Volonté générale, tirage au sort et représentants
Sandy a mit un peu les pieds dans le plat en collant de la « volonté générale » sur le principe de tirage au sort. Parce que la notion de « volonté générale » remonte à la constitution de la première République française, constitution qui a écarté l’emploi du tirage au sort.
Sandy ne fait que dire une évidence en posant que « La volonté générale est la volonté d’un nombre moindre de personnes qui s’applique avec l’assentiment de tous les autres » : c’est précisément ce qui se fait par défaut, sauf à définir (autrement) la volonté générale dans la constitution… Or, chacun sait que cette « volonté générale » n’y a jamais été définie.
Dans la suite de la formule de l’article 6 de la Déclaration DHC, le concours se rapporte à la formation de la loi, pas à celle de la volonté générale. Qu’allez-vous chercher, Jacques ? Il vous faut un autre écrit définissant ce que signifie la volonté générale au sens de la constitution française ? Il n’y en a pas, vous le savez très bien. Par défaut, et de fait, ce sont les représentants (au mieux) qui font la loi (et même le plus souvent au sens large, incluant la constitution). Les constituants originels étaient parfaitement conscients que le gouvernement représentatif priverait la quasi-totalité des citoyens du pouvoir de faire les lois, donc la volonté générale supposée les exprimer. Faute de quoi, ils n’auraient pas noyé le poisson en utilisant sans le définir ce concept de volonté générale.
Sandy a raison aussi de rappeler qu’il peut y avoir volonté générale comme il peut y avoir représentation légitime même si le souverain est tiré au sort. Tout simplement parce que la volonté générale se sera « exprimée », l’assentiment aura été « observé », sur la constitution, laquelle établira que les représentants sont désignés par le sort. Le texte cité par Jean G, de même, situe le contrat et la volonté générale dans le processus constituant, pas tant lors de chaque opération d’élection de représentants. Et la situation, la légitimité, la volonté générale, tiennent tant que les représentants (l’aristocratie) n’ont pas modifié la constitution au point que celle-ci soit jugée oppressive par une majorité de gens. Bref, la volonté générale c’est surtout : qui ne dit mot consent. Plus rigoureusement, on en revient à la formule de Sandy.
On peut rétorquer que l’élection permet de vérifier la volonté générale. Seulement :
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l’élection ne fait pas la loi (cf. ce que JR cherchait à faire dire à l’article 6 DDHC) ; c’est la décision d’une minorité de gens - élus (pas toujours) - qui la fait. Quant au référendum, sa mise en oeuvre dépend de la décision des mêmes. Qui ne démet pas ses représentants consent… à leur laisser leur chèque en blanc. Or on ne démet pas un représentant. Ou bien on l’aura occis… ce que la loi interdit, heureusement ;
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évidemment, l’argument vaudrait au moins, en partie, s’il s’agissait de majorité absolue parmi les électeurs. C’est rarement le cas. Qui ne vote pas, qui vote blanc, ou même jaune, consent à bleu… pourvu que jaune fasse moins d’adeptes. « Générale », c’est se moquer ;
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comme le rappelle AJH ci-après, le pouvoir de choisir entre quelques options que seuls d’autres ont le pouvoir de poser, n’est qu’un pouvoir très relatif. Et il est si inaccessible pour l’immense majorité d’entre nous qu’il est presque divin. En ce sens, oui, il revient à du tirage au sort, vu de chez nous. Sauf que les dieux sont justes, eux…, le sort laisse à chaque option matériellement possible une chance non nulle (et égale) de se réaliser ; tandis que les choix de ceux qui décident pour « les partis » sont orientés, intéressés, … et, par ailleurs, ils sont le fait d’une poignée de gens (non pas même de l’effectif d’un parti, évidemment : l’immense majorité des militants subit la même règle, se contenter de choisir parmi les quelques options proposées sans eux), et ils découlent, au mieux, de conception élitistes, aristocratiques (quand elles ne sont pas technocratiques), donc naturellement hostiles au tirage au sort ;
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à 31 ans, je n’ai jamais eu le pouvoir de voter la constitution française. Le reste suit… J’ai eu d’autant moins le pouvoir de contribuer à rédiger les projets de constitution française qui ont été adoptés. Qui ne s’adonne pas à l’émeute consent…
C’est donc très léger de poser que l’élection fonde un système régi par la volonté générale. Autant que de poser que son absence empêche l’existence de représentants (légitimes).
"qui dit "représentant" dit personne désignée en connaissance de cause par le mandant."
"[i]Désigné par [/i]le mandant", certainement pas. Il suffit de reprendre le cas du mode de désignation supposé être le plus démocratique, et les arguments les plus classiques parmi ceux que j'ai énoncés concernant le fait que l'élection ne fait pas la volonté générale, donc la légitimité d'un représentant - a fortiori un représentant en général. Monsieur Sarkozy, par exemple, n'a été désigné que par une minorité de citoyens, même au second tour ; au premier tour, par une fraction des votants, et une fraction plus faible encore des citoyens ; ... (au stade de la présélection dans les partis, autant dire que c'est un noyau infiltrant a CIA qui l'a désigné...)
« En connaissance de cause », oui, non pas « avec l’accord préalable ». En outre, l’assentiment (ou la contrainte) associé, la volonté générale si l’on veut, porte plus sur le mode de désignation que sur le choix de la personne du mandataire.
