01 Quels grands principes sont spécifiques à la construction européenne ?

Merci, NingúnOtro. Je répète que pour moi le rejet des deux traités constitue une avancée démocratique considérable qui ouvre une nouvelle période de la construction européenne. JR

Je trouve que c’est une vue de l’esprit bien optimiste à laquelle j’aimerais pouvoir me joindre, mais en réalité il n’y a rien d’acquis, nous en sommes toujours au même point, et l’ouverture d’une nouvelle ère de la construction européenne n’a rien de garanti vu que les dirigeants européens se creusent la tête pour essayer de trouver un moyen d’appliquer quand même le traité de Lisbonne et pour faire revoter les Irlandais et qu’il n’y a personne au pouvoir actuellement qui ait la même vision que nous de la construction européenne
De plus, entre temps, Nicolas Sarkozy a organisé un complet désaveu du peuple par le parlement français, ce qui constitue un recul démocratique sans précédent

Sandy (5012).

À mon avis, le traité de Lisbonne est mort et la crise économico-financière vient de l’enterrer.

Toutes les dispositions du traité sont à repenser oir à la lumière des nouvelles circonstances. Je vois mal l’Irlande revoter et dire oui au traité dans ces nouvelles circonstances.

Pour ce qui est de la situation constitutionnelle française, c’est une autre question. JR

L’Empire américain entraînera-t-il l’Europe dans sa chute ?

Henry Paulson : d’autres faillites sont à prévoir.

Source : AFP.

08/10/2008 | Mise à jour : 21:03 |

Le ministre du Trésor américain Henry Paulson a déclaré mercredi 8 octobre que d’autres faillites d’institutions financières étaient à prévoir aux Etats-Unis, malgré le plan de sauvetage des banques entré en vigueur vendredi.

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/10/08/01011-20081008FILWWW00727-paulson-d-autres-faillites-sont-a-prevoir.php

L’Empire américain et l’Europe

Instit (5034) demande si l’empire américain entraînera l’Europe dans sa chute.

Cette interrogation appelle selon moi une réponse négative.

L’empire américain est avant tout politique et aspire comme tout empire à l’hégémonie mondiale : comme tout empire, il était largement subventionné par le reste du monde, y compris les pays les plus pauvres dans la mesure où les riches de ces pays mettaient traditionnellement leur fortune à l’abri aux EUA.

Par contre, il n’y a pas d’empire politique européen.

D’autre part, la valeur réelle de l’économie UE est largement supérieure à la valeur réelle de l’économie américaine, surtout si l’on tient compte que le PIB américain consiste en bonne partie de dépenses improductives destinées, précisément, à soutenir l’empire politique.

La crise financière et économique actuelle met selon moi un terme à l’entreprise hégémoniste américaine. Déjà les EUA avaient montré qu’ils n’avaient pas les moyens de maintenir leur hégémonie (Indochine, Corée du Nord, Iraq, Afghanistan), pour la raison que leurs moyens militaires classiques sont insuffisants et leurs moyens nucléaires inutilisables sauf à provoquer une catastrophe mondiale fatale pour les EUA eux-mêmes. La crise actuelle montre entre autres choses que les autres États ont pris acte de la faillite politique de l’empire américain.

L’UE ne sera pas entraînée dans cette chute : elle paiera une partie des pots cassés, mais une fois la crise surmontée (dans deux ou trois ans), l’équilibre politique du monde aura considérablement changé dans le sens de la multipolarité. En ce sens je crois que la crise de 2008 a une dimension beaucoup plus grande que celle de 1929.

Tout cela n’ira pas sans danger. C’est vers la Chine, l’Inde et la Russie, et accessoirement l’Amérique du Sud qu’il faut maintenant se tourner pour favoriser une issue raisonnable pour tous (y compris pour les EUA et pour l’Afrique), c’est-à-dire, ni plus ni moins, établir un nouvel ordre mondial.

Du moins, c’est comme ça que je vois les choses. JR

[b]L'Empire américain et l'Europe[/b]: je crois que la crise de 2008 a une dimension beaucoup plus grande que celle de 1929.
Vous oubliez de mentionner le pétrole: l'Empire Américain est construit sur les petro-dollars. Mon analyse est que les USA vivent depuis longtemps à crédit, et que ce crédit est financé par les dollars qu'ils fabriquent à volonté mais qui est quand-même utilisé par les autres pays comme si c'était du "vrai" argent. Cela a marché car on ne peut acheter du pétrole qu'avec des dollars, donc tant que la production et la consommation de pétrole augmentaient, il fallait de plus en plus de dollars en circulation pour son commerce.

Or, la production de pétrole a culminé en 2007, et stagné entre 2005 et 2007: donc la quantité de dollars en circulation suffisent au commerce de pétrole, les USA ne peuvent plus impunément imprimer des dollars qui ne trouvent plus de preneurs. Donc l’Empire se casse la gueule. Cela se fait à travers de l’éclatement de la bulle immobilière, mais ce n’est que l’étincelle qui met le feu aux poudres. D’autres bulles avaient déjà éclaté (la bulle Internet par ex) mais ils avaient jusqu’à aujourd’hui toujours réussi à en gonfler une autre: pas cette fois-ci. D’où la fin de l’Empire des pétro-dollars.

On peut se demander comment les Bush/Cheney, si proche du milieu pétrolier et copains des princes Saudiens, n’ont pas vu la fin du pétrole arriver. Cela est probablement du à la façon de fonctionner de l’OPEP, où les quotas des pays sont fixés en fonction de leurs réserves annoncés; or, apparemment, tous les pays ont gonflé leur réserves, mais que ce mensonge était un secret d’État, qui n’était probablement pas partagé avec les dirigeants US.

Il est aussi intéressant de noter que les USA sont aussi les « inventeurs » du système politique actuel que l’on nomme démocratie représentative: je crois ma rappeler que ce sont eux qui l’ont implémenté concrètement et à grande échelle en premier, que ce sont eux qui ont défini les 3 pouvoirs (exécutif - législatif - judiciaire) en oubliant les pouvoirs des médias et du militaire … Avec la fin de l’Empire Américain se finit aussi le système de démocratie représentative … Nous vivons une époque singulière:

  • la fin d’un Empire
  • la fin de l’énergie abondante
  • et avec elle la fin des sociétés industrielles
  • la fin d’un système politique
  • la fin de l’expansion démographique humaine

Quand nos enfants ou petits-enfants nous demanderons dans 20 ou 30 ans: « Tu as fait quoi pendant que la société implosait » j’aimerais pouvoir répondre: « j’étais sur les barricades »

Pétrodollars

Zolko(5038). D’accord que c’est un aspect important, mais ce n’est quand même qu’un aspect d’une situation géopolitique beaucoup plus large. JR

Mais, Jacques, c’est bien dans le cadre de cette situation géopolitique beaucoup plus large que nous devons situer nos options et nos alternatives. Ce que je reproche à ce site (pas trop quand-même, parfois j’ai l’impression d’être un étranger sympa juste toléré, et comme je suis vraiement étranger…) c’est d’avoir trop souvent une attitude trop franchouillarde…

Le problème principal est à echelle mondiale, et depuis quelques années c’est l’orientation dans cette situation mondiale du « bloc » européen qu’on discute. Le TCE était une orientation claire qu’on n’a pas voulu, même si elle plaisait bien à nos élites politiques et économiques… et l’orientation de l’Europe n’est pas quelque chose qui interesse exclusivement les européens.

