sont devenus au XXe siècle des mots impliquant l’approbation de la société ou de l’institution décrite en ces termes. Cela signifie nécessairement que les mots se sont dévalorisés car ils ont presque cessé, sauf définition plus précise, d’avoir une quelconque utilité pour distinguer d’une autre une forme spécifique de gouvernement. Cependant un changement sémantique n’est jamais accidentel ou socialement indifférent. Que l’usage du mot « démocratie » implique automatiquement « une approbation de la société ou de l’institution décrite en ces termes », cela ne s’est pas souvent produit dans le passé. Dans l’Antiquité, c’était un mot dont l’usage, de la part de nombreux écrivains, impliquait une tout aussi forte désapprobation. Puis le mot disparut du vocabulaire populaire jusqu’au XVIIIe siècle où il commença à réapparaître comme terme péjoratif. « Il est rare, même parmi les philosophes français avant la Révolution, de trouver quelqu’un qui utilise le mot « démocratie » en un sens favorable, en liaison quelconque avec la réalité H. » Lorsque Wordsworth écrivait en 1794 dans une lettre privée : « J’appartiens à cette classe odieuse d’hommes appelés « démocrates » », il était provocant, et non ironique.
Puis les révolutions américaine et française inaugurèrent le grand débat du XIXe siècle qui aboutit finalement à la victoire de l’un des deux camps. Aux États-Unis, dans les années trente de ce siècle, il y avait encore, c’est certain, des voix pour proclamer que les Pères fondateurs n’eurent jamais en vue une démocratie, mais une république ; cependant ces voix n’avaient, et n’ont encore, à peu près aucune importance réelle. Huey Long avait bien saisi la situation lorsqu’il disait que si le fascisme arrivait aux États-Unis, ce serait sous le nom d’antifascisme. Le soutien populaire apporté à Mac-Carthy « représentait moins un rejet conscient de l’idéal démocratique américain, qu’un effort dévoyé pour le défendre ».
D’un certain point de vue, ce consensus équivaut à une telle dévalorisation du concept qu’il devient inefficace au niveau de l’analyse, comme nous l’avons vu. Ce serait cependant une erreur de s’en tenir là. Si des adversaires aussi acharnés que les partisans universitaires de la théorie élitiste et les étudiants partisans des manifestations et des assemblées générales continues prétendent les uns comme les autres défendre la démocratie réelle ou authentique, nous sommes là les témoins d’un phénomène nouveau dans l’histoire des humains, dont la nouveauté et l’importance méritent d’être soulignées. Nous devons examiner non seulement pourquoi la théorie classique de la démocratie apparaît comme étant en contradiction avec la réalité observée, mais aussi pourquoi les nombreuses réponses à cette constatation participent toutes, dans leur diversité et malgré leur incompatibilité, à la conviction que la démocratie est la meilleure forme d’organisation politique.
On accorde à l’aspect historique de cette situation moins d’attention qu’il n’en mérite. J’avance la proposition suivante : il ne va pas de soi qu’une telle quasi-unanimité se fasse actuellement en ce qui concerne les vertus de la démocratie, alors que, durant la majeure partie de l’histoire, ce fut l’inverse. Écarter cette unanimité en considérant cela comme la dévaluation du sens courant du terme, ou bien écarter l’autre aspect du débat en voyant là des idéologues mésusant du terme, c’est éluder le besoin d’une explication. L’histoire des idées n’est jamais uniquement l’histoire des idées ; c’est aussi l’histoire des institutions, de la société elle-même. Michels pensait avoir découvert « une loi d’airain de l’oligarchie » : « La démocratie conduit à l’oligarchie et contient nécessairement un noyau oligarchique… La loi selon laquelle une caractéristique essentielle de tous les agrégats humains est de constituer des clans et des sous-clans est, comme toute autre loi sociologique, au-delà du bien et du mal. » Cette conclusion le plongea en un profond pessimisme (jusqu’à sa conversion à Mussolini).
Plus récemment des théoriciens élitistes ont tenté d’effacer ce point noir. Il y a, disent-ils, dans la définition de Michels une faille lorsqu’il caractérise « toute séparation entre dirigeants et dirigés comme une négation ipso facto de la démocratie ». Si l’on observe la réalité, poursuivent-ils, cette séparation entre dirigeants et dirigés s’avère en fait universelle dans les démocraties, et puisqu’on s’accorde unanimement à considérer la démocratie comme la meilleure forme de gouvernement, il s’ensuit que la « séparation » observée dans la réalité est une qualité, et non une négation de la démocratie, et par conséquent une vertu. « L’élément caractéristique, l’élément le plus précieux de la démocratie, c’est la formation d’une élite politique dans la lutte compétitive pour obtenir les votes d’un électorat essentiellement passif » (les italiques sont de moi). Ce syllogisme apparent comporte « un glissement de sens erroné et idéologique », une tentative pour « redécrire un état de choses donné qui à première vue fait difficulté, en vue de le justifier ». Aucun argument n’est proposé, sinon le chaleureux rayonnement qui émane du mot « démocratie », pour justifier des procédés courants dans les démocraties occidentales. Ils sont simplement approuvés par définition, c’est là la réponse donnée à la définition « oligarchique » de Michels.
C’est ici précisément qu’un examen de la réalité historique peut être utile, et spécialement un examen de l’expérience grecque dans l’Antiquité. « Démocratie » est, on le sait, un mot grec. La seconde moitié du mot signifie « pouvoir » ou gouvernement, ainsi l’autocratie est le gouvernement d’un seul homme ; l’aristocratie, le gouvernement par les aristoi, les meilleurs, l’élite ; la démocratie, le gouvernement par le démos, le peuple. Démos était un mot protéiforme aux multiples significations, entre autres « le peuple en son ensemble » (ou pour être plus précis, le corps des citoyens) et le « petit peuple » (les classes inférieures) et les débats théoriques de l’Antiquité ont maintes fois joué de cette ambiguïté fondamentale.
