[b][size=15]Ils vont presque tous vous dire : “Votez pour nous, on va changer l’Europe”.
C’est faux : le Parlement européen est impuissant[/size][/b]
Le Parlement européen est la seule institution de l’Union européenne (UE) désignée au suffrage universel direct. Ses membres sont élus tous les 5 ans, depuis 1979. Mais c’est une instance très faible.
Le Parlement européen n’a pas de réel pouvoir politique : ses initiatives n’ont pas valeur contraignante ; il est mis à l’écart dans tous les domaines importants ; dans les autres, il ne peut jamais imposer ses choix, à quelques exceptions près… et à la majorité des deux tiers. Il n’exerce pas de vrai contrôle politique.
Le Parlement européen ne peut pas nous rendre le pouvoir de changer les règles de l’Union européenne. Seuls les Chefs d’États et la Commission peuvent initier une modification des traités – le Parlement européen est alors simplement consulté –, puis ce sont les gouvernements qui négocient (TUE 4, 48 (1)). Tout ce qui sera voté au final (très rarement par les citoyens, qu’on fera revoter s’ils « votent mal ») pour fixer le « droit du droit » aura été proposé par des ministres, des technocrates et, inévitablement, par des lobbies, dès lors que ces institutions qui écrivent les règles de leurs propres pouvoirs sont à la fois puissantes et incontrôlées.
Des traités imposant depuis 30 ans la politique ultra-libérale qui nous a menés dans le mur :
- interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux entre États Membres (ÉM) et pays tiers (TICE 56) ;
- interdiction de battre monnaie pour les pouvoirs publics (TICE 101),
- indépendance de la Banque centrale européenne (TICE 108), stabilité des prix prioritaire, dette et déficit plafonnés (TICE 4, 104) ;
- services publics soumis aux règles de concurrence – charge à on ne sait qui d’assurer leurs missions particulières (TICE 16, 86-2), les seuls qui légifèrent sont politiquement irresponsables et les juges leur doivent leurs carrières ;
- interdiction des aides aux entreprises qui affectent les échanges entre États Membres et la concurrence (…) sauf rares dérogations… non décidées par le Parlement européen (TICE 87 - 89) et qui ne doivent pas fausser la « liberté d’établissement » des « investisseurs » (TICE 44h).
- Produits traités comme s’ils étaient fabriqués dans l’UE dès lors qu’un seul ÉM les a importés (TICE 23-2).
- Haut degré de compétitivité (TICE 2) à la faveur de l’ouverture des marchés publics et de l’élimination des obstacles juridiques et fiscaux (TICE 163-1,2)… en vue d’accroissement des échanges (TICE 3, 131)… et marchés du travail aptes à réagir rapidement (TICE 125 à 127).
- « Libération » des services (TICE 53), banques comprises (TICE 51) ;
- investisseurs européens traités comme des nationaux (TICE 294) tandis que les règles du marché commun ne doivent pas compter de dispositions fiscales ou relatives aux droits et intérêts des travailleurs (TICE 157). L’avis conforme du Parlement européen est requis pour modifier certains articles des statuts de la BCE… mais ne sont concernés que des dispositions minimes ;
- sont réservées toutes les plus décisives (TICE 107-5,6 ; protocole statuts SEBC). Le PE est consulté avant modification des statuts de la CJCE… sauf pour celui des juges et des avocats généraux (TICE 245).
Quand l’UE signe elle-même des traités internationaux, qui lient ses institutions et celles des États Membres (TUE 24-6, TICE 111-3), le Parlement européen est consulté… – il ne l’est même pas s’il s’agit de commerce (TICE 133), de politique monétaire (TICE 111-3) ou de défense et de sécurité commune (PESC) (TUE 24, 27). Certes, il a un droit de veto dans les matières où il « co-décide » (voir plus loin), et son avis conforme est aussi requis lorsqu’il s’agit d’accords « constituants » (TICE 310) mais, une fois ratifiés de nouveaux châteaux institutionnels, tels l’OMC, le PE n’est plus consulté, ni pour fixer les positions de l’UE ni pour s’en retirer (il faut pour cela l’unanimité des États Membres !), ni si le Conseil accepte une « modification simplifiée » (…) On peut le faire voter en urgence. Il ne contrôle pas les négociateurs. (TICE 300)
Les initiatives du Parlement européen n’ont pas valeur contraignante (sauf pour fixer le mode d’élection, le statut et les droits de ses membres (TICE 190) ou nommer ou démettre le médiateur européen (TICE 195) Le Parlement européen peut demander à la Commission… (TICE 192) qui peut rejeter ses propositions (elle a ainsi rejeté 6 demandes de directives sur les services publics). Ceux qui peuvent proposer décident de ce qui peut se faire ou non : qu’est-ce qu’un élu privé d’initiative, surtout quand il devient urgent et si capital de virer de bord ? …
La Commission a le monopole de l’initiative pour la plupart des actes législatifs (l’initiative des gouvernements intervient dans quelques domaines ciblés). Or, quand un acte est proposé par la Commission : le Conseil ne peut soutenir un projet différent qu’à l’unanimité, y compris les amendements proposés par le Parlement européen dans les cas où il est « codécideur », si la Commission s’y oppose (TICE 250 à 252) ; la majorité qualifiée au Conseil nécessite alors la moitié des États Membres, tandis qu’il faut au moins deux tiers des États Membres sinon (TICE 205-2). La procédure de codécision est très longue ; le Conseil peut invoquer l’urgence ; … Même quand le Parlement européen a un pouvoir d’amendement, soit dans les matières secondaires, il reste « sous tutelle », et il ne peut guère que valider ou refuser, la plupart du temps, ce que la Commission propose.
