RIC/PROPOSITION CITOYENNE DE PROJET DE LOI
Bonjour Étienne.
Je vais directement aux quatre points qui vous asticotent.
- Objet des référendums (du RIC en particulier)
J’avais écrit : « La proposition citoyenne de projet de loi (avec ou sans demande de tenue d’un référendum) n’est pas possible en toutes matières, notamment parce que la loi doit être l’expression de la volonté générale (pas de celle d’un individu, d’un groupe d’individus […]) »;
Vous me répondez : "Mais voyons, un référendum n’exprime pas du tout la volonté d’un individu ou d’un groupe, puisqu’il est voté par la majorité, puisqu’il est voulu et reconnu par des dizaines de millions de personnes ! Qu’est-ce que vous dites là ? Quelles sont donc les matières dont vous voulez exclure les citoyens (à part les grands principes du droit sur lesquels nous sommes d’accord, et dont sont aussi exclus les parlementaires, si je résume bien nos échanges sur ce point) ?"
Ma remarque (voyez plus haut) ne portait pas sur le référendum, mais sur la loi : il y donc là un simple malentendu.
Reste quand même une divergence fondamentale de points de vue, dans la mesure où vous faites vôtre le projet de pétition du MIC, qui dit ceci :
"Le signataire demande l’instauration dans la Constitution française et européenne du référendum d’initiative citoyenne, en toutes matières et à tous les niveaux territoriaux, du niveau communal à celui de l’Union Européenne, pour que notamment les citoyens puissent, soit abroger tout ou partie d’une loi nationale ou européenne, soit en proposer de nouvelles."
(Je passe sur le malheureux mélange du référendum national ou européen et du référendum local - qui pose des questions tout à fait différentes).
Vous pensez donc comme YB que le référendum pourrait avoir n’importe quel objet : c’est comme cela que j’interprète les mots « en toutes matières » faute d’avoir pu obtenir des précisions.
Ce n’est pas mon avis. Il me semble que dans une démocratie participative bien conçue le principe de l’état de Droit (= interdiction de l’arbitraire) doit aller de pair avec le principe démocratique, et que la tyrannie de la collectivité (même de la nation ou du peuple) est à éviter autant que celui de ses gouvernants et de ses représentants. Autrement dit, si la loi est bien l’expression de la volonté générale (de la nation, du peuple), cela ne veut pas dire que cette volonté générale puisse s’exercer sur tous les objets - « en toutes matières ».
Voici quelques exemples de propositions de loi (citoyennes ou ordinaires) qui selon moi ne devraient pas être possibles, même sous condition d’approbation référendaire :
-
Propositions contraires aux droits fondamentaux ou à la constitution - puisque les droits fondamentaux ont valeur universelle, et que la constitution est la « loi des lois », à laquelle une loi ordinaire, même d’initiative citoyenne, ne peut pas déroger;
-
Propositions contraires au droit international dûment accepté par l’État au nom de la nation, en particulier aux traités dûment ratifiés (voir mon point 4) ;
-
Propositions exprimant la volonté particulière d’un individu ou d’un groupe d’individus ou bien tendant à avantager ou désavantager un individu ou une catégorie d’individus, cela en l’absence de règle de portée générale qui en ouvre la possibilité (il ne s’agit pas d’interdire l’aménagement des lieux publics pour l’accès des handicapés ; mais on ne pourrait pas, par exemple, proposer une loi concédant un terrain du domaine de l’État à un particulier ou une société sans contrepartie adéquate);
-
Propositions ayant pour objet d’appliquer des lois existantes et qui nécessitent d’être préparées et étudiées par des organismes experts. (Ces propositions relèvent habituellement du domaine règlementaire - c’est-à-dire de l’Exécutif - sous réserve du contrôle législatif : voir mon point 2).
Bien sûr, ce sera aux juges (et en France au Conseil constitutionnel) qu’il appartiendra de décider si la proposition de loi respecte le principe de l’état de Droit - cet aspect de la question étant évidemment insusceptible de référendum. Pour bien faire, il faudra donc que toute proposition de loi citoyenne assortie d’une demande de référendum passe par le Conseil constitutionnel pour contrôle de constitutionnalité avant tenue du référendum - car il est toujours mauvais d’avoir l’air de contredire le souverain.