[bgcolor=#FFFF99]Comme souvent c’est Aristote qui en donna la plus pénétrante formulation sociologique (Politique, III, 1279b34-1280a4) : « le raisonnement rend donc évident, semble-t-il, que la souveraineté d’une minorité ou d’une majorité n’est qu’un accident, propre soit aux oligarchies soit aux démocraties, dû au fait que partout les riches sont en minorité et les pauvres en majorité. Aussi… la différence réelle qui sépare entre elles démocratie et oligarchie, c’est la pauvreté et la richesse ; et nécessairement, un régime où les dirigeants, qu’ils soient minoritaires ou majoritaires, exercent le pouvoir grâce à leur richesse est une oligarchie, et celui où les pauvres gouvernent, une démocratie » (trad. Aubonnet).[/bgcolor]
Le propos d’Aristote n’était pas purement descriptif. Derrière sa classification, se trouve une distinction normative, entre un gouvernement dans l’intérêt général, signe du meilleur type de gouvernement, et un gouvernement dans l’intérêt et au bénéfice d’une partie de la population, marque d’un type de gouvernement inférieur en valeur. Le danger inhérent à la démocratie, pour Aristote, c’était que le gouvernement par les pauvres dégénérât en gouvernement dans l’intérêt des pauvres - ce point de vue nous retiendra dans le chapitre suivant. Je ferai ici porter mon attention sur la question plus étroitement liée à notre sujet de la relation entre dirigeants et dirigés en ce qui touche à la prise de décision politique.
Ce sont les Grecs, somme toute, qui ont découvert non seulement la démocratie, mais aussi la politique, l’art de parvenir à des décisions grâce à la discussion publique, puis d’obéir à ces décisions, comme condition nécessaire pour une existence sociale civilisée. Je ne nie pas l’existence possible d’exemples antérieurs de démocraties, par exemple ce qu’on appelle les démocraties tribales ou les démocraties de la Mésopotamie primitive dont certains assyriologues croient pouvoir retrouver les traces. Quelle que puisse avoir été la réalité de ces derniers faits, leur influence historique sur les sociétés ultérieures fut nulle. Les Grecs, et les Grecs seuls, découvrirent la démocratie en ce sens, tout à fait comme Christophe Colomb, et non quelque navigateur viking, découvrit l’Amérique.
C’est que les Grecs furent les premiers — nul ne le contestera — à réfléchir systématiquement à la réalité politique, à l’observer, à la décrire, à la commenter, et en définitive à formuler des théories politiques. Pour d’assez bonnes raisons, la seule démocratie grecque que nous puissions étudier en profondeur, celle d’Athènes aux Ve et IVe siècles av. J.-C, fut aussi la plus féconde intellectuellement. Ce sont les écrits grecs suscités par l’expérience athénienne qui furent lus par le XVIIIe et le XIXe siècle, dans la mesure où les lectures historiques jouèrent un rôle dans la naissance et le développement des théories démocratiques modernes. C’est donc Athènes que nous considérerons quand nous parlerons de la démocratie antique*.
L’influence athénienne fut si forte que même quelques théoriciens élitistes contemporains la saluent au passage, fût-ce pour affirmer qu’elle n’a plus rien à voir avec l’expérience d’aujourd’hui. Deux des raisons fréquemment alléguées ont moins de poids qu’on ne le prétend. La première est l’argument se fondant sur la complexité plus grande de l’activité gouvernementale moderne ; le sophisme vient de ce que les problèmes soulevés par les accords monétaires internationaux ou les satellites artificiels sont des problèmes techniques et non politiques, « susceptibles d’être résolus par des experts ou des machines tout comme des thèses débattues entre ingénieurs ou médecins ». Athènes a employé, elle aussi, des experts financiers, des ingénieurs, et la plus grande simplicité des problèmes techniques à Athènes, simplicité indéniable, n’implique pas en elle-même une grande différence au plan politique entre les deux situations que l’on compare. Les techniciens, en particulier dans le domaine militaire, ont de tous temps exercé une influence, et de tous temps ont essayé de l’étendre, mais aujourd’hui comme autrefois, les décisions politiques sont prises par des dirigeants politiques. Même la venue de « l’ère des organisateurs » (« Managerial révolution ») n’a pas changé ce fait fondamental de la vie politique.
Il y a aussi l’argument tiré de l’esclavage : le démos athénien était une élite minoritaire dont une importante population servile était exclue. C’est exact, et le présence de nombreux esclaves ne pouvait manquer d’affecter à la fois la pratique et l’idéologie. Elle favorisa par exemple une franchise ouverte pour ce qui concerne l’exploitation et une justification de la guerre, qu’Aristote exprime conjointement de façon brutale, lorsqu’il inclut parmi les raisons pour lesquelles les hommes d’État doivent connaître l’art de la guerre : « devenir maîtres de ceux qui méritent d’être réduits en esclavage » (Politique, VII, 1333b38-34al). Cependant on est loin d’avoir rendu totalement compte de la structure sociale d’Athènes par cette bipartition entre hommes libres et esclaves. Avant de pouvoir accepter que l’élitisme du démos rende l’expérience athénienne sans rapport avec la nôtre, il nous faut examiner de plus près la composition de cette élite minoritaire, le démos, le corps des citoyens.
Une opinion commune fut exprimée de la façon suivante, voilà un demi-siècle : « Par l’instruction primaire pour tous, nous avons commencé à enseigner l’art de manipuler les idées à ceux qui dans la société antique étaient des esclaves… Les gens à demi instruits sont dans une situation très ouverte à toutes les influences — et le monde aujourd’hui se compose essentiellement de gens à demi instruits. Ils sont capables de saisir certaines idées, mais ils n’ont pas acquis l’habitude de les mettre à l’épreuve et de suspendre leur jugement dans l’intervalle. » Que ce soit là ou non une proposition valable pour les gens à demi instruits, je n’en discuterai pas ici, mais l’application politique de cette proposition à l’Athènes de l’Antiquité ne concerne pas les esclaves, mais une importante partie du démos, les paysans, les boutiquiers, les artisans qui étaient citoyens aux côtés des classes instruites, les classes supérieures. L’intégration de personnes de la sorte dans la communauté politique comme membres à part entière, une innovation stupéfiante pour l’époque, rarement répétée par la suite, sauvegarde en partie, peut-on dire, le rapport de la démocratie antique avec l’expérience moderne.
