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Traités UE
Concernant les dispositions des traités et la nécessaire autorisation préalable de la BCE pour qu’une banque centrale nationale émette de la monnaie fiduciaire en euros, c’est ce que je disais aussi moi-même (à des détails techniques près, précisions qui ne changeaient rien en pratique).
« Théorie de la « création monétaire » »
S’agissant de votre théorie de la monnaie, la « théorie de la « création monétaire » » à laquelle vous opposez votre trouvaille (simple, intuitive mais fausse) n’est autre que celle qui figure dans les manuels académiques de 1ère année d’économie. Il y a évidemment toujours possibilité de la contester, heureusement.
En simplifiant à peine, je dirais que notre hôte a illustré ce vieux faux débat par un concours de hauteurs de piles de livres tirés de sa bibliothèque personnelle : le score, indicatif, donne 2 contre plus de 80…
Reste que tous les gouvernements, législateurs et banquiers centraux de la zone euro s’entendent pour définir la monnaie selon la théorie académique. Vous trouverez aisément les signes de cette doxa dans le code monétaire et financier et dans les fondements comptables de n’importe quel rapport de la Banque de France. Vous les trouverez encore, par exemple, dans l’idée – saugrenue au regard de votre définition de ce qu’est un titre « garanti » (s’agissant de monnaie « fictive », je reviendrai ensuite sur votre résurrection d’une distinction tout à fait désuette) – qu’a eu le législateur français :
- de ne pas demander à la banque centrale d’émettre assez de billets et de pièces pour couvrir l’ensemble des avoirs bancaires des citoyens, sans pour autant considérer qu’on les exproprie ainsi sauvagement. Il va sans dire que l’épargne bancaire et les DAV de nos concitoyens (je dirais : de l’ordre de 2 000 milliards d’euros) dépassent de très loin, dans leur ensemble, la masse de monnaie fiduciaire en circulation en France (de l’ordre de 150 milliards d’euros pour cette dernière) ; plus récemment, de garantir les comptes de dépôt bancaires de tous les citoyens français à hauteur de 100 000 euros ;
- d’imposer que les montants importants soient réglés par voie électronique ou de chèque, que les salaires soient ainsi versés sur des comptes bancaires, et d’interdire le règlement de ses impôts en liquide.
La théorie académique en question inclut donc un monceau de monnaie « fictive » (pour reprendre votre terme) créée par les banques de dépôt. Mais elle considère aussi que ce sont les crédits bancaires qui font les dépôts. Ils ne le font pas même seulement à 90, 93 ou 95% mais à 100%. Vous devriez vous mettre en tête que le choix de l’émission de monnaie fiduciaire papier ou métallique, exactement comme celui de son usage, ne répond plus de nos jours qu’à de simples nécessités matérielles, qui n’ont rien à voir avec une affaire de garantie publique.
Primo, la « monnaie banque centrale » (« monnaie de base », « M0 ») elle-même n’est pas seulement composée de billets et de pièces. Le législateur s’accommode parfaitement du fait que les règlements interbancaires, via les comptes des banques à la banque centrale, impliquent une monnaie qui, tout étant considérée comme un strict équivalent des billets et des pièces dans la comptabilité de ces divers agents, est une monnaie purement électronique. Ce que suppose évidemment un système de compensation brassant des centaines de milliards d’euros par jour. A une échelle un peu plus réduite, mais purement confinée à la sphère des pouvoirs publics, le Trésor, la Caisse des dépôts et consignations, à l’instar de toutes les autres agences publiques, sont évidemment autorisés et même invités à fonctionner essentiellement par échanges de monnaie scripturale.
Un régime monétaire parfaitement, odieusement libéral
Deuxio, le régime monétaire en vigueur est précisément conçu pour interdire toute création monétaire publique. Autrement dit, le régime politique en place n’admet précisément que de la création monétaire privée.
