À propos du projet de 6e République d’Arnaud Montebourg et Bastien François :
(Pour une analyse globale d’un projet alternatif, je n’ai pas touvé de meilleur thème de discussion que celui-ci (comment déclencher un processus constituant) : l’idée d’écrire carrément une Constitution d’origine citoyenne nous oblige à faire le tour (rapide) des principales caractéristiques d’un projet : ça risque de faire des messages très longs… On verra si c’est praticable. J’ai essayé de respecter un style rapide sans bla bla).
Je vous conseille d’acheter ce livre : il est un bon exemple de la forme que pourrait prendre notre propre projet final (articles brièvement commentés) et de plus, il nous aidera tous, sans doute, à fixer nos idées, par adhésion ou par réaction.
Je n’ai pas fini le livre de Montebourg et François, mais j’ai déjà noté :
• Article 2 :
La France participe aux Communautés européennes constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont institués, d’exercer en commun certaines de leurs compétences.
Dans ce cadre, elle consent aux transferts de souveraineté nécessaires à la mise en oeuvre de ces traités.
On constate ici la trace de l’habitude, prise depuis des décennies, voire des siècles, d’abuser du pouvoir de représentation : le
transfert de souveraineté par traité, sans l’accord direct des peuples concernés, est tout à fait emblématique de la tendance lourde qui consiste, pour les « représentants » du peuple, à s’affranchir de tout contrôle populaire effectif. Ici, le chèque en blanc est institutionnalisé. Inacceptable.
• Par ailleurs, on retrouve (art. 75) la prééminence de principe des règlements européens sur les lois françaises et leur applicabilité automatique, toujours sans le moindre contrôle populaire.
Cet article 2 me hérisse, comme l’a fait le TCE. Programmer ouvertement de tels chèques en blanc en dit long, je trouve, sur les contrôles populaires que l’on compte institutionnaliser par ailleurs dans le projet.
• Dans le même sens, il n’y a [bgcolor=#FFFF99]pas de référendum d’initiative populaire[/bgcolor] dans le projet AM-BF.
Seule une cousine de l’humiliante pétition du TCE est prévue (art. 37), avec de nombreux verrous qui permettent à presque tous les corps constitués de bloquer l’initiative : Président, Cour constitutionnelle, et finalement les deux assemblées qui écriront (peut-être, si elles le veulent bien) la loi. Autant dire qu’aucune initiative populaire ne pourra diminuer ou limiter les pouvoirs d’un corps constitué.
Autre verrou important, le nombre minimum de pétitionnaires : 10% des inscrits !, ce qui fait environ 4 millions de personnes pour la France (en Italie et en Suisse le seuil est, en gros, compris entre 1 et 3% des inscrits). C’est une façon discrète mais efficace de rendre théorique le contrôle populaire et de s’en affranchir, en fait.
• [bgcolor=#FFFF99]Les votes blancs ne sont toujours pas décomptés, et encore moins interprétés[/bgcolor] (du moins, à ce que j’ai lu).
• Aucun contrôle du respect des programmes et promesses électorales n’est prévu. Le mandat impératif est toujours interdit. (art. 26)
• Rien sur le contrôle des médias, notamment sur la direction des chaînes de télévision et de radio publiques.
Rien non plus sur l’appropriation de la presse par les industriels.
• Non renouvellement des mandats : le nombre de mandats successifs est limité à trois (art. 23), ce que je trouve très long : 15 ans !, mais ce qui s’explique quand on sait qu’Arnaud Montebourg, tout vertueux qu’il est, je dis ça vraiment sans malice, en est déjà lui-même à 1,5 mandat : s’il avait écrit « deux mandats maximum », il se serait mis lui-même à la retraite politique dans deux ans… On peut donc le comprendre, mais sans l’admettre : on confirme ici que ce n’est pas à un parlementaire d’écrire la Constitution : même généreux et honnête, si on écrit des règles pour soi-même, on va être partial.
Après 10 ans (2 mandats), un parlementaire devrait quitter le Parlement pour permettre un renouvellement raisonnable de la classe politique et, éventuellement briguer d’autres mandats ; par exemple, la Présidence de la République.
[color=red]• Le [b]domaine réglementaire[/b] perdure : le Gouvernement continue donc à y écrire seul le droit (sans le Parlement) : on sait depuis des milliers d'années que la confusion des pouvoirs au profit de l’exécutif est dangereuse pour les citoyens.[/color]
• De l’autre côté, la loi est toujours enfermée dans une liste limitative des domaines (coup d’État de 1958 au profit du Gouvernement), dans ce projet, au mépris de la souveraineté populaire qu’incarne le Parlement (art. 45).
