Le seul programme-cadre politique du parti devrait se résumer à une charte de droits fondamentaux
A Sandy,
je suis d’accord avec ton sens des priorités, s’agissant des perspectives électorales.
Il me semble que tu poses mal la question du programme économique et social (ou l’inverse, pourquoi pas, JR - mais pourquoi pas parler de programme politique, plus généralement ?)
D’ailleurs, tu reviens ensuite sur ta question en admettant que le programme serait le fruit de nombreux débats.
Si on peut admettre, ou même trouver évident, que le parti aura besoin d’un programme politique au moment de telle ou telle campagne électorale, et une fois que tel ou tel membre, en exerçant, serait amené à prendre ou à transmettre des décisions politiques, cela ne signifie pas qu’un tel programme doit être esquissé dans ses statuts.
C’est d’ailleurs ainsi que ça se passe, en pratique du moins, pour les autres partis. A plus forte raison pour le parti en question, dont l’esprit veut que son programme émane essentiellement de ses membres.
L’objectif de mon message d’hier était de poser (et d’argumenter - c’était trop long et surtout trop brouillon, je le reprendrai) plusieurs grandes règles, concernant aussi bien l’organisation interne, le rapport à la « concurrence » externe, que l’ « idéologie ».
Quant aux missions, elle se résumeraient à « contribuer autant que possible au développement et au maintien de la démocratie, en assurant prioritairement ceux de la démocratie interne au parti. »
S’agissant du « programme politique cadre », ma conviction est qu’il faut qu’il se résume à une charte de droits fondamentaux.
Cela me vient de l’idée que le parti devrait essentiellement compter sur sa démocratie interne pour faire avancer la démocratie tout court, et qu’il s’agirait donc de reproduire, à l’échelle des statuts du parti, les éléments qui font une constitution (démocratique).
Par définition, il s’agit d’un programme éthique et non pas idéologique, précisément, puisqu’il situe les individus comme des fins en soi et non comme des instruments.
Je prends quelques exemples.
Une lecture exigeante de la seule Déclaration de 1789, pourvu seulement qu’elle soit faite par une assemblée démocratique, conduirait à dénoncer le régime monétaire et nous obligerait à œuvrer pour le faire changer radicalement. Est-ce un programme de gauche ? Non. Y a-t-il besoin de compléter beaucoup la charte de droits fondamentaux ? Non plus. Pourtant, c’est un volet majeur d’un programme économique et social.
Par ailleurs, une bonne part du programme, ou plus exactement, des programmes possibles, en la matière, est destiné à changer la constitution, pas seulement les lois. Mais est-ce que cela peut être gravé dans les statuts du parti ? Je pense que ce ne serait pas souhaitable, parce que ça poserait des verrous inutiles aussi bien en interne qu’en externe.
Prends le Préambule de 1946. Il impose à l’évidence à l’État de garantir des retraites, une sécurité sociale, une éducation. Soit, commençons par nous imposer de dénoncer les accords de l’OMC qui les remettent d’ores et déjà en cause ; on a là aussi un aperçu de ce que devrait faire un gouvernement, à court terme, avec l’UE : en sortir, faute de pouvoir changer profondément les traités ; interdisons à la Caisse des dépôts et consignations de spéculer ; … Quant aux fonds de pension, la question renvoie :
- au régime de la propriété de moyens de production. Simone Weill a proposé une base merveilleuse car toute simple et toute fondée sur les besoins fondamentaux des individus : la propriété d’une entreprise ou d’un bout d’une entreprise est un besoin pour celui qui y vit, qu’il y travaille comme ouvrier ou comme patron ; l’actionnaire anonyme, lui, ne sait même pas que tel ou tel atelier existe, la couleur des murs, sans parler de mille et un aspects liés aux savoir-faire.
- au régime de la circulation internationale des capitaux et de son contrôle. On ne va pas solder le dossier ici, mais il est évident qu’en reprenant les fondamentaux, rien que ceux déjà posés en matière de droits civils, on arrive à un programme qu’on nommerait protectionniste.