Les américains essaient de torpeder une indépendance européenne parce-que l’union transatlantique EEUU-UE aurait assez de poids pour rendre à l’enjeu géopolitique sa structure BI-POLAIRE, tandis que tous les autres misent à mon avis sur une Europe forte et indépendante qui initierait une situation géopolitique MULTI-POLAIRE ou les américains, leur thèses neo-libérales et leur refus de signer par exemple Kioto ne seraient pas le géant qui empèche tout le monde d’avancer vers la paix.

Évidamment, il y à des colombes et des requins dans touts les champs, cela ne rend la solution pas plus facile… mais on devrait en tout cas être capables d’identifier ce qui NE FAIT EN AUCUN CAS PARTIE DE LA SOLUTION, et l’éviter avant tout autre chose.

Ce que je reproche à ce site (pas trop quand-même, parfois j'ai l'impression d'être un étranger sympa juste toléré, et comme je suis vraiement étranger...) c'est d'avoir trop souvent une attitude trop franchouillarde...
Je suis un peu d'accord sur le côté franchouillard. Et, curieusement, je suis étranger aussi (Hongrois) même si je vis en France depuis longtemps.
Les américains ...
Les américains et les français ont ceci en commun qu'ils pensent que leur pays est une sorte de lumière guide pour les autres pays, ce que ne pensent absolument pas ni les allemands, ni les hongrois, ni les brésiliens, ni les italiens ou les espagnols. Je ne suis pas sûr de savoir d'où leur vient cette idée.
on devrait en tout cas être capables d'identifier ce qui NE FAIT EN AUCUN CAS PARTIE DE LA SOLUTION, et l'éviter avant tout autre chose.
A éviter: - cumul et renouvellement des mandats électifs - salaires mirobolants et fixés par les élus - censure et main-mise sur les médias, Internet y compris.

Pour la france c’est simple, la révolution de 1789 n’a tjrs pas aboutie, entre l’empire, les guerres, et les contre révolutions comme celle que nous subissons actuellement avec Sarkozy, la révolution Française est loin d’avoir permis de rendre réel tous les principes et toutes les idées sur laquelle elle est fondée.

La révolution n’a pas une vocation nationale, elle a une vocation internationale. Les valeurs et les principes qu’elle porte sont considérés universels, et c’est donc à l’ensemble du monde qu’ils doivent être appliqués.

Franchouillardise

J’admets sans hésitation que les Français sont franchouillards.

Cela dit (pour mon instruction et pas pour me défendre moi-même ou mes compatriotes), j’aimerais bien que Zolko et NingúnOtro nous disent à quoi ils se réfèrent spécifiquement dans le cadre du présent sujet de discussion (où la franchouillardise ne me paraît pas particulièrement évidente, j’avoue) : ce serait très utile du point de vue de la compréhension internationale. Merci d’avance ! JR

Révolution française

Sandy (5047).

Je vous répondrai que la Révolution française n’est pas une fin en soi mais le début d’un processus et que sur un peu plus de deux-cents ans ce processus a donné des résultats comparativement assez satisfaisants.

(Mais Zolko et NingúnOtro vont me trouver franchouillard… ) JR

Mais non, Jacques… par franchouillardise je ne veux absolument pas critiquer les acquis de la Révolution Française, ni la grandeur de la France et par extension de ces habitants. Vous savez, nous les espagnols avons aussi notre histoire. Je crois que les deux, et aussi tous les autres pays qui forment aujourd’hui l’Union Européenne, ont connu des moments glorieux et d’autres qu’on voudrait plutôt oublier. Il ne s’agit de ma part point d’une agression à votre sentiment de nation, d’une comparaison ou les uns seraient pour une quelconque raison mieux ou plus critiquables que les autres.

Il s’agit simplement de rappeler tout le monde que l’enjeu actuel n’est pas national mais supra-national (et j’excuse d’avantage la réaction de ceux d’entre vous qui seraient nationalistes), et que les actions nationales seulement ne résoudront rien.

Personnellement, j’ai vécu le TCE et tout ce qui c’est suivi comme un évènement Européen, et je me sens aussi justifié en intervenant en Espagne, qu’en France, en Hollande (Pays Bas), Irlande, Bélgique, et n’importe ou… du moment que la décision à prendre aura un impact décisif sur nous tous.

Influencer le résultat du référendum Irlandais en exposant les justes causes de nos démarches à été ce qui nous permet aujourd’hui encore d’avoir de l’espoir à tous, français ou pas. La bataille n’est pas chacun contre le TCE chez soi, mais tous unis contre le TCE n’importe ou il présente bataille.

C’est dans ce sens-la que je dis que ce qui se fait ici est trop français exclusivement, trop franchouillard. Par ampleur de ce qui est envisagé (ou même pas), et par restriction de la participation. Des fois la restriction est due seulement aux limitations linguistiques, c’est à dire la complication inabordable d’offrir la possibilité d’utiliser d’autres langues sans la trouille de perdre le contrôle sur l’ensemble, mais des fois je sens que les implications sont plus profondes…

En fin, je spécule, faute de données fiables… mais pour l’instant j’ai pas encore eu de raisons pour me méfier de mes spéculations.

NingúnOtro (5051).

Concrètement, quelles améliorations possibles voyez-vous (pour ce site et au-delà) ? JR

[font=Arial]01 Quels grands principes sont spécifiques à la construction européenne ?

[size=10][color=#111111]Bonjour à tous, Jacques Roman, NingúnOtro, Sandy, Zolko, Instit, alainguillou et à tous ceux qui nous lisent.

J’ai vécu le débat autour du TCE et tout ce qui s’est suivi comme un évènement Européen, et je trouve regrettable le fait, à part quelques exceptions comme NingúnOtro et Zolko, que nous restions ici entre français pour débattre.

D’autre part, je crois qu’il faut prendre conscience tous ici qu’il y a plusieurs contradictions dans ce qui concerne « La construction Européenne » dont il est difficile de sortir :[/color]

- 1 - Celle que l’on pourrait appeler « La taille de l’optimum démocratique »

[color=#111111]Il s’agit de la contradiction entre l’accroissement extraordinaire des échanges entre les gens de tous pays, les décisions économiques étendues à plusieurs pays, aires géographiques voire mondialisées

et le fait pour que des raisons linguistiques et de taille optimum pour un débat démocratique, un débat vivant et réel ne que se situer dans un cadre national. Je cite Marat : [/color]

"Lorsque de sages lois forment le gouvernement, la petite étendue de l'État ne contribue pas peu à y maintenir le règne de la justice et de la liberté ; et toujours d'autant plus efficacement qu'elle est moins considérable.

