QUESTIONS DIVERSES CONCERNANT LE FUTUR 'TRAITÉ MODIFICATIF"
À l’intention de Denis Bloud en particulier, je crois utile de répercuter ici un certain nombre d’observations que j’ai présentées sur le site-blog du Président Giscard d’Estaing (http://www.vge-europe.eu/ ) ces jours derniers. Elles ont une portée strictement préliminaire. La CIPUNCE envisage de publier si possible d’ici la fin du mois de juillet un projet établi sur la base du « projet de mandat » du Conseil de l’UE à l’intention de la Conférence intergouvernementale, projet dans lequel seront intercalés les commentaires de la CIPUNCE.
- INTITULÉ DU FUTUR TRAITÉ
Comme on sait, « traité » est un terme générique couvrant tout accord entre deux États au moins, quel que soit son titre spécifique (« traité », « accord », « protocole », « échange de notes », « avenant », « modifications », etc.).
J’imagine que le traité adopté par la future CIG s’intitulera « traité modifiant le traité sur l’Union et le traité instituant la Communauté européenne ».
Tous les traités institutionnels antérieurs sont en fait des « traités modificatifs » du traité de Rome et du traité de Maastricht.
Ce n’est là qu’un détail.
- CONSTITUTION
S’il est vrai que le terme « constitution » est le plus souvent employé en rapport avec des États, il s’applique aussi aux organisations intergouvernementales : l’Organisation internationale du Travail et l’Organisation mondiale de la santé ont des « constitutions ».
L’UE reste une organisation intergouvernementale, et le terme « constitution » est tout à fait approprié dans son cas aussi.
C’est jouer sur les mots en faisant semblant de confondre le contenant et le contenu que de dire que le TCE n’était pas une constitution. Le traité lui-même n’était pas la constitution de l’UE, mais il contenait les dispositions constitutionnelles qui se seraient appliquées à l’UE s’il avait été ratifié et, pour mettre les points sur les i, ce sont ces dispositions du traité, sinon le traité lui-même, qui auraient formé la constitution de l’UE. Le titre du TCE (« traité établissant une Constitution pour l’Europe ») était, à cet égard, parfaitement correct et parfaitement clair.
Les constitutions (sauf les coutumières) n’arrivent pas par génération spontanée : il faut un acte juridique - loi, résolution d’assemblée constituante, charte royale, proclamation de dictateur. Ce qu’une proclamation de dictateur peut faire, un traité peut le faire à plus forte raison.
D’ailleurs, les mots importent peu : c’est la substance qui compte, à savoir que le futur « traité modificatif », aussi imparfait serait-il, introduira bel et bien une constitution de l’Union européenne même s’il ne le dit pas. Si ça se trouve, c’est cet instrument qui nous régira pendant les 50 années à venir - bien qu’il ait la mine d’être provisoire.
- POUVOIRS DE LA FUTURE CIG (conférence intergouvernementale)
Le Président Giscard d’Estaing estime que la CIG n’aura pas pouvoir de s’écarter du mandat établi par le Conseil de l’Union européenne les 21-23 juin dernier parce que ce mandat est impératif (Étienne, ça me rappelle quelque chose) et qu’étant donné les différences de vues entre les principaux acteurs - dont l’Allemagne, la France, la Pologne et le Royaume-Uni - on courrait à l’échec si on ne s’en tenait pas à ce qui a été décidé.
Je constate pour ma part que le Conseil de l’UE n’a pas établi un « mandat », mais un « projet de mandat », et qu’il a « invité » la CIG à adopter un traité modificatif. Ce faisant, il a utilisé les termes qu’il fallait, car bien que composé en fait des mêmes acteurs que la future CIG, le Conseil n’est pas, contrairement à cette dernière, une conférence de plénipotentiaires.
Le vrai mandat (mandat définitif) de la CIG résultera des pouvoirs que chaque représentant à la CIG détiendra de l’État membre qu’il représente. Dans la plupart des cas sinon tous, ces représentants seront les chefs d’État ou de gouvernement et les ministres des affaires étrangères : ceux-là n’ont pas besoin de pouvoirs écrits car ils engagent l’État concerné sur leur simple signature ; ce sont eux qui arrêteront le mandat définitif de la CIG et c’est exclusivement de leur décision que dépendra le traité définitif.
Dans ces conditions, l’hypothèse que la CIG s’écarte du « projet de mandat » et de l’« invitation » établis par le Conseil européen reste envisageable, et l’échec de la CIG est du domaine du possible.
- POURQUOI UN TRAITÉ SUR L’UNION ET UN TRAITÉ SUR SON FONCTIONNEMENT AU LIEU D’UN SEUL TRAITÉ EN DEUX PARTIES ?
Le Président Giscard d’Estaing a raison de dire qu’on a voulu effacer l’image d’un traité constitutionnel, et je pense que cette volonté a son siège outre-Manche.
Néanmoins, le fait que la Communauté disparaisse au bénéfice d’une seule entité internationale, l’Union, est d’après moi l’élément le plus positif du « projet de mandat » de la CIG. L’existence de la Communauté à côté de l’Union constitue un facteur de complication et d’intransparence.