…
Le Préambule de 1946 interdit-il l’économie libertaire ? Au contraire : il garantit en principe aux travailleurs un droit de cogestion et de contribution à la détermination des conditions de travail. L’État n’a donc pas, a priori, à s’imposer dans les négociations, et il ne tient qu’aux travailleurs et aux syndicats d’imposer une gestion libertaire des entreprises. Un bon programme serait peut-être, déjà, de faire le contraire de Sarkozy sur ce point : respecter l’existence ainsi que le contenu du Préambule de 1946.
Mais en pratique, le pouvoir et les libertés des travailleurs, et même leur pouvoir sur « leurs » syndicats, est fortement conditionné par l’État, par le biais de nombre de leviers dont beaucoup peuvent et devraient être remis en question.
Une autre base de programme est ici apportée par les principes touchant à la fiscalité, et la seule Déclaration de 1789 pèse lourd : proportionnalité ; droit de tous à contribuer à reconnaitre le volume de l’impôt requis, son assiette, et les besoins auxquels il répond. Donc à consentir à l’impôt, dans tout ce que cela implique. Ce qui suppose une lisibilité de l’économie telle que ça remet en cause le système anarchique de libre circulation internationale.
De cet ensemble de droits, j’avais déduit, et j’avais proposé, sur le volet « économie » que j’ai ouvert sur ce forum, un principe général de pondération de toute fiscalité portant sur les entreprises, en fonction des inégalités individuelles qu’elles mettent en jeu.
Ce principe serait écrit dans la constitution, et des organes seraient chargés de le mettre en oeuvre. Pour l’essentiel, cette mise en oeuvre repose en fait sur les travailleurs eux-mêmes, et sur une agence au rôle purement technique (qu’il s’agit de rendre indépendante mais…) ; pour le reste, rien n’empêche le gouvernement en place, à l’avenir, de fixer comme il veut le niveau d’impôt sur les entreprises, secteur par secteur, type d’entreprise par type d’entreprise, … mais tout choses égales par ailleurs, il imposera à 0% une entreprise qui répartirait tout à fait équitablement ses bénéfices, et énormément une entreprise qui verserait de gros dividendes et/ou montrerait une grille de salaires très inégalitaire.
C’est donc un changement d’orientation démocratique :
- on ré-asseoit l’impôt sur les entreprise sur une base de proportionnalité qui ne peut se rapporter qu’à des individus, en non pas à des groupes abstraits et hétérogènes ;
- on retire les pleins pouvoirs à l’ensemble gouvernement-parlement s’agissant : d’être inégalitaire vis-à-vis des individus, d’imposer un système de fiscalité sur les entreprises fondé sur aucune évaluation ou presque des inégalités comme des libertés individuelles, s’agissant d’empêcher l’économie libertaire ou de tolérer un capitalisme aveugle, et plus généralement, de fausser les rapports de forces entre syndicats et actionnaires ;
- mais on laisse les citoyens décider de l’impôt global par le biais classique des institutions, et on accroit d’ailleurs ce pouvoir notamment parce que la lisibilité de l’économie s’en trouve fortement accrue :en termes de périmètre géographique, de rapport aux types d’activités et à leur utilité - ce qui renvoie à des possibles référendum portant sur l’identification des besoins et des priorités d’investissements publics -, mais c’est une lisibilité qui s’entend aussi et surtout en termes de perception des inégalités individuelles ;
- on n’ôte pas pour autant aux citoyens, en tant que travailleurs ou en tant d’investisseurs, le droit de décider par un autre biais de l’impôt sur l’entreprise comme de sa répartition, on relocalise l’impôt, en somme : des salariés se battant pour une économie libertaire au plan de l’entreprise feront diminuer l’impôt total sur l’entreprise en même temps qu’ils y feront s’équilibrer les revenus entre individus qui y travaillent ; même les actionnaires et leurs cadres sup’ aujourd’hui si surpayés (à jouer les gestionnaires parasites, ce qui renvoie aux effets de la division du travail rapportés aux besoins psychiques fondamentaux des individus) doivent tenir compte du fait qu’ils ont intérêt, eux aussi, à accepter une meilleure répartition, sans quoi c’est l’État qui le fera, mécaniquement. On trouve ainsi un moyen ferme de s’opposer à la démesure comme à l’irresponsabilité des actionnaires (rien n’empêche de superposer une autre pondération fiscale, relative à l’écologie, par exemple) sans pour autant que cela passe exclusivement par l’État centralisé. Plus exactement, on ne confie à l’État centralisé que ce qu’il y a besoin de lui confier, et on le cadre par la constitution. De l’autre côté, on refonde le pouvoir des syndicats, et plus encore, celui des travailleurs, et donc on confie la part de pouvoir concernée à ceux qui sont le mieux placé pour en juger et qui sont les seuls vrais intéressés.