Or ce sont des pavés d’une complexité inouïe qui parviennent aux députés, lesquels en sont réduits, la plupart du temps, à voter aveuglément selon les consignes établies au sommet des partis, voire à solliciter eux-mêmes le « conseil » des lobbies. Après 5 ans, la plupart de leurs assistants deviennent si connaisseurs des labyrinthes de la Commission qu’ils vont y travailler ou vont offrir leurs services à des groupes d’intérêt…
Le Parlement européen a un faible pouvoir sur le budget. Il ne décide pas des recettes ; il est consulté pour déterminer le système des ressources… (venant des ÉM) (TICE 269, 279). Il peut proposer des amendements, mais il arrête le budget à la majorité des trois cinquièmes des votants et il lui faut deux tiers des votes pour rejeter le projet (TICE 272).
Le Parlement européen ne peut jamais donc imposer ses propres choix. Cela tient aussi et surtout au fait qu’il n’exerce pas de réel contrôle sur les institutions principales de l’UE : Commission, Conseil, CJCE, BCE – qui cumulent chacune plusieurs types de pouvoirs, entre législatif, exécutif et judiciaire (fondement tyrannique).
La Commission et son président ne sont pas choisis par le Parlement européen : celui-ci les approuve après qu’ils aient été désignés par les Chefs d’État ou de gouvernement - le président d’abord, puis la Commission comme collège (« en bloc ») (TICE 214-2).
Le Parlement européen peut censurer la Commission… à la majorité des deux tiers des votes, et seulement pour mauvaise gestion (application des traités) (TICE 201). Il ne s’agit donc pas d’un contrôle politique. Il est d’ailleurs stipulé que les membres de la Commission exercent leurs fonctions en pleine indépendance et ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucun organisme (TICE 213-2). C’est à la Commission d’assurer elle-même la cohérence, l’efficacité et la collégialité de son action (TICE 217).
Les juges et avocats généraux de la CJCE et les membres du Tribunal de première instance doivent leurs carrières aux mêmes exécutifs qui, à Bruxelles, exercent, développent et émancipent leurs pouvoirs : ils sont nommés par les gouvernements et ont, qui plus est, un mandat court (6 ans) et renouvelable (TICE 223, 224) ! La CJCE devrait pourtant être soigneusement séparée des gouvernements, à la fois parce qu’elle doit pouvoir juger la corruption mais aussi les empêcher de développer et d’émanciper leurs pouvoirs (tendance naturelle) et parce qu’elle a elle-même un pouvoir immense : celui d’interpréter les traités UE ; celui de juger de la légalité des actes des États Membres, des institutions, fonctionnaires et agents de l’UE (TUE 35-1, TICE 220, 234) ; sa jurisprudence fait loi pour toutes les juridictions, nationales et locales, dans l’UE. Il n’est donc pas étonnant que la CJCE ait, depuis des décennies, soutenu et développé elle-même une législation ultra-libérale, mais également étendu de son propre chef les pouvoirs de l’UE – en conduisant les « lois de l’UE » à s’imposer y compris sur les constitutions des États Membres et à ordonner non plus simplement à des États mais aux personnes directement (depuis ses deux fameux arrêts de 1963-64).
La BCE est indépendante (TICE 108). Dès lors, il importe assez peu que le PE soit consulté pour la nomination de son directoire (TICE 112-1b), que la BCE lui fasse rapport d’activité annuel sur la politique monétaire et que les membres du directoire de la BCE puissent être entendu par des commissions parlementaires à la demande du PE (TICE 113-3).
