LE VOTE DE PROTESTATION – La Tierce option (suite) - Dictature de la majorité, protection des minorités
Concernant divers sujets d’importance, notamment celui de l’homosexualité, de l’avortement, de l’euthanasie, de la foi religieuse, maintes analyses concluent que l’on ne saurait poser, dans un débat public, la question du droit ou du devoir de recourir à ces pratiques en termes de POUR ou CONTRE : il s’agit d’une question personnelle, et nul ne devrait imposer à l’autre son avis en la matière. Même si la majorité avait à répondre par l’affirmative ou la négative.
Il faut insister sur le fait que la démocratie n’est pas simplement le choix de la majorité, mais le respect des minorités. (Surtout à une époque où les lois du marché appliquées aux médias éliminent les minorités de la sphère publique - donc la sphère publique -, y compris les « élites », notamment les champs culturels incarnant l’autorité, que sont les communautés scientifique, philosophique, religieuse (1).)
En d’autres termes, la dictature de la majorité ne doit s’appliquer que sur des sujets pour lesquels aucune minorité ne fixe une limite infranchissable. On l’a déjà évoqué, ici, du moins quand à « notre » démocratie interne (au forum - au processus constituant) : chacun définit des ensembles de sujets pour lesquels il peut où non transiger, et accepter de se plier à l’opinion de la majorité.
Or, rien ne garantit que ceux qui ont le pouvoir de poser les questions soient conscients du cadre de ces limites croisées des minorités, ni qu’ils respecteront ces limites s’ils les connaissent.
Le vote de protestation, appliqué à toute consultation, est l’instrument suprême permettant au peuple de se protéger contre la dictature de la majorité étendue à tout sujet dont le débat public pourrait s’emparer alors qu’il releverait de la sphère privée.
Mais en pratique, se pose un problème évident : si une minorité exprime son refus que soit soumise une problématique au débat public, que soit soumise au vote une loi dont elle juge que la formulation elle-même est dangereuse, comment cela se traduira dans les faits ?
On peut difficilement imaginer que la constitution puisse définir des moyens pour qu’une infime minorité puisse imposer « mécaniquement » ses limites.
Mais on peut aussi considérer que la loi est un outil en permanente évolution, et s’en tenir déjà à découpler ainsi les choses :
- comment la protestation peut-elle trouver sa publicité dans le débat ?
- comment définir le seuil au dessus duquel la protestation pourrait systématiquement éliminer la question du débat ?
On devrait systématiquement rendre compte publiquement du score du vote protestataire, quel qu’en soit le niveau. Et il faudrait aussi que le sens de la protestation soit commenté. Pouvoirs publics et médias de presse devraient s’assurer, mutuellement, du respect de ce principe.
Aussi, notamment s’il s’agit d’une question posée, la remise en cause de la problématique devrait impérativement figurer parmi les thèmes abordés dans le débat public.
Cette prise en compte devrait se faire – elle se fait toujours, mais généralement très peu – avant le vote, durant la campagne référendaire ou de promotion de la problématique posée pour consultation. Mais bien sûr, fixer des quotas en la matière semble impossible.
Par contre, il faut songer qu’en démocratie, le peuple peut toujours défaire un jour ce qu’il avait fait avant. Aussi pourrait-on imposer que la remise en cause de la problématique soit traitée, suivant un volume de débat qui, rapporté à celui consacré aux commentaires de la loi votée (ou écartée) corresponde au prorata du score du vote de protestation exprimé.
(1) En démocratie, l’autorité devrait toujours se situer hors du pouvoir politique. Vieille question qui remonte à Platon, puis à la Rome antique, puis … (H. Arenbt : Qu’est-ce que l’autorité ? - La crise de la culture).
(Sinon, je dirais que ce sont les gouvernants qui imposent les questions, la grille des réponses, et les critères pour juger de la pertinence et du bon choix des unes et des autres…)
Pour moi, l’autorité politique est la faculté de donner du sens aux faits, aux actions relevant de la sphère publique, relativement à la conception culturelle de la vérité ou de sa recherche.
Elle est portée (re réf. Arendt) par les communautés scientifique, philosophique, religieuse (historiquement du moins - la religion, notamment catholique, a l’avantage d’avoir matérialisé une chose essentielle dans la pensée platonicienne : elle a apporté des éléments déterminants pour la moralité d’individus qui sont très peu amenés à philosopher… En particulier la perspective des tourments de l’enfer a une fonction sociale évidente, pour ce qui est d’imposer l’autorité, la dissuasion n’étant pas portée par des hommes, des égaux).
La protection des champs scientifique et philosophique sur la société et la protection de ces champs dans la société, sont des conditions vitales pour la démocratie, d’autant plus lorsque la religion assure moins son rôle autoritaire.