[i]Notes :[/i]
(a) L’ensemble des mesures fiscales prises par l’État et affectant l’entreprise, qui peuvent varier suivant la domiciliation, soit nationale soit étrangère (sans distinction dans ce cas) des différents acteurs économiques qu’elle met en jeu : voir note (e).
(b) La pondération fiscale proposée ne contredit pas frontalement la (nécessaire) proportionnalité de l’impôt avec le chiffre d’affaires, par exemple. Mais elle pondère cet impôt proportionnel selon une règle également appliquée à toutes les entreprises. Il en ressort que la proportionnalité finale de l’impôt par rapport à ce critère, le volume de chiffre d’affaire ici, n’est observée qu’entre « égaux », à savoir entre des entreprises également inégalitaires ou, en définitive, entre individus également impliqués dans leurs entreprises. Les principes que sont l’égalité et la liberté appliquées à des personnes morales, principes contraires à l’éthique et même tout simplement de nature à abolir, à terme, l’état de droit, disparaissent ici, et le principe d’égalité est réaffecté aux seules personnes physiques.
En elle-même, la mesure implique probablement, indirectement, une pénalisation de l’entreprise croissante avec sa taille, si c’est dans les entreprises de plus forte taille qu’on tend naturellement à trouver plus d’inégalités salariales, des pratiques managériales plus favorables aux actionnaires ainsi que des rapports plus inégaux avec les fournisseurs et, de ce fait, des incitations à des pratiques plus inégalitaires faites à ces derniers. Une telle mesure absorberait ou découragerait ainsi le surplus de bénéfices transféré des fournisseurs vers les donneurs d’ordre, et inciterait les grandes entreprises à limiter les écarts de salaires, et donc à mieux répartir les responsabilités comme à s’adapter à des politiques de répartition du temps de travail.
(c) L’approche choisie renvoie bien sûr à la nécessité pour les syndicats de retrouver un pouvoir d’action et pour les salariés comme pour les entrepreneurs de se voir protégés du chantage actionarial permis par diverses forme de dumping : fiscal, salarial, social. Or, on peut argumenter le fait que la mesure permet de contrer également ces facteurs. Elle renvoie également à la nécessité d’une responsabilisation des acteurs de l’entreprise vis-à-vis de la collectivité plus largement : voir note (e).
Une question majeure est de savoir si la « pénalisation » de l’entreprise (considérée ici comme entité monolithique dotée d’intérêts propres) peut effectivement induire une modération de la pression actionnariale sur celle-ci, étant donné le décalage temporel des deux types de pressions concernées, associés respectivement aux deux critères considérés. Ce problème peut inciter à introduire une mesure combinant ces deux types d’inégalités salariales. Cette combinaison pourrait être redondante à moyen terme, mais elle est probablement justifiée par ailleurs, surtout dans la mesure où elle permet de tenir compte des écarts de niveau de vie moyens entre pays – voir note (f). La question se pose évidemment, par ailleurs, de la difficulté de recueillir, depuis l’étranger, les données permettant d’établir l’une et l’autre des mesures visées. C’est surtout de ce problème pratique que dépendra sans doute le choix du critère retenu.
(d) Les dividendes versés sur les actions qui appartiennent à des salariés sont considérées comme des salaires et non comme rémunérations d’actionnaires.
Mesure de disparité : écart type des salaires rapporté au salaire moyen, ou autre grandeur relative rendant compte au moins aussi fortement des disparités salariales.
(e) Il ne s’agit pas, ici, de définir de nouveaux impôts sur les entreprises, mais il s’agit pour l’État de pondérer, sur la base des critères d’inégalités énoncés au point 1), l’ensemble des charges qu’il applique (ou appliquera à l’avenir) à toutes les entreprises liées d’une manière ou d’une autre à ses ressortissants, selon l’assiette concernée. Cela entend donc par exemple : une pondération sur les diverses « charges patronales » si l’entreprise concernée emploie des ressortissants ; une pondération sur les impôts sur les bénéfices, sur la taxe d’apprentissage, … si l’entreprise est domiciliée sur le territoire ; une pondération sur la TVA si l’entreprise concernée vend ses produits à des ressortissants, … Il peut aussi bien s’agir par exemple d’appliquer cette pondération sur une taxation de l’entreprise à proportion de ses investissements en publicité diffusée sur le territoire, ou tout autre type de taxes à venir, appliquées aux entreprises, comme l’écotaxe. Pourquoi ne pas d’autant plus l’alourdir que l’entreprise polluante a pour objet exclusif d’enrichir ses actionnaires ?
Le principe proposé se veut « incitatif », encourager des « processus vertueux ». En combinaison avec l’explication donnée au point c), l’idée générale qui sous-tend l’approche suivie est qu’à même niveau de contrainte extérieure, l’irresponsabilité des personnes morales est indissociable de la hiérarchisation inégalitaire observable en interne ; par ailleurs, on recherche ici un principe robuste, au sens de la « constitution » au sens large du concept et au sens de la viabilité du régime, ce qui suppose de s’appuyer sur des forces sociales réellement existantes.