Le Parlement européen ne peut pas faire valoir de droit particulier à l’information, surtout à temps – sauf rares cas prévus – (ensuite, les décisions, déclarations et autres explications de vote sont rendues publiques) ; de même pour les élus nationaux, qui sont avertis en temps et en mesure utiles… si le Conseil juge qu’il agit en tant que législateur et que cela ne nuit pas à l’efficacité des négociations (TICE 207-3 ; protocole rôle parlements nationaux]. Voilà comment on a caché durant des années un projet de directive « Bolkestein » dont les chefs de gouvernements faisait pourtant la priorité n°1, ou comment les « offres » faites à l’OMC sont tenues secrètes jusqu’à ce qu’il soit trop tard (marche arrière interdite).
Le Parlement européen peut, constituer une commission d’enquête, mais selon des modalités déterminées d’un commun accord par le Parlement européen, le Conseil et la Commission, et sans préjudice des attributions des autres institutions (TICE 193]. Le secret professionnel du personnel politique (et autre) de l’UE est étendu, même après la cessation de fonctions, aux renseignements sur les entreprises, leurs relations commerciales et prix de revient (TICE 287)…
Le Parlement européen nomme le médiateur européen, mais cette instance est politiquement indépendante, c’est de rigueur (TICE 195).
Le Parlement européen est seulement consulté avant nomination des membres de la Cour des comptes, élus pour un mandat de 6 ans renouvelable, et il ne contrôle pas leurs conditions d’emploi (TICE 247).
Le Parlement européen ne décide pas des rémunérations et pensions des membres de la Commission, de la CJCE, du Tribunal (TICE 210) et de la Cour des comptes (TICE 247), ni du statut des fonctionnaires et autres agents de l’UE (TICE 283) de leurs privilèges, immunités (TICE 291) ni des impôts qu’ils versent (art. 13, 15 et 16 protocole privilèges et immunités CE).
Le Parlement européen est mis à l’écart de presque tous les domaines de compétence exclusive de l’UE : PESC (TUE 3, 11, 13 ; TICE 296, 301, 302) (il est consulté sur les principaux aspects et les choix fondamentaux (TUE 21, 27D), politique monétaire (TICE 105 - 108, 111, 120), politique commerciale commune (TICE 26, 132 - 134), politique économique commune (TICE 99 - 100) (sauf arrêt des modalités de la surveillance multilatérale), règles du marché intérieur et de concurrence (TICE 14) (il est juste consulté pour les actes concernant les pratiques concertées et abus de position dominante des entreprises (TICE 83) le rapprochement des dispositions législatives, administratives, fiscales des États Membres qui ont une incidence directe sur le marché commun, y compris celles relatives à la libre circulation des personnes et aux droits et intérêts des salariés (TICE 94, 95-2), capitaux et paiements internationaux (TICE 57, 60). Il n’est pas non plus impliqué pour juger des déficits des États Membres (« critères de Maastricht ») et décider de sanctions ou avertissements le cas échéant (TICE 104), pour statuer sur l’acceptabilité des aides d’États aux entreprises (TICE 88), (il est consulté pour l’arrêt des règlements en la matière (TICE 89). Il est simplement consulté pour la libéralisation de services (TICE 52). Quant aux règles de fiscalité sur les entreprises, elles ont été déjà arrêtées (au 31/12/1992) (TICE 14, 93).
Ceux qui y ont le pouvoir dans l’UE sont irresponsables. Par ailleurs, l’UE a mission de gérer un marché, le commerce, une monnaie, … mais n’a que des compétences de « soutien » sinon, donc rien à assumer "socialement“. Conséquence particulière : apolitisme, idéologie de marché, et un lobbying congénital. Les groupes d’intérêts sont carrément assimilés par l’UE à la société civile ; il y a à Bruxelles (et à Strasbourg, à présent) près de 20 000 lobbyistes (pour 25 000 fonctionnaires à la Commission et 785 députés) qui sont à l’origine de plus de 90% des directives…
(1) [i]Références aux traités en vigueur (traité de Nice) : Traité sur l’Union européenne (TUE), Traité instituant la Communauté européenne (TICE), plus 36 protocoles et plusieurs annexes.
Les projets de ultérieurs (« TCE » ; traité de Lisbonne), rejetés, accroissaient relativement les pouvoirs du Parlement européen dans nombre de matières, mais ces améliorations ne donnaient toujours pas de pouvoirs décisifs au Parlement européen . Nous pensons que le rejet de ces projets s’explique surtout par celui des traités UE en général, une fois évalués (après Maastricht), rejet d’un système UE profondément antidémocratique, voire totalisant (dans le sens du « marché »).
TCE ; traité de Lisbonne
UE : Union européenne
ÉM : États Membres
TUE : Traité sur l’Union européenne
TICE Traité instituant la Communauté européenne
CJCE : Cours de justice
BCE : Banque Centrale Européenne[/i]