C’est un jeu ?
[bgcolor=#FFFF99]Le jeu des sept oxymores[/bgcolor]
Celui qui trouve le plus d’oxymores a gagné 
Non, il faut aussi compter les pléonasmes : intègre bienveillant, par exemple.
Corrompu bienveillant semble être un oxymore, un peu comme banquier honnête 
Non, je rigole.
Nous n’avons pas besoin de bienveillance (qui est une forme aimable de malhonnêteté), mais bien de justice, c’est-à-dire d’intégrité.
Ça suffira.
Non ?
Que redoutez-vous, Jacques, avec la seule intégrité ?
Mais l’intégrité, ça se travaille (parce que c’est sacrément fragile).
Ce que je veux dire, c’est qu’on se fiche pas mal d’avoir de « grands hommes », des prodiges d’intelligence, parce que s’ils sont malhonnêtes, alors le mal sera surmultiplié !
Non, dans la phrase de Montesquieu, il y a bien l’essentiel.
C’est d’ailleurs ce que dit aussi Alain avec ses mots toujours si savoureux :
[b]Les non compétents peuvent contrôler les compétents[/b]
Il y a un argument contre la Démocratie égalitaire, que je trouve dans Auguste Comte, et qui a été souvent repris, c’est que, par le suffrage populaire, on aura toujours des députés incompétents. C’est pourquoi notre philosophe ne veut considérer le système de la libre critique et de l’égalité radicale que comme un passage à un état meilleur, où le pouvoir sera toujours aux mains d’un savant dans chaque spécialité, et d’un conseil d’éminents sociologues pour la coordination et l’ensemble.
[bgcolor=#FFFF99]Il est très vrai qu’un député, le plus souvent, ne sait rien à fond en dehors du métier qu’il exerçait[/bgcolor]; mais remarquez que, s’il est avocat, il connaît tout de même assez bien les lois, la procédure, et les vices du système judiciaire; que, s’il est commerçant, il s’entend aux comptes et à l’économie; que, s’il est entrepreneur, il dira utilement son mot au sujet des travaux publics, et ainsi pour le reste. Aussi, quand on parle de l’ignorance et de l’incompétence des députés, je ne puis voir là qu’un développement facile et sans portée.
[bgcolor=#FFFF99]Mais je ne regarderais pas tant à la science; plutôt à la probité, et à la simplicité des mœurs privées.[/bgcolor] Car si l’on prend pour député un grand armateur, ou un grand industriel, ou un grand banquier, ou un grand avocat, afin d’user de leur savoir-faire, ce sera un calcul de dupe assez souvent. On connaît des hommes fort habiles et intelligents, mais qui, peut-être, par l’habitude des affaires, penseront un peu trop à leur fortune, ou bien exerceront volontiers un pouvoir tyrannique, comme ils font naturellement chez eux et dans leur métier. [bgcolor=#FFFF99]Ainsi leur science pourra bien nous coûter cher. J’aimerais souvent mieux un honnête homme qui n’aurait pas trop réussi. Bref, je ne désire pas avant tout des Compétences.[/bgcolor]
Et pourquoi ? Parce que nous en avons autant qu’il nous en faut dans les services publics. La Cour de cassation et le Conseil d’État connaissent profondément les lois. La Cour des comptes a la science des Finances publiques. Tous les ministères ont des directeurs fort instruits. La guerre et la marine dépendent d’hommes qui connaissent leur métier. En fait les Compétences sont aux affaires. [bgcolor=#FFFF99]Il reste à les surveiller, et ce n’est pas si difficile.[/bgcolor]
On prend à tort les ministres pour des hommes qui devraient être plus savants que leurs subordonnés. Le ministre n’est autre chose qu’un délégué du peuple pour la surveillance d’un travail déterminé; et nous avons, pour surveiller le surveillant, un autre député, rapporteur du budget; les autres députés sont arbitres. Par exemple on peut bien juger de la fabrication des poudres sans être chimiste, car les spécialistes seront bien forcés de parler clair, si on l’exige, et c’est ce qui est arrivé. De la même manière, un juré peut apprécier la responsabilité d’après les rapports des médecins. Si le civet est brûlé, d’abord je le sentirai très bien, sans être cuisinier, et ensuite j’arriverai à me protéger contre ce petit malheur, même sans entrer dans la cuisine, car je suis celui qui paie. Le peuple est celui qui paie; et ses représentants ont mille moyens de faire que le peuple soit bien servi, si seulement ils le veulent.
On peut même désirer ici une division du travail plus parfaite, les députés jugeant avant tout d’après les effets sans chercher les causes. Comme cet homme très riche et très occupé qui a plusieurs autos et ne connaît pas la panne. Sa méthode est de bien payer, et de renvoyer le chauffeur sans commentaire à la première panne; cela le dispense d’apprendre la mécanique.
Émile Chartier, dit Alain, 27 octobre 1912.