Nous avons souvent parlé, Raoul et moi, des fondements de la démocratie et il m’a fait plaisir quand il m’a dit hier que notre réflexion sur les statuts d’un mouvement démocratique (principes et articles) l’avait beaucoup intéressé et lui avait inspiré quelques unes de ses propositions. Je crois que Raoul est un pur, un honnête homme. Étienne.
Voici un texte que j’ai envoyé au groupe de travail NPA qui prépare un projet de statuts. Je le mets sur mon blogue parce que je crois que le NPA doit être différent des partis tels qu’ils fonctionnent. Je suis convaincu que le débat politique ne peut plus être réservé à des initiés dans des comités. Je suis convaincu que les statuts de cette nouvelle formation politique constituent un enjeu majeur pour montrer qu’il y a rupture avec des pratiques qui réservent le débat à une minorité et qu’on entend pratiquer en son sein les changements radicaux qu’on veut apporter à la société.
RMJ
Fait extrêmement rare dans l’histoire politique française et en particulier dans celle de la gauche, un parti politique propose de se dissoudre pour intégrer ses membres dans une nouvelle formation politique différente par son projet de société, par son programme, par ses statuts et ses modes de fonctionnement.
Au moment où, dans l’espace politique traditionnellement appelé la gauche, la perte de sens est plutôt la caractéristique dominante, l’initiative de la LCR tranche avec l’enlisement des autres formations. On saura gré à l’équipe dirigeante de ce parti d’avoir ainsi offert une ouverture et suscité une dynamique portant un nom provisoire tout à fait insatisfaisant : Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Le processus de mutation est en cours et il a déjà franchi, avec succès, plusieurs étapes. L’heure est maintenant à l’élaboration des textes qui vont définir la nouvelle formation politique : le projet, le programme et les statuts. Ce sont ces derniers qui motivent la présente contribution. Mon propos est de réfléchir librement à ce que doit être, au XXIe siècle commençant, une formation politique dont l’objectif est la transformation radicale de la société pour mettre fin à l’exploitation de l’humain et de la terre par une minorité qui dispose aujourd’hui d’une puissance colossale.
En la matière, ma conviction, et c’est aussi la leçon que je tire des expériences tragiques faites au nom de valeurs de gauche au siècle passé, c’est que la fin se trouve déjà dans les moyens. Aucune circonstance ne peut justifier qu’on déroge aux objectifs qu’on prétend atteindre. Si l’objectif, c’est la démocratie sociale, elle ne peut justifier le passage par la dictature. Le seul outil de la révolution, c’est la démocratie.
Si on s’en tient fermement à cette loi que les moyens mis en œuvre pour réaliser un objectif anticipent ce que sera la situation une fois l’objectif atteint, alors le dessein ultime doit se retrouver déjà dans les instruments de sa réalisation. Plus précisément, si nous nous prétendons porteurs d’une société différente, la formation politique qui va y conduire doit elle-même se doter dès à présent des caractéristiques de cette société future.
Ce qui signifie concrètement que le degré de démocratie que nous voulons instaurer, nous avons à le mettre dès maintenant en pratique entre nous. Et ne pas prendre prétexte des circonstances du combat politique d’aujourd’hui pour reporter à un avenir encore incertain ce que nous pourrions offrir en exemple dès à présent.
Les partis politiques, tels qu’ils sont organisés et fonctionnent aujourd’hui, y compris à gauche, sont nés au 19e siècle. Ils ont d’emblée reproduit un schéma hiérarchique pyramidal issu du modèle militaire. Même à gauche, l’expérience d’une autre forme d’organisation politique, dont la Commune de 1871 pouvait fournir l’inspiration, n’a pas été retenue. Même les formations politiques qui entendaient changer la société se sont calquées sur les modèles dominants dans cette société.