Pour revenir plus au coeur du sujet, cette analyse est construite essentiellement à partir d’un ensemble de droits fondamentaux, qui sont ceux d’individus. On peut faire d’autres analyses, d’autres programmes, mais c’est une autre affaire. D’ailleurs, si j’expose ici la mienne, je le fais comme je le ferais pour convaincre mes « camarades » qu’elle est belle et bonne.
On peut aussi bien, mais c’est plus radical, partir du principe, proposé par S. Weill, de ne reconnaitre le droit à la propriété de moyens de production qu’à ceux qui en font usage.
Au passage, on peut en dire de même de la propriété foncière et immobilière. Or, dans le contexte présent, c’est un des facteurs qui condamne les taux d’intérêt, en général, à devoir être positifs, ce pourquoi M. Allais propose carrément de nationaliser les terres. Je suis sûr qu’on peut être de gauche et trouver des solutions moins radicales : par exemple, ne reconnaitre de propriété que s’il y a usage personnel, qu’il s’agisse de biens de production, de maisons ou de terrains. Rien n’empêcherait d’acheter sa maison, et même plusieurs, pourvu qu’on n’en tire pas un loyer, ce qui signifierait qu’on utiliserait un titre sur une propriété dont on ne fait pas usage. On pourrait très bien, alors, prêter une maison à ses enfants, à ses amis, à des inconnus, à des artisans, aucune importance, ou bien la vendre. Pour finir de couper court à la spéculation immobilière, il suffirait que la loi impose de mentionner, dès l’achat, puis à chaque changement de « locataire », l’identité de la personne occupant la maison.
On peut aussi concevoir une base à l’américaine (historiquement et théoriquement, du moins) qui consiste à interdire l’impôt sur les revenus du travail. Effectivement je trouve que ça ne va pas de soi, du moins dans un système capitaliste. Il s’agit d’ailleurs de constater la part minime que représente l’impôt sur le revenu dans les recettes de l’État français, et de la comparer non seulement à ce qui provient des revenus du capital actionnarial, foncier, … effectivement imposés, mais aussi à tout le manque à gagner, sur cette assiette, qui vient du système libre échangiste, de ses paradis fiscaux, et du régime monétaire : la seule part d’intérêts payée aux financiers pour accéder à une monnaie qu’on pourrait aussi bien créer, est du même ordre que l’impôt sur le revenu ; or on sait que le cadre institutionnel néolibéral dans son ensemble pousse à baisser les impôts sur les hauts revenus. C’est la logique absurde du « ruissèlement », ou des « retombées » qui se résume à dire que le seul moyen d’espérer avoir des miettes, pour les salariés et pour les collectivités publiques, est de commencer par donner beaucoup aux riches, les investissements desquels sont supposés être productifs… comme on peut le constater. Un système par ailleurs condamné à pousser une croissance aveugle, …
Tous les éléments de ce genre, qui font un programme, et même un « programme cadre », déclinent assez directement de quelques articles, formulés comme une proclamation de tel ou tel droit fondamental. Pour peu que le décideur soit une entité démocratique, on passera des principes aux réalités. Le blocage est là, et pas ailleurs. Je ne vois pas, sincèrement, pourquoi il en faudrait plus dans les statuts, hors des statuts proprement dits, et je crois surtout qu’il n’en faut pas plus, pas moins.
Pour reproduire une démocratie à l’échelle du parti et de ses statuts, il faut et il suffit d’avoir les mêmes piliers que dans une constitution (je serai d’ailleurs pour employer le mot à cette échelle aussi, s’il s’agit de se baser sur ce même schéma, ni plus ni moins). Pour que ladite constitution soit démocratique, il faut et il suffit que la charte de droits soit aussi égalitaire et « libertaire » que possible ; pour le reste, ça renvoie aux règles d’organisation et de contrôles.