Accord UE-Canada : pourquoi le mouvement social doit se mobiliser
juin 2011
Depuis que l’OMC patine, embourbée dans ses propres contradictions, les accords de libre-échanges régionaux se multiplient entre l’Union européenne et le reste du monde. Celui entre le Canada et l’UE n’a pas jusqu’ici suscité dans le mouvement l’attention qu’il mérite : c’est dommage car il aura des conséquences considérables.
Les choses se précisent concernant les négociations. Une cession de négociations se tiendra à Bruxelles du 11 au 15 juillet. Elle est présentée, par le négociateur en chef canadien, comme cruciale et il semble qu’il ait raison.
En effet, sera dévoilée la liste négative des engagements des partenaires ; la question de l’investissement sera fixée ; les questions d’accès aux matières premières seront traitées ainsi que celle de la réglementation environnementale de l’UE.
1- La liste des engagements
Sous ce terme barbare se dissimule ce qui est conçu comme un accélérateur des négociations. Jusqu’ici,à l’OMC ou dans d’autres accords de libre-échange, les partenaires de négociations ont engagé des listes dites « positives », c’est-à-dire des listes de secteurs retenus pour être libéralisés.
Ainsi, pour l’AGCS par exemple, l’UE a dressé un long tableau des secteurs qu’elle accepte de voir libéralisés, autrement dit, qu’elle consent à ouvrir à la concurrence. Avec l’accord UE-Canada, c’est l’inverse : les partenaires sont invités à soumettre les secteurs qu’ils ne veulent pas voir libéraliser.
Cela équivaut à augmenter l’ampleur des secteurs libéralisés : en effet, comme tous les textes juridiques (et un accord international en est un), l’interprétation des termes se fait strictement, autrement dit sans extrapolation. Là, il est convenu que tout est négociable, tous les secteurs sont susceptibles d’être libéralisés et soumis à la concurrence, sauf ceux qui seront définis strictement dans l’accord, et qui, par définition, seront réduits par la négociation. Tout ce qui n’aura pas été porté sur la liste, tout ce qui en sera retiré à la faveur des négociations, sera réputé libéralisable. En somme, l’UE accepte une libéralisation d’une ampleur non-maîtrisée.
Par ailleurs, l’UE n’a pas informé sur cette liste et n’a aucune intention de le faire. Cela se fera après, quand tout sera bouclé, autrement dit, trop tard.
2- Les investissements
L’accord UE-Canada n’innove pas seulement sur la question de la liste négative, il instaure une régression démocratique qui a un précédant, l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié en catimini en 1998 dans le cadre de l’OCDE.
Ici, il s’agit de permettre aux investisseurs de poursuivre directement l’État ou une instance infra étatique (un collectivité locale, une province etc.) qui prendrait des mesures réglementaires de toute nature susceptibles de réduire leurs bénéfices escomptés. L’accord de Libre-échange Nord-Américain prévoit ce genre de mécanisme dans son chapitre 11, avec des conséquences célèbres : c’est ainsi que l’entreprise MetalClad, qui voulait enfouir du plomb en surface dans le sol mexicain a obtenu un compensation pharaonique de l’État mexicain qui avait commis l’imprudence de le lui interdire pour des motifs de protection de l’environnement. C’est ce genre de mécanisme dont les détails de la mise en œuvre sera discutée en juillet. Pour l’instant, le mécanisme n’est pas arrêté : faut-il mettre sur pieds un organe de règlement des différends et si oui (ce qui semble logique), comment ? C’est de cela dont il sera question, le principe étant arrêté. Nos amis canadiens nous informent que le gouvernement allemand pousse pour que le mécanisme le plus dur soit mis en place.
En son temps, le mouvement social s’était largement mobilisé pour obtenir que l’AMI soit retiré. Nous en sommes loin actuellement, et ce à quelques semaines d’une négociation cruciale.