La population athénienne occupait un territoire de quelque 2 650 kilomètres carrés, l’équivalent en gros du comté de Derby, du Rhode Island ou du grand-duché du Luxembourg. À aucun moment du Ve et du IVe siècle av. J.-C, il n’y eut plus de la moitié de cette population qui vécût dans les deux centres urbains de la cité d’Athènes et de son port, Le Pirée ; en fait, pendant la majeure partie du Ve siècle, la proportion de la population urbaine fut plus proche du tiers que de la moitié de la population globale. Les autres citoyens vivaient dans des villages, comme Acharnes, Marathon et Eleusis, et non pas en des fermes isolées qui, dans les pays méditerranéens, furent toujours et demeurent encore rares. Le tiers ou la moitié, soit, mais sur combien ? On ne peut fournir de chiffres précis, mais selon une conjecture plausible, le nombre des citoyens mâles adultes ne dépassa jamais quarante mille ou quarante-cinq mille pour descendre parfois bien au-dessous de ce chiffre, par exemple lorsque Athènes fut -décimée par la peste dans les années 430-426 av. J.-C.
Avec des effectifs aussi restreints, concentrés en petits îlots d’habitats groupés, vivant de la vie de plein air typiquement méditerranéenne, l’Athènes antique était le modèle d’une société en face à face, qui nous est peut-être familière dans une communauté universitaire, mais nous est inconnue à l’échelle municipale, pour ne rien dire de l’échelle nationale. « Un État composé de gens trop nombreux », a écrit Aristote dans un passage célèbre (Politique, 1326b3-7), « ne sera pas un véritable État, pour la simple raison qu’il peut difficilement avoir une véritable constitution. Qui peut être général d’une masse si grande ? Et qui peut être héraut, sinon Stentor ? »
La référence au héraut (le crieur public) est tout à fait éclairante. Le monde grec était fondamentalement un monde de la parole et non de l’écriture. L’information en matière d’affaires publiques était principalement diffusée par le héraut, le tableau d’affichage, les bavardages et les rumeurs, les rapports oraux et les discussions dans les diverses commissions et assemblées qui constituaient les rouages gouvernementaux. C’était un monde non seulement sans mass média, mais sans média du tout, au sens que nous donnons à ce mot. Les dirigeants politiques, en l’absence de documents qui puissent être tenus secrets (sauf en de rares exceptions), en l’absence de média qu’ils puissent contrôler, étaient nécessairement amenés à des relations directes et immédiates avec leurs mandants et, par conséquent, ils étaient contrôlés de façon plus directe et immédiate. Je ne veux pas dire par là qu’à Athènes il était impossible que se produise ce qu’il est maintenant bien porté d’exprimer par un euphémisme : « une faille en matière de crédibilité », mais que, si jamais cela se produisait, c’était un phénomène d’un type différent, d’une force différente.
Les différences sur le plan des communications publiques ne constituent évidemment pas une explication suffisante. Il y avait un facteur plus important : la démocratie athénienne était directe, et non représentative, et cela en un double sens ; chaque citoyen était libre d'assister à l'assemblée souveraine et il n'y avait ni bureaucratie ni fonctionnaires, excepté quelques commis, des esclaves dont l'État lui-même était propriétaire, qui conservaient les comptes rendus indispensables, les copies de traités et de lois, les listes de contribuables défaillants et tous documents analogues. Le gouvernement était ainsi, au sens le plus strict, un gouvernement « par le peuple ». L'assemblée qui décidait en dernier ressort de la guerre et de la paix, des traités, des finances, de la législation, des travaux publics, en bref, de toute la gamme des activités gouvernementales, était un rassemblement de masse en plein air, constitué des milliers de citoyens au-dessus de vingt ans qui choisissaient d'y assister à telle date. Elle se réunissait fréquemment au cours de l'année, quarante fois au minimum, et elle aboutissait normalement à une décision sur les points à l'ordre du jour, en une seule journée de débats, auxquels, en principe, tout homme présent avait droit de participer en prenant la parole. Le mot iségoria, le droit pour tous de parler à l'assemblée, était quelquefois employé par les écrivains grecs comme un synonyme de « démocratie ». Et la décision était prise par un vote à la majorité simple des présents.
Les tâches de gouvernement, sous leur aspect administratif, étaient réparties en un grand nombre de charges annuelles et un Conseil de cinq cents membres, tous choisis par tirage au sort, et pour une durée d’exercice limitée à une ou deux années, à l’exception de l’état-major de dix généraux et de petites commissions ad hoc, comme les ambassades qu’on envoyait à un autre État. Au milieu du Ve siècle, les citoyens occupant une charge, les membres du Conseil et les jurés, recevaient une petite indemnité journalière, moins élevée que la paye normale d’une journée pour un maçon ou un charpentier qualifié. Au début du IVe siècle, l’assistance à l’assemblée fut rétribuée sur les mêmes bases, mais on n’est pas sûr dans ce cas que le paiement ait été fait de façon régulière ou complète. La sélection par tirage au sort et la rétribution accordée pour la tenue d’une charge étaient les chevilles ouvrières du système. Les élections, dit Aristote (Politique, IV, 1300b4-5), sont aristocratiques et non démocratiques : elles introduisent un élément de choix délibéré, de sélection des meilleurs citoyens, les aristoï, au lieu du gouvernement par le peuple tout entier.
