Indépendance des juges/opinions dissidentes
Dégadézo (2277), denis-roynard (2188).
Bonjour à tous les deux.
Je pense que Dégadézo se référait à mon message 983. Merci de me donner cette occasion de revenir sur le sujet.
Depuis ce message 983, de l’eau a coulé sous les ponts. Voici comment se présente maintenant (Rév. 13, qui va bientôt sortir) l’avant-projet CIPUNCE (http://www.cipunce.net) en ce qui concerne le Système judiciaire et la Cour des comptes de la future Confédération européenne, pour le cas où vous auriez le temps de lire ce long morceau :
[i]"Chapitre VI
"Le Système judiciaire de la Confédération européenne
"Article [31] : Statut et composition
'"1. Le Système judiciaire de la Confédération européenne, institution confédérale, comprend : la Cour de justice de la Confédération européenne (« Cour de justice de la Confédération », « Cour de justice »), le Tribunal, les tribunaux spécialisés et la Procurature.
"2. La Cour de justice comprend un juge par État membre. Les juges de la Cour de justice sont nommés par le Président de la Confédération sur proposition du Conseil agissant par consensus ou à l’unanimité. Le Parlement, agissant à la majorité absolue des députés en exercice, peut s’opposer à toute nomination. Les juges de la Cour de justice élisent parmi eux, pour trois ans, le président de la Cour.
"3. Le Tribunal comprend au moins un juge par État membre. Les juges du Tribunal sont nommés par le Président de la Confédération sur proposition du Conseil agissant par consensus ou à l’unanimité. Le Parlement, agissant à la majorité absolue des députés en exercice, peut s’opposer à toute nomination. Les juges du Tribunal élisent parmi eux, pour trois ans, le président du Tribunal.
"4. Les tribunaux spécialisés sont créés par la loi ordinaire.
"5. La Procurature comprend un procureur général et autant d’avocats généraux et de procureurs que nécessaire.
"6. Le Procureur général et les avocats généraux sont nommés par le Président de la Confédération sur proposition de la Commission avec l’agrément du Conseil acquis par consensus ou à l’unanimité. Le Parlement peut, à la majorité absolue des députés en exercice, s’opposer à toute nomination.
"7. La Cour et le Tribunal peuvent être complétés par des juges ad hoc en cas de procédure à laquelle un ex-État membre est partie, cela moyennant accord entre tous les États parties à la procédure.
"Article [32] : Attributions
"1. Le Système judiciaire assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application de la Constitution. À ce titre, il statue :
"a) sur les recours formés par un État membre ou ex-État membre, une institution, un organe ou organisme confédéral ou une personne physique ou morale ;
"b) à titre préjudiciel et à la demande d’une juridiction d’État membre ou d’ex-État membre, sur l’interprétation du droit confédéral et sur la validité juridique des actes des institutions, organes et organismes confédéraux;
"c) dans les autres cas prévus par la Constitution et la loi organique.
"2. Le Système judiciaire n’a compétence que pour les questions d’ordre juridique.
"3. Le Système judiciaire est juge de sa compétence au cas par cas.
"Article [33]. Le Président du Système judiciaire. Le Président de la Cour de justice confédérale est Président du Système judiciaire. À ce titre, il lui incombe notamment de veiller à 1’indépendance des décisions de justice et au bon fonctionnement du Système judiciaire et d’appeler l’attention des organes confédéraux compétents sur toute défaillance constatée.
"Article [34]. Organisation et fonctionnement du Système judiciaire
"Les juges rendent la justice en toute indépendance. Ils sont responsables pénalement et civilement dans les conditions prévues par la Constitution, notamment à son article [59-5-b et c). Ils sont en outre responsables disciplinairement.
