La Vème République et l’Union européenne permettent une dictature qui ne dirait pas son nom,
il serait temps de s’en apercevoir
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La Constitution de 1958 a été voulue par de Gaulle en temps de guerre, avec le soutien actif de l’armée, et sans vrai débat. On peut admettre qu’un pouvoir fort était nécessaire en ces temps troublés.
Mais si ce général était autoritaire et mégalo, il avait, lui, une parole, ce qui constituait une réelle protection pour ses électeurs, mais une protection, on le voit, bien éphémère (pas institutionnelle, précisément) : aucun de ses successeurs n’a été assez vertueux pour éviter la dérive autocratique que ces institutions permettent.
Jacques, je ne comprends pas que vous ne le voyiez pas : entre deux élections, il n’y a, pour nous tous, AUCUN moyen de résister à l’oppression d’un gouvernement qui deviendrait progressivement autoritaire, faute de contre pouvoirs.
Vous dites :
JR : Pour ma part, je trouve le système actuel bien préférable à tous les systèmes présidentiels (notamment l’américain) et parlementaristes (genre IVe république ou britannique) : en tout cas, du point de vue démocratique. J’en veux pour preuve que sur des questions majeures (la guerre d’Iraq, notamment), le régime britannique gouverne contre son peuple, et le régime américain à l’écart de lui sinon directement contre lui. Je ne souhaite ni la dictature présidentielle ni celle d’un ou deux partis.
ÉC : Jacques, ne voyez-vous pas, en France, tout ce que le gouvernement actuel fait, lui aussi, contre son peuple, ouvertement, caricaturalement ? C’est vrai que vous vivez loin d’ici, mais vous semblez pourtant assez proche de notre vie politique. Je suis étonné de ce paragraphe. Aux USA, par exemple, la procédure du recall (révocation d’un élu sur initiative populaire) permet de résister. Rien de tel en France, à l’évidence.
Il n’est que de se rappeler quelques épisodes récents pour illustrer cette thèse du pouvoir-irresponsable-dès-qu’il-a-décidé-de-plus-rendre-aucun-compte-à-son-peuple : le coup de force des retraites, celui du CNE, celui du CPE, celui surtout des institutions européennes bâties depuis cinquante ans sans jamais nous consulter honnêtement sur le radical transfert de souveraineté qu’elles réalisent en douce.
Non Jacques : je crois que la situation est sensiblement la même, sur le plan démocratique, dans tous ces pays occidentaux : la démocratie y est largement de façade, les journalistes y sont de moins en moins indépendants, et la France est en tête de peloton pour le risque d’abus de pouvoirs impunis.
[i]JR : Le système français actuel me paraît présenter deux grands avantages qui malheureusement (la mémoire collective se perdant) font de plus en plus souvent, dans l’opinion, figure de défauts :[/i]
[i]- Le double exécutif - l’un contrôlant l’autre : et j’espère bien, en effet, qu’on ne reviendra pas sur l’élection du président de la république au suffrage universel;[/i]
[i]- La possibilité de cohabitation - moyen d’éviter les blocages et de forcer les politiques au compromis, chose qui manque traditionnellement dans la vie publique française.[/i]
ÉC : En cohabitation, il n’y a pas contrôle, pas débat, il y a plutôt gêne et blocage (comme en régime présidentiel quand exécutif et législatif sont de bords différents). On pourrait analyser la cohabitation comme un aveu de régression de la démocratie en ceci que la confrontation ne se passe pas au bon endroit : ce devrait être au Parlement que les débats et les oppositions trouvent leur expression et leur dénouement, pas au Gouvernement. Mais il est vrai que la 5ème donne tant de pouvoirs, y compris des pouvoirs législatifs, au Gouvernement, la confusion des pouvoirs qu’elle organise dans les mains de l’exécutif y est si générale, qu’on peut trouver quelque avantage palliatif à cette incongruité (unique au monde ?) qu’est la cohabitation.
[i]JR : Le système de la Ve république est celui qui, en France, a le plus permis au peuple d’intervenir et de décider directement : ne l’oublions pas.[/i]
ÉC : Vous avez tort de présenter cette consultation populaire comme un droit, car elle n’est qu’une éventualité qui dépend du fait du prince, du bon vouloir, du caprice, des calculs d’un homme seul et hors contrôle. Dans le cas du T"C"E, on nous a consulté, c’est vrai, mais ce n’est nullement à notre initiative, et nous aurions fort bien pu en être privés.
Ils sont même nombreux, les félons, à avoir même publiquement regretté de nous avoir posé la question… Comment montrer plus clairement qu’avec ces regrets publics scandaleux comme la démocratie est en danger ? On aurait pu éviter de nous questionner sur cette question, pourtant décisive pour nos libertés, parce que, précisément, les institutions françaises, félonie parmi les félonies, permettent au Président et aux députés de modifier eux-mêmes la Constitution sans demander confirmation au peuple, peuple proclamé souverain avec tambours et trompettes mais peuple traité, en fait, tous les jours, comme un paillasson servile tout juste bon à financer les rentes politiciennes de ces messieurs (Lire « La bulle de la République », de Claude Lévy, sur l’incroyable fromage des sénateurs).
Aucun régime moderne prétendument « démocratique » n’est moins démocratique ni plus dangereux que la cinquième République où le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est réduit au rang de fiction, il faut arrêter de se prosterner devant ce texte comme de vieux adorateurs de la bible pour la seule raison qu’elle serait un régime stable : Pinochet et Franco ont institué des régimes très stables… En matière de démocratie, cet argument seul ne vaut rien.