3- L’accès aux matières premières
Les canadiens demandent l’accès aux ressources naturelles. Ils sont particulièrement attentifs à l’extraction du pétrole des sables bitumineux. Son extraction est fortement émettrice de gaz à effet de serre et le gouvernement canadien l’autorise dans l’Alberta. Il souhaite que l’UE cesse de réglementer, voir d’interdire cette extraction sur son sol. Il apparaît que sur cette question des intérêts croisés se mobilisent : les lobbies pétroliers ont un accès direct aux décideurs, et le groupe Total est fortement intéressé par l’exploitation de ce pétrole qui ferait reculer le pic pétrolier (et la nécessaire transition énergétique) de plusieurs dizaines d’années. L’actionnaire principal de Total est la canadienne Power Corporation. L’accord UE-Canada amènerait à lever l’obstacle de l’exploitation du pétrole de sables bitumineux en Europe – en attendant d’autres levées de réglementations.
Par ailleurs, si l’UE a refusé que sa réglementation sur les OGM soit négociée, rappelons que l’UE est toujours sous le coup d’une négociation de l’OMC relative au bœuf aux hormones. Le Canada demande que l’accord soit l’occasion de régler ce différend dans le sens d’une acceptation par l’UE de l’importation de ce type de viande.
4- Réglementations environnementales
Outre celle évoquée plus haut concernant le pétrole, le Canada annonce officiellement sa volonté d’affaiblir la directive REACH. Celle-ci réglemente la mise sur le marché des nombreux produits chimiques intégrés dans les objets de consommation courante et avait pu être considérée, au de son adoption, comme édulcorée par les différents mouvements environnementalistes.
C’est encore largement au-dessus de la réglementation canadienne.
Conclusion
Les Canadiens demandent l’accès aux ressources naturelles (pétrole), l’affaiblissement de REACH et se trouvent prêts à accepter, en contrepartie, un accès à leurs services publics pour les grandes entreprises européennes demandeuses. Le Canada, et surtout le Québec, compte beaucoup de services publics non encore privatisés, contrairement à l’UE. De leur côté, les entreprises de services européennes seront ravies de mettre la main sur les services publics d’un pays à la population solvable.
Cet accord est une régression démocratique puisqu’il laisse aux entreprises la possibilité de placer les États sous un chantage permanent, celui de les poursuivre et d’obtenir leur condamnation s’ils réglementent les activités que ces entreprises convoitent.
Cet accord aura des conséquences sur les questions d’environnement en facilitant la perpétuation d’un système productiviste et extractif dont nous savons qu’il est un échec.
Par ailleurs, le Canada fait partie de l’ALENA avec le Mexique et les Etats-Unis. Cet accord exige que tous les engagements internationaux des Etats partenaires soient compatibles avec lui.
Autrement dit, l’accord UE-Canada ouvre la voie à l’instauration, à terme, d’une vaste zone de libre- échange entre les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et le Mexique.
Jusqu’ici, les mobilisations n’ont absolument pas été à la hauteur, en dépit des alertes. Les mouvements français ont un rôle à jouer déterminant, vue la proximité culturelle avec le Québec. Le mouvement social doit mener ce combat.
Frédéric Viale
Sources
Le Devoir, 9 juin 2011, Libre-échange Canada-UE - Une phase délicate s’amorce :
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/325072/libre-echange-canada-ue-une-phase-delicate-s-amorce
Résolution du Parlement européen sur les relations commerciales UE-Canada :
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2011-0344&language=FR
Discours de Peter Julian (Porte parole du NPD en matière de commerce international) ainsi que
d’Alex Atamanenko (Porte parole du NPD en matière d Agriculture et agroalimentaire) :
http://peterjulian.ndp.ca/SPEECHES_Take_note_debate_on-Economic_negotiations_with_the_European_Union%20
Attac Quebec
Conseil des canadiens :
Le numéro de la Revue vie économique, préparé par Claude Vaillancourt, Benoît Lévesque et Gilles L. Bourque, porte
sur le thème des négociations d’une nouvelle entente de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.
http://www.eve.coop/?r=10[/size][/color][/font]
Source : ATTAC Frédéric Viale : http://frederic.viale.free.fr/06-11b.pdf