La loi de l’offre et de la demande n’est pas l’apanage du marché…
"[i][color=purple]Peut-on être sûr qu'il y aura adéquation entre l'offre de prestations et la demande ? [...] les filières Psychologie et EPS sont actuellement saturées au-delà du raisonnable. [...][/color][/i]"
Je te ferais remarquer que tu parles d'un fait contemporain, de ce qui se passe dans un monde supposé déjà très largement soumis au marché... pas celui qu'on essaye d'esquisser. Je ne sais pas si tu souhaites expliquer pourquoi les choses sont ainsi. Je veux bien - et ce n'est pas bien difficile de trouver des masses d'explications - mais est-ce dans le sujet ?
A vrai dire, je pense que cette situation serait encore deux fois plus marquée dans une « économie sociétaliste ». Sauf que ce serait bien plus équilibré… avec la « demande ».
Nous sommes dans une époque qui vante le bien-être mental, la santé, la culture physique, la jeunesse, … Et pour tous ces « secteurs », ce n’est traité que sous la part « consommation » (demande / offre de biens et services), et pas du tout en pensant aux travailleurs (demande / offre de travail).
On consulte à tout va, on se gave de tranquillisants et de drogues, et les facs de psycho sont bondées de gens, les débouchés sont peu nombreux, les facs de médecines sont ultra sélectives (et ces années d’études horribles sur le plan psychologique), les labos, concentrés, gavent leurs actionnaires, emploient peu de chercheurs et de techniciens, pillent les frais de recherche de l’Etat et attirent au salaire ses chercheurs qui n’ont plus de débouchés publics, posent leurs brevets. Les drogues ? Elle viennent du trafic. Avec tout ce que ça entend d’exploitation, de cynisme, de peurs, …
On bouffe cosmétiques, parfums, … ça fait vivre de gros rentiers et quelques rares salariés, beaucoup de gens dans la pub… On se gave de plats bios et light bourrés de saletés et de graisse, et chacun sait comme le secteur de l’alimentation de masse est une horreur pour les producteurs.
On afflue dans les salles de sport et lieux de sports en tous genres, mais pense-t-on à ceux qui y bossent ? Certains ont des horaires très tordus et cherchent à faire des heures à tout prix, d’autres ont des heures stressantes car ils ont trop d’élèves eux-mêmes surmenés.
On nous crible de jeunisme à la TV, et les jeunes n’ont pas de boulot. Faut dire que dans les feuilletons, à part les flics ou les stars, personne ne bosse.
Des orgies de magazines « bien dans ma tête dans ma petite bulle » côtoient celle de « people pleins de sous et soucis de riches », ça fait vivre des paparazzi eux-mêmes esclaves d’un système de bargeots, où la chasse au scoop rend fou, où on rémunère énormément quelques rares travaux, et où la part de gâchis est énorme. Ca fait vivre quelques rares éditeurs et rédac chef parisiens, copains de la jet-set et de l’aristocratie politico-médiatique. Ca fait vivre aussi quelques gourous modernes et autres charlatans « psychologues ».
On a aussi les monceaux de magazines de jeux, … Tous ces secteurs n’ont besoin que de très peu de main d’œuvre, laquelle est dévalorisée (pour un qui récupère un sujet intéressant, combien récupèrent la m…de qu’on vend ensuite ?), où la concurrence est rude pour les places, et qui gavent les propriétaires (faut voir le prix des parutions, c’est du même ordre que les journaux hebdomadaires.)
La presse… intéressant, les vedettes éditorialistes, qui souvent servent aussi comme cadres sup., captent tout le pognon qui ne va pas aux actionnaires, qui justifie une masse de publicité, … et les journaux ont très peu de main d’oeuvre pour faire un travail de journalisme digne de ce nom. Et que nous disent les premiers ? Que l’internet tue le journalisme… car on leur pique leur boulot à « éditorialiser en ligne », sans être journalistes… Alors qu’il est bien que les éditoriaux sortent de la mainmise de ces chiens de garde du gratin politique et financier, justement, et que le vrai journalisme ait de quoi vivre… dans les journaux. Mais on peut toujours attendre qu’ils s’en aillent, les éditorialistes de révérence à 30 000 par mois.
On répète sans cesse que l’avenir est aux métiers de l’intellect, de l’imagination, il y a le net, … Mais qui fait le boulot et qui engrange le pognon ?
Bref. S’agissant de la demande, c’est celle du consommateur. Et surtout, c’est la demande solvable, point. Ce depuis le début de la société « bourgeoise ». La différence, dans le contexte du marché pur, c’est qu’avant l’Etat était solvable, et que la garantie des droits fondamentaux était possible, maintenant, c’est fini. S’agissant d’offre, c’est celle de biens rentables pour qui vit de rentes. Là encore, plus que jamais depuis le XIXe.
Mais puisque en termes de travail, la demande est ainsi constituée, est-il normal qu’au niveau du partage des travaux et des bénéfices, on soit organisé ainsi ? Si on veut de la psy, du sport, du bien-être, pas de souffrance, … pourquoi ces secteurs d’activité sont si bouchés ? On a bien potentiellement une demande de travail importante, qui va avec la demande de biens et services.
