La définition des esclaves est surprenante mais pousse à réfléchir.
[b]Des idéologies nulle part, des intérêts partout[/b]
Dans mon idée, il n’y a d’idéologie nulle part, il n’y a que des intérêts, de quelque nature qu’ils soient, particuliers ou plus généraux.
Ces intérêts, majeurs pour les profiteurs, sont certes drapés de concepts philosophiques pour leur donner une apparence acceptable, un semblant de légitimité, mais ce n’est là que pseudo-philosophie, un cosmétique apostériorique savamment huilé pour les besoins de la cause, et qui n’a pour vocation que de masquer la chose d’importance : les intérêts.
Car c’est la théorie diamétralement opposée qui serait prônée, si c’est elle qui procurait ces sacro-saints intérêts, ou ce qui revient au même, si c’est elle qui les démultipliait.
C’est pourquoi, en regardant le monde tel qu’il est, dans sa confusion généralisée, la race d’individus la plus risible est encore celle qui défend, dur comme fer, une idéologie quelconque, parce qu’ils y croient sincèrement, mais ces militants bénévoles d’une cause nous semblent être les dindons de la farce en ce qu’ils ne sont pas payés de retour, ils ne voient pas la couleur des dividendes colossaux du système qu’ils préconisent, et les bénéficiaires doivent être ravis d’avoir de tels hâbleurs spontanés à leur disposition, qui viennent servir avec conviction leurs intérêts personnels.
Ces cœurs purs sont tout simplement aveuglés par une bien-pensance invétérée, leur pensée est comme bloquée, voire lobotomisée, ils pratiquent sur eux-mêmes une autocensure drastique, ils s’interdisent de penser.
Et l’on sait à quel point la censure la plus efficace, et la plus ardemment souhaitée, est précisément l’autocensure, non seulement parce qu’elle ira plus loin que celle du censeur, mais aussi parce que la bonne conscience de ce dernier n’est pas touchée, n’ayant pas eu à intervenir pour censurer.
Donc je ne dirai pas comme dans la chanson, les cœurs purs, j’aimerais que ça dure. Il faut au contraire en finir.
C’est pourquoi aussi la mauvaise foi règne en maître dans ce monde : chacun argumente non pas à la loyale, en vertu d’une certaine vérité, d’une certaine logique, ou d’un bon sens élémentaire, mais en vertu du bénéfice qu’il est susceptible de tirer de la position pour laquelle il plaide.
[b]Qu’est-ce qu’un esclave ? C’est un individu qui ne peut envisager une chose, quelle qu’elle soit, que sous l’angle du profit et du bénéfice qu’il pourra en soutirer. Qu’est-ce que le capitalisme ? C’est la doctrine du profit et du bénéfice.
C’est pourquoi le capitalisme est immanent sur la planète, tout simplement parce que les esclaves sont l’immense, la très immense majorité, ceux qui ne visent, d’une manière ou d’une autre et à quelque niveau social que ce soit, que leur avantage et ne pensent qu’en fonction de ce gain.[/b]
À cet égard, les partis dits anti-capitalistes ont quelque chose d’hilarant en tant que ce sont des ramassis d’esclaves, on est dans la contradiction frontale pure. Leurs dirigeants et autres apparatchiks associés ne sont là que parce que la soupe est bonne, et pas seulement bonne, mais éternellement bonne pour ces indéboulonnables : ils sont là, ils s’y sentent bien, et dût l’humanité s’abrutir et périr, ils veulent y rester.
La vie politique est forcément faussée puisqu’on passe par des hommes et non par des idées. Si un homme politique défend dans son programme, par exemple, trois idées fondamentales, l’électeur potentiel n’a le choix qu’entre tout ou rien, il ne peut absolument pas en sélectionner une seule dans ce lot et lui apporter son soutien.
L’homme politique existe non pas pour l’intérêt général, mais bien pour le sien particulier puisqu’il fait carrière, peu lui chaut que ce tout ou rien ait du sens ou non, pourvu que sa gamelle soit pleine, toujours pleine. Sans compter que sa situation lui confère le pouvoir discrétionnaire de modifier, à tout moment, à sa guise et sans préavis, le contenu de son arsenal, sans même évoquer ceux qui retournent leur veste à la barbe de leurs électeurs ainsi trahis. Ces infamies seraient impossibles si l’on passait par des idées, et non par des hommes.
On comprend dès lors pourquoi les sociétés s’enlisent dans des problèmes majeurs qui finissent par devenir insolubles. Tout simplement parce que [bgcolor=#FFFF99]l’émergence d’une idée considérée comme bonne est retardée à outrance, par le fait que l’homme politique qui la recommande, traîne avec lui d’autres idées auxquelles la majorité n’adhère pas, idées qu’elle juge plus ou moins nauséabondes[/bgcolor], mais qu’elle finit par sacrifier finalement, en fermant les yeux la mort dans l’âme, quand l’idée jugée bonne s’impose désormais à l’opinion comme une évidence.
Mais, à ce stade, il est souvent trop tard, les décennies ont passé, quand la sonnette d’alarme est tirée depuis longtemps, relativement à un fait sociétal particulier, le peuple désarmé est mis devant un fait accompli quasiment irréversible.
Une démocratie digne de ce nom voudrait que des propositions isolées soient régulièrement soumises à une consultation populaire. Mais on appelle démocratie le fait d’inviter les citoyens à choisir à intervalles cycliques pluriannuels entre bonnet blanc et blanc bonnet. C’est grotesque, mais ça marche, le bon peuple est berné par des mots aux douces sonorités, sans qu’il soit besoin de faire correspondre aux mots une réalité quelconque.
Toute la société est basée sur des concepts d’esclaves, toute sa hiérarchie, par exemple, est basée sur la notion d’extériorité où l’individu n’est pas ce qu’il décide d’être, mais n’est que ce qu’on lui dit qu’il est, la société est basée aussi sur le ressentiment et la tristesse, la mémoire et la tristesse de la mémoire, le paiement par les fils des inadéquations passées, et pas seulement le paiement par les fils, mais le paiement éternel par les fils et les fils des fils des agissements des pères, car la mémoire procure une plus-value extraordinaire, les exploiteurs qui tirent les ficelles industrialisent la mémoire pour insuffler une mauvaise conscience aux générations, comme si elles étaient de toute éternité responsables d’actes auxquels elles n’ont bien évidemment pas participé, à la manière des religions qui ont bien compris que la mauvaise conscience amoindrissait la force de leurs ouailles, vaincues par le remords d’une faute supposée, le tout sur fond de misère, mentale ou financière, une des clés maîtresses du capitalisme.
Pas de capitalisme sans misère, le pauvre est riche, il est riche de sa pauvreté, immensément riche puisqu’il paiera d’être pauvre, on le lui fera payer, on le lui fera payer cher, très cher, le plus cher possible, car le capitalisme a inventé la dette infinie, sans compter que la misère maintient le citoyen en situation d’infériorité et d’inaction, tout sera fait pour qu’il ne puisse jamais accéder aux valeurs aristocratiques, notamment au respect de soi, pour qu’il soit pour ainsi dire zombifié de toutes les manières possibles — entre autres, pauvreté, précarité, inéducation, aliénation, déracinement — pour que sa fierté soit réduite, pour que sa pensée soit formatée, pour que sa liberté soit supprimée, pour qu’il soit séparé de sa puissance d’agir.
Mais en tout cas, dans cette ère de marasme et de confusion généralisés, je maintiens qu’il n’y a d’idéologie nulle part, et que, quel que soit le problème abordé, il n’y a que des intérêts.