« Article [35]. Modalités diverses. La loi organique précise les modalités d’organisation et de fonctionnement du Système judiciaire, s’agissant en particulier du statut du Président du Système judiciaire, des juges et des membres de la procurature et de la procédure à suivre devant les diverses juridictions. »
"Chapitre 7
"La Cour des comptes de la Confédération européenne
"Article [36] : Statut et composition. La Cour des comptes de la Confédération européenne, institution confédérale, comprend un juge par État membre. Les juges de la Cour des comptes sont nommés par le Président de la Confédération sur proposition du Conseil agissant par consensus ou à l’unanimité. Le Parlement, agissant à la majorité absolue des députés en exercice, peut s’opposer à la nomination.
"Article [37] : Attributions et fonctionnement
"1. La Cour des comptes vérifie les comptes de la Confédération et sa bonne gestion financière.
"2. Les dispositions de l’article [34] de la Constitution sont applicables à la Cour des comptes mutatis mutandis.
« 3. La loi organique précise les modalités de fonctionnement de la Cour des comptes, y compris les modalités de suivi effectif de ses jugements et autres décisions. »[/i]
Dégadézo remarquera que j’ai renoncé à donner un rôle au Médiateur par rapport au Système judiciaire : j’ai finalement conclu que les deux fonctions étaient incompatibles ; le Médiateur doit pouvoir fonctionner « en équité », en obtenant si nécessaire des solutions de compromis extralégales ; d’autre part, l’indépendance de la justice risquerait de souffrir des pressions du Médiateur.
Je suis d’accord avec Dégadézo que les propositions de denis-roynard impliquent une politisation de la justice.
En particulier, je suis pour ma part fermement opposé à la pratique des opinions dissidentes : à mon avis, l’indépendance de la justice nécessite que les magistrats disparaissent derrière leur juridiction. Lorsque le législateur adopte la loi, ce n’est que très rarement à l’unanimité : voudrait-on que ceux qui ont voté contre soient autorisé à expliquer en annexe pourquoi il ne faudrait pas l’appliquer ? Le même raisonnement vaut selon pour les décisions de justice.
Le système français de la « motivation des décisions de justice », s’il est bien appliqué, permet d’aboutir au même résultat que la procédure de l’opinion dissidente sans en avoir les inconvénients. Il appartient en effet à un bon tribunal de prendre en considération dans ses attendus toutes les opinions formulées par ses membres en cours de délibéré, en disant pourquoi tel ou tel argument d’un de ses juges n’a pas été retenu, mais sans nommer le juge opinant, cela afin d’assurer la totale liberté des délibérations.
On ne m’ôtera pas de l’idée que l’opinion dissidente, telle qu’elle est pratiquée surtout dans les tribunaux de droit anglosaxon (enfin, ceux où l’on pratique la collégialité - ce qui est beaucoup plus rare qu’en France) correspond avant tout à un exposé de professeur de droit, ou à la classique note de jurisprudence. Dans l’intérêt d’une justice efficace non politisée et, j’ajoute, non doctrinaire je préfère le système collégial anonyme utilisé actuellement en France.
Je serais toutefois d’accord avec denis-royanard pour faire des exceptions dans le cas de la Cour européenne des droits de l’homme et des juridictions analogues telles que la Cour internationale de Justice. Mais cette exception confirme la règle : Dégadézo a très bien remarqué que la CEDH (comme la CIJ) est une juridiction politique (disons : juridicopolitique). Or, les juges de telles cours sont nommés avec mission implicite ou explicite de représenter des États ou des systèmes juridiques : dans ces conditions, il est non seulement admissible mais encore très utile (pour la formation du droit international) que chaque juge puisse s’exprimer à loisir sous son nom et qu’on sache qui n’est pas d’accord avec le jugement et pourquoi.
Dans le cas de la future constitution confédérale vue par la CIPUNCE, c’est la loi organique qui règlerait ces questions de procédure : la constitution ne doit pas aller jusquà ce niveau de détail. Mais il n’y a pas d’inconvénient majeur à ce que les juridictions de l’Union [de la Confédération] pratiquent l’opinion dissidente en attendant que la confédération actuelle soit devenue une fédération (c’est-à-dire une organisation de citoyens remplaçant l’actuelle organisation d’États souverains). JR