(f) La pondération fiscale proposée ne prend pas en compte le salaire moyen dans l’entreprise. Une raison évidente de ce choix est qu’il ne s’agit pas d’opposer brutalement des pays dont les moyennes nationales de niveau de vie différent beaucoup, mais d’encourager par contre, dans tous pays, les entreprises les plus égalitaires et d’y pénaliser les plus inégalitaires. Par exemple, deux entreprises, l’une domiciliée en Chine, l’autre en Allemagne, se verraient appliquer une pondération fiscale identique si elles présentent les mêmes disparités de rémunération individuelles considérées, même si les moyennes salariales sont très différentes entre elles. Mais la pondération fiscale proposée permet de décourager le fait que les écarts de rémunérations salariales entre pays soient le prétexte à l’exigence d’un plus fort revenu du capital pour l’entreprise chinoise que pour l’entreprise allemande. Supposons par exemple que ces deux entreprises soient possédées par les mêmes actionnaires, dans les mêmes proportions : étant donnés les grands écarts de moyenne salariale, si les actionnaires tirent des deux entreprises des taux de revenus équivalents, alors l’Etat pénalisera plus l’entreprise chinoise. Cela découragera les délocalisations d’activité ou les changements de fournisseurs d’un pays à salaires élevés à un pays à bas salaires décidés pour le seul bénéfice des actionnaires ou des cadres dirigeants, et cela réinstaure une forme de barrière douanière fondée non pas sur des mesures macroscopiques et aveugles, mais sur la lutte contre les inégalités individuelles.
Il est à souligner que ce type de fondation fiscale « prend à contre-pied » les fondements du droit de l’OMC ou du droit « fondamental » de l’Union européenne, qui interdisent les mesures fondées sur des discriminations entre pays, ce qui est une bonne chose a priori, mais le font dans le but d’imposer le dumping social, fiscal, … Ici, sans recourir à une loi contraire à ce droit, on parvient à ce qu’une discrimination effective ressorte précisément si, de fait, en moyenne, les pratiques économiques sont diversement inégalitaires entre deux pays étrangers. On peut souligner que la base même de cette « prise à contre-pied » se situe dans le fait de ne plus traiter les personnes morales privées comme des individus, tandis que cette aberration est précisément ce qui fonde le droit de l’OMC et sous-tend les « droits fondamentaux » (sic) de l’Union européenne.
On peut aussi considérer, par exemple, la question de la dissuasion des transports superflus, qui renvoie aux questions environnementales ainsi qu’à celle de la re-localisation de l’économie. La mesure proposée permet de ne pas voir dépendre la possibilité de pénaliser les transports superflus de facteurs tels que le coût de production des carburants, coût a priori non lié à leur empreinte écologique. Cette pénalisation s’exercera précisément lorsque le choix d’une grande distance de délocalisation d’activité sera motivé essentiellement par des motifs financiers liés à des intérêts privés, autrement dit, précisément lorsqu’un tel choix n’est pas sociétalement nécessaire. En outre, les choix privés d’orientation industrielle en matière énergétique seront eux-mêmes sanctionnés selon leur utilité sociétale.
(g) [color=black]Cette mesure implique donc une grande transparence relative à l’activité économique de ressortissants étrangers, effectuée, qui plus est, sur un territoire étranger.
Or il est évident qu’un État ne peut forcer une entreprise étrangère, des ressortissants étrangers, à garantir la lisibilité des activités : une telle exigence ne peut avoir aucun fondement légal.
Mais un État peut par contre conditionner l’accès des produits d’une entreprise étrangère à son marché intérieur à la fourniture des informations exigées.
Par ailleurs, ce qui est exigé ici n’est pas la fourniture de données comptables par la direction de l’entreprise elle-même – qui lui ferait confiance ? Il s’agit :
- d’une part de s’appuyer sur l’initiative et les intérêts des travailleurs eux-mêmes (ceux de l’entreprise exerçant à l’étranger), relayés en particulier par leurs syndicats.
- d’autre part, d’exiger des garanties individuelles élémentaires (droit de communication), consistant à permettre aux ressortissants étrangers, salariés, syndicats, associations, de communiquer librement les informations nécessaires aux mesures des inégalités visées.
Observons encore qu’une entreprise étrangère ne pourra vendre ses produits sur le marché intérieur que si elle même s’assure de recourir à des entreprises fournisseurs dont les salariés sont disposés et autorisés à transmettre les informations.
Il parait évident, par ailleurs, que l’instance mise en place par la mesure proposée aura régulièrement à traiter des informations contradictoires. Cela ne constitue pas nécessairement un point bloquant, mais il faudra préciser la règle de fonctionnement, et le faire dans la loi. Il parait logique, étant donné le contexte mis en place, que l’information donnée par des salariés individuellement, d’abord, puis celle fournie par les syndicats, sera généralement plus sévère mais plus fiable que celle donnée par les directions d’entreprise.