Ainsi donc, une proportion considérable de citoyens mâles à Athènes avait une expérience directe du gouvernement dépassant de beaucoup ce que nous connaissons, et même dépassant presque tout ce que nous pouvons imaginer. Fait strictement vrai, à sa naissance, un jeune garçon athénien avait réellement une chance de devenir président de l’Assemblée, un poste rotatif occupé pendant une seule journée et pourvu, là encore, par tirage au sort. Il pouvait être inspecteur des marchés pendant un an, membre du Conseil pour une année ou deux (mais pas à la suite), juré plusieurs fois de suite, membre votant de l’Assemblée aussi souvent qu’il le voulait. Outre cette expérience directe, à laquelle on peut ajouter l’administration de quelque cent communes ou dèmes, entre lesquels était divisée Athènes, il y avait aussi de manière générale une familiarité avec les affaires publiques que même les citoyens portés à l’apathie ne pouvaient éluder en une telle société, restreinte, en face à face.
Aussi la question du niveau d’instruction et de connaissances du citoyen moyen, si importante dans nos débats habituels sur la démocratie, avait-elle à Athènes une dimension différente. A strictement parler, la plupart des Athéniens ne dépassaient guère le niveau d’« une demi-instruction » et Platon ne fut pas le seul parmi les censeurs de l’Antiquité à insister sur ce point. Quand, au cours de l’hiver 415 av. J.-C, l’Assemblée vota à l’unanimité l’envoi d’une grande expédition en Sicile, les membres de l’Assemblée, dit l’historien Thucydide (6, 1, 1) avec un mépris non déguisé, « étaient généralement mal renseignés sur l’étendue de ce pays et sur le nombre de ses habitants » (trad. D. Roussel). À supposer que ce fût vrai, Thucydide commettait l’erreur déjà mentionnée qui consiste à confondre le savoir technique et la compréhension des problèmes politiques. Il y avait à Athènes assez d’experts pour indiquer à l’Assemblée les dimensions et la population de l’île, ainsi que l’importance de la flotte de guerre nécessaire pour une invasion de l’île. Thucydide lui-même admet plus loin dans un autre chapitre de son Histoire (6, 31) que l’expédition de Sicile fut pour finir soigneusement préparée et tout à fait bien équipée ; ce fut là aussi, puis-je ajouter, l’œuvre d’experts, le rôle de l’Assemblée se bornant à accepter leurs conseils et à voter les moyens financiers nécessaires et la mobilisation des troupes.
Les décisions d’ordre pratique furent prises lors d’une seconde séance de l’Assemblée, plusieurs jours après que le principe de l’invasion de la Sicile eut été adopté. De nouveau Thucydide se permet un commentaire personnel sur le vote final (6, 24.3-4) : « Tout le monde, sans distinction, se passionna pour l’entreprise. Les gens âgés espéraient qu’on ferait la conquête de cette terre qu’on allait attaquer, ou du moins qu’une force aussi considérable serait à l’abri des accidents. Quant aux hommes en âge de porter les armes, ils aspiraient à voir du pays et à faire connaissance avec cette contrée lointaine, dont ils comptaient bien revenir sains et saufs. La masse des petites gens appelés à servir pensaient à l’argent qu’ils allaient dès à présent gagner et aux conquêtes futures grâce auxquelles ils pourraient devenir les salariés perpétuels de l’État. L’enthousiasme de la majorité était tel que ceux qui désapprouvaient l’entreprise, craignant de passer pour de mauvais patriotes s’ils votaient contre elle, évitaient de se manifester » (trad. Roussel).
Il serait aisé de dénigrer le comportement irrationnel d’une foule, dans un rassemblement de masse en plein air, manipulée par des orateurs démagogiques, le patriotisme chauvin, etc. Mais ce serait une erreur de ne pas tenir compte de ce que le vote de l’Assemblée d’envahir la Sicile avait été précédé d’une période de discussions intenses dans les boutiques et les tavernes, sur la place de la ville, lors des dîners - des discussions qui se déroulaient entre ces mêmes hommes qui finalement se réunirent sur la Pnyx pour les débats et le vote officiels. Il ne pouvait y avoir un seul homme siégeant ce jour-là dans l’Assemblée qui ne connût personnellement, et souvent intimement, un nombre considérable de ses compagnons de vote, de ses collègues à l’Assemblée, y compris peut-être certains des orateurs intervenant dans les débats. Rien ne pouvait être plus éloigné de la situation actuelle, où le citoyen isolé, de loin en loin, en même temps que des millions d’autres, et non pas quelques milliers de voisins, pose l’acte impersonnel de choisir un bulletin de vote ou de manipuler les leviers d’une machine à voter. De plus, comme le dit explicitement Thucydide, bien des votants, ce jour-là, votaient leur propre départ en campagne, dans l’armée ou dans la marine. Écouter un débat politique en ayant en vue cette issue a sûrement amené les participants à fixer leur attention de façon claire et pénétrante. Cela a sûrement donné au débat un réalisme et une spontanéité que les assemblées parlementaires ont peut-être eus autrefois, mais dont elles sont actuellement dépourvues de façon notoire.
On pourrait donc croire que le manque d’intérêt pour la démocratie athénienne de la part des spécialistes contemporains de sciences politiques est justifié. Certainement il n’y a là rien à apprendre du point de vue constitutionnel ; les exigences et les règles du système grec antique sont tout simplement sans rapport avec la question. Cependant l’histoire constitutionnelle est un phénomène de surface. Une grande part de la riche histoire politique des États-Unis au XXe siècle est située hors du domaine de cette instruction civique que j’ai dû étudier comme écolier. Et il en va de même pour Athènes dans l’Antiquité. Avec le système de gouvernement que j’ai brièvement décrit, Athènes réussit pendant près de deux cents ans à être l’État le plus prospère, le plus puissant, le plus stable, le plus paisible intérieurement, et de loin le plus riche de tout le monde grec au point de vue culturel. Le système fonctionnait, pour autant que ce soit là un jugement ayant quelque portée pour une forme de gouvernement quelle qu’elle soit. «Quant au système de gouvernement athénien, écrivait un libelliste oligarchique de la dernière partie du Ve siècle av. J.-C. (Ps. Xénophon, Constitution d’Athènes, 3, 1), je ne l’aime pas. Cependant, depuis que les Athéniens ont décidé de devenir une démocratie, il me semble qu’ils maintiennent bien la démocratie. » Même si l’Assemblée votait l’invasion d’une île dont les Athéniens ne connaissaient ni les dimensions ni la population, le système fonctionnait.
