À Citrouille (en réponse à votre n°1663, volet « médias »)
Novlangue contre novlangue, mettons. Mais je trouve que vieilangue, oldlangage correspond mieux à la réalité. C’est l’inertie de l’emploi de vieux concepts dans un monde qui a beaucoup évolué qui crée les distorsions dangereuses qui enferment les gens dans des idéologies assises sur les paradoxes ainsi obtenus, pas tant la création de nouveaux concepts dans un monde qui ne bouge pas. Le principe de la novlangue est bien décrit dans 1984, notamment en annexe, à la fin du roman. C’est une langue conçue et voulue pour s’appauvrir continuellement, se vider, de manière à faire des hommes des machines, de tuer inéluctablement tout « crime par la pensée » (esprit d’opposition). Au passage, ne vous effrayez pas, j’ai posté des extraits de 1984 dans le début de ce volet.
L’important c’est d’essayer d’échanger avec des mots appropriés au temps présent, je crois. Par exemple, je déplore qu’il n’y ait toujours pas de parti mondialiste, c.à.d. qui soit capable de proposer au plan national un programme cohérent avec ce qui se fait au plan international, et dont les élus rendent des comptes à la nation de ce qu’ils signent en son nom au plan international.
Je crois que c’est l’Etat qui est une création bourgeoise, pas la nation. Cela fait une grosse différence. Après, ce sont des mots (de Marx). L’Etat est un mal nécessaire ; la nation est un ensemble de gens supposés vouloir vivre ensemble, supposé être souveraine ; l’Etat ce sont les structures du gouvernement, supposées la représenter et agir pour le bien commun de la nation.
Sur les monopoles, l’article 9 du Préambule de 1946, qui est partie intégrante de notre constitution (et dont je cite l’article 8 ci-avant) dit que tout monopole devient de fait service public. C’est de bon sens, bien sûr, même dans un système libéral. Merci de Gaulle, au passage. Reste à voir si on applique la constitution…
Le travail est le propre de l’homme. En débattre, pourquoi pas. Je crois que les 5 ou 6 intervenants qui en ont parlé ici s’accordent pour faire valoir le droit fondemental de l’individu à s’émanciper par son travail (ou formules de ce type).
Quelle est d’ailleurs la première justification du libéralisme, au plan du droit fondamental de l’individu, si ce n’est ce principe ?
Quant au management moderne, on en reparlera. J’en ai pas mal causé déjà, ici. Vous faites quoi comme boulot ? Le terme de ressources humaines a beau être exactement opposé à la définition de l’éthique selon Kant (à savoir, ce qui consiste à toujours considérer l’homme comme une fin en soi)… il ne choque plus grand monde.
L’autodestruction cyclique du capitalisme, c’est même au coeur de la pensée de Marx. Je crois que le coeur du phénomène reste du même type : une accélération exponentielle du système, jusqu’au crash. Mais je crois aussi que la mondialisation a beaucoup changé les choses.
Et d’ailleurs, ce sont des libéraux, comme Steiglitz, et des économistes très sérieux qui se mettent à écrire ces choses là.
Libéralisme classique ou marxisme, il manque une vaste prise en compte de la mondialisation, qui était encore marginale, même au XIXe.
D’un côté, il s’agit de dire que le salarié étant aussi le consommateur, on ne peut indéfiniment presser le citron sans faire s’écrouler le système. Avec la mondialisation, si. Du moins, la périodicité des crises, et les effets ont changé, vu la manière dont les vases des nations communiquent.
D’un autre côté, le phénomène des bulles spéculatives a changé aussi. Déjà, le ratio spéculation / commerce réel a explosé ces dernières décennies, et les moyens de communication ont permis cette explosion (même si le télégraphe avait déjà apporté une révolution en la matière).
On a vu que les crash non seulement se propagent à travers les pays, vers les pays pauvres ou en piteux état, comme en 1929, mais ce qui change, c’est que l’effet de bouclier protège les pays riches. Les retraits massifs de capitaux et les pays dont l’économie dépend massivement des capitaux étrangers, cela n’avait pas du tout tant d’ampleur. 98% de l’activité boursière est au Nord, mais c’est l’Asie, le Brésil, l’Argentine, … qui ont pris dans les années 1990. Chez nous, peu d’effet ; aux USA, encore moins. Au contraire, tous ces capitaux rapatriés rapidement ont bien du servir à investir.
Enfin, avant la mondialisation, la guerre était un moyen essentiel pour faire oublier au petit peuple ses revendications. On unissait les mécontents contre un ennemi commun, et hop, après coup, ça vous relançait un cycle capitaliste.
Quand les pays commercent ensemble, ils ne se font pas la guerre. On a délocalisé la guerre comme le travail de bas étage…
Cela peut choquer, mais pour moi, le premier facteur qui joue sur la mondialisation, c’est la volonté de Paix qui anime les nations riches. Historiquement, cela se tient.