Dans cette optique, la pierre angulaire de la démocratie participative n’est pas le référendum (d’initiative citoyenne ou autre), mais la proposition citoyenne de projet de loi avec débat (citoyen, parlementaire, &).
Faute de quoi, on s’expose à la tyrannie de la majorité, donc à l’injustice, donc au désordre social, et pour finir, à l’anarchie.
(Incidemment : je suis contre la révision de la constitution (article 11) qui a permis au président de la République de soumettre au référendum des projets de loi portant sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, parce que cette disposition ouvre la porte à des abus de la part du pouvoir politique. Je me contenterais volontiers de deux catégories de référendum : obligatoires, pour la révision de la constitution, et sur initiative citoyenne - en rapport avec un projet de loi. La raison en est que les référendums organisés par le pouvoir exécutif ont presque toujours un caractère plébiscitaire.)
- La loi et le règlement
J’ai écrit : « La loi ne doit pas se substituer au règlement ».
Vous me répondez en latrinisant, pour ainsi dire, le « pouvoir réglementaire autonome, au nom des plus grands principes de la démocratie, comme un exemple académique de la plus dangereuse confusion des pouvoirs. Nous sommes fous d’accepter que le pouvoir exécutif puisse créer seul des normes obligatoires de portée générale et définitive. Alors, je ne vois pas du tout pourquoi la loi devrait céder la place au règlement. ».
Entendons-nous.
Le pouvoir règlementaire n’est jamais autonome : il est toujours soumis au « principe de légalité », c’est-à-dire à la loi, et ne peut viser qu’à son application. Le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs sont là pour y veiller. Le pouvoir exécutif ne peut donc pas créer seul des normes obligatoires de portée générale et définitive contrairement à ce que vous envisagez.
Loin d’instituer l’arbitraire gouvernemental, la division nette des deux pouvoirs - législatif, règlementaire - empêche en principe qu’on mette dans la loi (contre laquelle il n’y a pas d’autre recours que le Conseil constitutionnel, qui n’est pas ouvert aux citoyens à l’heure actuelle) des dispositions qui relèvent du règlement (qui elles peuvent être contestées par tout particulier devant la juridiction administrative - cette magnifique institution française !).
Plutôt que de restreindre le domaine d’application du règlement comme vous le suggérez, je proposerais de revoir systématiquement notre fouillis législatif pour renvoyer au domaine règlementaire les dispositions faussement législatives : la loi y gagnerait en clarté, et les citoyens en liberté.
- Compétences d’attribution de l’UE et référendum
J’ai écrit : "[i]Les compétences confédérales sont des compétences d’attribution, ceRIC/PROPOSITION CITOYENNE DE PROJET DE LOI
Bonjour Étienne.
Je vais directement aux trois points qui vous asticotent.
- Objet des référendums (du RIC en particulier)
J’avais écrit : « La proposition citoyenne de projet de loi (avec ou sans demande de tenue d’un référendum) n’est pas possible en toutes matières, notamment parce que la loi doit être l’expression de la volonté générale (pas de celle d’un individu, d’un groupe d’individus […]) »;
Vous me répondez : "Mais voyons, un référendum n’exprime pas du tout la volonté d’un individu ou d’un groupe, puisqu’il est voté par la majorité, puisqu’il est voulu et reconnu par des dizaines de millions de personnes ! Qu’est-ce que vous dites là ? Quelles sont donc les matières dont vous voulez exclure les citoyens (à part les grands principes du droit sur lesquels nous sommes d’accord, et dont sont aussi exclus les parlementaires, si je résume bien nos échanges sur ce point) ?"
Ma remarque (voyez plus haut) ne portait pas sur le référendum, mais sur la loi : il y donc là un simple malentendu.
Reste quand même une divergence fondamentale de points de vue, dans la mesure où vous faites vôtre le projet de pétition du MIC, qui dit ceci :
"Le signataire demande l’instauration dans la Constitution française et européenne du référendum d’initiative citoyenne, en toutes matières et à tous les niveaux territoriaux, du niveau communal à celui de l’Union Européenne, pour que notamment les citoyens puissent, soit abroger tout ou partie d’une loi nationale ou européenne, soit en proposer de nouvelles."