Périclès, dans un discours célébrant les soldats tombés à la guerre, prononça, dit-on, ces paroles : « Quand un homme sans fortune peut rendre quelque service à l'État, l'obscurité de sa condition ne constitue pas pour lui un obstacle » (Thucydide, 2.37.1) (trad. Roussel). [b]Une large participation publique aux affaires de l'État incluant « ceux qui ont connu l'échec ou qui se trouvent privés de contacts sociaux, sans sécurité économique, peu instruits » ne conduisait pas à des « mouvements extrémistes ».[/b] Il est évident que [color=red]peu de gens exerçaient réellement leur droit de parole à l'Assemblée ; celle-ci ne tolérait pas les sots[/color], elle reconnaissait par son comportement l'existence d'une compétence politique tout aussi bien que technique et, à toutes les époques, elle garda le regard fixé sur les quelques hommes capables de tracer les lignes politiques entre lesquelles elle devait choisir. Cependant, cette pratique différait fondamentalement de la formulation que Schumpeter a donnée de la position élitiste : « La méthode démocratique est le système institutionnel aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de décider, à l'issue d'une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple. » Schumpeter entendait l'expression « pouvoir de décider » en un sens tout à fait littéral : « Ce sont les dirigeants des partis politiques qui décident, et non le peuple. »
Mais pas à Athènes. Même Périclès n’eut pas un tel pouvoir. Tout le temps où son influence fut à son apogée, il pouvait espérer une approbation continue de sa politique, exprimée par le vote du peuple à l’Assemblée, mais ses propositions étaient soumises à l’Assemblée, semaine après semaine, les idées opposées demeuraient sous les yeux des membres de l’Assemblée et celle-ci pouvait toujours - et elle le fit à l’occasion - l’abandonner, lui et sa politique. La décision appartenait aux membres de l’Assemblée, elle n’appartenait ni à Périclès ni à un autre dirigeant. S’ils reconnaissaient la nécessité d’une direction, ils n’abandonnaient pas pour autant leur pouvoir de décision. Et Périclès le savait bien. Ce n’est pas par pure politesse tactique qu’il utilisa les mots suivants, tels qu’on nous les rapporte, en 431 av. J.-C, lorsqu’il proposa le rejet d’un ultimatum Spartiate, et par conséquent le vote de la guerre : « Je vois qu’en cette occasion je dois vous donner exactement le même avis que je vous ai donné dans le passé ; et je demande à ceux d’entre vous qui sont persuadés, de donner leur appui à ces résolutions que nous sommes en train de prendre tous ensemble » (Thucydide, 1.140.1).
Pour parler en termes plus conformes à l’usage en matière constitutionnelle, le peuple possédait non seulement l’éligibilité nécessaire pour occuper les charges et le droit d’élire des magistrats, mais aussi le droit de décider en tous les domaines de la politique de l’État et le droit de juger, constitué en tribunal, de toutes les causes importantes, civiles et criminelles, publiques et privées. La concentration de l’autorité dans l’Assemblée, la fragmentation et le caractère rotatif des postes administratifs, le choix par tirage au sort, l’absence de bureaucratie rétribuée, les jurys populaires, tout cela contribuait à empêcher la création d’un appareil de parti et, par voie de conséquence, d’une élite politique institutionnalisée. La direction des affaires était directe et personnelle, et il n’y avait pas place pour de médiocres fantoches, manipulés derrière la scène par les dirigeants «réels». Les hommes tels que Périclès constituaient, c’est certain, une élite politique, mais cette élite ne se perpétuait pas d’elle-même ; l’on en faisait partie en raison de prestations importantes, fournies principalement à l’Assemblée, l’accès en était ouvert, et pour continuer à en faire partie, il fallait continuer à fournir des prestations publiques.
Quelques-uns des dispositifs institutionnels que les Athéniens inventèrent avec tant d’imagination perdent leur étrangeté apparente à la lumière de cette réalité politique. L’ostracisme est le plus connu : un homme dont l’influence était jugée dangereusement excessive pouvait être exilé pour dix ans, sans perdre toutefois, et ceci est important, ses biens ou son statut de citoyen. Les racines historiques de l’ostracisme reposent sur la tyrannie et la crainte qu’inspirait son éventuel retour, mais la survivance de cette pratique est due à l’insécurité quasi intolérable des dirigeants politiques que la logique du système amenait à tenter de se protéger en éloignant physiquement de la scène politique les principaux représentants de la politique opposée. En l’absence d’élections périodiques départageant les partis, y avait-il une autre solution ? Et il est révélateur qu’à la fin du Ve siècle av. J.-C, lorsque l’ostracisme dégénéra en institution non fonctionnelle, ce dispositif tomba doucement en désuétude. Un autre dispositif, encore plus curieux, est le dispositif connu sous le nom de graphe paranomon, par lequel un homme pouvait être accusé et jugé pour avoir fait une « proposition illégale » à l’Assemblée. Il est impossible de faire entrer cette procédure dans une de nos catégories constitutionnelles. La souveraineté de l’Assemblée était sans limites : durant un bref laps de temps, à la fin de la guerre du Péloponnèse, l’Assemblée fut même amenée par des manœuvres à voter l’abolition de la démocratie. Cependant quiconque exerçait son droit fondamental à l’iségoria courait le risque d’une condamnation sévère, pour une proposition qu’il avait eu le droit de faire, même si cette proposition avait été adoptée par l’Assemblée.
Nous ne pouvons donner à l’introduction de la graphe paranomon une date plus précise que le cours du Ve siècle av. J.-C, aussi ne connaissons-nous pas les événements qui furent à l’origine de ce dispositif. Sa fonction est cependant assez claire, une fonction double, modérer l’iségoria par la discipline, et donner au peuple, au démos, la possibilité de reconsidérer une décision prise par lui-même. Une graphe paranomon aboutissant à une condamnation avait pour effet d’annuler un vote positif de l’Assemblée, grâce au verdict, non pas d’une élite restreinte telle que la Cour suprême des États-Unis, mais du démos, par l’intermédiaire d’un jury populaire nombreux, choisi par tirage au sort. Notre système protège la liberté des représentants grâce aux privilèges parlementaires, or ces mêmes privilèges, de façon paradoxale, protègent aussi l’irresponsabilité des représentants. Le paradoxe athénien se situait dans une voie tout à fait opposée, il protégeait à la fois la liberté de l’Assemblée en son ensemble, et celle de ses membres pris individuellement en leur refusant l’immunité.