Le gouvernement populaire parait naturel aux petits États, et la liberté la plus complète s’y trouve établie."


[color=#111111]
voir la suite sur le site d’Étienne :http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2006/09/28/47-reflexion-de-marat-sur-la-taille-limite-d-un-etat-democratique

[/color]- 2 - Celle que l’on pourrait appeler « La stratégie du contournement des décisions démocratiques »

Il s’agit de la contradiction entre l’amitié entre individus en Europe ( Je sympathise beaucoup avec des gens d’autres pays ) et le fait que les groupes dominants utilisent la construction européenne pour contourner les aspirations de la majorité des gens. Ceci à cause du fait que ces aspiratations sont mieux prises en compte au niveau national. L’Union Européenne a été crée de toutes pièces pour mieux répondre aux exigences de la direction des firmes et des sociétés capitalistes en voie de mondialisation. De ce fait, elle est un outil pour imposer des contraintes aux personnes qui ne vivent que de leur travail (Bolkestein, libéralisation des services postaux, ferroviaires, non-harmonisation sociale et fiscale ) et non un lieu d’exercice de la souveraineté populaire.

- 3 - Celle que l’on pourrait appeler « l’impérialisme inévitable »

[color=#111111]Il s’agit de la contradiction entre la volonté des citoyens d’un Monde plus juste et le fait que l’Union Européenne, par sa taille plus grande que les États qui la composent, pèse plus sur le Monde, le concept de « L’Europe-puissance » est là pour le démontrer.

L’idéologie de « L’Europe-puissance », qui trouve des relais dans le monde politique, économique et médiatique montre son toute son efficacité dans les relations commerciales avec les pays-tiers. Dans le langage bruxellois, cette politique commerciale agressive s’appelle : « l’amélioration de l’environnement international dans lequel opèrent les entreprises européennes ». Dans les faits, L’Union Européenne exploite intégralement les possibilités offertes par les négociations au sein de l’OMC. Je cite un témoignage de la part d’un négociateur d’un pays du Sud en marge des négociations de l’OMC à Genève en 2003 :

[/color]

« Les négociateurs des États-Unis et de l’Union Européenne nous conduisent à l’abattoir à la fin de chaque négociation; ces derniers sont peut-être plus subtils et plus polis, néanmoins le résultat final est le même : nous sommes écrasés. Je préfère avoir affaire avec les États-Unis, au moins vous savez exactement où vous en êtes avec eux. »


Devant ces faits, « l’échec » ou la « réussite » de « L’Union Européenne » dépend où l’on se situe dans le monde et dans l’échelle sociale.
[/size][/font]

[bgcolor=#FFFF99]L’Union européenne, la recomposition conservatrice.[/bgcolor]
un document de Corinne Gobin, daté du 17 mai 2005, que je trouve particulièrement intéressant :

[size=15][b]L'Union européenne, la recomposition conservatrice.[/b][/size]

Introduction

L’Union européenne, en tant que système politique, s’est dotée d’[bgcolor=#FFFF99]une stratégie de « double immunité »[/bgcolor] pour résister aux diverses critiques politiques qui l’assaillent.

D’une part, elle se présente comme un système en constante progression vers la perfection : c’est la stratégie de la réforme permanente qui permet de saper le fondement des critiques ou des oppositions auxquels elle doit faire face. Dès lors, si elle connaît un « déficit démocratique », prétendent ces thuriféraires, « ce n’est que provisoire; vous verrez lors de la prochaine Conférence intergouvernementale (CIG), les choses s’amélioreront ». Et à l’occasion de chaque réforme, des milliers d’individus, dans de multiples associations, s’engagent dans une immense dépense d’énergie individuelle et collective pour tenter de ré-orienter ce géant institutionnel dans un sens plus conforme à leur vision du monde. Résultats décevants à l’issue de la CIG ? « Ce n’est que partie remise ! Si la mobilisation est plus forte, vous verrez, la prochaine fois, tout s’arrangera. »

D’autre part, l’UE se décrit comme un système « sui generis », créé à partir de lui-même, objet spécifique et particulier, qui par conséquent ne peut souffrir aucune comparaison avec la réalité du fonctionnement d’autres systèmes politiques et au-delà même de l’inopérance déclarée d’une comparaison empirique, ce serait l’ensemble des concepts scientifiques élaborés pour appréhender le phénomène politique qui se verrait déclassé.
Chose donc inclassable et inqualifiable parce que sans cesse mouvante et original.

À contre-courant de la construction de cette image, construction à la fois savante à travers de multiples écrits académiques et ad hoc à travers une production phénoménale de documents de propagande interne, nos travaux scientifiques menés depuis une dizaine d’années dans le champ de la construction européenne, nous incitent au contraire à qualifier la signification dominante du processus politique en cours depuis la création de la Communauté économique européenne en 1958. [bgcolor=#FFFF99]Le système politique européen dans lequel sont inclus les mécanismes du lobbying ne souffre pas d’un problème de déficit démocratique : il est contre-démocratique par essence, il produit une conception des rapports politiques qui nous éloigne de plus en plus de l’exercice et du contrôle du pouvoir par les peuples.[/bgcolor]

Ce travail cherche à ébranler une série d’images toutes faites, des prêts-à-penser, qui nous empêchent de retrouver une autonomie dans le regard à porter sur ce phénomène politique de l’intégration européenne qui a réussi aujourd’hui à imposer sa logique à l’ensemble des appareils politiques nationaux, non contre les États mais en symbiose avec une partie de plus en plus large des dispositifs politiques et administratifs de ces mêmes Etats : l’image de la construction linéaire et harmonieuse de l’Europe, du fameux « déficit démocratique », du rempart de l’Europe sociale contre l’Europe marchande, d’un système politique parasité contre son gré par des lobbies de plus en plus nombreux et variés.

Un long travail de sape de la souveraineté populaire - 1958 : mise en place d’un pouvoir contre-démocratique

L’histoire de la construction européenne a ses légendes : parmi celles-ci, celle des pères fondateurs, de Monet à De Gaspéri, en passant par Schuman, Spaak et Adenauer. Cette histoire lissée a la particularité de présenter la “belle aventure de l’Europe” comme un processus en continu où l’on progresse à petits pas, nécessairement, vers une intégration des sociétés européennes de plus en plus poussée, pour le bénéfice de tous. Ce beau conte a deux avantages : masquer la rupture politique qui eut lieu en 1958 avec la création de la Communauté économique européenne (CEE) et l’affaiblissement de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA); parvenir à mobiliser toutes les énergies, même celles provenant de groupements critiques, autour d’une oeuvre à achever, de sommets européens en sommets européens, de réformes du Traité en réforme du Traité, qui bizarrement, jamais ne semble prête à s’achever et qui, par cet inachèvement même, empêche de formuler des contre-propositions ou des contre-projets (les énergies sont mobilisées pour “l’amélioration” du système et non pour sa refondation complète).

