Questions/réponses (au sujet de mes positions)
Ceci en référence aux questions que me pose Gilles (ses 5839 et 5843).
1) Pourquoi n’être "jamais révolté par le non-respect du suffrage universel de cette « construction européenne », leur « construction européenne » ?
Gilles regrette, si je comprends bien, que la construction européenne se soit faite jusqu’à présent par la voie intergouvernementale plutôt que par celle de la démocratie directe, ce qui autoriserait des manipulations déterminantes de la part de groupes sociaux puissants (banques notamment). En supposant que ce soit le cas, voilà ce que j’ai à dire :
- La démocratie peut prendre deux formes, représentative et directe, Les deux sont conformes aux règles à peu près universellement admises en matière de droits fondamentaux politiques. Cela étant, tous les traités qui ont institué et modifié le système ayant abouti à l’Union européenne actuelle ont été dûment ratifiés conformément aux procédures constitutionnelles de tous les États membres, c’est-à-dire par référendum dans quelques cas et dans la plupart des autres par le pouvoir législatif des États membres.
Non seulement ces ratifications, sont, en droit, inattaquables sur le plan international, mais sur le plan interne elles ont été revues par tous les organes compétents, y compris quand il le fallait, par les conseils et cours constitutionnels, et elles sont donc, sur ce plan aussi, juridiquement inattaquables, sous réserve des remarques ultérieures concernant le traité de Lisbonne.
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On ne peut pas oublier, à propos du traité de Lisbonne, que la question de savoir si, pour satisfaire aux règles de la Convention européenne des droits de l’homme, le traité de Lisbonne aurait dû être ratifié directement par le peuple français plutôt que par le Parlement a été indirectement mais assez explicitement soumise à la Cour européenne des droits de l’homme par un millier de citoyens français. L’argument central était que le traité aurait dû être conclu par des représentants du peuple élus par lui, et non par des représentants du pouvoir exécutif. La Cour a jugé cette demande irrecevable a priori, sans nécessité d’examiner les arguments de fond. Il n’y a aucun doute dans mon esprit qu’elle a eu raison et qu’il s’agissait là d’une procédure futile à finalité politicopublicitaire. Cette procédure et son issue sont regrettables, car il y avait sans doute moyen d’agir autrement, et j’ai fait des propositions à ce sujet sur le site 29mai.eu - malheureusement, les responsables de ce site étaient aussi entêtés que moi.
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Ainsi inattaquables en droit, ces ratifications parlementaires peuvent-elles être attaquées en politique ? À mon avis, l’exclusion de la démocratie représentative de la sphère démocratique est une position intenable en pratique aussi bien qu’en droit. Ceux qui l’adopteraient se rendront vite compte qu’elle est de nature à nuire gravement aux positions sensées qu’ils ont pu prendre par ailleurs.
Pour revenir à la ratification du traité de Lisbonne : je suis convaincu - et je n’ai jamais varié sur ce point - que le traité de Lisbonne aurait dû être soumis, en France, au référendum. Je me souviens même d’avoir parlé à ce propos d’un « coup d’État institutionnel » consistant à faire passer par la procédure parlementaire un traité de même substance qu’un traité rejeté référendairement deux ans plus tôt. Le Conseil constitutionnel ne partageait évidemment pas cette opinion, ni le peuple français, qui a pourtant eu lui-même l’occasion de se manifester à ce sujet lors de la dernière élection présidentielle : à tout le moins, on doit admettre que ce n’était pas là une de ses priorités.
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Personne ne peut dire que les politiciens, les députés, les sénateurs, les partis et le peuples français lui-même ont été empêchés de s’exprimer au sujet du traité de Lisbonne. Donc, cette abstention de l’électorat est tout ce qu’on voudra, mais elle est à tout le moins la marque d’un manque d’intérêt relatif pour la question, manque d’intérêt qui a en soi a valeur d’expression politique.
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Je m’incline devant la majorité électorale, et j’invite ceux qui refusent de le faire et remettent en cause les décisions officielles (qui devraient alors être considérées comme inconstitutionnelles ou illégales) à s’interroger sur le sens qu’ils donnent au mot « démocratie » et sur la contradiction qu’il y a, d’un côté, à dire, que le peuple est mal informé, et de l’autre, à vouloir tout faire passer par lui plutôt que par des représentants élus.
En ce qui concerne les trois rejets populaires (du TCE et du traité de Lisbonne) :
Il en a été tenu compte, contrairement à ce que semble penser Gilles, puisque le TCE est mort et que le traité de Lisbonne n’est toujours pas en vigueur en attendant que le peuple irlandais revienne (peut-être) sur sa première décision référendaire. Ce sont là les faits, auxquels la volonté des pouvoirs poliiques des États membres d’organiser un nouveau référendum en Irlande (volonté parfaitement légitime en droit) ne change rien.
Je crois que le traité de Lisbonne subira le même sort que le TCE. En effet, sa ratification éventuelle par l’Irlande impliquerait que ce traité ait été modifié en substance (ne serait-ce qu’en ce qui concerne le nombre de membres de la Commission européenne - point crucial), d’où nécessité de faire ratifier au moins cette modification. On peut s’attendre à des procédures devant les cours et conseils constitutionnels - sans compte la révolution survenue dans la donne économique et financière du fait de la crise économique mondiale. Nicolas Sarkozy en est très conscient puisqu’il a déjà suggéré l’ingénieuse - mais juridiquement très douteuse - échappatoire consistant à mettre les amendements au traité principal dans le traité d’adhésion de la Croatie.