Plus de cent ans ont passé. Le niveau général d’éducation s’est fortement élevé. Le suffrage universel a été instauré pour les hommes et, avec un retard scandaleux dans le pays qui se prétend la patrie des droits fondamentaux, pour les femmes. Des technologies nouvelles facilitent la circulation la plus rapide de l’information, quel que soit son volume. Un besoin de transparence et de participation s’exprime avec une force qui croît à mesure que la conviction s’installe d’une dépossession plus grande que par le passé de la maîtrise des choix. Le principe de la délégation est poussé jusqu’au point où le sentiment se confirme que s’efface le droit pourtant imprescriptible arraché en 1789 : tous les pouvoirs émanent du peuple.
Et pourtant, nos partis politiques continuent de fonctionner comme avant 1914. Pire, à gauche, s’est maintenue l’idée qu’une avant-garde éclairée détient le pouvoir légitime de décider au nom du plus grand nombre. Le concept de « centralisme démocratique » est venu conférer un habillage théorique soi-disant progressiste à une des pratiques les plus vieilles du monde : l’oligarchie. Ce que la très lucide Rosa Luxemburg avait dénoncé en parlant de « centralisme conspirateur » qui a pour conséquence que « les membres actifs de l’organisation se transforment (…) en instruments d’un Comité central ». Au motif que l’adversaire de droite est fortement centralisé, l’exigence d’efficacité est encore invoquée pour reproduire à gauche cette centralisation de la décision. Et de nouveau, la fin justifie les moyens.
Il faut briser cela et procéder à une mutation qualitative à l’occasion de la création d’une nouvelle formation politique résolument engagée dans le combat pour la transformation sociale. L’équilibre entre démocratie et efficacité n’a jamais été aisé à atteindre et, en fin de compte, c’est toujours la démocratie qui a été sacrifiée. Dans une période récente, les Verts ont échoué à trouver un nouvel équilibre. Il y a donc un défi à relever.
N’ayant ni l’illusion de la pertinence d’un modèle unique, ni la prétention d’être en capacité d’en concevoir un, je me propose d’avancer seulement quelques pistes.
Tout d’abord, pour éviter toute ambiguïté, je tiens à préciser que je conviens parfaitement qu’une formation politique, ce n’est pas une amicale, ce n’est pas un club, ce n’est pas une association et c’est encore moins une assemblée libre. La responsabilité particulière qui consiste à vouloir agir collectivement dans l’espace public crée des obligations de lisibilité et de cohérence vis-à-vis de celles et ceux à qui on s’adresse, dont on sollicite soit l’adhésion, soit le soutien, mais également à l’égard de l’ensemble de la population dont on entend agir sur la destinée. Il s’en suit que la formation à créer rassemble des militants et non simplement des cotisants. Il s’en suit également que les choix qui sont pris doivent engager ceux qui les prennent.
Le premier de ces choix est l’acceptation, dans le respect des courants qui peuvent traverser une même organisation, des décisions prises ensemble et qui engagent tout le monde au terme d’un débat et d’un processus de décision démocratiques. Je considère personnellement comme malsain pour la vie démocratique que le refus du choix majoritaire sur une question de toute première importance n’entraîne pas le départ ou la mise en congé de la formation avec laquelle on est en opposition sur une question capitale. Le spectacle du PS où cohabitent des sociaux-libéraux et des anti-libéraux, des partisans de l’Europe telle qu’elle se fait et des adversaires de cette Europe-là, une cohabitation qui impose la recherche du consensus au travers de synthèses alambiquées, tout cela devrait convaincre qu’une telle cohabitation déforme la vie démocratique où des choix de société contraires doivent s’affronter dans la clarté.
Une fois ce principe cardinal acquis, il y a de multiples façons de sortir de l’ornière dans laquelle les partis politiques ont enlisé la démocratie.
Et tout d’abord au niveau de la sémantique. Car, un mot désigne plus qu’une chose. Il signifie une manière d’être et d’agir. A gauche, le mot « parti » a subi un discrédit considérable. Une conception quasi ecclésiale du parti, poussée jusqu’à la caricature, en a fait une sorte d’abstraction toute puissante, infaillible et immuable. Aujourd’hui, ce qui fait écho au mot parti, ce sont des idées de raideur, de caporalisation, d’autoritarisme, voire d’immobilisme. Au niveau de l’entendement, le concept de parti est à la sociologie des organisations ce qu’un bunker est à l’architecture. Parce qu’ils en sont conscients, certains dirigeants de la LCR proposent l’idée de « parti processus ». Mais n’est-ce pas ainsi qu’on définit un mouvement ? Pourquoi ne pas franchir le pas et qualifier la nouvelle formation politique de « mouvement » ? Ce qui a le mérite non seulement de se détacher du mot « parti », mais aussi d’inviter à partager une dynamique.