[bgcolor=#FFFF99]1958 est la date d’une restauration : celle d’un ordre politique qui se construit sur le souci d’évacuer les principes et les dynamiques qui avaient permis le développement et le renforcement de la démocratie à l’échelon de l’État national en Europe occidentale.[/bgcolor] Après le double choc de la guerre et du nazisme, les mouvements et partis de gauche avaient en effet pu obtenir des avancées démocratiques telles qu’elles s’accompagnaient d’une transformation importante de l’imaginaire politique du pouvoir à l’égard des classes sociales populaires (le paternalisme détrôné par le sentiment d’un devoir de défense d’un intérêt collectif associé à l’ensemble de la population); transformation qui s’accommodait mal avec le travail de production et d’entretien d’une inégalité « structurelle » entre classes sociales inhérent au capitalisme.

[bgcolor=#FFFF99]La CEE, telle qu’elle se met en place en 1958, est un système politique de nature technocratique et donc oligarchique. Elle ne se nourrit pas du modèle de l’État démocratique national : elle puise plutôt ses références politiques dans l’exemple des relations et des organisations internationales où le pouvoir est aux mains de diplomates ou d’experts (dans les deux cas, de “techniciens”).[/bgcolor]

[b]L’idée que la 2ème guerre mondiale est le résultat des déstabilisations provenant des passions politiques des hommes de la rue (communisme contre fascisme) est présente dans divers cénacles conservateurs des milieux internationaux[/b] : l’idéal serait de substituer le gouvernement des hommes (nécessairement traversé par les passions et les conflits politiques qui engendrent la déstabilisation des sociétés) par l’administration des choses (une gestion commune des États à travers un développement harmonieux du commerce : le commerce est considéré comme une activité «naturelle», «technique», en dehors des passions idéologiques, reliant «naturellement» les hommes, qui se développerait de façon d’autant plus harmonieuse que la CEE travaillerait en étroite symbiose avec les experts des activités économiques).
Ce pouvoir européen, par essence, repousse le conflit, et plus particulièrement celui qui structure la constitution même du capitalisme mais aussi le menace (le conflit capital/travail). Il va dès lors opérer une inquiétante rupture contre-démocratique en dévaluant systématiquement les institutions socio-politiques porteuses du conflit : le parlement et les organisations syndicales.

[bgcolor=#FFFF99]En effet, si aujourd’hui utiliser le terme de “parlement” pour l’assemblée réunissant les députés européens est un abus de langage (le Parlement européen ne dispose ni d’un pouvoir législatif plein et autonome ni d’un pouvoir de contrôle et de sanction du véritable exécutif, le Conseil), en 1958, il s’agissait alors d’une “assemblée-croupion” dotée du seul pouvoir de consultation.[/bgcolor] [bgcolor=#FFCC99]Situation de césure par rapport à l’assemblée de la CECA où les députés disposaient du pouvoir de sanctionner la Haute Autorité.[/bgcolor] Quant aux organisations syndicales, bien représentées au sein de la CECA, elles durent faire le forcing durant plus de trente ans, pour obtenir la reconnaissance officielle d’un rôle de consultation et de négociation à l’échelon de la Communauté européenne (voir le protocole d’Accord social annexé au Traité de Maastricht de 1991). Les dirigeants syndicaux de l’époque étaient cependant très clairvoyants quant à la signification de cette rupture : « (…) ce qui a été accepté sur le plan national l’a été à contrecoeur. Les forces capitalistes ont vu dans la construction de l’Europe une occasion de reprendre sur le plan communautaire l’intégrité de l’autorité qu’elles ont dû partager sur les plans nationaux. ».(1)

Les lobbies : une autre façon de résoudre la question de l’administration

La rupture de 1958 porte sur l’ensemble de la façon de concevoir l’organisation et le rôle du politique. Hormis l’évacuation du conflit idéologique, une autre cible est celle d’un pouvoir politique conçu comme une autorité publique (représentant l’intérêt collectif des populations) et disposant donc d’un pouvoir d’intervention autonome dans l’économie : capable d’imposer des planifications, un contrôle pour empêcher les fusions et les cartels, de développer des services publics et un secteur économique public en dehors des logiques marchandes (2).

Certains fondateurs de la CEE espéraient ainsi “discipliner” la France et l’Italie, dont les États étaient considérés comme trop interventionnistes et trop “publics” (la CECA, à ce titre, était aussi considéré comme un “mauvais exemple”) en instaurant un nouveau modèle du pouvoir politique, plus “adapté” au fonctionnement du libre marché.

Ce pouvoir est composé d’un corps d’élite (peu nombreux mais extrêmement bien payé) qui va gérer le plus techniquement possible les matières, une fois les grands arbitrages politiques réalisés par les États : une nouvelle aristocratie se met en place. La logique aristocratique, la volonté de “neutraliser le politique” par la technocratie, le choix de casser la conception de l’autorité publique “interventionniste” aboutissent au rejet de développer une large fonction publique européenne, capable d’assumer à la fois l’exécution des décisions prises dans tous les domaines de compétences, qui depuis 1985 se sont fortement accrus, et également le contrôle de cette exécution ou de l’utilisation des dépenses européennes.

En outre, miser sur la construction d’un Marché commun comme trait d’union principal entre les peuples permet, dans une optique à la fois libérale et technocratique, d’installer des structures de pouvoir intégrant peu de fonctionnaires car le “marché” est pensé comme naturellement mu par des “forces automatiques”.

Pour que ce niveau de pouvoir puisse alors néanmoins agir, tout en se restreignant au petit nombre des “meilleurs”, il lui faut développer des alliances, s’adjoindre la participation d’autres institutions qui vont être pensées comme faisant partie d’un même système.

La CEE, puis l’Union européenne, ont donc massivement recours à des “experts”, comme substitut d’une fonction publique démocratique. Pour que ces alliances soient fiables, que les institutions “partenaires” acceptent de détourner une partie de leur énergie pour servir la cause européenne et se transformer partiellement en “annexes administratives” des institutions européennes, il faut que le pouvoir européen crée de l’adhésion.

[bgcolor=#FFFF99]Nul ne peut comprendre le fonctionnement de ce système de pouvoir sans poser comme préalable à la compréhension que nous nous trouvons dans un système de type militant.[/bgcolor] Si certaines critiques peuvent être acceptées, digérées sur des points secondaires, il faut néanmoins que sur l’essentiel de la dynamique du système, les partenaires acceptent de se muer en “adeptes”, en diffuseurs des symboles (un drapeau, un hymne, une monnaie et des colifichets bleus étoilés de toute sorte).

Il s’agit donc d’[color=red][b]un système à double influence[/b][/color] : [bgcolor=#CCFFFF]les “bons” partenaires reçoivent de multiples avantages matériels et symboliques[/bgcolor] (le titre d’expert et la rémunération qui l’accompagne, le sentiment de faire partie d’une élite cosmopolite, le droit à un accès privilégié auprès des sources du pouvoir et d’être entendu par celui-ci…) [bgcolor=#CCFFFF]et en échange, ils donnent une partie de leur temps de travail en prestations pour l’administration européenne[/bgcolor] (conception de programmes et même partiellement, de textes normatifs, évaluation de projets, aide à l’exécution et à la diffusion des politiques européennes, contrôle a priori et a posteriori du contenu des recherches et des études financées,…).
Ce système se vit comme abolissant la séparation entre intérêts publics et intérêts privés car tout le monde serait mu par la même ardeur et le même idéal européens.