Si je suis entré dans quelque détail en ce qui concerne certains rouages de la démocratie athénienne, ce n’est pas par curiosité d’antiquisant, mais afin de suggérer que l’expérience antique, en dépit de la grande distance qui la sépare de la démocratie contemporaine, peut ne pas être aussi dépourvue de tout rapport avec elle que le pensent les spécialistes modernes de sciences politiques, en particulier en ce qui touche à la question controversée des dirigeants et des dirigés. Rouages et dispositifs ne fournissent évidemment pas une explication suffisante. Ils peuvent ne pas remplir la fonction pour laquelle ils ont été conçus, tout aussi bien que la remplir. Les Grecs eux-mêmes n’ont pas développé une théorie de la démocratie. Il existait des notions, des maximes, des généralités, mais tout cela ne constituait pas en définitive une théorie systématique: Les philosophes attaquaient la démocratie ; les démocrates engagés répondaient en les ignorant, en continuant de s’occuper des affaires du gouvernement et de la politique de façon démocratique, sans écrire de traités sur ce sujet.
Il y eut une exception, peut-être unique, Protagoras, le sophiste de la fin du Ve siècle av. J.-C. Ses idées nous sont connues par les attaques que Platon dirige contre lui dans un de ses premiers dialogues, le Protagoras, dans lequel Socrate utilise moqueries, parodies, voire tricheries, à un degré tout à fait rare dans le corpus platonicien. Platon choisit-il ce ton, on se le demande, précisément parce que Protagoras non seulement professait les doctrines morales caractéristiques des sophistes, mais aussi développait une théorie politique démocratique ? L’essentiel de cette théorie, pour autant que nous puissions en juger d’après Platon, c’est que tous les hommes possèdent la politiké techné, l’art du jugement politique sans lequel il ne peut y avoir de société civilisée. Tous les hommes, tous les hommes libres tout au moins, sont à cet égard des pairs, bien qu’ils n’aient pas tous nécessairement la même habileté en politiké techné (une conception qui fait songer à la Déclaration d’Indépendance) ; la conclusion s’impose donc : les Athéniens ont eu raison d’étendre l’iségoria à chaque citoyen.
La politiké techné à elle seule ne suffit pas à définir la condition humaine. À la différence du monde animal qui vit sur le mode de la compétition et de l’agression, les hommes par nature coopèrent, ils possèdent les qualités de philia (un mot que l’on traduit de façon consacrée, mais affadie, par « amitié ») et de diké, justice. Cependant, pour Protagoras, l’amitié et la justice n’auraient pas suffi à constituer la communauté politique authentique, l’État, sans l’adjonction du sens politique. De façon significative, Aristote, qui n’était pas démocrate, mettait lui aussi l’accent sur l’amitié et sur la justice comme constituant les deux éléments de la koinônia, la communauté. Il est difficile de traduire koinônia par un seul mot : le terme a toute une série de signification, y compris par exemple l’association de travail, mais il nous faut ici penser au mot « communauté » dans son sens fort, comme dans la communauté chrétienne primitive, où les liens n’étaient pas seulement ceux de la proximité et d’un style de vie commun, mais aussi la conscience d’avoir un destin commun, une foi commune. Pour Aristote, l’homme était par nature, non seulement un être destiné à vivre dans une cité-État, mais aussi un être de famille et un être de communauté.
À mon avis, ce sens de la communauté, fortifié par la religion d’État, les mythes et les traditions, fut le ressort essentiel des succès de la démocratie athénienne sur le plan des faits (ce qui explique de ma part cette digression relativement longue). Ni l’Assemblée souveraine et le droit d’y participer sans restrictions, ni les jurys populaires, ni le choix des magistrats par tirage au sort, ni l’ostracisme, n’auraient pu éviter soit le chaos d’une part, soit la tyrannie de l’autre, s’il n’y avait eu assez de contrôle de soi dans le corps des citoyens pour maintenir dans de justes limites le comportement de tous.
Le contrôle de soi est tout à fait différent de l’apathie, mot qui signifie littéralement «manque de sentiment », « insensibilité », toutes caractéristiques inadmissibles dans une communauté authentique. Il existait une tradition selon laquelle Solon, dans sa législation du début du VIe siècle av. J.-C, avait institué la loi suivante visant spécialement l’apathie: « Celui qui dans une guerre civile ne prendra pas les armes avec un des partis sera frappé d’atimie (privé des droits civiques) et n’aura aucun droit politique » (Aristote, Constitution d’Athènes 8.5, trad. Mathieu-Haussoulier). L’authenticité de la loi est douteuse, mais non le sentiment qu’elle traduit. Périclès l’exprima dans cette même Oraison funèbre où il notait que la pauvreté ne constituait pas un obstacle, en ces termes : « Ceux qui participent au gouvernement de la cité peuvent s’occuper aussi de leurs affaires privées et ceux que leurs occupations professionnelles absorbent peuvent se tenir fort bien au courant des affaires publiques. Nous sommes en effet les seuls à penser qu’un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile » (Thucydide 2.40.2, trad. Roussel).