Ce n’est pas seulement que les États de la zone euro, comme vous le savez, ne peuvent être financés par leur banque centrale (art. 123). Il y a aussi que la BC(E), lorsqu’elle émet de la monnaie fiduciaire, la porte aussitôt à son bilan comme une dette de sa part. Questions : à qui appartient alors la monnaie fiduciaire ? Et si elle n’appartient à personne, où sont, que sont donc nos propriétés nommées « avoirs bancaires » (mon épargne et mes possessions indiquées sur mon compte chèque – de dépôt à vue) ?
Mais vous pouvez prolonger ainsi la chaine, et vous devez le faire pour bien comprendre ce qu’est la monnaie au présent (et qui la crée).
En définitive, tout est fait pour considérer que la monnaie qui circule (dans les échanges impliquant les particuliers et les sociétés non financières), de même que l’épargne, ait seulement pour contrepartie des reconnaissances de dettes.
Les banques ne prêtent pas aux uns l’épargne des autres, mais chacune doit couvrir ses prêts par autant d’épargne (im)mobilisée (sous différentes formes : dépôts à terme, fonds propres, emprunts à d’autres banques). Prétexte pour rémunérer cette dernière, ce dont on se passerait volontiers. Ce régime n’empêche pas, bien sûr, que le système bancaire dans son ensemble, en pratique, démultiplie les petits pains, savoir la masse monétaire, puisque les dépôts formant ces contreparties sont eux-mêmes issus de crédits bancaires.
Mais l’idée à la base de ce système monétaire est précisément qu’aucun gouvernement, législateur, ou citoyen en particulier ne puisse créer de la monnaie de son propre chef. Tout s’y passe comme si la création monétaire « du fait du prince » était interdite, les agents participant à la décision de créer de la monnaie étant aussi nombreux (tous les particuliers, toutes les entreprises, dès qu’ils sollicitent un crédit, même si c’est pour aller jouer en bourse, au comptant ou à terme) que tenus chacun par des limites rigides (sur le papier, c’est à dire légalement parlant, mais sachant que le défaut de paiement fait toujours partie des options dont dispose chacun des agents de la chaine). En d’autres termes, c’est un système parfaitement, odieusement libéral.
Clause anti-inflationniste ou pas, je ne suis absolument pas d’accord avec votre affirmation (« convenue ») selon laquelle la BCE peut émettre autant de monnaie qu’elle le veut. C’est tout à fait l’inverse : la BCE, justement, ne créée de monnaie qu’à la demande des marchés monétaires (des banques). Elle ne la leur prête que contre remise de titres de dettes, qu’elle prend en pension, mais elle-même est tout sauf libre : dans cette transaction, les deux parties sont entièrement sous contrainte, mais les banques de dépôt – et, en définitive, tous les clients des banques – ont toute l’initiative ; elle, rien.
Titres de dette et garanties publiques
Quant à ce qui tient lieu de garantie publique dans ce système, au bilan, cela ne peut pas tenir éternellement puisque ce château de cartes, cette montagne de dettes en ascension exponentielle et indéfinie, finit nécessairement par s’écrouler. Voilà pour la morale de ce que vaut la légalité dans un système ultralibéral.
Ne soyez pas tenté de répondre qu’en dernier analyse, cela démontre que seule la monnaie papier à de la valeur au sens où elle est garantie par l’État… La distinction n’aurait pas plus de consistance après l’effondrement qu’avant. Au passage, une situation d’hyperinflation se caractérise toujours par une crise politique et sociale majeure, dans laquelle la confiance dans les institutions est à la hauteur de la confiance dans la monnaie que ces dernières reconnaissent (et émettent).
Dans votre liste d’hypothèses, à la fin, vous considérez celle selon laquelle l’État irlandais aurait émis des titres dans cette affaire : je ne vois pas le rapport.
Je vois plutôt ça comme un signe que vous faites un rapprochement entre « États » et « Banques centrales des États » bien trop serré au regard de la réalité, du moins flou.