• On trouve encore les
lois organiques partout,
c’est-à-dire la possibilité pour le Parlement de modifier lui-même la Constitution après le référendum et donc sans confirmation populaire : encore des chèques en blanc à tout propos, comme par exemple la liste limitative des domaines de la loi (art. 45).
• La possibilité pour le Gouvernement de légiférer tout seul, par ordonnances, est conservée (art. 52), au mépris, encore une fois, du principe protecteur fondamental de la séparation des pouvoirs.
• La possibilité pour le Gouvernement de se comporter comme un législateur au niveau européen (confusion des pouvoirs encore) est expressément confirmée dans ce projet, même s’il prévoit un mandat parlementaire (« résolutions »), préalable et contraignant, ce qui limite un peu les risques (art. 47 et commentaire).
• La possibilité pour les Parlementaires, réunis en Congrès, de modifier eux-mêmes la Constitution, sans référendum ! (art. 105) confirme le peu d’importance que nos « représentants » ont pris l’habitude de donner à l’opinion de ceux qu’ils « représentent ».
[bgcolor=#FFFF99]Démocratie de facade, toujours et partout.[/bgcolor]
• Etc. (il m’en reste à découvrir :))
Ceci dit, je pointe là ce qui me hérisse le poil. C’est le plus urgent.
Mais pour être honnête (et utile pour nous autres ici), je dois aussi signaler les avancées (parfois majeures) de ce projet :
• Cour Constitutionnelle élue (à la majorité des 2/3, ce qui impose un consensus) (art. 76), sans aucun cumul de mandats (art. 77), aux décisions motivées et affichant les opinions dissidentes (art. 78),
• recentrage de tous les pouvoirs importants sur le Premier Ministre (art. 35 et s.), ce qui rend son sens à la responsabilité politique et à la possible censure,
• la motion de censure doit être « constructive » (il faut proposer un Premier Ministre alternatif pour pouvoir censurer) (art. 67),
• pouvoirs d’arbitrage du Président (art. 6, 14 et s.),
• mandat présidentiel non renouvelable (art. 7)
• responsabilité pénale du Président (art. 19),
• définition explicite du rôle du Parlement (législateur, contrôleur du Gouvernement et de l’administration, évaluateur des politiques menées) (art. 21),
• Sénat élu à la proportionnelle intégrale (art. 22),
• possibilité pour les parlementaires d’intervenir (un peu : ¼ du temps) sur leur ordre du jour (art. 64),
• officialisation, ouverture à l’opposition et publicité des conclusion des commissions d’enquêtes parlementaires, même quand une procédure judiciaire est en cours (art. 33),
• Présidence de la commission des finances forcément confiée à un membre de l’opposition (art. 32),
• possibilité de proposer des lois qui coûtent au budget à condition d’en prévoir le financement (art. 54),
• interdiction du cumul des mandats (art. 23),
• limitation des renouvellements de mandat (art. 23),
• modes de scrutin définis dans la Constitution (art. 22 et 60),
• mandat parlementaire de négociation obligatoire et contraignant pour le Gouvernement, avant d’aller négocier au niveau européen (art. 47),
• obligation pour les procureurs de rendre des comptes au Parlement (fin des classements sans suite non motivés) (art. 88, § 2),
• Cour des comptes renforcée et associée au Parlement pour un réel contrôle du Gouvernement (art. 97),
• le Sénat perd son droit de veto aux réformes constitutionnelles soumises à référendum (art. 105),
• etc. (il m’en reste à découvrir :))
Conclusion provisoire :
Comme à propos du TCE, qui prévoyait des améliorations réelles de l’existant mais qui incluait aussi des règles inacceptables, de la même façon donc, [bgcolor=#FFFF99]l’inacceptable l’emporte forcément sur le positif[/bgcolor] : il me semble en effet très dangereux de cautionner un texte qui comporte des dispositions inacceptables.
Étant bien entendu que nous aurons à discuter ensemble de ce qui est « inacceptable » ou ne l’est pas, et que nous saurons sûrement retenir les idées excellentes qui émaillent ce projet.
Ouf ! Pardon pour la longueur du message (le projet Montebourg est intéressant et vaut le coup d’être analysé). ÉC