Un spectre hante beaucoup de femmes et d’hommes qui pourraient rejoindre la nouvelle formation politique proposée par la LCR : le centralisme dit démocratique conférant en fait le pouvoir réel à une avant-garde prétendument éclairée. Le centralisme n’est pas une condition nécessaire à la démocratie. Mais il est certainement un moyen de confiscation de la démocratie. Un moyen qui satisfait l’inclination naturelle des humains à la concentration du pouvoir.
Nul ne peut se tromper : le mode de fonctionnement de la nouvelle formation politique constitue une question majeure qui va conditionner le choix final de beaucoup. Certes, et je l’ai moi-même découvert, on connaît trop peu le caractère démocratique du fonctionnement actuel de la LCR. A tort peut-être, la LCR est perçue comme un parti rigide et caporalisé. Cela étant, même en ne regardant que sa réalité, le fonctionnement actuel de la LCR ne peut satisfaire les exigences de démocratie qui animent beaucoup de celles et de ceux qui observent avec curiosité, sinon sympathie, le processus en cours.
Il n’y a pas de système parfait. On peut remplacer le centralisme par le fédéralisme. Celui-ci apporte de nombreux avantages, mais aussi quelques inconvénients. Ainsi, comment donner au droit de tendance sa pleine existence dans une formation dont la structure est celle d’une fédération sans que cela aboutisse soit à la marginalisation totale d’une tendance, soit à l’identification d’une structure fédérée avec une tendance dominante dans cette structure ?
Je suggère l’empirisme. En partant du principe qu’à tout pouvoir, il faut un contrepouvoir, en intégrant dans le fonctionnement de notre mouvement les pratiques que nous voulons instaurer dans la démocratie future, on peut dessiner un fonctionnement qui donne davantage qu’aujourd’hui satisfaction aux exigences de transparence, de représentativité, de responsabilité et de contrôle.
Je propose donc que le mouvement politique que j’appelle de mes vœux s’organise comme suit :
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des comités locaux : ils constituent la base démocratique du mouvement : tous les pouvoirs aux comités locaux !
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des comités départementaux composés de délégués des comités locaux
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des comités régionaux composés de délégués des comités locaux
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un conseil national composé de délégués des comités locaux
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un bureau national désigné par le conseil national et composé paritairement hommes/femmes
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un congrès constitué d’une représentation élargie de chaque comité local.
Sur [b]la portée de la délégation[/b] (celle conférée par les comités locaux, comme celle conférée par le conseil national) :
a) les délégués sont désignés pour cinq ans,
b) le mandat de délégué auprès d’une même instance ne peut être détenu par une même personne qu’au maximum deux fois,
c) il ne peut y avoir cumul de délégations (les délégués locaux au comité départemental, au comité régional et au conseil national sont des personnes différentes),
d) le mandat est impératif,
e) le délégué est révocable soit par le comité local, soit pour le bureau national par le conseil national, selon des modalités à inscrire dans les statuts qui définissent les conditions de la révocabilité pour l’ensemble du mouvement.
Les règles applicables aux délégués au sein du mouvement s’appliquent également à ses élus dans les institutions de la République.
Les comités locaux, départementaux et régionaux se réunissent au moins une fois par mois. Le conseil national se réunit au moins une fois par trimestre. Le bureau national se réunit chaque semaine. Le congrès se réunit tous les cinq ans, sauf si le conseil national en décide autrement.
Les décisions se prennent à la majorité absolue (50% + 1) des présents. Toutefois, une majorité qualifiée (60% + 1) est requise pour modifier les statuts qui doivent non seulement consacrer l’organisation et le mode de fonctionnement du mouvement, mais également la conception de la société que nous voulons construire.