(Je passe sur le malheureux mélange du référendum national ou européen et du référendum local - qui pose des questions tout à fait différentes).
Vous pensez donc comme YB que le référendum pourrait avoir n’importe quel objet : c’est comme cela que j’interprète les mots « en toutes matières » faute d’avoir pu obtenir des précisions.
Ce n’est pas mon avis. Il me semble que dans une démocratie participative bien conçue le principe de l’état de Droit (= interdiction de l’arbitraire) doit aller de pair avec le principe démocratique, et que la tyrannie de la collectivité (même de la nation ou du peuple) est à éviter autant que celui de ses gouvernants et de ses représentants. Autrement dit, si la loi est bien l’expression de la volonté générale (de la nation, du peuple), cela ne veut pas dire que cette volonté générale puisse s’exercer sur tous les objets - « en toutes matières ».
Voici quelques exemples de propositions de loi (citoyennes ou ordinaires) qui selon moi ne devraient pas être possibles, même sous réserve d’appprobation référendaire :
-
Propositions contraires aux droits fondamentaux ou à la constitution - puisque les droits fondamentaux ont valeur universelle, et que la constitution est la « loi des lois », à laquelle une loi ordinaire, même d’initiative citoyenne, ne peut pas déroger;
-
Propositions contraires au droit international dûment accepté par l’État au nom de la nation, en particulier aux traités dûment ratifiés (voir mon point 4) ;
-
Propositions exprimant la volonté particulière d’un individu ou d’un groupe d’individus ou bien tendant à avantager ou désavantager un individu ou une catégorie d’individus, cela en l’absence de règle de portée générale qui en ouvre la possibilité (il ne s’agit pas d’interdire l’aménagement des lieux publics pour l’accès des handicapés ; mais on ne pourrait pas, par exemple, proposer une loi concédant un terrain du domaine de l’État à un particulier ou une société sans contrepartie adéquate);
-
Propositions ayant pour objet d’appliquer des lois existantes et qui nécessitent d’être préparées et étudiées par des organismes experts. (Ces propositions relèvent habituellement du domaine règlementaire - c’est-à-dire de l’Exécutif - sous réserve du contrôle législatif : voir mon point 2).
Bien sûr, ce sera aux juges (et en France au Conseil constitutionnel) qu’il appartiendra de décider si la proposition de loi respecte le principe de l’état de Droit - cet aspect de la question étant évidemment insuceptible de référendum. Pour bien faire, il faudra donc que toute proposition de loi citoyenne assortie d’une demande de référendum passe par le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État pour contrôle de constitutionnalité ou de légalité avant tenue du référendum - car il est toujours mauvais d’avoir l’air de contredire le souverain.
Dans cette optique, la pierre angulaire de la démocratie participative n’est pas le référendum (d’initiative citoyenne ou autre), mais la proposition citoyenne de projet de loi avec débat (citoyen, parlementaire, &).
Faute de quoi, on s’expose à la tyrannie de la majorité, donc à l’injustice, donc au désordre social, et pour finir, à l’anarchie.
(Incidemment : je suis contre la révision de la constitution (article 11) qui a permis au président de la République de soumettre au référendum des projets de loi portant sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, parce que cette disposition ouvre la porte à des abus de la part du pouvoir politique. Je me contenterais volontiers de deux catégories de référendum : obligatoires, pour la révision de la constitution, ou sur initiative citoyenne - en rapport avec un projet de loi. La raison en est que les référendums organisés par le pouvoir exécutif ont presque toujours un caractère plébiscitaire.)
- La loi et le règlement
J’ai écrit : « La loi ne doit pas se substituer au règlement ».
Vous me répondez en « latrinisant », pour ainsi dire, le « pouvoir réglementaire autonome, au nom des plus grands principes de la démocratie, comme un exemple académique de la plus dangereuse confusion des pouvoirs. Nous sommes fous d’accepter que le pouvoir exécutif puisse créer seul des normes obligatoires de portée générale et définitive. Alors, je ne vois pas du tout pourquoi la loi devrait céder la place au règlement. ».
