Chère Marie France,
« vous vous fiez à des scientifiques qui abusent de votre naïveté pour vous faire croire ce qui les arrange ».
Séparons un peu les variables… et parlons donc de mon angélisme en la matière
Mon frérot a fait avec passion sa fac de philo (arrêtée en maîtrise -mémoire sur une étude comparée des « ateliers philo » - et autres conceptions de ce type d’ateliers), et sciences de l’éducation, un amoureux du métier d’instit… comme de la philo. Le génie et les dérives de la pédagogie, j’en entends parler tous les mois, par une personne dont c’est le cheval de bataille. Parlez m’en donc, d’ailleurs, c’est passionnant.
Une anecdote : je n’ai appris qu’il y a une semaine que le cliché des enfants qui savent moins bien lire qu’autrefois en France est parfaitement faux. Parce que moi, je ne viens pas de l’éducation. D’où vient ce cliché ? Plutôt du corps enseignant ? D’un problème de sérieux dans la communication au grand public ? Des intérêts électoraux des politiques ? Des intérêts d’un lobby de l’édition? Question : pourquoi le citoyen Lambda que je suis, tout ouvert et curieux qu’il soit, s’est-il fait berner à ce point, et si longtemps ?
J’imagine bien que dans tous corps de métier, il y a de tout, et ce suivant divers aspects. Je suis pour ma part dans les sciences. Ingénieur en mécanique. Du génie et des claques qui se perdent, j’en vois passer tous les jours dans ma profession. De la simple bêtise / incompétence, des conflits d’intérêts de carriéristes, des retombées de gros intérêts de lobby… et beaucoup de dérives liées au marketing. Il y a de tout. Et ne mélangeons pas ces divers aspects.
Je connais mon métier, j’ai reçu une formation plutôt pointue, et régulièrement, certaine reconnaissance (je l’avoue), et j’ai plusieurs amis dans la recherche. La question qui se pose pour moi est déjà : d’où vient le risque de charlatanisme ? Quand j’écris : « il n’y a aucun risque pour la démocratie à laisser les scientifiques être les seuls garants du respect des règles de leur science, et de la vulgarisation correcte de celles-ci pour le commun des mortels », je vise essentiellement deux choses : le problème du scientisme ; le problème de la nécessaire et tout à la fois dangereuse vulgarisation.
Ce sont deux aspects bien distincts. Déjà, vous me parlez essentiellement du second.
Je tiens à rappeler, pour faire la part des choses, que le créationnisme, le scientisme, sont de grand fléaux qu’on ne subit pas ou très peu en France. Et dans ma phrase en italique, je fais référence au fait que la démarche scientifique possède en elle ses propres garde-fous. Et par ailleurs, elle accepte toute remise en cause, sauf sur ces garde-fous. Je compare sérieusement ces dispositions et caractéristiques à celles de la démocratie.
Pourquoi « la grande démocratie américaine » est-elle en dérive ? Les aléas de toute profession, c’est une chose, le scientisme, c’est un autre fléau.
Je connais pas mal de scientifiques dans le privé aussi. Déjà, il ne faut pas confondre des intérêts économiques, souvent liés à une personne morale, à une politique d’entreprise, à une logique de concurrence, et la déontologie d’un métier, portée par des individus. Pour le second aspect, j’encense effectivement beaucoup les individus, oui. Je persiste, sans nier les exceptions.
Et je dis haut et fort ceci : reporter le premier aspect, qui est effectivement un énorme problème, sur le second, qu’on agite comme un pantin, c’est un réflexe compréhensible, mais dangereux, et surtout un leurre indiqué qui mène à ne pas viser clairement des dérives de la logique économique (involontairement, le plus souvent -reste que focaliser sur la matérialisation d’une idée - en l’occurrence, ici, des individus - c’est le bon moyen de ne pas cerner l’idée elle-même, dans sa complexité et suivant l’évolutivité du problème).
Je ne suis pas pour autant angélique… Je lirai sans doute un jour ce livre que vous me conseillez (si vous saviez… ce que j’ai en attente).
Dans un labo d’épistémologie (« science des sciences », éthique des sciences) il faut des experts d’une science passés dans la philo, et des philosophes spécialisés dans la matière scientifique. Il faut aussi des regards extérieurs et divers. Il y a à la fois la surveillance éthique d’un métier, et la nécessité de communication - qui implique une bonne vulgarisation - entre métiers, aux institutions, aux citoyens. La vulgarisation est une activité essentielle, pour le droit des citoyens à savoir. Séparons l’aspect conseil éthique observant un métier et agissant sur lui, et la vulgarisation.
Sur la vulgarisation, il y a déjà un problème : la vulgarisation scientifique, en milieu capitaliste, c’est une activité où l’on sent « la course des méthodes de la police contre celles des malfaiteurs » : d’un côté, il ya le droit des citoyens, qu’il faut évidemment considérer et respecter ; d’un autre, le culte des technologies est un gros marché. Et les magazines, tels « sciences et avenir », « se gavent », et les scrupules passent après. Un sujet n’est-il pas sitôt découvert que l’on fait rêver, que l’on crée du fric immédiat et de la demande à moyen terme, « de la sociocible ».
Si la vulgarisation est indispensable pour garantir le respect du droit des citoyens, il faut la pratiquer avec les garde-fous empêchant au mieux que l’exercice de ce droit n’alimente le moteur d’un marché dégueulasse. Posons déjà ainsi la chose, et voyons ensuite pour les méthodes… pas de raison qu’on n’arrive pas à s’entendre, entre gens intelligents et démocrates.