Technocratie et néo-libéralisme : un excellent ménage contre-démocratique

Les différents observateurs scientifiques ont pu tous vérifier la croissance du nombre de lobbies dès 1985 concomitamment à l’accroissement des compétences européennes avec la décision de la réalisation du projet de Marché Intérieur d’abord, de l’Union économique et monétaire ensuite, et la poursuite de l’élargissement. Pour pouvoir mener à bien de tels bouleversements, il fallait en effet que les institutions européennes jouent sur le développement de ce système de militance et d’offres de service : il fallait compter sur un réseau large de mobilisations.

Dans la version de 1994 d’un de ses ouvrages, le politologue français, Jean-Louis Quermonne faisait parler les chiffres : une estimation de 19.000 fonctionnaires attachés à la Commission européenne et au Conseil à comparer aux 55.000 membres du personnel attaché à la seule ville de Paris et aux 129.601 fonctionnaires civils du ministère français de la Défense (3) !

Si l’on évalue habituellement à plus de 10.000 le nombre de lobbyistes installés à Bruxelles pour pratiquer en permanence cette fonction, il est par contre impossible de comptabiliser l’ensemble des personnes, appartenant à des organisations publiques ou privées régionales, nationales, européennes, impliquées dans la diffusion de “l’information européenne” et la mise en oeuvre du programme européen.

Lobbies, administration technocratique européenne et pans entiers des administrations nationales forment aujourd’hui un seul système censé gérer au mieux le développement socio-économiques de près de 400 millions de personnes.

[bgcolor=#FFFF99]La nature technocratique et donc contre-démocratique du système européen s’est encore renforcée avec le déploiement de l’idéologie néo-libérale dans les années quatre-vingts, qui, peu à peu, est devenue la doctrine de gouvernement aux différents niveaux de pouvoir à l’échelon planétaire.[/bgcolor] Mais le néo-libéralisme a pu d’autant mieux s’implanter à l’échelon européen que technocratie et néo-libéralisme participaient d’un même phénomène : la volonté réactionnaire de restaurer un ordre pour contenir “la contagion démocratique” où les contraintes collectives imposaient une limitation aux appétits de pouvoir et de puissance des nantis.

Le symbole de l’indépendance de la Banque centrale à l’égard du contrôle du politique (mais non à celui du verdict du “marché”) reste bien sûr l’élément le plus frappant du “durcissement” de cet ordre.

Dans les deux cas (technocratie et néo-libéralisme), il s’agit de remplacer autant que faire se peut l’intervention politique par une intervention dite “technique” (ce qui a l’avantage d’empêcher les débats) et de casser l’idée du pouvoir en tant que puissance publique au service de l’intérêt collectif : la victoire néo-libérale avec dès 1985, la conversion d’une bonne partie de l’Europe occidentale au diktat de la libéralisation complète des économies est ainsi l’aboutissement d’un processus mondial contre-démocratique, dont la première grande victoire, au niveau du continent européen, eut lien en 1958.

La réaction contre-démocratique, encore limitée alors à des cénacles surtout internationaux s’est aujourd’hui, après un “travail” (4) de trente ans, généralisée à l’ensemble des appareils politiques. L’intérêt général devient alors l’intérêt des grandes firmes compétitives et l’objectif premier communautaire devient celui d’assurer le meilleur environnement possible pour accroître la compétitivité.

Aujourd’hui, après la mise en oeuvre des critères de Maastricht de 1991 et du Pacte de stabilité de 1997, les États ont pu modifier radicalement le contenu de l’intervention publique : [bgcolor=#FFFF99]avec la délégitimation complète du conflit politique et des idéologies qui le portent (socialismes, communismes, anarchismes), le rôle des pouvoirs publics nationaux n’est plus d’organiser une redistribution plus égalitaire des richesses mais d’organiser le transfert des bénéfices de l’ancienne socialisation de l’économie vers l’appropriation privée par les firmes les plus puissantes.[/bgcolor]

Démocratie participative européenne : une démocratie de façade

L’Union européenne, parallèlement au renforcement de ses pouvoirs et à la montée de la contestation dans les années 90, affina peu à peu la présentation au public de son fonctionnement politique afin de le rendre acceptable.

[bgcolor=#FFFF99]Cette nouvelle façon d’imaginer le politique se fait contre les principes qui furent à la base de la construction des démocraties nationales : la gouvernance à la place du gouvernement, la société civile contre le peuple, le consensus à la place du compromis, le dialogue au lieu de la négociation, le local et le subsidiaire à la place du centralisé et de l’universel, l’accord ou le code éthique ou la déclaration solennelle remplaçant la loi, le partenariat qui met fin à la séparation des pouvoirs, la cohésion sociale qui se substitue à la progression vers l’égalité, la participation qui remplace la délégation et le mandat électif, le consommateur-citoyen détrônant le travailleur-citoyen…[/bgcolor]
[color=purple]Dans ce nouveau modèle, le pouvoir est décrit comme un phénomène (la gouvernance) qui se diffuse de proche en proche au sein d’un réseau dont les maillages seraient de plus en plus nombreux et complexes[/color], alimentés tant par les différents lieux de structuration du pouvoir politique (institutions européennes, organismes publics régionaux et nationaux, …) que par les organisations dites de la “société civile” (les entreprises valorisées au rang d’acteur politique, les lobbies de toutes sortes, les ONG, les syndicats, les mouvements religieux…), tous niveaux confondus (local, régional, national, supranational).

Ce réseau s’unit dans le partage d’une vision de “pluralisme communautaire”. Pluralisme car l’existence du plus grand nombre possible d’associations déterminerait la qualité de la “représentation” de la population , communautaire car la société est perçue comme une communauté soudée autour d’un consensus sur des valeurs communes (le développement du marché, du libre-échange, de la modernité et de la compétitivité).

[bgcolor=#FFFF99]Dans ce type de construction politique, la multitude d’associations mises sur un pied d’égalité (on n’insiste pas sur les différences de puissance financière ou de liens liant représentants et représentés car l’important c’est le nombre!) prend la place du peuple.[/bgcolor]

Ce que déconstruit ce modèle, ce sont conjointement la représentation qui désigne l’origine de la souveraineté du pouvoir démocratique dans le peuple et dans le peuple seul, et celle qui faisait des mandatés par élection représentative les seules voix autorisées à parler au nom du peuple. La souveraineté du peuple et la représentation élective basée sur le mandat et la responsabilité politique ne sont plus reconnues comme la fondation de l’édifice politique.
[color=purple][b]La représentation du peuple est remplacée par un système de participation des notables (aujourd’hui rebaptisés “experts”, modernité oblige).[/b][/color] La “participation” est d’ailleurs un maître mot du système : c’est sur elle que se fondent la nouvelle légitimité du pouvoir politique et la cohérence de ce “pluralisme communautaire”(en participant, on apporte sa pierre à l’édifice communautaire et on renforce l’image d’une société mue à travers le consensus). Le retour des notables comme acteurs politiques privilégiés a également comme enjeu de relégitimer l’intervention dans le politique des différents mouvements religieux (5).