Contrairement à ce que prophétisent les « ouistes » depuis trois ans, l’UE fonctionne ni mieux ni plus mal qu’il y a trois ans. À vrai dire, elle fonctionnerait même plus efficacement et activement. Dans ces conditions, mieux vaut se donner le temps d’adopter un vrai traité constitutionnel que de mettre en place un traité bancal, difficilement compréhensible (encore moins compréhensible que le TCE) et probablement largement dépassé par les évènements.
2) En ce qui concerne l’analyse d’Étienne, à savoir que « l’Union européenne est un processus anti-démocratique, voulu et financé depuis plus de cinquante ans par les multinationales et les banques, les mêmes alliés contre la République qu’étaient le Comité des forges et les 200 familles de la Banque de France avant-guerre, et […] très prioritairement, il faut quitter l’Union européenne que j’estime non amendable, pervertie dans sa substance intime, dans les moindre de ses ressorts » :
Puisque vous me le demandez, Gilles, voici ma position :
En quelques mots : je trouve cette analyse d’Étienne indéfendable, et même un peu fantaisiste, voire franchement fantasmagorique. Ne pas tenir compte que tout pouvoir s’expose au jeu des influences, ce serait de la naïveté ; s’imaginer que tout pouvoir s’explique par une influence unique qui s’exercerait linéairement et avancerait comme un rouleau compresseur depuis 50 ans dans le contexte d’institutions démocratiques et d’élections périodiques, c’est être manichéen aux limites de la superstition.
Je ne crois pas un instant que Robert Schuman ou même Jean Monnet et les milliers de hauts responsables qui se sont succédé au Conseil, à la Commission,au Parlement et dans les autres organes de la Commission aient pu tramer ce noir dessein sans qu’un grand nombre de dénonciateurs internes aient pu s’en apercevoir et le dénoncer avec preuves solides à l’appui (ce qui je crois n’est pas le cas - ne confondons pas preuves et suppositions).
Dans la même veine, je ne crois pas que tous les politiciens soient pourris et que tous les hommes de pouvoir ne pensent qu’au pouvoir - ni même une majorité d’entre eux. Ma participation au site d’Étienne ne vaut pas ralliement à tous les postulats qu’il avance, et la réelle admiration que j’éprouve pour lui et son action ne va pas sans désaccords sur des points parfois fondamentaux, comme il l’a noté lui-même.
Par contre, je partage son avis quand il écrit :
Il faudra alors tenter de construire une nouvelle confédération, authentiquement démocratique.
Seulement, pour y arriver, pourquoi faudrait-il sortir de la structure actuelle et gaspiller les résultats de 50 ans d’efforts ? Donc jeter le bébé avec l’eau du bain. Contrairement à Étienne, je crois que l’Union européenne actuelle est réformable en profondeur et que d’ailleurs la réforme a commencé avec le TCE et le traité de Lisbonne, même si ces mauvais traités sont à refaire de fond en comble. La clé d’une réforme réussie, c’est la mise en place de bonnes institutions.
Tout commence par les institutions.
3) En ce qui concerne ma proposition 5830
Gilles demande ce qu’il faut en penser et « si elle peut faire l’objet de plus de trois lignes dans les journaux et ensuite on passe à autre chose, si trois référendums, impliquant des millions de personnes ont été escamotés de main de maître ». Pour répondre, il faut d’abord rappeler ma proposition en entier, sans oublier le premier paragraphe comme l’a fait Gilles :
"Que faire après que le nouveau parti (mouvement) aurait obtenu des élus (ne serait-ce qu’un) sur la base qu’il faut soumettre tout nouveau traité général européen au référendum ?
"Créer une commission parlementaire chargée de revoir les dispositions institutionnelles applicables pour le moment à UE et de recommander les moyens de les démocratiser, comme NingúnOtro, Zolko et moi l’avons proposé, parfois depuis longtemps. Des personnes ou des organisations comme l’eurodéputé danois J.P. Bonde, Europe-Démocratie-Espéranto et, d’une certaine manière, le RIC approuveraient certainement cette proposition."
D’abord, il n’est pas exact (voyez plus haut) que trois référendums aient été escamotés de main de maître. Ensuite, au sujet du cas particulier de la France, si l’obligation de soumission au référendum de tout traité général européen était retenue, il est évident que la question d’un éventuel court-circuitage par la procédure parlementaire comme celui auquel on a assisté en France ne se poserait plus.
Enfin, ma proposition de créer une commission parlementaire chargée de revoir les traités et de faire des propositions concernant leur modification dans le sens de la démocratisation visait surtout à donner satisfaction à Sandy concernant l’opportunité pour le nouveau parti d’avoir un programme (qui cependant ne peut pas, d’après moi, porter sur des projets sociaux et économiques - à ce stade du moins - parce qu’il n’y a pas accord sur ces sujets et qu’il manque le temps pour y arriver). JR