Entendons-nous.
Le pouvoir règlementaire n’est jamais autonome : il est toujours soumis au « principe de légalité », c’est-à-dire à la loi, et ne peut viser qu’à son application. Le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs sont là pour y veiller. Le pouvoir exécutif ne peut donc pas créer seul des normes obligatoires de portée générale et définitive contrairement à ce que vous craignez.
Loin d’instituer l’arbitraire gouvernemental, la division nette des deux pouvoirs - législatif, règlementaire - empêche en principe qu’on mette dans la loi (contre laquelle il n’y a pas d’autre recours que le Conseil constitutionnel, qui n’est pas ouvert aux citoyens à l’heure actuelle) des dispositions qui relèvent du règlement (qui elles peuvent être contestées par tout particulier devant la juridiction administrative - cette magnifique institution française !).
Plutôt que de restreindre le domaine d’application du règlement comme vous le suggérez, je proposerais de revoir systématiquement notre fouillis législatif pour renvoyer au domaine règlementaire les dispositions faussement législatives : la loi y gagnerait en clarté, et les citoyens en liberté.
- Compétences de l’UE et référendum
J’ai écrit : « Les compétences confédérales sont des compétences d’attribution, ce qui interdit à la Confédération de légiférer sur des questions relevant de la compétence exclusive des États membres » ,
Vous me répondez : « Pourquoi diable les peuples européens (on ne parle pas de la Confédération mais des peuples eux-mêmes), unis sur une revendication fondamentale (on peut rêver), ne pourraient-ils pas s’emparer d’un sujet, au-delà (et malgré) des traités qui se signent sans eux, quand ils s’aperçoivent que cela a été à leurs dépens ? »
Les peuples européens ont parfaitement le droit de s’emparer de toute question. Mais s’ils concluent qu’il faut changer le droit existant, alors ils doivent le faire par les procédures légales. Dans le cas du TME, on peut soutenir, comme nous le faisons tous les deux, que puisque le précédent traité de même substance avait été soumis au référendum, le principe du parallélisme des formes et la simple logique démocratique impliquent que ce traité soit lui aussi soumis au référendum.
- Pacta sunt servanda
Vous demandez : « Comme un contrat signé par un incapable, un traité transférant une part de souveraineté populaire sans référendum n’a aucune valeur et doit être combattu par le peuple trahi. Un traité félon ne vaut rien. De quel droit un chef d’État pourrait-il, par le seul fait qu’il signe un pacte avec un autre chef d’État, outrepasser le mandat que son peuple lui a conféré et transférer ce qui ne lui appartient pas ? Les chefs d’État qui signent des traités doivent savoir que ces traités doivent être ratifiés par les peuples concernés dans les autres pays signataires, directement, par référendum ; ils doivent s’attendre à la contestation et ne pas faire comme si leurs signatures ajoutées valaient plus que la souveraineté populaire directement exprimée. »
Mais nous ne sommes pas dans le cas que vous envisagez, puisque la constitution française ne prévoit pas de référendum pour le transfert de souveraineté au sens où vous l’entendez : seulement (consentement des populations intéressées - voir article 53-3 de la constitution) pour la cession, l’échange ou l’adjonction de territoire.
D’autre part, le chef d’État ou le ministre qui aurait outrepassé ses pouvoirs constitutionnels relèverait de la Cour de justice de la République, mais, pour parler du TME, celui-ci sera vraisemblablement signé par le chef de l’État et le Premier Ministre, l’instrument de ratification portera le contreseing du Premier Ministre, et cet instrument sera déposé sur la base d’une loi de ratification approuvée par le Parlement ou par référendum. Comme, de plus, le Conseil constitutionnel aura été consulté auparavant, tout sera constitutionnellement en règle… et la constitution a été approuvée par le peuple, référendairement. Difficile d’invoquer l’incapacité des autorités qui auront agi sur cette base…
La règle « Pacta sunt servanda » est le fondement de l’ordre public international. Sans son respect, aucun droit international possible. C’est ma conviction, et c’est aussi la vôtre, j’en suis sûr.
Cordialement. JR