Les lobbies, qu’ils soient au service des intérêts industriels et financiers ou au service d’intérêts beaucoup plus louables (écologie, féminisme, culture,…) ne parasitent donc pas le système politique européen. Il sont une partie intégrante d’un système politique qui s’est construit de manière à affaiblir les principes politiques constitutifs de la démocratie, qui ne peut exister sans la reconnaissance d’une pluralité de projets socio-politiques, et d’intérêts sociaux, qui s’affrontent.

Le rejet et la [bgcolor=#FFFF99]peur de reconnaître le conflit social redistributif[/bgcolor] dans ce type de modèle débouche sur l’obsession du consensus et de l’importance de la communication, du dialogue entre toutes les parties présentes, pensées comme des partenaires. Si les groupes ou les individus s’opposent, c’est avant tout parce qu’ils se sont mal compris, il suffit de mieux communiquer en cherchant l’alignement de tous sur la même vision du monde (il s’agit bien d’un système militant d’adhésion!). Et les “irréductibles”, ceux qui ne veulent pas comprendre, ne peuvent être que des “déviants”.

Cette construction du partenariat autour des deux pans du pouvoir exécutif européen (Commission et Conseil) aboutit à transformer toute institution en “parcelles” de l’exécutif et empêche l’émergence de tout contre-pouvoir (il n’y a pas de place pour le conflit à l’intérieur de ce système).

[bgcolor=#FFFF99]Ce système de la participation se situe en-deçà du principe de séparation des pouvoirs, toute institution faisant finalement partie de l’Exécutif décrit comme un immense réseau, et prend des airs de ressemblance avec l’imaginaire politique de l’avant révolution française/bgcolor. De même, la notion de responsabilité politique du pouvoir politique se délite : tout le monde participant à tout, l’identification des personnes qui prennent les décisions et des lieux où se décident réellement les politiques est de moins en moins claire.

[bgcolor=#FFFF99]L’expression habituellement employée de “déficit démocratique” est complètement inadéquate pour décrire l’état du système politique européen : il ne s’agit pas d’un problème de “trop peu de démocratie” mais d’un système qui la déconstruit ![/bgcolor]

Ce diagnostic posé en terme de “déficit” conduit par exemple à réclamer, à chaque réforme des Traités, [color=purple][b]l’augmentation des pouvoirs de co-décision du Parlement européen, ce qui aboutit en fait à renforcer un système qui se construit sur la fusion (la confusion) des pouvoirs ![/b][/color] Le Parlement doit disposer de l’initiative législative (ce qui n’est pas le cas) et du pouvoir de contrôle et de sanction sur tous les autres organes de décision politique (y compris la Banque centrale), ce qui n’est pas le cas non plus (hormis un début de contrôle et de sanction sur la Commission).
[color=blue][b]Les experts patronaux : les symbiotes des dirigeants politiques européens[/b][/color]

Dans cette [bgcolor=#CCCCCC]parodie manipulatoire des symboles démocratiques[/bgcolor], le grand nombre d’organisations « partenaires » est assimilé à la garantie non seulement de la qualité démocratique du régime mais plus encore, à la garantie de l’approfondissement permanent de la démocratie.

Les auteurs du livre [bgcolor=#FFFF99]Europe Inc.[/bgcolor](7), après un travail d’enquête minutieux auprès des gros lobbies patronaux européens, montrent néanmoins de façon claire que tous les lobbies n’ont pas la même valeur aux yeux du pouvoir politique européen et qu’existe et se renforce une imbrication extrêmement étroite entre les institutions administratives européennes et les organisations patronales, à travers les relations entre personnes.

Ce livre présente une radioscopie des associations patronales les plus puissantes créées spécifiquement à l’échelon de l’Union européenne : la Table ronde des Industriels (ERT), l’UNICE (l’Union des confédérations de l’Industrie et des employeurs d’Europe), l’AMCHAM (le comité européen des Chambres américaines de commerce) et l’AUME (l’Association pour l’Union monétaire européenne et expose aussi la situation de circulation des personnes, à un moment ou à un autre de leur carrière, entre milieux d’affaire et milieux politiques européens pour ce qui concerne les hautes fonctions.

Il s’agit bien d’un même monde : les représentants patronaux des diverses associations se connaissent personnellement et pensent leur travail d’influence comme complémentaire tout en jouant sur des canaux d’approche différents ; certains dirigeants politiques européens (commissaires et directeurs généraux) passent facilement de la représentation politique à la représentation des affaires au cours de leur carrière.

On y découvre également le poids des représentants de ces gros lobbies au sein des multiples comités d’experts créés par la Commission européenne pour les aider à définir leurs politiques : les “études” confiées à ces comités d’experts ad hoc servent souvent de matrice par la suite à la présentation des orientations de l’Union européenne dans les “livres blancs” avant de se transformer en textes réglementaires.

À côté des grands lobbies patronaux, les auteurs soulignent également l’impact du lobbying entrepris par une multitude d’“agences de relations publiques et de bureaux d’études européens” dont la plupart agissent également pour des intérêts industriels tout en se présentant comme des lieux d’expertise technique neutres.

Ils servent tant à conseiller les dirigeants européens qu’à présenter au public sous un jour plus favorable certains produits contestés (comme les OGM) ou à améliorer les relations publiques entre les entreprises, et les ONG et les syndicats en aidant les multinationales à se présenter sous une image d’entreprises citoyennes.

[bgcolor=#FFFF99]Ainsi, la puissance des secteurs industrialo-fianciers aboutit à la capacité de multiplication en un nombre impressionnant des structures d’expertise de toutes sortes consultées ou plus étroitement associées dans le processus de fabrication des normes stricto sensu et des orientations normatives du pouvoir européen, donnant l’illusion d’une légitimité démocratique à ce pouvoir qui consulte « large ».[/bgcolor]

Si les voix critiques sont bien présentes dans ce système où des procédures sont installées pour « recueillir leurs doléances », elles ne feront néanmoins jamais poids face à la masse des organisations qui défendent les intérêts marchands et elles participent indirectement, parce que le pouvoir européen a besoin pour asseoir sa légitimité que les « associations partenaires » soient de plus en plus nombreuses, à l’idée qu’il n’existe plus de grands courants qui s’affrontent mais une multitude d’intérêts divers et contradictoires qui empêcheraient désormais d’établir des lois et des droits de type universel.

L’Europe sociale : une Europe correctrice de l’Europe marchande ?

L’offensive contre-démocratique, [bgcolor=#CCCCCC]prenant d’abord appui dans le champ économique là où la démocratie n’a jamais pu se réaliser que très partiellement[/bgcolor], réforme aujourd’hui l’ensemble des champs de la production humaine.