Quels sont les moyens pour les citoyens de décider eux-mêmes de leur sort quand ils le souhaitent ? Quelle est la fiabilité, l’honnêteté, de l’information garantie aux citoyens ? Quels sont les lieux de participation des citoyens à la vie de la Cité ? Voilà les questions centrales, décisives, cher Jacques, en convenez-vous ? Je suis sûr que oui, mais ça va mieux en le disant.
La démocratie suppose un combat permanent pour la liberté des hommes, elle puise sa force protectrice dans sa propre remise en cause systématique, par principe, par hygiène. Elle n’est jamais aboutie, presque par définition, toujours en danger, condamnée à progresser ou disparaître.
Et la cinquième République, celle qui, écrite par un futur Président qui se taillait ainsi un costume sur mesure, permet à l’exécutif de traiter les parlementaires comme des carpettes symboliques, celle qui consacre un ‘roi républicain’, celle qui réduit les ‘citoyens’ actifs à des ‘électeurs’ passifs, totalement captifs entre deux élections, celle qui ne nous permet pas de résister à l’oppression autrement que par l’insurrection, cette cinquième République est simplement haïssable sans un homme comme de Gaulle à sa tête.
[color=red]Nos représentants ne sont pas des saints, même par la grâce du suffrage universel. Je ne les vénère pas comme des idoles. S’ils sont très précieux, ils sont aussi très dangereux et c’est folie de nous laisser limiter seulement à les choisir et de renoncer à les punir.
• La démocratie est sans doute le pouvoir d’élire, l’élection pariant sur l’avenir, avec évidemment un risque d’erreur.
• Mais c’est aussi, surtout et très essentiellement, de surveiller, de juger, de noter, et de sanctionner, la révocation constatant le passé avec une bien meilleure fiabilité que l’élection qui est forcément un pari.
Or, ce rôle de citoyen juge, de citoyen censeur, on nous l’a volé. On ne nous a laissé que le rôle de citoyen électeur, nécessaire mais pas suffisant. [/color]
Et l’élection joue bien mal le rôle de sanction qu’on prétend lui conférer pour solde de tout compte, surtout sans possibilité de protester par un vote blanc reconnu.
Cette privation de notre rôle essentiel de censeurs, on la doit aux mêmes qui exercent le pouvoir et qu’on a laissé écrire les règles du pouvoir : c’est bien notre faute.
C’est par notre indifférence (notre négligence ?), notre excessive confiance, notre oubli de la très nécessaire méfiance, que les cratocrates, voleurs de pouvoir, ont pu écrire eux-mêmes la Constitution et ne nous laisser qu’une apparence de démocratie, une coquille vide, un décor, une supercherie.
Et quand Rosanvallon rappelle de façon lumineuse les pensées des nos aïeux qui, depuis 2 500 ans, d’Aristote à Castoriadis, en passant par Mirabeau, Sieyès ou Montesquieu, affirment, théorisent et organisent le très nécessaire rôle de défiance et de surveillance que doivent jouer TOUS les citoyens, cet historien nous aide à bâtir une armurerie intellectuelle contre les abus de pouvoirs. À nous de nous en emparer.
Mais il manque à cette armurerie sa clef de voûte : Rosanvallon ne dit presque rien de la nécessaire inéligibilité des constituants, cette précaution élémentaire qui me semble pourtant, vous le savez, aussi décisive qu’évidente : si on laisse les hommes candidats au pouvoir écrire eux-mêmes les règles qui limiteront leurs pouvoirs, on a bâti de grandes et belles théories pour rien, elles se seront jamais appliquées pour la bonne raison que ceux qui écrivent les règles n’ont alors aucun intérêt à ce que ces grandes théories soient appliquées : ils vont subrepticement tricher, à chaque article de Constitution, les vider de toute efficience et permettre aux différents représentants élus ou nommés de contourner les contrôles et les sanctions.
Il faut donc lire Rosanvallon et ajouter nous-mêmes à son œuvre le point cardinal qu’il n’a pas vu ou pas voulu voir : le pouvoir constituant doit être radicalement rendu étanche (par nous, pour nous protéger) des pouvoirs constitués : l’Assemblée Constituante doit être élue pour la seule tâche d’écrire notre Constitution et tous ses membres doivent accepter de devenir inéligibles, par le fait du rôle central et historique qu’il viennent de jouer pour la Cité en écrivant le droit du droit.
Voilà une séparation des pouvoirs dont on ne parle pas assez : celle entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués.
Y aura-t-il assez de citoyens avisés et prêts à jouer ce rôle de constituants interdits de pouvoir ultérieur ? Nous sommes des millions. Je suis sûr qu’il y a des milliers de citoyens politisés, mais pas encartés, candidats à rien, qui seraient prêts à jouer ce rôle de constituants sans jamais briguer le moindre pouvoir.
Mais il faut recruter ces citoyens constituants ailleurs que dans les partis qui se composent essentiellement d’hommes proches du pouvoir : les socialistes me disent souvent que presque tous les adhérents du PS sont des élus ou des candidats (en plus d’être très âgés, plus de 60 ans de moyenne d’âge, paraît-il)… Je ne sais pas si la situation est aussi marquée dans les autres partis, mais ce ne serait pas étonnant. Ce n’est d’ailleurs pas du tout infamant, à l’évidence : l’action politique a naturellement tendance à exercer le pouvoir et c’est très bien ainsi.
Mais les autres, ceux qui n’auront pas le pouvoir et qui ont à craindre les pouvoirs, ceux-là devraient s’emparer de la Constitution, leur Constitution, pour se protéger efficacement contre les cratocrates, toujours possibles, plus que probables : certains.
En plus, pour l’Europe comme pour la France, je trouve intéressante l’idée de rédiger plusieurs projets et de les comparer, de les débattre, pour enfin choisir le meilleur.
Certes, c’est du travail, mais quel travail ! Enfin des hommes debout qui s’emparent du texte essentiel…
Pardon d’avoir été si long