Résumé ÉC pour les élections européennes
Mon cher Étienne, merci pour votre résumé-programme 5102.
Les principes et les solutions que vous proposez sont très larges et dépassent de beaucoup à mon avis le cadre d’une simple candidature aux prochaines législatives européennes de juin 2009, même dans la perspective d’une réforme des institutions européennes.
Voici en tout cas - si vous le permettez - les commentaires que ce résumé m’inspire pour le moment (votre texte est en caractères gras):
1) On observe qu’avec le temps, le pouvoir corrompt même les citoyens les plus purs.
2) On observe que le pouvoir a toujours tendance à abuser, que le pouvoir va jusqu’à ce qu’il trouve une limite (Montesquieu)
Ces deux affirmations concernent un seul risque : l’abus de pouvoir.
Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, c’est la vie et les compromis multiples et successifs qu’elle impose. À trois mois, on est innocent, à 70 ans et même à 50, on l’est forcément beaucoup moins. Par conséquent, les citoyens ne sont pas nécessairement plus purs que les politiciens - même en moyenne statistique. Seulement, cette corruption est beaucoup plus dangereuse lorsqu’elle concerne des détenteurs de pouvoir.
Solution institutionnelle : il faut donc faire tourner rapidement le pouvoir, ROTATION DES CHARGES, mandats courts et peu renouvelables.
Solution institutionnelle : il faut donc que le pouvoir arrête le pouvoir : SÉPARATION DES POUVOIRS et contre-pouvoirs à TOUS les étages.
Ce ne sont là que des solutions partielles. Les « contrepouvoirs », c’était bon au XVIIIe siècle, quand on ne disposait pas des moyens matériels voulus, et d’ailleurs les pouvoirs sont toujours un peu complices les uns des autres, même en régime de séparation des pouvoirs.
C’est aux citoyens de contrôler eux-mêmes les pouvoirs au moyen de mécanismes appropriés.
Puisque la démocratie est susceptible d’abus, il faut aussi faire en sorte qu’elle aille avec le respect de l’état de Droit. Une majorité de citoyens, même purs, ne doit pas pouvoir imposer n’importe quelle règle à la minorité.
Par ailleurs, il faudrait introduire (du moins pour les mandats parlementaires et ceux des conseillers régionaux, départementaux et municipaux) le système de la « candidature collective », permettant à plusieurs candidats de se présenter pour exercer conjointement un même mandat en fonction de leur disponibilité - avec le grand avantage que l’exercice des fonctions civiques sera plus largement distribué entre les citoyens, qui n’auront pas à renoncer à leurs activités habituelles s’ils veulent bien remplir leur mandat.
3) On observe que les pouvoirs ont une tendance historique à s’autonomiser.
Ce n’est pas une tendance historique, mais la tendance quasi biologique de tout organisme constitué, et il convient en effet d’en tenir compte.
Solution institutionnelle : il faut imposer la REDDITION DES COMPTES en cours et en fin de mandat, et garantir des procédures d’INITIATIVE POPULAIRE qui permettent aux citoyens de reprendre le contrôle de leurs représentants quand ils le jugent utile : évaluation, jugement et sanction des représentants fautifs doivent être possibles à tout moment, à l’initiative d’un seul citoyen.
D’accord qu’il faut faire jouer à fond le principe de redditionalité.
Révocation d’initiative populaire, pourquoi pas ? Mais certainement pas à l’initiative d’un seul citoyen : d’un certain nombre de citoyens, oui, et dans certaines conditions.
Par contre, les jugements et les sanctions (autres que la révocation) ne doivent pas relever d’une décision populaire (principe de l’état de Droit) : même le tribunal révolutionnaire français avait été créé par la loi et doté d’un statut juridique en bonne et due forme. (Il est vrai que ça n’a pas été le cas des commissions militaires de Guantanamo.)
4) On observe que les hommes ont naturellement tendance à fabriquer des orthodoxies et à s’y enfermer au point de devenir sectaires et oppressives (religions, idéologies politiques comme le communisme, le libéralisme, etc.)
C’est vrai.
Solution institutionnelle : donner une place inattaquable aux pensées dissidentes, protéger les minorités, organiser la MISE EN SCÈNE DES CONFLITS, garantir le droit de parole des donneurs d’alerte (whistleblowers) avec l’ISÉGORIA, droit de parole publique pour tous, À TOUT PROPOS et à tout moment.
Pourquoi ne pas rappeler tout simplement qu’il faut respecter et encourager la liberté d’expression ? Elle vaut pour les dénonciateurs d’abus comme pour les autres, et les tribunaux sont déjà chargés de la faire respecter.
5) On observe que l’élection pousse tous les jours les candidats et les élus à mentir et qu’elle incite fortement les riches à corrompre les élus. On déplore que l’élection donne un avantage décisif aux factions, aux groupements idéologiques soumis à une discipline de pensée et à un chef (l’élection à grande échelle ne peut être gagnée que par un parti).
