J’ai reformulé et réagencé un peu les extraits, pour limiter le volume.
[color=purple]* [i][u]Origine de la Banque de France, ses rapports avec les pouvoirs politiques[/u][/i]
(J) La Banque de France est une création de Napoléon Bonaparte, qui a nationalisé une banque privée, et a fait détruire les instruments de création monétaire des autres banques.
(2) Il y eut une alliance d’intérêts entre Bonaparte, qui avait besoin d’une banque d’émission, et les grands banquiers de l’époque, qui avaient besoin d’une sorte de société d’assurance, quand ils avaient besoin d’argent, pour pouvoir se refinancer. (Il n’est pas exclu que ces financiers aient financé le coup d’Etat).
(2) En 1924 (époque du premier « mur de l’argent »), la Banque de France est privée, et a des régents banquiers ou industriels, comme François de Wendel et le Baron de Rotschild.
Il y a un double plafond que la BC n’a pas le droit de dépasser : un plafond des avances aux gouvernements [cumul du bilan entre gouvernements successifs - NDT], fixé par l’Assemblée nationale, et plafond des émissions fiduciaires.
(2) En 1936 puis en 1945, en deux temps, l’indépendance de la Banque de France est supprimée : elle est placée juridiquement sous la dépendance de l’Etat, nationalisée, et son Gouverneur est nommé par le gouvernement.
Mais les lois ne règlent pas tout : en 1952, le gouverneur Baumgartner envoie dans la presse une lettre de remontrances au gouvernement, qui le renverse. Le Gouverneur peut toujours s’appuyer sur l’opinion publique ou sur l’opinion des hommes d’affaires pour faire pression, et « défendre la monnaie ».
(1) [/color]L’indépendance des Banques centrales en Europe est un chose très récente : elle est née dans courant des années 1980 pour «déconnecter le cycle politique du cycle économique et financier ».
Autrefois, les « autorités monétaires », qui réalisaient la fixation des taux d’intérêt, étaient à la fois les gouverneurs des Banques centrales et les Ministres de l’économie et des finances. Les intérêts apparaissent contradictoires entre ces deux autorités : les premiers ont vocation, comme tout banquier, à lutter contre l’inflation, et par conséquent à chercher à hausser les taux d’intérêt dès qu’il y a des menaces d’inflation ; les seconds ont tendance à vouloir que les taux d’intérêt soient le plus bas possible pour faciliter le financement de l’économie (et la dette publique).[color=purple] [Equilibre des pouvoirs, quoi - NDT]
(2) C’est en 1993 que la Banque de France devient indépendante, à partir du moment où le Gouverneur « a la garantie de l’emploi » pendant le temps de son mandat.
Du temps du premier « mur d’argent » (années 1920), la BdF était une banque privée, mais le Gouverneur était révocable par le gouvernement au moindre geste.
- Le nouveau « mur de l’argent »
(J) Les marchés financiers peuvent-ils (de nouveau) renverser les gouvernement (indirectement), et comment ?
(2) « Les 200 familles », accusées autrefois de conditionner la politique économique des gouvernements, étaient désignées comme les propriétaires des principales banques, même si le discours politique du moment se trompait largement sur ce point.
(1) Les marchés financiers exercent aujourd’hui une influence directe sur les Banques centrales et sur leur rôle dans la formation des taux d’intérêt. Influence importante sur les taux à long et moyen terme, mais qui existe aussi sur les taux à court terme, même si les BC ont encore la main sur ces derniers (surtout la Federal Reserve américaine).
[/color]Aujourd’hui, les taux d’intérêts, qui sont clairement une variable clé de l’économie mondiale, se forment surtout sur ce qu’on appelle les marchés SWAP. Ces marchés fixent les « taux SWAP », qui sont les taux de certains produits dérivés (contrats d’échange). Ces marchés sont extrêmement importants aujourd’hui : dans les salles de marché, les opérateurs ont désormais comme éléments de référence ces taux SWAP, et non plus ceux des titres d’Etat, qui étaient habituellement les titres référentiels classiques.[color=purple]
On a un phénomène tout à fait nouveau, qu’est la prééminence acquise d’un certain type de produits financiers, qu’on appelle les « produits dérivés ». C’est par ce biais que le pouvoir financier s’exerce majoritairement au présent.
Ces marchés de produits dérivés ont pris une importance incroyablement importante. On sait que 3% seulement des échanges financiers concernent aujourd’hui les échanges de biens et de services. Le reste vient pour l’essentiel de ces échanges de produits dérivés.