- LA COMPLICATION APPARENTE DES TROIS TRAITÉS : ELLE DISPARAÎT SI ON CODIFIE LES TEXTES
Dans le système envisagé par le Conseil de l’UE, nous aurions en effet trois traités : traité modificatif, traité sur l’Union, traité sur le fonctionnement de l’Union.
Il est très facile d’éliminer cette complexité formelle.
L’organe compétent de l’Union (le Conseil européen, je suppose) n’aurait qu’à adopter un document officiel interne reproduisant en deux parties les dispositions de fond des deux traités sur l’union et sur son fonctionnement, tels que modifiés par le « traité modificatif », sans les clauses formelles (préambule, clauses finales, blocs-signature, etc.).
Cette codification permettrait du même coup d’intégrer à l’ordre juridique interne de l’Union les clauses de fond des traités, qui relèvent pour le moment d’instruments juridiques externes (les traités).
La Commission produit déjà des textes dits « consolidés » des traités UE au fur et à mesure de leur adoption. Toutefois, ces versions consolidées reprennent toutes les dispositions des traités antérieurs, y compris les clauses formelles (préambule, formule de conclusion, &), d’où des anachronismes - notamment le maintien dans le traité consolidé du lieu et de la date de conclusion du traité originel. De plus, ces « versions consolidées » sont officiellement décrites comme « des outils de documentation qui n’engagent pas la responsabilité des institutions » : elles n’ont donc pas de force juridique.
- RÉFÉRENDUM OU PAS RÉFÉRENDUM ?
Tout dépendra du contenu du traité modificatif, et il faut donc attendre d’abord le projet d’articles de la Présidence portugaise, base des travaux de la CIG. Plus précisément, il faudra voir si ce projet d’articles (et plus tard le traité adopté par la CIG) reprend des clauses du TCE nouvelles (hormis les clauses institutionnelles) par rapport aux deux traités actuels en vigueur pour l’Union (le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne).
Pour ma part, j’avais, au départ, trois grandes raisons de dire « non » au TCE :
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Il contenait des clauses de politique économique, commerciale et autre qui n’avaient pas leur place dans une vraie constitution – laquelle ne doit porter que sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics (nationaux, européens) ;
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Il assujettissait l’Union européenne à l’OTAN en disposant (art. I-41-2, deuxième alinéa) que « la politique de sécurité et de défense commune de l’UE est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans le cadre de l’OTAN ». Cela signifiait en clair que si un État membre - la France, par exemple - décidait de se retirer de l’OTAN, il resterait sujet à la politique de défense définie par l’OTAN - et cela en vertu des traités fondateurs de l’UE - alors même qu’il ne serait plus membre de l’OTAN et n’aurait officiellement rien à dire sur la politique de cette dernière. Cette disposition était purement et simplement inacceptable.
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La reproduction de la Charte des droits fondamentaux dans le TCE entraînait la « désuniversalisation » - donc l’amoindrissement – des droits de l’homme, notamment en l’absence d’une référence explicite à la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
Je reconnais volontiers que sur le point 3) mon opinion n’est probablement pas celle de la majorité, et que cette question n’a de toute façon joué qu’un rôle minime dans le « non » du 29 mai 2005, en supposant que la question ne soit pas passée à peu près inaperçue.
Par contre, j’estime que les points 1) et 2) touchent à des aspects importants de la construction européenne. Si le futur traité modificatif reprenait sur ce point les clauses du TCE, cela, à mon sens, mettrait en cause la décision référendaire du 29 mai 2005, et il conviendrait de soumettre le nouveau traité à référendum.
Si le traité modificatif ne porte vraiment que sur les dispositions institutionnelles figurant dans le TCE, et si le Parlement français, au terme d’un vrai débat, décide qu’en conséquence il n’y a pas lieu de passer par la procédure référendaire pour la ratification, je me rangerai sans trop de peine à cet avis.
Cela dit, j’ai déjà signé la pétition de l’eurodéputé Bonde demandant que tout nouveau traité soit soumis à référendum, et c’est au référendum dans tous les cas que va maintenant ma préférence.
- UNE MODIFICATION DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE S’IMPOSE DE TOUTE MANIÈRE AVANT RATIFICATION DU FUTUR TRAITÉ MODIFICATIF
L’article 88-1, deuxième alinéa, de la Constitution de 1958 dispose que « la République peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l’Europe signé le 29 octobre 2004 ».
Il est entendu que cet alinéa a un caractère optionnel ou hypothétique (« peut participer ») . Mais du moment qu’on avait jugé bon d’envisager spécifiquement dans la constitution la participation au TCE, la logique voudrait qu’on y envisage maintenant la participation au traité modificatif - ou alors qu’on supprime la référence actuelle au TCE puisqu’elle n’a plus de raison d’exister.
Il importe de se rappeler que la révision de la Constitution se fait aux trois cinquièmes des suffrages exprimés par le Parlement réuni en congrès (ou, bien sûr, par référendum). JR