Analyse correcte, mais elle omet de signaler que les citoyens d’un pays libre ont collectivement la sagacité voulue pour évaluer les diverses situations et voter en conséquence. Faut-il rappeler à ce sujet la phrase de Churchill, que la démocratie est le moins mauvais des mauvais régimes ? C’est exactement de cela qu’il parlait et il me semblait que la question était entendue depuis longtemps.
Solution institutionnelle : remplacer le « tout élection » par le tirage au sort ou, au moins, insuffler une bonne dose de TIRAGE AU SORT dans les rouages électoraux pour dissuader les intrigues (au lieu de les favoriser comme le fait l’élection !).
Cette proposition repose manifestement sur l’illusion à mon sens profonde que la clérocratie (ou gouvernement par des personnes de rencontre) serait une forme de démocratie : mais la clérocratie exclut la démocratie. Dans un système de tirage au sort, qu’on ne s’imagine pas que les citoyens soient représentés : d’autres citoyens qu’ils ne connaissent pas agissent en leur nom, ce qui est en fait le contraire de la représentation. Les citoyens tirés au sort ne représentent qu’eux-mêmes.
Par contre, lorsqu’il s’agit de contrôler simplement l’exercice d’un pouvoir et de publier le résultat du contrôle, le tirage au sort est admissible - sauf si la matière contrôlée est technique et si le contrôle requiert une expertise. De plus, il faut distinguer les fonctions de contrôle à proprement parler de l’exercice d’un pouvoir : lorsque les parlementaires censurent le gouvernement, ils ne contrôlent pas à proprement parler, ils exercent un pouvoir.
6) On observe que la souveraineté politique procède de la souveraineté monétaire. On constate que l’abandon de la création monétaire est l’enterrement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ces deux affirmations sont inexactes à des titres divers. La première sur le fond : car la souveraineté politique, dans un régime démocratique, procède de la nation ou du peuple. Ce qu’on veut dire ici c’est que la Nation ou le peuple ne sont pas en mesure d’exercer complètement la souveraineté politique s’ils ne disposent pas de la souveraineté monétaire. C’est vrai, mais la question n’est pas là : la vraie question est de savoir si la nation ou le peuple ont le droit de déléguer l’exercice d’une partie de leur souveraineté - bien entendu en connaissance de cause et sous réserve de la possibilité de retirer cette délégation. Quant à la seconde affirmation, elle présente un problème de formulation : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une notion du droit international qui concerne uniquement les peuples colonisés. Ici, il s’agit tout simplement de l’exercice de la démocratie (de l’exercice de la souveraineté nationale ou populaire).
Solution institutionnelle : déclarer solennellement, au plus haut niveau, que la SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE EST RIGOUREUSEMENT INALIÉNABLE à quelque force privée que ce soit, nonobstant tout traité ou autre manœuvre déclarée frauduleuse par principe.
D’abord, par « déclaration solennelle au plus haut niveau », il faut entendre : disposition constitutionnelle. Une simple déclaration du président de la République ou du gouvernement n’aurait pratiquement pas de force juridique. Une disposition constitutionnelle prévaudrait en effet sur un traité dans la pratique française.
Mais aucun traité ne peut être déclaré frauduleux par principe, en tout cas de manière unilatérale. C’est le droit des gens (droit international supérieur) qui règle les questions de validité des traités (voir la Convention de Vienne sur le droit des traités). Si la France déclarait un tel principe, les autres États seraient libres d’agir de même à son égard, et de ne pas appliquer tel ou tel traité selon que ça leur conviendrait.
7) On observe que l’information des citoyens, élément décisif de la formation de l’opinion et de la volonté générale, peut être manipulée et circonvenue par l’acquisition des médias de masse (et la subordination des journalistes salariés) par les plus grandes puissances économiques (dont l’intérêt particulier est radicalement contraire à l’intérêt général).
Pleinement d’accord.
Solution institutionnelle : interdire au plus haut niveau toute appropriation privée des médias de masse et, par le moyen d’un financement public et d’une évaluation impartiale, rendre TOUS LES ORGANES D’INFORMATIONS À LA FOIS RESPONSABLES ET INDÉPENDANTS, aussi bien du gouvernement que des entreprises.
Je suppose que là encore on procèderait par voie de disposition constitutionnelle.
« Interdire l’appropriation privée des médias de masse », voilà qui va loin : les médias seront-ils réservés aux pouvoirs publics ? Est-ce vraiment l’intention ?
Il faudra préciser ce qu’on entend par « organe d’information » et « médias de masse ». Il n’est certainement pas question d’interdire au gouvernement de publier le Journal Officiel.
Voilà mon cher Étienne. C’est dire qu’à mon avis ce résumé-programme demande à être consdérablement remanié tant sur le plan des solutions proposées que sur le plan des diagnostics. Si un vrai débat doit avoir lieu, je doute qu’il soit terminé à temps pour le 9 juin prochain - à moins naturellement que les ententes et les dispositions nécessaires soient déjà en place. JR