La voix du père Chouard - 4
À Guillaume (suite et fin) :
- Penser à l’avenir en contribuant à sa construction
Sur la remarque - essentielle - d’Étienne, qui consiste à dire que c’est en faisant soi-même l’expérience de l’écriture de bouts de constitution que l’on mesure la puissance de cet outil.
L’auto-congratulation n’a pas grand chose d’important : c’est bien de la prise de conscience de son propre esprit critique, dont il s’agit. Pas nécessairement celle de son propre génie… parce qu’il s’agit bel et bien d’une épreuve de réalité… (je sais, vous n’admettez pas l’idée qu’on peut juger de la qualité d’une constitution indépendamment de son expérimentation réelle par la société). L’idée, je crois, est de dire que pour tous, cette expérience est un formidable moyen de s’élever – Étienne le conseille à tous - ; moi qui en a un peu fait l’expérience, je n’ai pas attendu qu’on me fasse la remarque pour me le dire. C’est, je crois, une expérience dans laquelle se mêlent la liberté et l’autorité : l’apprentissage et le goût de la première, et le rapport à la seconde, la critique spontanée que l’on fait des puissants : celle du sens qu’ils donnent à leur action, celle de leur discours, face à l’idée que l’on apprend peu à peu à se faire du sens de l’action politique.
Savez-vous que le mythe de l’enfer et du paradis est une invention de Platon ? Inutile de s’étendre sur la fonction politique de celui-ci, je pense.
Vous parlez de notre « « problème » psychanalytique avec la mort » - encore une note passionante. Vous évoquez la question du « croire en l’avenir en contribuant à sa construction »
Vous écrivez « Puisque dans cet avenir, NOUS… n’existerons plus, NOUS SERONS MORTS !!! Alors quelle importance ? Il y a dans cette locution « croire en l’avenir » un mysticisme ou une spiritualité qui s’ignore, mais que nous, humains, trouvons « important » (c’est comme ça) car c’est une manière de nous projeter au-delà de NOUS-MÊME et de nos petites personnes. »
Déjà, j’ai un enfant. Voilà un évènement qui a changé mon rapport à la politique. Non pas que j’en fais moins, mais sans rogner sur les heures que je lui consacre, et sans lui faire partager mes angoisses et critiques (elle a 5 ans à peine), j’ai décrété que le nihilisme, je n’y ai plus droit.
Mais si j’ai parlé du mythe de l’enfer et du paradis, c’est pour une raison bien précise. Le fait que l’ « autorité » de la religion se soit nettement perdu dans nos sociétés occidentales (et plus encore en France – où nous comptons le plus grand pourcentage d’athées et d’agnostiques au monde) ne change pas la réalité qui a conduit Platon à vouloir diffuser ce mythe : la recherche de la vérité est un sacerdoce que ne peuvent se permettre qu’une minorité de gens. Parce que les gens croulent sous les obligations matérielles, le travail comptant pour beaucoup ; Marx et sa « boulangère » (assez qualifiée pour se charger de politique) ne disait pas autre chose, si l’on considère qu’il songeait à l’idéal d’après demain, par opposition à la réalité du temps présent.
Demandez-vous donc ce qui pourrait (peut) remplacer ce mythe, en assurer la fonction sociétale positive, sans lui associer tous ses aspects néfastes.
Je sais bien une chose, pour avoir été croyant longtemps, et être devenu athée : l’idée reçue « si Dieu n’était pas là, alors tout serait permis » est un pur contresens (comme l’écrit Michel Onfray - Traité d’athéologie) : c’est bien parce qu’on a inventé Dieu que l’on peut à ce point mépriser la vie, et justifier le pouvoir établi. Quand j’étais croyant, j’adoptais tout à fait cette idée. (J’avais précisément la religion de G.W. Bush… et je vous affirme qu’elle répand la persuasion que les choses de ce monde n’ont aucune importance, et que tous les autre, qui ne sont pas « born again », sont « dans le monde », pervertis et condamnés). Quand je suis devenu athée, non seulement je me suis rendu compte que la bonté n’est pas du tout l’apanage du croyant… mais c’est alors seulement que j’ai commencer à me cultiver et à m’investir dans la réflexion sur les affaires publiques.
Alors il m’arrive de réfléchir à cette question : qu’est-ce qui pourrait remplacer ce mythe du paradis et de l’enfer, à supposer que l’ignorance continue d’être si répandue, et la vérité (sa recherche) si peu « vendeuse » ?
Or qu’est-ce que l’idée de la vie éternelle, outre le déni de notre « « problème » psychanalytique avec la mort » ? Ce déni relève de la psychologie de l’individu, je parle ici de la sphère publique, de la fonction sociale que remplit l’entretien de ce mythe.
Ma réponse est que les gens vivent dans la mémoire des générations futures. Celui qui dans le domaine public a fait quelque chose de grand, comme celui qui a mal agi, vit d’autant plus longtemps dans la mémoire des humains, affublé de gloire ou de mépris. En un sens, c’est ça et ça ne saurait être que ça, la vie éternelle.
Du temps de Platon, comme du temps de la naissance de la religion catholique et de son établissement dans le domaine politique, il se trouve que l’Histoire n’existait pas. Du moins pas dans le domaine public. On contait les légendes des héros guerriers, mais le traitement « scientifique » de l’Histoire n’est apparu qu’à l’ère moderne. Et si la pensée de certains survivait, cette pensée n’a pas d’âge, elle peut vivre en dehors de la mémoire de l’individu qui l’a produite.
Les accidents de l’Histoire font que cette règle de la survie des gens – de leur action et de leur production intellectuelle - dans la mémoire des autres est toute théorique. Et bien je dirais que croire en l’avenir, en la démocratie, et s’employer à contribuer à ce que cet avenir soit meilleur, c’est s’appliquer à ce que cette règle théorique se vérifie le plus possible.
Je suis même assez convaincu que la démocratie.2 ou .3 … aura besoin de revoir notamment une chose essentielle : sa manière de gérer publiquement (par l’éducation, par la culture) le « culte rationaliste » des ancêtres (non pas l’entretien de dogmes, mais la critique post mortem, positive ou négative, de ceux qui ont vécu). De même, au niveau de la sphère privée, la société contemporaine à un problème évident avec le respect des anciens. Mais cela n’est pas sans rapport avec la mort de l’autorité, et l’envahissement de la sphère privée des enfants par le déluge critique et les horreurs de la sphère publique.