Fédération suisse, cantons suisses, nation suisse, peuple suisse, souveraineté suisse et constitution suisse
Si Téhac (message 108) est interpellé par le fait que « la Fédération puisse avoir une constitution différente de celle des [cantons], car en ce cas, les [cantons devraient] « incorporer » la Constitution fédérale qui leur est supérieure [et] en ce cas, les constitutions [cantonales] ont toutes en commun ce "tronc’ fédéral », c’est qu’il oublie deux composantes fondamentales des institutions suisses, à savoir la nation et le peuple. Les constitutions (fédéralistes ou centralistes) ne sont que des considérations secondaires par rapport aux deux précédentes.
La nation suisse, en tant que communauté de personnes désireuses de vivre et de se gouverner indépendamment des autres communautés de personnes, existe depuis au moins 1291 sous forme de confédération, puis brièvement (1798-1803) de « République cisalpine » centralisée, et à partir de 1803 sous forme de fédération, en vertu de l’acte de médiation conclu sous l’autorité de Napoléon Ier, acte dont l’original est toujours conservé à Paris, au Palais du Luxembourg [NB. Je n’en suis plus sûr, je crois maintenant que l’original est en Suisse, mais je n’ai pas trouvé d’indication à ce sujet sur l’Internet.]. Les Suisses ont célébré au Palais du Luxembourg à Paris le centenaire de cet acte qui n’était pas exempt de préoccupations franco-françaises tout en marquant le début du fédéralisme suisse moderne : voir http://mjp.univ-perp.fr/constit/ch1803.htm, et – pour les constitutions cantonales – http://www.bk.admin.ch/org/00841/00844/index.html?lang=fr).
L’important est que le peuple et les cantons suisses ont délégué à la fédération suisse, par la constitution fédérale, un certain nombre de pouvoirs.
La volonté du peuple étant exprimée au niveau national par le vote majoritaire des citoyens suisses et au niveau de chaque canton par le vote majoritaire des citoyens suisses dans ce canton, on voit que la souveraineté suisse se confond, même si la constitution ne le dit pas explicitement, avec la souveraineté du peuple suisse. Paradoxalement, la seule souveraineté mentionnée dans la constitution suisse est la souveraineté cantonale, mais c’est pour affirmer d’emblée que « les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale » – et on en revient donc à la souveraineté du peuple suisse. En fait, les cantons suisses ne sont pas souverains car la « souveraineté cantonale » dont il est parlé dans la constitution est sans rapport avec la vraie souveraineté, qui ne peut être qu’absolue.
Dès lors, il n’y a pas lieu de se poser la question de l’antériorité ou de la supériorité des cantons suisses par rapport à la fédération : elle est réglée par la constitution.
Cela étant, cette constitution fédérale suisse sert à deux choses : 1) à régler l’organisation et le fonctionnement des pouvoir publics (comme toute bonne constitution, mais Ana trouvera sans doute que c’est un peu court), et 2) à consigner les décisions référendaires prises directement par le peuple suisse au niveau national avec les cantons, décisions qui de fait sont toujours réputées avoir un caractère constitutionnel quelqu’en soit l’objet parce que c’est le souverain (le peuple votant au niveau de la nation et dans les cantons) qui les a prises.
Au bout du compte, les cantons sont donc libres de se doter de la constitution cantonale de leur choix, mais sous réserve de respecter la constitution fédérale.
Si l’on veut, c’est une manière pour la constitution cantonale d’incorporer la constitution fédérale, mais ce n’est là qu’une image approximative de la situation constitutionnelle, et il vaut mieux dire que dans la hiérarchie des normes la constitution fédérale se situe au-dessus des constitutions cantonales. La Suisse n’en reste pas moins un État fédéral. JR
Message corrigé et un peu modifié le 20 décembre 2011. JR