Si le champ politique, nous venons de le voir, est travaillé de manière telle qu’il se mette en conformité avec la pénétration maximale des intérêts de pouvoirs privés (marchands, mais aussi mafieux, mais aussi religieux) dans la gestion de la « res publica », il serait illusoire de penser qu’une « Europe sociale » autonome émerge et se développe indépendamment de la soumission des autres champs au travail de reconquête entrepris par les forces conservatrices.

S’il est vrai que certaines victoires sociales partielles ont pu être obtenues à l’échelon de l’UE, car heureusement nous ne sommes pas dans une situation de totalitarisme complètement réalisé (il est seulement en cours) où le pouvoir peut ignorer complètement les voix dissonantes, il n’empêche que les réformes opérées les plus significatives participent toutes à la consolidation de cet ordre conservateur dont la force est de pouvoir à la fois produire une ligne dure (la politique économique néo-libérale) et ce qu’il présente comme une correction de cette ligne, une politique sociale mais qui est pourtant de plus en plus subordonnée aux logiques marchandes.

Dans cet univers de la communication (de la propagande), l’apparence semble ainsi devenir plus importante que la réalité : le fait de mobiliser des termes qui paraissent progressistes (développement de l’emploi, élaboration d’une charte des droits fondamentaux, développement de la responsabilisation sociale des entreprises) laisserait automatiquement supposer que le contenu des politiques mises en oeuvre le serait nécessairement. Or, en fait, au nom d’une Europe sociale, nous assistons surtout à la poursuite de la déréglementation des droits sociaux collectifs liés au travail.

Cette manipulation lexicale, et donc de la signification, est pourtant éclatante dès lors que l’on examine le contenu des « concepts sociaux » élaborés par l’UE. Faisons ici l’exercice de l’examen de deux de ces « concepts de base » structurant l’orientation de la « politique de l’emploi » de l’Union européenne.

Taux d’emploi

Depuis le fameux sommet sur l’emploi de Luxembourg en novembre 1997, l’élévation du taux d’emploi est devenu un des principaux objectifs à atteindre en matière d’emploi à l’échelon de l’Union européenne. Il faudrait que le taux d’emploi augmente en Europe (il est actuellement d’environ 61%) pour tendre vers le niveau du taux d’emploi du Japon (±74%) ou des États-Unis (± 71%) : rappelons que le taux d’emploi, pour l’Union européenne, définit le pourcentage de la population qui est au travail par rapport à celle qui est en âge de travailler. Il s’agit du rapport entre la population effectivement au travail (pour tout travail déclaré quelque soit sa durée) et de la population active potentielle qu’elle définit comme l’ensemble des personnes de 15 à 64 ans.

Cet indicateur dont la construction théorique est plus que douteuse commence à être plus couramment utilisé dans les textes européens à partir de 1994. Il est à noter que dans le rapport européen L’emploi en Europe de 1994, presqu’une page entière lui est consacrée où nous pouvons lire : [i]« […] ce taux est inévitablement, assez approximatif et doit être interprété avec prudence»/i. Il est dommage que, par la suite, son utilisation politique fasse fi des intéressantes mises en garde qui avaient alors été faites.

[bgcolor=#FFFF99]Il s’agit en fait d’un indicateur idéologique de « remise au travail à tout prix » car il se construit sur un concept absurde : toute la population entre 15 et 64 ans doit être théoriquement au travail ![/bgcolor]

Cet « indicateur » serait déjà moins idéologique si on comptabilisait avec les personnes ayant un emploi, les personnes malades, handicapées, aux études et en prison.

On voit tout de suite qu’il s’agit d’une déconstruction de l’ancienne notion de population active. Ainsi peut-on lire dans le même rapport européen de 1994, après que les incohérences liées à cet « indicateur » eurent été discutées : « Ces difficultés ne signifient pas qu’il faut négliger le taux d’emploi comme indicateur du marché du travail. Bien au contraire, à de nombreux égards, il constitue une mesure plus utile que le taux de chômage, lequel ne tient pas compte du nombre considérable de personnes qui ne sont pas incluses dans la population active parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, mais qui aimeraient toutefois travailler si la possibilité de le faire leur était offerte ».(9)

Améliorer le taux d’emploi semble à première vue s’inscrire dans une politique de lutte contre le chômage. Le doute est pourtant plus qu’autorisé …

-Premièrement, cet indicateur banalise l’idée que l’on doit être au travail à partir de 15 ans. En effet, si on amène à faire travailler tous les jeunes à partir de 15 ans, le taux d’emploi augmenterait. Elle fragilise ainsi un des droits les plus fondamentaux de l’édifice démocratique : le droit à l’instruction obligatoire jusqu’à l’âge le plus élevé possible. La directive européenne de 1993 sur la protection des jeunes au travail avait déjà opéré un " assouplissement " des normes internationales de l’OIT sur les conditions d’engagement dans le travail (notamment pour le travail de nuit) des très jeunes travailleurs ;

-Deuxièmement, il sous-entend que tout le monde devrait être au travail. Les gouvernements s’installent de plus en plus dans une logique autoritaire de remise au travail à tout prix, indépendamment du choix des personnes et surtout des conditions offertes. L’ancienne commissaire européenne pour les Affaires sociales et l’emploi, Vasso Papandreou, ne déclarait-elle pas : [i]« La Communauté doit aussi éliminer certaines idées résiduelles datant des années 70 et du début des années 80, où l’on mettait l’accent sur le maintien du chômage à un bas niveau et sur l’exclusion d’un certain nombre de personnes de la population active. Nous devons aujourd’hui considérer comme une priorité l’élimination des obstacles qui empêchent les gens de travailler »/i.

Cette orientation ne peut être détachée d’un maintien d’une pression à la baisse sur les salaires. Les deux personnes d’un ménage se retrouvent ainsi contraintes à travailler, et ce dans des conditions de plus en plus invivables et stressantes.

[bgcolor=#FFFF99]Cette remise au travail fait partie ainsi d’un processus de redisciplinarisation des classes sociales populaires. Il faut accepter d’être pauvre parce que travailleur, et travailleur parce que pauvre.[/bgcolor]

On masque à nouveau le fait que ce sont les travailleurs collectivement qui sont les producteurs de la richesse et que donc la question de la redistribution des richesses dans un sens égalitaire doit rester LA question centrale du débat démocratique : ainsi donc, quand les travailleurs sont au travail, ils sont présentés comme des coûts ou des charges pour l’entreprise et quand ils sont au chômage comme un « danger » pour la « cohésion sociale » (à traduire « pour le maintien de l’ordre établi »).

Cette conception du rôle de l’emploi, à imposer aux classes populaires, est-elle ainsi délicatement énoncée dans un des derniers numéros de la Revue économique de l’OCDE : [i]« L’emploi est en soi un instrument fondamental d’insertion ; il peut aussi avoir des retombées beaucoup plus vastes en atténuant des problèmes sociaux, liés notamment à la criminalité et à la santé. »/i

-Troisièmement, le taux d’emploi prend notamment comme étalon le marché du travail américain où l’on n’hésite pas à définir comme travail une activité sporadique de quelques heures par semaine qui ne fournit pas de ressources suffisantes pour vivre.

