Réponse à Philippe
Merci, Philippe, de votre message et de vos commentaires. J’en prends note, bien sûr, et sur certains points, ils rejoignent mes préoccupations.
Voici mes remarques :
Pourquoi opposez-vous les consultations sur le web et la tenue d’assemblées populaires, y compris constituantes (ce que vous appelez les"Etats-généraux") ? On peut bien faire les deux ensemble, non ?
Cela dit, les assemblées populaires existent déjà de fait. La société ne fonctionne plus comme du temps de Henri IV et de Louis XVI. Tout le monde communique, et on vote une fois tous les deux ans en moyenne (élections, référendums) : les Etats généraux, c’est ça, au moins dans les pays qui disposent d’une opinion suffisamment avertie - comme les pays européens et en particulier la France (on l’a vu l’année dernière).
En ce qui concerne le web, vous dites : 50 % d’internautes, ça signifie que 50 % de gens sont écartés. Vous commettez à mon avis une erreur d’appréciation fondamentale : 50 % d’internautes - c’est-à-dire de gens qui ont pris la peine de se brancher, le plus souvent après avoir acheté leur propre matériel, c’est énorme, si l’on compare aux taux d’abstention de 20 à 50 % qui caractérisent même les consultations électorales officielles qui ont des conséquences importantes sur la vie de tous les jours.
D’ailleurs, vous ne répondez pas à mon argument que même les gens qui ne sont pas branchés ont accès à l’information (voire à la communication) Internet par ceux qui le sont. Mon estimation est que l’Internet atteint (passivement au moins) 90 % des électeurs français indirectement ou indirectement : j’aimerais que ceux qui
savent confirment ou infirment ce chiffre.
Vous dites : « Le TCE a fait l’objet de beaucoup de lectures fausses et idéologiques ». Permettez-moi de vous poser la question : l’avez-vous lu? Pour ma part, c’est ce que j’ai fait, en entier (et Dieu sait…!), en passant il est vrai plus rapidement sur certaines parties qui m’intéressaient moins ou sur lesquelles j’aurais perdu beaucoup de temps faute d’avoir de bonnes bases (je parle, naturellement des dispositions de la partie III).
Philippe, en toute sincérité et sans aucune intention de vous offenser, je crains que vous n’ayez pas lu le texte du TCE et que votre affirmation soit en conséquence une affirmation de seconde main, reprise chez les journalistes de la presse écrite et télévisée, ou chez les professeurs de droit.
Une légère modification de votre affirmation aboutirait à une constatation beaucoup plus proche de la réalité. Il faut dire : « Le TCE est une lecture fausse et idéologique ».
L’erreur grossière et généralisée que constitue en soi le TCE efface par son éclat aveuglant les erreurs les plus grossières que moi, Etienne ou d’autres avons pu commettre ou commettrons encore en la matière.
Ce traité est entaché selon moi de trois ignominies essentielles :
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Il aboutit à travestir le processus constitutionnel en conférant ou en faisant semblant de conférer, directement ou indirectement, une force constitutionnelle à des dispositions et des décisions qui ne relèvent pas d’une constitution;
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Par son article I-41-2, deuxième alinéa, il assujettit l’Union européenne à l’OTAN, c’est-à-dire, indirectement mais effectivement, à une puissance agressive qui a proclamé ses intentions hégémoniques : c’est notre sécurité à tous que le TCE met en cause;
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Il fait une lecture orientée des droits fondamentaux, en se plaçant dès le début, dans son article I-4 (pourtant intitulé « Libertés fondamentales et non-discrimination ») , sous le signe d’une vision purement libre-échangiste des droits de l’homme, à savoir : "1. La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement, sont garanties par l’Union et à l’intérieur de celle-ci, conformément à la constitution ", sans faire référence aux droits de l’homme universellement reconnus.
A ces trois ignominies essentielles s’ajoute un défaut majeur : en reproduisant dans son texte une charte de droits fondamentaux assortie d’explications et de sous-explications, charte qui s’écarte par ailleurs sur certains points de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le TCE entame un véritable processus international de délitement de ces droits, processus qui pourrait aboutir à la disparition pure et simple de la notion même de droits fondamentaux dans les 20 à 30 ans.
J’ajoute pour conclure : Le TCE est pesant et mal écrit. La raison en est qu’il veut mettre en règles la réalité mouvante - alors qu’une bonne constitution ne doit porter que sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, comme je le rappelle dans un message sur deux. Comme d’habitude, la forme dit le fond.
Ni les erreurs d’analyse que les opposants au TCE ont pu commettre, ni les corrections juridiques qu’on a pu leur apporter ne peuvent effacer les trois ignominies et le défaut majeur dont je viens de parler.
Quant à l’utilité des sites web :
Vous trouvez vraiment que celui-ci donne une « vision non contradictoire » ? Est-ce que vous diriez cela aussi du nouveau site de l’Union européenne sur l’Europe ? Ou bien du site de Ségolène Royal ? Ou bien du site Sources d’Europe ? Ou encore du site auquel j’ai participé et que les modérateurs ont dû fermer à cause de la vigueur des propos ?
Sur ce point, vous vous trompez, tout simplement.
Il est par contre exact que les contenus des sites fréquentés, comme celui-ci, sont denses, partent dans tous les sens, et qu’il est parfois difficile de s’y retrouver. Mais ce n’est qu’une image fidèle de la réalité : les réunions électorales, les propos chez le coiffeur et les conversations animées au bar du coin ont exactement ces caractéristiques. Il faut entendre ou lire les propos, se faire une idée de ce que l’interlocuteur veut dire, trouver un moyen d’en retirer la substantifique moelle, l’éditer, la proposer et convaincre.
Il faut, en outre, présumer la bonne foi et les bonnes intentions des interlocuteurs.
Eh oui ! tout cela n’est pas servi sur un plateau et demande, tous les jours, beaucoup de travail. C’est pourquoi, contrairement à Etienne, je doute fort de la possibilité de se passer de politiciens professionnels.
Mais ce n’est pas du temps perdu : c’est l’essence même du débat démocratique. Et dans ce domaine, on ne s’époumone jamais en vain.
Revenez-donc nous voir, comme vous vous proposez de le faire, et si vous avez le temps et si ça vous intéresse, regardez aussi de temps en temps le projet CIPUNCE, qui progresse régulièrement.
Cordialement. JR