Un petit retour sur les travaux pénibles, dégradants, aliénants, … Comment éradiquer ces travaux-là ? À l’évidence, développer de nouvelles machines modernes, lancer des projets vastes et ambitieux. Donc évidemment, beaucoup de travail de recherche, de développement, des ingénieurs, des techniciens, pas tant d’ouvriers puisque on peut s’éviter largement les travaux pénibles, dégradants, … pour peu qu’on le veuille. Suffit de développer en même temps les machines outils des machines outils, … Donc il faut pouvoir planifier en ayant beaucoup d’argent disponible de manière assez ponctuelle, concentrée - plus exactement, il faut mettre en cohérence nombre de projets - et permettre des décisions politiques pour encourager la création de secteurs nouveaux, former les gens, … Ensuite, donner du boulot à ces salariés dans d’autres métiers. Ou les former, justement, pour travailler sur les projets d’équipements remplaçant leurs travaux, … en incluant ce budget dans le plan d’ensemble.
Qu’en est-il au présent ? La recherche publique ? Chacun a entendu des échos. La recherche privée ? Déjà, la piteuse santé du secteur public est mauvais signe, car les entreprises travaillent beaucoup avec le public pour tout ce qui nécessite des investissements importants et communs, pour la recherche fondamentale ou avancée, … Et puis on constate que la recherche privée ne fait pas bosser beaucoup de gens. L’ingénierie ? Une catastrophe. Il n’y a plus que des commerciaux qui se font embaucher. Tout le technique se délocalise à vue d’œil, et même pire, les ressources globales sont comprimées, la communication technique est traitée n’importe comment : pas le temps, pas de moyens, et des monceaux de managers qui court-circuitent tout. Tout est morcelé, sous-traité, et les infos techniques entre entreprises, elles passent par le haut pour redescendre, … Je ne sais pas si les gens savent, mais pour décrocher une affaire, aujourd’hui, il faut avoir fait l’étude complète avant même de savoir si on est « affecté » par le client, c’est à dire, si on aura la commande. Souvent, même, le client te pique le résultat, les mises au point, et fait produire ailleurs, là où le coût de production est moins cher mais où ils n’ont pas de moyens d’étude, de mises au point, … Parfois, il te promet que tu lui écouleras 10 000 pièces / an pendant trois ans. Et en fait, il ne t’en prend que le quart, et change de fournisseur au bout d’un an (tout cela est légal). Suivent encore les « 90 jours fin de mois » pour voir les ronds. La formation ? … Pas les fonds (avec des actionnaires à 15-18-20% et plus, faut pas rêver, le jus ne sort pas du néant).
C’est pas comme ça qu’on va éliminer les boulots pénibles. De toutes manières, il suffit de lever les yeux : petits boulots, précarité, temps partiel, … La peur de le perdre quand on en a. Et le stress au travail, c’est le lot de tous, comme jamais on l’a vu depuis le XIXe.
Après ces détours, ce qu’on voit :
- on pourrait, ensemble, « se payer » plein de psys, de profs de sports (et de temps libres, pour les faire bosser). Ce n’est ni la demande de biens et services ni la demande de travail, le problème, manifestement, les deux sont importantes
- on pourrait abolir les boulots pénibles : tout le justifie, et en particulier le fait que ça ferait grimper la demande de travail dans la recherche, l’ingénierie, le technique, tout en répartissant mieux les hordes de managers et autres commerciaux qui saturent les industries existantes. Encore une fois, on a l’offre et la demande, si on voit les choses en termes de travail et de consommation et non pas en termes de produits disponibles et de demande solvable, en termes de « marché du travail » régit par la demande des financiers lesquels étudient la demande solvable de consommation.
Si on regarde par exemple la proposition de loi d’André-Jacques et de ses confrères, on voit que le débat public est impliqué à la fois dans l’expression de la demande de biens et services, et à la fois dans celle de travail.
Pour le deuxième aspect, il s’agit pour les gens, librement, de construire un projet, comme le fait un entrepreneur. Sans se soucier de la question des fonds. Le projet implique dès le départ la prise en compte des métiers, de leur organisation, … car tout est chiffré en termes de besoins de financement. Pas de raison de planifier des sales boulots ingrats et mal payés, puisque d’une part, il n’y pas à mal payer les boulots manuels (le rêve de Boris Vian…), et d’autre part, on aura à l’évidence (je dirais, dès les premières années, en priorité) des projets ambitieux permettant de remplacer ces taches par des machines. Par ailleurs, il n’est pas impératif de tenir le budget, l’important est plutôt que le service proposé soit rendu au mieux. Ce budget est réactualisé ensuite, ce qui permet de débattre s’il vaut mieux remettre des fonds et poursuivre, améliorer ceci ou cela, y compris dans les conditions de travail, je suppose : en particulier, investir dans une machine car un des salariés souffre de son boulot et veut d’ailleurs s’en aller.
Tu me diras, s’il n’y a pas assez de place de psys, ça ne change rien à mon soucis, si je tiens à exercer comme psy. C’est vrai, mais il ne faudrait pas oublier une chose : si beaucoup de gens font aujourd’hui un boulot qui les rend malheureux, ce n’est pas tant qu’ils ne savent faire qu’une chose ou deux, et qu’ils n’ont pas trouvé. C’est bien plutôt que tout ce qu’on leur propose ne leur convient pas, et qu’en même temps, pour tout ce qui leur conviendrait, on ne les prend(rait) pas ou bien ils n’en vivraient pas. Je crois que ça change beaucoup de choses.