Les comités locaux, départementaux et régionaux sont compétents pour les matières de leur ressort. Les délégués qui constituent les comités départementaux et régionaux doivent rendre compte de leurs choix à leur comité local respectif. Les comités départementaux et régionaux n’ont aucun pouvoir de tutelle sur les comités locaux.
Le conseil national est l’organe compétent pour l’ensemble du mouvement entre deux congrès. Il veille à la mise en œuvre des grandes orientations du mouvement, de son programme politique, de ses options électorales, de ses actions concrètes en vue de la transformation sociale et écologique de la société. Il crée les groupes de travail nécessaires. Il accorde une attention particulière à la formation permanente des militants. Il contrôle la manière dont le bureau national met en œuvre ses décisions et respecte les orientations choisies.
Le bureau national est chargé de la mise en œuvre des décisions du conseil national. Dans le respect des orientations et des choix du mouvement, il inscrit au quotidien l’action de celui-ci dans la vie politique et sociale nationale, européenne et internationale. Il désigne en son sein des portes parole (à parité hommes/femmes). Ceux-ci expriment les orientations et les choix du mouvement. Pour être suffisamment connus du public, ils représentent le mouvement dans les médias, les grands meetings, les manifestations nationales. Mais ils sont à égalité de droit avec les autres membres du comité national. Ils bénéficient d’un tiers temps voire, exceptionnellement d’un mi-temps, pris en charge par le mouvement.
Les permanents politiques ne peuvent l’être que cinq ans consécutifs.
Le congrès, émanation directe des comités locaux, est l’instance suprême du mouvement. C’est lui qui, sur proposition des comités locaux, arrête les grandes orientations du mouvement, qui définit son programme politique, qui décide de ses options électorales et des actions concrètes en vue de la transformation sociale et écologique de la société.
Le droit de tendance est reconnu. Les militants peuvent se regrouper en affinités définies lors des débats qui précèdent le renouvellement des instances du mouvement. Un budget est alloué sur une base proportionnelle à chacune des tendances.
Sont développées les horizontalités militantes avec des groupes de travail disposant d’un minimum de moyens pour les déplacements et l’édition de leurs travaux.
Tous les militants reçoivent les procès-verbaux de leur comité local, de leur comité départemental, de leur comité régional, du conseil national, du bureau national et des groupes de travail. Tous les documents soumis au conseil national et au bureau national sont disponibles sur le site internet du mouvement. Les techniques de communication les plus modernes sont utilisées pour permettre la participation de chaque délégué aux réunions de son instance, même s’il ne peut être physiquement présent (téléconférence, skype, …).
Je me suis efforcé d’écraser au maximum la pyramide. Il n’y a en fait que deux niveaux : le local et le national. Les niveaux intermédiaires dépendent du niveau local et ne filtrent pas la volonté des comités locaux.
Je me suis efforcé de briser la «professionnalisation » des délégués (et des élus), de partager les responsabilités et de favoriser la rotation des responsables : deux mandats consécutifs au maximum ; pas de cumul.
Je me suis efforcé d’accentuer l’obligation de rendre des comptes et de responsabiliser les délégués (et les élus) : le mandat est impératif, les délégués (et les élus) sont révocables.
Je me suis efforcé de renforcer la transparence : tous les militants ont accès à tous les documents et sont informés de toutes les décisions.
Je me suis efforcé de respecter le pluralisme interne : le droit de tendance est reconnu. L’horizontalité est développée et encouragée.
Je me suis efforcé d’éviter que le droit de tendance ne paralyse la capacité de décider : les décisions se prennent à la majorité absolue (sauf pour les statuts qui doivent s’appuyer sur un assentiment plus large).
En un mot, je me suis efforcé de concilier démocratie et efficacité.
Le débat sur les statuts du NPA a commencé. Je veux croire que les propositions que j’avance seront soumises à la discussion.
Raoul Marc Jennar
chercheur et militant antiglobalisation
aspirant NPA
Source : http://rmjennar.free.fr/?p=473