L’exemple de la Constitution de 1791 pour contrôler la guerre
Sur une autre discussion (http://etienne.chouard.free.fr/forum/viewtopic.php?pid=657#p657), Philippe m’a posé une question que je recopie ci-dessous et je lui réponds ici :
La déclaration de guerre ou la décision de participation à la guerre nécessite parfois une prise de position dans l'urgence.
Comment concilier l’urgence et la consultation du peuple par nature longue à mettre en place ?
Cependant, il semble que ce domaine doit relever de la décision du peuple souverain, alors pouvez-vous réfléchir à une procédure qui concilie urgence et primauté de la décision populaire ?
Que quelques hommes et femmes décident d’envoyer leurs concitoyens mourir au nom de motifs plus ou moins cachés est très choquant.
Si l’UE a réussi sur un plan depuis 1957, c’est bien celui de la Paix. Vivre en Paix à 25 aux yeux du reste du monde constitue un message d’espoir pour les autres peuples. Il faut tout mettre en ouevre pour consolider cette solidarité, cet état de paix.
Que proposez-vous dans ce domaine ?
Bonjour Philippe
Il me semble que nous devrions permettre à l’exécutif, en cas d’extrême urgence (invasion) et de façon temporaire, de déclencher seul les mouvements nécessaires à la défense, mais aussi l’obliger à rendre très vite des comptes au Parlement et tout arrêter si le Parlement (ou un RIP) s’oppose à la guerre.
La [b]Constitution de 1791[/b] avait prévu le cas de cette façon (Titre III, Chapitre 3, Section 1), et c'est intéressant (ils y avaient bien réfléchi) :
ART. 2. - La guerre ne peut être décidée que par un décret du Corps législatif, rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionné par lui.
- Dans le cas d’hostilités imminentes ou commencées, d’un allié à soutenir, ou d’un droit à conserver par la force des armes, le roi en donnera, sans aucun délai, la notification au Corps législatif, et en fera connaître les motifs. Si le Corps législatif est en vacances, le roi le convoquera aussitôt.
- Si le Corps législatif décide que la guerre ne doive pas être faite, le roi prendra sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités, les ministres demeurant responsables des délais.
- Si le Corps législatif trouve que les hostilités commencées soient une agression coupable de la part des ministres ou de quelque autre agent du Pouvoir exécutif, l’auteur de l’agression sera poursuivi criminellement.
- Pendant tout le cours de la guerre, le Corps législatif peut requérir le roi de négocier la paix ; et le roi est tenu de déférer à cette réquisition.
- À l’instant où la guerre cessera, le Corps législatif fixera le délai dans lequel les troupes élevées au-dessus du pied de paix seront congédiées, et l’armée réduite à son état ordinaire.
http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/les_institutions/les_textes_fondateurs/les_textes_constitutionnels_anterieurs/la_constitution_du_3_septembre_1791.22374.html
Les constituants de 1791 avaient malheureusement prévu un droit de veto royal (avec des délais trop longs, de 3 à 6 ans, pour trancher) et Louis XVI s’en est servi trois fois dans une période de troubles intenses (il fallait alors, précisément, agir vite), créant ainsi une crise du régime.
On voit que les Constituants avaient prévu (comme nous) un exécutif belliciste et une assemblée ayant le pouvoir de pondérer les décisions. Et c’est le contraire qui s’est bizarrement passé : les événements exigeaient une défense rapide, voulue par l’Assemblée, et c’est l’exécutif, pas forcément honnête, qui bloquait tout. Rien n’était prévu dans ce cas un peu tordu, il est vrai.
Par ailleurs, je crois qu’il est tout à fait exagéré d’attribuer à l’Union européenne la paix qui règne depuis cinquante ans en Europe. Les causes de cette paix sont sûrement multiples et complexes, la dissuasion nucléaire y compte sans doute pour beaucoup, l’information des peuples aussi (surtout par les images atroces ressassées ad nauseam), information citoyenne anti-guerre inédite dans l’histoire, etc.
Et c’est donc un hold-up aussi commode qu’indécent que les néolibéraux (utilisant notre beau rêve européen à des fins essentiellement mercantiles) effectuent là sur une vertu pacificatrice bien usurpée, eux qui ont déjà été à l’origine de la deuxième guerre mondiale par la crise épouvantable (1929) qu’ils ont provoquée, avec les mêmes rouages de cupidité débridée et de corruption des médias et des hommes politiques.
Je ne trouve pas pacificatrice du tout la construction européenne qu’on nous propose (qu’on nous impose), celle qui monte les peuples les uns contre les autres dans un atmosphère de compétition interne permanente, où le danger extérieur est volontairement attisé au lieu d’être adouci (ouverture des frontières à la Chine ou à l’Inde sans protection d’un côté, et concurrence déloyale de nos propres producteurs subventionnés à l’exportation de l’autre), dans cette ambiance de combats permanents et d’élimination des plus faibles, au profit des seuls monstres transnationaux qui tirent les manettes de façon occculte (12 000 lobies installés à demeure à Bruxelles, là où s’écrivent désormais les règles contraignantes en dehors de tout contrôle citoyen)…
Non, vraiment, qu’ils osent prétendre défendre la paix [b]en imposant sciemment à tout propos la guerre économique[/b], c’est indécent et peu crédible.
Mais je te comprends, Philippe, car toutes les radios et toutes les télés répètent tous les jours, comme un catéchisme, que « l’Union européenne, c’est la paix »… La propagande, ça fonctionne comme ça : en répétant sans relâche les plus gros mensonges, ceux-ci finissent par devenir « la vérité officielle ».