Il faut noter que Protagoras et Platon, si opposés fussent-ils, ont, tous deux à leur manière, souligné l’importance de l’éducation. J’utilise le mot, non pas au sens courant que nous lui donnons aujourd’hui, celui de scolarisation officielle, mais au sens ancien, le sens du mot grec antique : par paideia les Grecs entendaient le fait d’élever, de « former » (la Bildung allemande), le développement des vertus morales, du sens de la responsabilité civique, de l’identification consciente avec la communauté, ses traditions et ses valeurs. Dans une société restreinte, homogène, une société relativement fermée, en face à face, on pouvait parfaitement bien appeler les institutions fondamentales de la communauté — la famille, le « club », le gymnase, l’Assemblée — des agents naturels d’éducation. Un jeune homme recevait son éducation en assistant à l’Assemblée ; il y apprenait non pas nécessairement les dimensions de la Sicile (question purement technique, Protagoras et Platon en seraient tous deux tombés d’accord), mais les problèmes politiques auxquels Athènes avait à faire face, les alternatives, les arguments, et il apprenait à évaluer les hommes qui se présentaient comme « faiseurs de décisions politiques », comme dirigeants.
Mais qu’en est-il de sociétés plus vastes, plus complexes ? John Stuart Mill, voilà un siècle, pensait encore qu’Athènes avait quelque chose à nous proposer. Dans ses Considérations sur le Gouvernement représentatif, il écrit ce qui suit : « On ne considère pas suffisamment combien il y a peu de choses dans la vie ordinaire de la plupart des hommes, qui puisse donner quelque grandeur soit à leurs conceptions, soit à leurs sentiments… La plupart du temps l’individu n’a aucun accès auprès de personnes d’une culture bien supérieure à la sienne. Lui donner quelque chose à faire pour le public supplée jusqu’à un certain point à toutes ces lacunes. Si les circonstances permettent que la somme de devoir public qui lui est confiée soit considérable, il en résulte pour lui une éducation. Malgré les défauts du système social et des idées morales de l’Antiquité, la pratique des dicastéria (jurys) et de l’Ecclésia (assemblée) élevait le niveau intellectuel d’un simple citoyen d’Athènes bien au-dessus de ce qu’on a jamais atteint dans aucune autre agglomération d’hommes, antique ou moderne… Il est appelé, dans ce type d’engagements, à peser des intérêts qui ne sont pas les siens, à consulter en face de prétentions contradictoires une autre règle que ses penchants particuliers, à mettre incessamment en pratique des principes et des maximes dont la raison d’être est le bien public. Et il trouve en général, à côté de lui, dans cette besogne, des esprits plus familiarisés avec ces idées et ces opérations, dont l’étude fournira des raisons à son intelligence et des excitants à son sentiment du bien public. »
L’usage que fait Mill du temps présent dans un essai publié en 1861 n’était pas une simple clause de style. « Presque tous les voyageurs, ajoute-t-il, sont frappés de ce fait que tout Américain est dans un certain sens à la fois un patriote, un homme dont l’intelligence est cultivée, et M. de Tocqueville a démontré combien ces qualités sont étroitement liées à leurs institutions démocratiques. Une diffusion aussi grande des goûts, des idées et des sentiments qui appartiennent aux esprits cultivés, ne s’est jamais vue et n’a jamais passé pour possible ailleurs. » Qui plus est, Mill n’était pas un théoricien isolé. Il se situait dans le grand courant de la théorie démocratique classique, qui était « inspirée par un but extrêmement ambitieux, l’éducation d’un peuple tout entier jusqu’à ce que les capacités intellectuelles, affectives et morales atteignent leur maximum de développement et que les gens s’unissent, librement et activement, en une communauté authentique. Outre ce but général magnifique, la théorie démocratique classique intègre aussi une stratégie élaborée pour la poursuite de ce but, l’utilisation de l’activité politique et des fonctions gouvernementales dans l’intention d’éduquer le peuple. Gouverner doit être un effort continu pour l’éducation des masses ».
Athènes fournit donc un exemple valable de coexistence réussie entre direction politique et participation populaire, durant une longue période de temps, sans cette apathie et cette ignorance dont parlent les experts en opinion publique, ni non plus ce spectre de l’extrémisme qui hante les théoriciens élitistes. Les Athéniens commirent des fautes. Quel système gouvernemental n’en commet pas ? Le jeu bien connu qui consiste à condamner Athènes pour n’avoir pas vécu à des hauteurs idéales de perfection est une vaine approche de la question. Ils ne commirent pas de fautes capitales, et cela suffit. L’échec de l’expédition de Sicile en 415-413 av. J.-C. fut un échec dû à des erreurs techniques de commandement sur le terrain, et non la conséquence de l’ignorance ou bien d’un projet formé de façon inadéquate avant le départ de l’expédition. Tout autocrate ou tout « expert » politique aurait pu commettre les mêmes erreurs. Les théoriciens élitistes seraient malavisés de considérer cela comme un argument en faveur de leur théorie. S’il se trouve que Mill et la théorie démocratique classique ont été de nos jours démentis, ce n’est pas en raison d’une mauvaise interprétation de l’histoire**.
De profonds changements institutionnels sont intervenus depuis que Tocqueville et Mill ont écrit, voilà un siècle et plus. Le premier est la transformation radicale de l’économie, dominée par des sociétés multinationales à un degré que nos ancêtres ne pouvaient pas même imaginer. La technologie nouvelle à l’œuvre dans cette économie a donné à quiconque la détient un pouvoir sans précédent à la fois pour son ampleur et pour sa complexité. Je fais entrer dans cette catégorie les mass média, à la fois pour leur pouvoir de créer et de renforcer des valeurs, et pour la passivité intellectuelle qu’ils engendrent, une passivité qui, à mon sens, est la négation du but « éducatif » de la théorie démocratique classique.
Il existe de plus de nouveaux facteurs importants dans le domaine politique lui-même, avant tout la transformation de la politique en un métier, au sens étroit du mot, et cela à une très grande échelle. Il a existé évidemment d’autres sociétés dans lesquelles les hommes politiques ou les courtisans se consacraient plus ou moins complètement au gouvernement - la République romaine vers la fin de son histoire, et l’Empire romain ou les autocraties modernes - mais ce n’étaient pas des hommes politiques au sens strict du terme, et certainement pas au sens démocratique, et de toute façon leur nombre était toujours restreint, leurs intérêts étaient soit personnels, soit représentatifs d’une classe aristocratique, ce n’étaient pas ceux d’un groupe professionnel. Une conséquence de la situation actuelle est le lien étroit entre métier politique et argent gagné, avec ou sans corruption, mais je considère cela comme une conséquence mineure par rapport à la création d’un groupe d’intérêt nouveau et puissant dans notre société : les hommes politiques.