Dans les années 1970 et 1980, on a libéralisé les marchés des changes (lieus où se forment les taux de change – [valeurs relatives des différentes monnaies, NDT]), puis les marchés obligataires (lieus où se forment les taux d’intérêt). Ces deux taux sont les variables clés de l’économie mondiale, au présent.
Quand on libéralise un marché, les prix des produits concernés peuvent désormais varier, osciller. Or, les opérateurs financiers n’aiment pas du tout l’incertitude.
Aussi, à la fin des années 1980, a-t-on créé de nouveaux marchés, qu’on a appelés les « marchés de produits dérivés » : ce sont des produits financiers d’assurance. Ils garantissent contre toutes sortes de risques financiers, notamment contre les fluctuations des taux de change.
Ces produits dérivés sont des produits financiers essentiellement, qui s’échangent et s’achètent également : pour certains sur des marchés très organisés, pour d’autres, sur des marchés « de gré à gré », parmi lesquels les SWAP.
D’un côté, on a là des produits de couverture, d’assurance contre les risques financiers, mais d’un autre, ceux qui les achètent et les vendent, spéculent, qui pensent connaître d’avantage l’avenir, par exemple sur les taux de change ou l’évolution des taux d’intérêt : c’est sur ces deux variables majeures que se font l’essentiel des produits dérivés.
Les contrats SWAP sont des contrats qui permettent aux opérateurs de se prémunir des variations de taux d’intérêt : on échange des taux d’intérêt variables contre des taux fixes. Ce qu’on appelle « taux SWAP », c’est la partie « taux fixe » de ces contrats.
Et ce sont ces taux fixes qui sont au présent la référence absolue en matière de fixation des taux d’intérêt.
Or, ce sont les grandes banques privées qui fixent ces taux SWAP, dans des marchés de gré à gré (comme autrefois : en 1924-25, c’étaient des marchés de gré à gré qui fixaient les taux d’intérêt, il n’y a avait pas véritablement de marchés organisés, de « marchés interbancaires », comme on les appelle aujourd’hui).
[/color]Il y a donc un pouvoir des marchés, détenus par les plus grandes banques du monde, non seulement sur les taux de change (c’est un autre aspect, qu’on laissera ici de côté) mais aussi sur la fixation des taux d’intérêt.
Comme dans les années 1920, il y a (et il y aura de plus en plus) confrontation brutale entre le monde financier, représenté par un certain nombre de banques, et les pouvoirs politiques, dont les marges en matière de politiques économiques, de politiques publiques, sont de jour en jour plus réduites. Notamment parce qu’il faut bien pouvoir financer les déficits publics, avec des taux d’intérêt qui sont au présent plutôt élevés.[color=purple]
Deuxième élément constitutif du nouveau « mur d’argent » : un autre élément, encore plus inquiétant, du pouvoir des grandes banques est qu’elles ont pris le contrôle des grands fonds « institutionnels ».
Ce sont ces sociétés de gestion qui sont à l’origine de la « valeur actionnariale » des grands entreprises, et des « normes financières » qui sont exigées en termes de rentabilité financière (15%, …), qui bouleversent complètement l’organisation de ces entreprises, et le marché du travail.
On a, par l’intermédiaire de la mainmise financière des grandes banques sur les sociétés de gestion de fonds, une mainmise sur des pans entiers de l’économie réelle, à travers les entreprises cotées en Bourse [qui sont donneurs d’ordre d’une très grande part des autres… NDT]
(J – cite (1) -) L’endettement public n’a fait que croître ces dernières années, notamment en raison des dépenses engendrées par ces processus de libéralisation. Donc on peut continuer le cercle vicieux.
Oui. Autrefois, les déficits publics étaient financés essentiellement par l’inflation. Mais avec la création des marchés obligataires, les Etats sont obligés aussi d’aller sur les marchés pour financer leur déficit.
Et l’endettement croissant fait que les taux d’intérêt, en termes réels, ont tendance à s’accroître naturellement. Ce qui n’était pas du tout le cas dans les années 1970, par exemple, où les taux d’intérêt réels étaient même négatifs.[/color]
Intervenants (« J » pour journalistes) :
(1) François Morin, professeur de sciences économiques à l’université de Toulouse 1, qui a été membre du Conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique, est membre du laboratoire de recherche LEREPS, et est l’auteur d’un livre intitulé [u]Le nouveau mur de l’argent[/u] (Seuil, 2006)
(2) Alain Plessis, professeur émérite d’histoire économique à Paris 10 Nanterre, spécialiste de l’histoire des banques et de la bourgeoisie en France, auteur notamment d’[u]Histoires de la Banque de France[/u], Ed. Albin Michel, 1998, et de [u]L’impôt en France au XIXe et XXe siècles[/u], (publié par le comité pour l’Histoire économique et financière de la France).