Je voudrais revenir sur deux réactions que je crois des réflexes irraisonnés quand on évoque devant la plupart des gens une société de communes autonomes.
Est ce vraiment une attitude de repliement sur soi ?
Une société de communes autonomes ne veut pas dire plus de frontières mais moins de frontières. Plus le territoire à enclore est vaste plus la clôture peut, et en fait plus elle doit, être haute et étanche ; plus le territoire à enclore est petit plus la clôture doit, et en fait plus elle peut, être basse et poreuse. D’une part le budget disponible est proportionnel à la surface du territoire (au carré de la distance caractéristique) alors que la longueur de la frontière n’est proportionnelle qu’à la distance caractéristique, un grand pays a donc proportionnellement plus de moyens pour la défendre. D’autre part plus le territoire est petit plus il peut se spécialiser dans ce qu’il fait le mieux, et plus il doit importer de choses qu’il ne sait pas faire. Je ne reviens pas sur les démonstrations des économistes sur la relation entre taille et ouverture.
Nous avons un exemple qu’on commence à mieux connaître (après avoir trop longtemps fait confiance à l’analyse qu’en faisait une époque où l’Histoire n’était que des histoires) d’une société de communautés autonomes. C’est la partie du Moyen-âge qu’on appelle l’époque féodale (des premiers raids vikings au développement de l’artillerie au cours de la guerre de cent ans). On l’appelle aussi le temps des cathédrales, c’est l’époque de l’art roman puis de l’art gothique. C’est une époque où les plus incultes pouvaient comprendre voire s’exprimer en plusieurs langues ou dialectes. C’est une époque où, malgré un morcellement invraisemblable des territoires, on pouvait traverser l’Europe sans papiers en s’arrêtant n’importe où pour y travailler. Évidemment, comme il n’y avait pas de carte bleue, il fallait avoir tout le budget de son voyage dans sa bourse ou sa braguette, et ça pouvait attiser des convoitises, mais l’insécurité n’était quand même pas au niveau actuel : le roi de Bretagne a pu vers 860 envoyer au pape de Rome une statue de lui en or grandeur nature sans qu’elle s’évanouisse dans la nature en chemin (comme en cas de guerre il pouvait lever jusqu’à mille guerriers, on imagine la taille de l’escorte qu’il avait pu constituer). C’est aussi une époque où l’année comptait (déjà) à peine 200 jours de travail, où la guerre ne pouvait se dérouler que trois jours par semaine, et seulement sur les terres non interdites à cette activité (pas les terres agricoles, pas les terres d’Église, etc. en fait il ne restait pas grand chose), qui a produit des inventions sans lesquelles la littérature écrite n’aurait jamais éclos, mais ceci n’a rien à voir (?) avec les frontières.
On peut aussi rappeler que l’homme est un animal grégaire, mais pas trop. Quand on le force à vivre en collectivités trop vastes, c’est le « mais pas trop », et le rejet de l’autre, qui s’impose. Quand on le laisse dans l’anarchie, ce sont les tendances centripètes qui dominent (jusqu’à atteindre un optimum où les tendances centrifuges se développent).
Bref, le repliement sur soi, c’est plutôt les États-nations.
Est ce qu’il y a vraiment besoin d’au moins une dose de centralisme sur certains sujets ?
C’est une question qui reste ouverte pour moi, tant que je n’aurai pas trouvé de quel sujet il pourrait s’agir.
La défense ? La guerre (du moins la guerre qui mérite de mettre en place une défense avec un plan à long terme et un budget conséquent, des choses qu’on peut centraliser) c’est historiquement le fait des empires et des États-nations. En 1868, le Liechtenstein a supprimé son armée. Il a traversé sans encombre deux guerres mondiales et les bouleversements de frontières qu’elles ont provoqués. Il a échappé à l’anschluss qu’a subi son voisin nazi, à l’invasion qu’ont subie les pays anti-nazi, à l’annexion qu’ont subie les autres régions germaniques non allemandes. Je ne dis pas que la raison en est l’absence d’armée, je dis que l’existence d’une armée (centralisée avec la Suisse ou pas) ne l’aurait pas mieux protégé.
L’éducation ? Le meilleur système éducatif du monde est celui de la Finlande, c’est aussi le plus décentralisé. Aucun besoin d’autorité centrale pour que chaque école mette lire-écrire-compter dans le tronc commun, l’enseignement de base, quelle que soit la façon de l’appeler.
La police ? Sans nier qu’une coordination, des accord d’assistance, etc. sont utiles voire nécessaires (mais chaque commune est capable de voir les avantages qu’elle y trouvera, et sera d’autant plus encline à collaborer que c’est un choix qui vient d’elle plutôt que d’être imposé par une autorité transcendante), et d’ailleurs c’est vrai pour les autres sujets aussi, ça n’a rien à voir avec la nécessité d’une centralisation.
La monnaie ? Il y a des avantages (discutables : la monnaie est un cheval de Troie pour tous les autres sujets) à une monnaie unique, ou au moins commune, quand tout va bien, mais il y a beaucoup trop d’inconvénients quand les choses vont mal. Il y a assez de littérature récente sur le sujet pour que je ne développe pas.
La justice ? A quoi peut bien servir une justice centralisée si la loi est décentralisée ?
La loi ? Mais quelles compétences devraient être centralisées ? « Est ce qu’il y a vraiment besoin d’au moins une dose de centralisme sur certains sujets ? »