« La réputation, et en vérité la survie politique de la plupart des dirigeants, écrivait Henry Kissinger, dépend de leurs capacités d’atteindre leurs buts, quelle que soit la manière dont ils peuvent y être arrivés. Qu’atteindre ces buts soit souhaitable, est un problème relativement moins important. » Les dirigeants « laissent percer un désir presque irrésistible d’éviter une mise à l’écart même temporaire ». On en vient à négliger les intérêts à long terme « dans la mesure où l’avenir ne présente pas d’électorat déjà constitué ».
De plus, ce nouveau groupe d’intérêts provient d’un secteur restreint de la population ; aux États-Unis, du milieu des hommes de loi et des hommes d’affaires, de façon si exclusive que nous avons peine à saisir que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, une certaine proportion non seulement de travailleurs à cols blancs, mais même de travailleurs à cols bleus, participaient activement à la direction des partis et aux charges publiques, au moins au niveau municipal.
En Grande-Bretagne la même situation prévaut, avec une proportion un peu plus importante de richesse héritée et d’agriculture à débouchés commerciaux d’une part, et d’autre part de professeurs, de journalistes, de responsables syndicaux (dont un petit nombre ont été travailleurs manuels dans leur jeunesse).
Pour finir il y a la stupéfiante progression de la bureaucratie (aussi bien dans les organismes privés que dans le gouvernement). Ce sont les experts sans lesquels la société moderne ne peut sans doute fonctionner, mais on a maintenant atteint le point, en extension et en ramification hiérarchique de la bureaucratie, « où la stabilité du système « politique » interne est préférée à la réalisation des buts fonctionnels de l’organisation ». Pour reprendre les mots de H. Kissinger : « Ce qui est au départ créé pour aider les « faiseurs de décisions » se transforme souvent en une organisation autonome en fait, dont les problèmes internes structurent et quelquefois font naître les questions qu’elle était à l’origine chargée de résoudre… La complexité croissante peut ainsi favoriser la paralysie ou une vulgarisation brutale qui détruit ses propres buts. »
Dans de telles conditions, il serait absurde d’établir une comparaison directe avec une petite société, une société homogène, une société en face à face telle qu’Athènes dans l’Antiquité ; absurde d’avancer, et même de rêver, que nous pourrions instituer de nouveau une assemblée des citoyens comme corps souverainement doté du pouvoir de décision, dans une ville ou dans une nation moderne***. Ce n’est pas la perspective où j’ai choisi de m’engager ; j’ai choisi une perspective toute différente, à partir de l’apathie politique et de son appréciation. L’apathie publique et l’ignorance politique sont un fait fondamental aujourd’hui, c’est incontestable ; les décisions sont prises par des dirigeants politiques, et non par un vote populaire, qui n’a au mieux qu’un pouvoir occasionnel de veto, une fois le fait accompli. La question est la suivante : compte tenu des conditions modernes, cet état de choses est-il nécessaire et souhaitable ? ou de nouvelles formes de participation populaire, dans l’esprit, sinon dans la substance de l’expérience athénienne, si je peux m’exprimer ainsi, ont-elles besoin d’être découvertes ? (J’utilise ce verbe dans le même sens que précédemment lorsque j’ai dit : « Les Athéniens ont découvert la démocratie. »)
La théorie élitiste avec « sa conception du politicien de profession comme héros », avec son appel à « la fin de l’idéologie », avec la transformation qu’elle fait subir à une définition opérationnelle, pour en faire un jugement de valeur, répond de façon nettement négative à cette question. « La démocratie n’est pas seulement, ou même fondamentalement, un moyen par lequel différents groupes peuvent atteindre leurs buts, ou chercher une bonne société ; c’est la bonne société elle-même en action » (les italiques sont de moi). Un tel jugement, un critique récent l’a bien dit, « est une codification des réalisations passées… il justifie les principaux traits du statu quo et procure un modèle pour remettre les choses en place. La démocratie devient un système à préserver, non une fin à rechercher. Ceux qui désirent un guide pour l’avenir doivent tourner leurs regards dans une autre direction ». Cela me semble être un jugement historique correct. Que ce soit aussi un jugement politique correct ou non, chacun en décidera pour son propre compte.
(…)
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J’écris découverte entre guillemets, parce que ce phénomène apparaît comme déjà bien connu dans les analyses politiques plus anciennes.
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Les Romains, eux aussi, débattirent de la démocratie, mais ce qu’ils avaient à dire présente peu d’intérêt. C’était quelque chose de dérivé, au plus mauvais sens du mot, dérivé des livres seulement, puisque Rome elle-même ne fut jamais une démocratie, en aucune acception valable du terme, bien que des institutions populaires aient été intégrées dans le système gouvernemental oligarchique de la République romaine.
** Que Mill se soit trompé en interprétant le futur, c’est une autre question. Dans son compte rendu de Tocqueville, il écrit avec éloges ceci : « Il considère l’intervention toujours croissante du peuple et de toutes les classes du peuple dans leurs propres affaires comme une maxime fondamentale de l’art de gouverner dans les temps modernes.
*** Mill (Dissertations and Discussions II 19) s’est laissé aller à une fausse analogie lorsqu’il a écrit : « Les journaux et les chemins de fer sont en train de résoudre le problème suivant : amener la démocratie d’Angleterre à voter, comme celle d’Athènes, simultanément en une seule agora. »
Ce petit livre de Finley est une merveille que tout citoyen devrait connaître.
On y comprend, point par point, que nos institutions, françaises et européennes (et autres), sont profondément antidémocratiques. Appeler « démocratiques » nos régimes oligarchiques et ploutocratiques, c’est une imposture de politicien professionnel, un mensonge de « voleurs de pouvoir », c’est une escroquerie intellectuelle chimiquement pure.
Amicalement.
Étienne.