C’est aussi en songeant à cela que j’ai cessé de vouloir lutter contre la mondialisation en prônant un quelconque protectionnisme étatique, ou autre attitude qui rentre dans une rhétorique de concurrence entre nations, ce qui est la base du discours capitaliste primaire.
Ce que je « reproche » humblement (…) à un Maurice Allais, par exemple, c’est de ne pas dépasser le carcan de cette logique. Bien sûr qu’il vaut mieux un protectionnisme systématique qu’une anarchie des échanges, qui nous fait subir toutes les distorsions de niveau de vie, et une inéluctable harmonisation par le bas. Mais cette alternative, pour moi, commence à sentir le vieux. Et surtout, c’est une logique qui confronte des entités, des moyennes, sans jamais tenir compte des individus, des écarts-types…
Instaurer le commerce équitable, mesurer les inégalités mises en jeu à tous niveaux de l’économie, c’est au contraire composer avec la mondialisation, et lutter directement contre l’exploitation des uns par les autres. Si la seule chose qui véritablement mise en concurrence entre nations, ce sont des systèmes de protection sociale (c’est mon avis), si effectivement les inégalités augmentent dans tous les pays (c’est le cas), si la compétition de grosses boîtes masque l’explosion des inégalités individuelles au sein de celles-ci, et des plus petites dans la foulée (au point que le gouvernement Raffarin a étendu encore la loi du gouvernement Jospin, sur la transparence sur les revenus en actions des cadres dirigents), ce n’est pas une logique de concurrence entre nations ou de concurrence entre personnes morales qui nous aidera, mais bien une logique qui lutte contre la génération d’inégalités entre individus.
C’est là, je crois, la « thèse » principale de ce volet (dont l’intro est en grand chantier… - je ne suis qu’une simple personne, mais j’ai pris le pari de le lancer…), du moins en ce qui concerne son instigateur et animateur autoproclamé… : proposer [bgcolor=#FFFF99]les bases d’un « libéralisme équitable et écologique ».[/bgcolor]
Il est intéressant de critiquer ce concept sur la base du grand leitmotiv néolibéral, qui est « toute intervention de l’Etat, extérieure au système considéré (privé), fausse les calculs des entrepreneurs et autres décideurs de l’économie, et il s’en suit des déséquilibres qui pénalisent tout le monde ». Bien sûr, dans une situation idéologique bloquée come aujourd’hui, ce leitmotiv conduit à un véritable dogme. Mais il n’y aurait pas tant de rigidité dogmatique d’un côté si en face il n’y avait pas autant de rigidité aussi. Aussi vrai que je suis de gauche, disons socialiste (donc libéral d’une certaine manière), je suis sensible à l’idée que si on établit (ou accepte) un système libéral, les décideurs de l’économie privée doivent pouvoir prévoir, calculer, …
Je tiens donc à finir ce message en précisant que les principes que je propose ne mènent pas tant à de l’ « interventionnisme imprévisible », mais à un système de pénalités ou d’incitations fiscales qui pourraient tout à fait être estimées, prévues, intégrées dans les calculs prévisionnels des décideurs de l’économie libérale.
C’est une des raisons qui me font penser que ces principes sont démocratiquement tout à fait recevables, consensuels. Des libéraux dignes de ce nom ne s’en trouveraient pas choqués, je crois ; quant aux néolibéraux qui s’assument, non seulement ils ne sont pas légion dans le peuple (on l’oublierait souvent, car ils le sont dans les lieux où se forment les monopoles de la parole) mais je n’ai pas honte à me dire démocrate et à annoncer que je n’envisage pas de négocier avec de dangereux fossoyeurs de démocratie.
Une entreprise qui propose des rémunérations très inégales, qui achète à des fournisseurs étrangers très inégalitaires, qui menace la santé des salariés, ou l’environnement plus qu’elle pourrait s’arranger pour le faire, et choisit de même ses fournisseurs parmi ceux qui économisent ainsi sur le dos de la communauté (santé publique, dépenses publiques pour la protection de l’environnement, et tout type de « coûts sociaux externalisés ») saurait assez précisément, en fonction de ce qui s’est fait l’année d’avant, des grilles déjà établies par l’organe public indépendant de contrôle de l’activité économique, et suivant sa position dans le chaîne client-fourisseurs, à quel niveau de pénalisation directe ou indirecte elle s’attend.
À l’inverse, elle sait que toute pratique égalitaire et écologique est récompensée quasi mécaniquement : au calcul égoïste, vu de ses intérêts, cela n’est pas un simple « investissement à perte », et cela se compte, se prévoit.
Il est vrai qu’il faut tenir compte de la latitude de la majorité parlementaire en place (que cet organe public de contrôle conseillerait, mais le Parlement déciderait lui-même, suivant les positions majoritaires du moment, suivant les initiatives gouvernementales aussi, et en fonction de la conjoncture).
Mais sur cette base, je pense que l’essentiel de la visibilité serait permis pour les décideurs du privé, et par ailleurs les parlementaires ne sont pas des irresponsables, surtout s’ils peuvent décider en connaissance de cause, autant que possible.