Je suis le représentant légal de ma fille, or elle n’a jamais voté, en particulier sur cette question. Mais comme j’en suis responsable, j’ai naturellement fait le nécessaire pour me faire respecter par elle (sans avoir à lui dire ce que suppose cette responsabilité envers la loi), et je tacherai encore de mériter son respect, car je sais que c’est le meilleur, sinon le seul moyen qu’elle me reconnaisse elle même comme son tuteur, et comme son représentant : de la sorte, elle sait par exemple que « ce ne sont pas les enfants qui décident », mais aussi, elle s’y fait… Ainsi, d’une certaine façon, vu d’elle, c’est « en connaissance de cause » que je suis son « représentant », et j’ai moins de chances qu’elle fasse, sans que je le sache, des choses interdites par la loi, ce qui me ferait condamner à sa place, puisque je suis son représentant d’après la loi (régime d’autorité parentale modifié sous Jospin, pour les couples séparés ayant conçu leur môme alors qu’ils ne vivaient pas ensemble).
Duschmoll est le représentant légal de l’entreprise qui m’emploie, et moi qui suis payé pour servir l’intérêt de cette boite, lequel est défini par les mandataires de Duschmoll, et qu’on licencierait pour faute grave si j’agissais contre ces intérêts, on ne m’a jamais demandé mon avis quand au choix de Duschmoll - pas même quand au mode de désignation en question. Mais j’ai signé, du moins je reste, « en connaissance de cause ».
Les Athéniens, soit parce qu’ils croyaient dans la justice des dieux, soit parce qu’ils voyaient dans le tirage au sort une justice moins pire que d’autres, acceptaient que seuls les citoyens tirés au sort fassent les lois durant leur mandat - que cela soit à l’Assemblée, dans le collège qui préparait les lois ou dans les tribunaux où on pouvait dénoncer lois et législateurs ; or, il est évident que les notions de constitution et même de démocratie avaient de la force dans ce contexte, sans doute plus que dans tout autre, et la loi y valait donc pour tous et le législateur était on ne peut plus légitime. Bref, c’était « les représentants » en la matière. Or ils étaient tous tirés au sort. En connaissance de cause.
Sandy a parfaitement raison quant au fait que c’est l’assentiment - « exprimé » a posteriori ; « volonté » suscitée face au fait accompli - qui définit la volonté générale, non pas le pouvoir de la majorité ou du tout de peser a priori sur le choix. Qu’il s’agisse de l’opération de tirage au sort ou d’élection pour telle mandature ou de l’adoption de la constitution, la légitimité vient de cet assentiment.
Ni le principe de volonté générale ni celui de représentation n’excluent le recours au tirage au sort.
"des personnes tirées au sort ne sauraient avoir la qualité de représentant."
D'après la constitution française en vigueur, oui. Mais en général, non.
À Jacques : on est là pour raisonner pour changer la constitution, pas pour tourner en rond en posant celle-ci comme point de départ et d’arrivée. Par ailleurs, plusieurs personnes, ici, ont assez montré que l’élection n’est pas nécessaire pour établir des représentants, y compris des représentants légitimes. Et bien d’autres ont assez rappelé que l’élection est inégalitaire au point de n’apporter presque aucune légitimité, sans parler de la légitimité de chacun des actes particuliers des représentants en place. Un carton jaune pour mauvaise foi.
Alors qu’il suffit de dire que vous êtes contre le tirage au sort, parce que vous croyez qu’il sélectionne des gens plus incompétents que dans le cas de l’élection, vous invoquez des textes qui ignorent l’option du tirage au sort et vous cherchez à démontrer ce qui ne peut l’être :
- que la légitimité d’un représentant vient de l’élection ; pire, vous étendez l’affirmation au simple statut de représentant ;
- que le tirage au sort fait des représentants illégitimes. En vertu de quoi ? S’agissant de l’adéquation des idées des représentants et des représentés, il est évident que c’est le meilleur mode, en vertu de lois statistiques, de l’égalité réelle du mode de sélection, et du statut plus précaire des tirés au sort, qui les rend bien plus contrôlables, et évidemment révocables puisqu’ils n’ont justement aucun titre à revendiquer pour s’y opposer.
Bref, il s’agit tout au plus de s’interroger sur la compétence des représentants, dans ce cas, comparativement au système électif, pas du reste. Au passage, si le régime exclut l’immense majorité des citoyens au motif qu’ils sont bien moins compétents que leurs représentants, il est évident qu’il ne devrait pas les laisser voter, puisqu’un incompétent ne sait pas évaluer les compétences. Et s’il faut être expert pour faire les lois, il faut l’être pour les comprendre, donc les connaître. Au fait, vous avez vu quelque part, dans la constitution ou la Déclaration, la notion de compétence, de mérite, … ? J’arrête là pour la question des compétences, ce n’était pas l’objet du message et de la discussion.
Si on n’a jamais vu se construire une société démocratique comme Athènes, le tirage au sort a existé à bien d’autres occasions et en d’autres lieux. Zolko a cité quelques cas. Dans plusieurs républiques italiennes de la Renaissance, le processus électif ou le processus constituant incluaient une étape de tirage au sort - les combinaisons étaient de différents types. Récemment, comme Marie l’a rapporté sur ce forum, deux États fédérés du Canada ont recouru au tirage au sort pour composer des assemblées de citoyens charger de rédiger les futures règles électorales. Les conférences de consensus, composés de citoyens tirés au sort (mécanisme partiel dans le mode de composition) sont de plus en plus utilisées. De manière générale, le tirage au sort est employé souvent dans le milieu associatif, dans les assemblées locales de citoyens de toutes natures. Tous sont formels : c’est étonnant, mais ça marche très bien…