Je n’ai pas parlé du port d’arme en particulier, mais du droit constitutionnel énoncé dans le second amendement, à savoir « the right to keep and bear arms ». Je ne discute pas les modalité du droit américain, mais l’affrontement entre un gouvernement et des lobbys qui tendent vers la restriction d’un droit, et des citoyens et un lobby (la NRA, pour la pas le citer) qui défendent ce droit. Bien sûr, des deux cotés il y a aussi bien des citoyens que des élus, des gens manipulés que des manipulateurs, des gens sincères et conscients dans leur combat et des abrutis qui ne font que suivre. Je ne joue pas à l’arbitre de la question du droit des armes, mais je pointe une lutte d’influence, dont un des partis bénéficie de l’appui et de la dynamique gouvernementale (à savoir le parti « anti-armes »).
Je n’ait pas à justifier une loi qui reconnait le droit, avec des différences locales notables, à l’achat et au port d’armes, certaines étant des « armes de guerres » (comme si c’était particulièrement choquant; on fait de nos jours des armes de chasse qui couchent des grizzly sur le coup, mais c’est le 5.56 qui fait flipper). Mais la restriction de ce droit ne va pas de soi non plus. La logique américaine c’est de dire que, de base, le peuple a tous les droits, et que faire des lois, et donc interdire des choses, est un mandat exceptionnel confié aux représentants élus, et que c’est à eux de justifier leurs décisions. Ca ne veut pas dire que n’est interdit que ce que la loi interdit, mais les autres interdictions sont contractuelles (au sens large) et privées. D’où, aussi cette spécificité américaine, choquante pour un français, que chaque échelon social/administratif est producteur de droit: la ville, le conté, l’état, la fédération, le droit (au sens juridique) ainsi produit est en quelque sorte l’officialisation et la reconnaissance légale de conventions (idéalement) reconnues par les habitants de l’unité territoriale.
Je crois qu’il y a quelque peu incohérence à prétendre que les acheteurs d’armes sont des paranos qui ont peur de leurs voisins, quand on utilise par ailleurs comme argument contre les armes la peur des parents pour la vie de leur enfants « avec toutes ces armes en libre circulation » (remplaçons « armes » par « tueurs », et ont a le discours réactionnaire-sécuritaire le plus pur, celui-là même que les anti-armes prétendent être la source du désir paranoïaque d’arme). A la limite, à être un crétin irrationnel, avoir la peur des brigands est malgré tout plus sensé qu’avoir peur des armes à feu, qui elles n’ont aucune volonté propre. Par ailleurs, au delà des rumeurs et des fantasmes, jamais je n’ai entendu parlé de particuliers achetant des chars d’assaut armés et en état de marche. Des châssis « démilitarisés », ça par contre, je dis pas. Les armes du temps des Founding Fathers étaient loin d’être de petit calibre: le Brown Bess, le fusil de base de l’armée britannique avait un calibre de 18mm, et le Charleville, son équivalent français, de 16.5mm. Mais à la limite, on s’en fout absolument, c’est un détail sans la moindre sorte d’importance.
Par contre, ce qui est grave, c’est d’imaginer que des choses qui ne sont pas explicitement interdites dans un texte de loi un peu ancien puissent l’être aujourd’hui sans autre justification que l’interprétation de la volonté de ceux qui ont fait la loi. Car alors comment, au contraire, supposer que ceux qui ont voté l’article du code de la route interdisant le stationnement en double-file, eux, voulaient que cet article s’applique encore dans une France de 63 millions d’habitants comportant peut-être cinq ou dix fois plus de voitures qu’à leur époque? Hein? A ce moment-là, autant abolir toute loi, ça va plus vite, car un jour, Mr X arrivant au pouvoir pourrait aussi demander à la nation, sur un ton rhétorique, si les lois de séparation des pouvoirs auraient été votés si, à l’époque, un homme aussi formidable que lui avait été présent. Et de répondre que non, en se déclarant du même mouvement souverain suprême du pays, et instituant son parti comme unique force de police et de jugement, n’ayant de compte à rendre qu’à lui.
C’est vrai que j’aime bien les armes à feu. Ce sont souvent des concentrés d’ingénierie très intéressant à étudier, et l’histoire des armes est inséparable de l’Histoire (avec un grand H). Si cela pose problème à quelqu’un, qu’il se figure qu’en vertu de ce simple intérêt pour un objet mécanique toute mon opinion est biaisée, je clos simplement le dialogue avec cette personne, dont les préjugés font honte à l’intelligence. Mais s’il est possible de passer outre les clichés les plus éculés, alors peut-être on pourra se concentrer sur le rôle symbolique de cette lutte inégale autour du droit des armes, puisque le débat n’est pas laissé aux citoyens, mais que le gouvernement pèse de son poids dans un des plateaux de la balance. Un peu comme le « Non » au référendum de 2005 ne portait pas vraiment sur le projet de Constitution, mais était un message du peuple: « Nous n’aimons pas votre conception de la politique, et votre manière de nous prendre pour des cons. Nous votons « non » car vous nous faîtes chier, et puisque pour une fois il ne s’agit pas de choisir entre bonnet blanc et blanc bonnet, on peut vous le dire en face ». Combien ont voté « non » sans lire le texte? Il serait facile d’essentialiser le « noniste » en inculte réactionnaire et manipulé par les populistes (par exemple), c’est ne pas comprendre qu’au delà des leurs défauts, de leurs conditionnements, de leurs limites, les gens perçoivent quand ils ne sont pas respectés, et qu’ils expriment leur ras-le-bol, leur indignation par des moyens très limités, parfois même inconsciemment. Et même un crétin peut être légitimement indigné au fond de lui-même, quand bien même cette indignation se manifesterait extérieurement ou politiquement de manière crétine.
Bien sûr qu’il y a beaucoup de crétins parmi les pro-armes (il n’est pas prouvé qu’il y en ai moins en face), et parfois leur vision des choses est à gerber (proximité idéologique avec les néo-cons), mais au delà de ce crétinisme, qui est souvent un habitus (au sens bourdieusien), il y a bien un homme, et au delà des structures mentales qui lui viennent de son éducation, de son milieu, de ses choix, des ses habitudes de vie, il y a la même perception indicible des choses affectives et sociales. Au gros con de droite chasseur viandard pro-arme et au pauvre gaucho abruti fumeur de beuh anti-arme, un crachat sur la gueule fait le même effet. Et bien l’état d’ébulition dans lequel sont les pro-arme est l’expression maladroite de la colère face au crachat à la gueule que constitue l’attaque contre leur dignité en tant qu’homme que constitue la manière dont on veut restreindre le droit aux armes. C’est pareil avec la « manif pour tous », c’est la réaction face à la manière dont le gouvernement leur crache à la gueule. Ce crachat à la gueule, c’est ce que Bourdieu appelle la violence symbolique, qu’on subit souvent inconsciement, mais qui suscite aussi des réactions régies par l’inconscient. Ce qui fait que la cause est bonne, la réaction légitime, mais le discours est souvent mauvais, en décalage, voire contre-productif, car on accuse le coup, mais ne détectant pas qui l’a porté et comment, on riposte n’importe comment. Le débat sur le droit des armes aux USA est la scène d’une violence symbolique, et dans cette lutte, le parti anti-arme a de son coté le gouvernement. Dans les faits mollement peut-être, mais symboliquement c’est capital.