Il s’agit d’une émission d’euros fiduciaires par la banque centrale irlandaise, pour refinancer des banques. Rien à voir avec une émission de titres par un État – lesquels titres, à l’émission, ne pourraient justement pas être achetés par la banque centrale, nous le savons. Bien sûr, les montants créditeurs copieux (plus de 170 milliards d’euros) que la BCE (directement ou via la banque centrale irlandaise) a créé sur les comptes des banques irlandaises ont pour contreparties des titres (de dette), dont assurément une part pas trop faible d’obligations publiques, en principe (…) une part significative correspondant sans doute à des bons irlandais. Mais il ne peut s’agir que d’un rachat, considéré comme une prise en pension temporaire.
Une dernière précision me parait essentielle pour bien comprendre que l’action de la banque centrale (fut-ce celle de la banque centrale irlandaise, à supposer qu’elle ait une quelconque marge de manœuvre par rapport au cadre du SEBC, ce que je ne pense pas) ne peut avoir pour intention de financer indirectement l’État (irlandais, dans ce cas).
Puisque la valeur à la revente des titres publics irlandais avait plongé, les marchés financiers concernés anticipant un risque élevé de défaut de paiement des échéances encore dues, les taux (« valeur actuarielle », rapportant les taux nominaux aux gains prévus) avaient flambé en proportion inverse sur le marché secondaire. Par simple effet d’arbitrage entre l’option d’acheter sur le marché secondaire ou primaire, la flambée des taux se propage mécaniquement aux taux proposés pour l’achat des titres nouvellement émis.
A la base, l’injection de monnaie banque centrale (d’ampleur exceptionnelle) correspondait en bonne en partie à une forme d’intervention de la BCE de type « open market » pour calmer cette flambée sur les marchés obligataires. Une flambée qui avait poussé les taux sur la dette irlandaise à des niveaux plus que dangereux, mais les banques de chaque pays possèdent des titres publics d’autres pays et nous savons que ces crises obligataires se propagent et ne vont pas s’arrêter là, ni en termes géographiques ni en termes temporels.
Un tas de gens, et même pas mal de connaisseurs, ont alors dit que ça correspondait à une forme de « monétisation de dettes publiques ». Ils savent bien, pourtant, que l’État ne reçoit rien de la part de la banque centrale et que sa dette ne diminue aucunement. Mais ces gens pensaient-là (en bon libéraux fanatiques, pour nombre d’entre eux, conscients ou non) au fait que, grâce à l’action de la BCE, l’État concerné pouvait continuer à se financer à des taux moins prohibitifs. En ce sens, la BCE contribuait à alléger sa dette…
Ce n’est pas simplement que ce raisonnement est purement virtuel. Il y a aussi qu’un raisonnement nettement moins virtuel démontre exactement le contraire : puisque l’effet de l’action de la BCE a été de permettre à l’État de continuer à emprunter, cet effet a aussi été, directement, de permettre à cet État de continuer à rembourser… Autrement dit, en pratique l’action de la BCE n’a pas eu pour effet d’alléger la dette de l’État irlandais mais, au contraire, de l’alourdir.
N’allez surtout pas croire que nous soyons là dans les virtualités : d’une part, à chaque échéance, un gouvernement d’État surendetté (ils le sont tous) est pris à la gorge au point qu’il n’a aucunement le choix et qu’il doit prendre des mesures immédiates, quelles qu’elle soient, pour se financer ; d’autre part, à chaque fois qu’il repousse le défaut de paiement, les « tours de vis antisociaux » sont de plus en plus violents. La dernière fois, par exemple, c’était l’armée qu’on envoyait contre les manifestants grecs. Même la reine d’Angleterre s’est ramassée des œufs sur sa Rolls…
Il est vrai que cette opération de refinancement dure, qu’elle est sans doute encore loin de prendre fin… A mon avis, cette « prise en pension » peut aisément durer… jusqu’à l’effondrement du système euro et la ribambelle de défauts publics qui marquera cet évènement. Et il est vrai qu’au final, on l’aura, la monétisation et l’annulation de dettes associée.[/color]