Il va de soi, également, que les salariés et les syndicats de l’entreprise effectivement touchée par l’impôt, à savoir celle qui exerce telle ou telle activité sur le territoire de l’État qui applique la pondération fiscale, seront eux-mêmes incités à agir pour obtenir les informations requises, concernant les fournisseurs. On peut ainsi envisager notamment l’incitation, par cette mesure, à des coopérations syndicales entre entreprises clientes et fournisseurs, ressortissantes et étrangères : les « acteurs sociaux » trouveraient effectivement un intérêt direct à coopérer, dans ce système encourageant le commerce équitable.
A terme, et même très rapidement en fait, les Etats eux-mêmes seraient incités à favoriser par divers biais l’activité syndicale et le commerce équitable. En effet, les garanties exigées s’adressent formellement non pas aux entreprises ou aux ressortissants étrangers mais aux États étrangers.
On peut noter en particulier que la transparence des revenus du capital supposée ici implique que l’État interdit tout rapatriement de fonds depuis les paradis fiscaux, lesquels se définissent essentiellement par leur opacité financière. Voilà donc établie, sur le même fondement, une mesure pratique pour « éliminer les paradis fiscaux » – notion qui, sinon n’a, au pire, aucun sens, au « mieux » ne fait qu’impliquer « raison d’État » et autres intérêts particuliers servis dans un cadre impérialiste.
Il va de soi qu’on a donc là une mesure très ambitieuse. Mais notre soucis est précisément d’en trouver qui soient à la fois robustes, justes, et de portée générale ; il n’est donc pas tant à craindre de telles implications qu’à les considérer, justement, comme symptomatiques d’une telle conception.
On pourrait ainsi parler d’un « impérialisme »… consistant à imposer le commerce équitable.
En tous cas, cette exigence a beau être de nature à créer des difficultés, elle s’appuie sur un droit international non pas illusoire mais pratique car fondé. Car il n’existe pas de loi internationale à proprement parler, pour la bonne raison qu’une loi ne vaut rien s’il n’existe pas de force pour la faire appliquer, tandis qu’il existe des rapports de force internationaux. Or quoi de plus juste que ces derniers soient fondés non sur la contrainte mais sur l’incitation, et non pas sur l’intérêt de personnes morales privées mais sur les droits individuels des individus, seul fondement du droit qui soit légitime et qui, même, rende viable un état de droit.
On pourrait tout autant dire que le véritable obstacle à l’application de cette mesure réside, à l’inverse, dans l’impérialisme capitaliste imposé depuis l’étranger.
La réflexion apportée par la proposition d’une telle mesure (qui ouvre une véritable boite de Pandore) montre de manière particulièrement frappante que l’origine de l’inégalité entre individus (et de l’impossibilité de fonder une législation, notamment fiscale, égalitaire) provient de la confrontation avec l’extérieur liées à la dépendance (réelle ou prétendue) envers d’autres États et envers les ressources dont leurs populations disposent. La guerre est mère de toutes choses, disaient les Grecs anciens.[/color]
(h) (La pondération fiscale effectivement appliquée vaut : f = a x + b y). [color=black]Le Parlement reste donc tout à fait souverain s’agissant de la fiscalité, et notamment du volume des recettes provenant des impôts sur les entreprises (il aura d’ailleurs voté la loi instaurant la pondération fiscale).
Et une latitude sur l’imposition générale des entreprises est ainsi laissée à la majorité parlementaire en place.[/color] Mais il faut souligner ces deux aspects consécutifs à l’introduction de cette mesure – on constate également par cet aspect le caractère « constitutionnel » d’une telle mesure :
[color=red]- quelle que soit la majorité en place, une entreprise deux fois plus égalitaire qu’une autre paiera deux fois moins d’impôt que cette dernière ;
- quelle que soit la majorité en place, une entreprise parfaitement égalitaire et/ou cogérée ne paiera aucun impôt d’aucune nature ![/color]
Il faut bien noter que cela n’instaure pas pour autant un régime dans lequel certains citoyens se retrouveraient payer plus d’impôt que d’autres alors qu’ils gagnent plus, où d’autres qui ne paieraient aucun impôt alors qu’ils gagnent suffisamment (si c’était le cas, la mesure serait tout bonnement à jeter). Car nous parlons ici d’impôt sur les entreprises, non pas d’impôts individuels sur les revenus.
Cette illustration, par comparaison avec la situation actuelle, donne un bon aperçu de l’illégitimité du régime fiscal en vigueur au présent… et depuis très longtemps, d’ailleurs – depuis l’origine du capitalisme moderne, disons. Autrement dit, à peu près depuis la naissance de nos républiques modernes.