Dans ce contexte, le taux d’emploi en Europe, s’il augmente, devient plutôt un indicateur de l’augmentation de la pauvreté et de la précarité du monde du travail. Ce sont les taux de chômage, mais des taux de chômage non-trafiqués, qui doivent rester les indicateurs de contrôle de la situation de l’emploi.

La formation tout au long de la vie

Cette expression accompagne aussi tous les textes officiels de l’Union européenne dans le domaine de l’emploi, dès le milieu des années nonante (quatre-vingt-dix) et de façon encore plus marquée, depuis que le traité d’Amsterdam fit de la promotion de l’emploi une “question d’intérêt commun” prioritaire et un des titres du Traité.

Elle côtoie souvent dans les textes européens deux autres expressions qui en disent long : « le temps de travail flexible sur toute la vie » et « l’apprentissage tout au long de la vie ». On oublie gentiment de préciser s’il s’agit de la vie active ou de la vie dans toute sa longueur potentielle : cet oubli ferait-il partie des tentatives qui sont menées pour nous habituer à l’idée que la retraite à 65 ans ne serait vraiment plus adaptée à la modernité de nos économies ?! El trabajo hasta la muerte !

Sous le couvert de favoriser la formation professionnelle, il s’agit de promouvoir en fait une stratégie de dévalorisation permanente de la qualification professionnelle des travailleurs.

En jouant sur la construction de l’image d’un marché qui deviendrait un objet de plus en plus mouvant et indéterminé, le patronat transforme en fait les travailleurs en inadaptés perpétuels devant sans cesse acquérir de nouvelles formations, tout aussitôt dévaluées.

Cette stratégie patronale de dévalorisation et de suppression de métiers, de postes de travail est vieille, elle existe depuis les origines du développement du capitalisme industriel. Mais aujourd’hui elle trouve une nouvelle vigueur : elle devrait s’imposer à tous les salariés de l’ensemble des secteurs car il faut bien se débarasser des résidus des conquêtes syndicales sur le salaire contraignant les employeurs à inscrire le salaire dans une grille complexe de qualification liées aux tâches, aux postes de travail et aux diplômes publics.

La notion de " formation tout au long de la vie " permet ainsi d’exercer de façon constante une pression sur les salarié(e)s : plus personne ne serait en adéquation parfaite avec les qualifications soi-disant requises pour chacun des postes de travail dont le contenu n’arrêterait pas de se modifier, nouvelles technologies obligent …

Mais cette stratégie transforme aussi le contenu de la notion de formation. N’englobant plus seulement des références à la maîtrise de savoirs-faire savants, pratiques, techniques mais de plus en plus à des aptitudes (" l’aptitude à tenir un emploi "). Le terme est volontairement laissé dans le flou, aptitudes psychiques (ne pas être dépressif, être docile et malléable ? ) ; aptitudes ou états physiques (ne pas tomber souvent malade, ne pas avoir le sida, ne pas être enceinte ? ) ?

Enfin, elle prend place dans une tentative de transformer tout le champ de la connaissance et de la formation en un immense marché. La « société de connaissance», telle qu’elle a été présentée par le Sommet de Lisbonne (mars 2000) propose en effet ce fantasme : la principale activité de la société se limiterait à produire, faire circuler, faire connaître l’information commerciale. L’école formerait les enfants, dès le plus jeune âge, à capter l’information (l’information commerciale ?) sur le net, en partenariat avec les entreprises.

Mais l’initiative de la production et de la diffusion de la connaissance serait aussi de plus en plus transférée au secteur privé (notamment à travers la connexion des " consommateurs de formation" sur les nouveaux médias), délégitimisant ainsi les lieux d’enseignement public et général qui sont dénoncés par le patronat comme n’étant pas capables de s’adapter rapidement aux demandes de formation utiles aux entreprises. Tout comme dans le cas du taux d’emploi, nous voici à nouveau face à une conception où le collectif humain, et la société dans son ensemble, sont réduits à n’être qu’un réservoir de ressources au service de l’entreprise.

Nous voyons que les autorités politiques et patronales usent des mots comme des couteaux à trancher la mémoire collective : on prend des mots proches de ceux qui formèrent le contenu d’anciennes revendications syndicales, qui continuent à fonctionner en écho dans la mémoire comme si l’on était dans une continuité, alors que le sens et les rapports sociaux qui les portaient ont été depuis complètement inversés : l’ancien droit à la formation continue devient aujourd’hui le droit à s’imposer soi-même une déqualification continue ! Et c’est tout bénéfice pour les autorités qui clament l’emploi, la formation, la croissance comme priorités : qui oserait s’y opposer ?

Seule une offensive des syndicats pour revaloriser les salaires en les liant à de nouvelles grilles de qualification qui valorisent elles-mêmes les diplômes d’enseignement publics (revalorisés par un financement massif) pourrait stopper cette grave offensive. Il ne faut pas en effet tomber dans le piège de la valorisation de la formation privée à la carte qui aboutit à en revenir à des relations interpersonnelles entre patrons et chaque travailleur, et à la fixation d’un salaire à la carte.

Conclusion

[bgcolor=#FFFF99]Toute la construction politique de formation d’une “nouvelle légitimité démocratique” par la participation de la « société civile » sert principalement d’une part, à justifier le poids de plus en plus énorme que prend l’industrie dans l’orientation des décisions politiques, que ce soit à l’échelon européen ou mondial, et d’autre part, à imposer un transfert de l’ancien “travail public” géré et contrôlé par des Autorités publiques responsables et contrôlées par le suffrage universel vers des groupes privés qui reprennent l’initiative de définir les règles, leurs règles, dans les textes réglementaires mais aussi de plus en plus à travers des codes et des accords privés (la “soft law”) en remplacement des lois. C’est la substance même du pouvoir politique qui est privatisée : il ne reste donc plus à celui-ci qu’à maintenir l’ordre12, celui des multinationales.[/bgcolor]

À cet égard, un responsable du Bureau technique syndical européen13, organisme représentant les intérêts du monde du travail dans la définition des normes de santé et de sécurité au travail à l’échelon européen, faisait remarquer que de nombreuses firmes multinationales faisaient pression au niveau de l’Union européenne pour que l’industrie obtienne le droit de concevoir une sorte de “norme ISO” européenne dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail certifiant que l’entreprise qui pourra l’exhiber serait “socialement correcte” en matière d’hygiène et de sécurité et donc serait dispensée tant de l’application des lois dans ce domaine que des inspections publiques.

[bgcolor=#FFFF99]Tout au sein du système européen concourt ainsi à la déconstruction du poids et du sens du suffrage universel : plus de choix politique possible car les choix sont remplacés par des orientations techniques, par essence indiscutables en dehors des experts, formation des décisions dans des conclaves et comités où dominent le fonctionnement en huis-clos et la non publicité des débats, transformation des Traités par la voie diplomatique et non à travers un travail parlementaire public (par un Parlement investi d’un rôle de constituant), absurdité d’un vote pour élire des représentants qui ne disposent pas d’un pouvoir législatif et de contrôle réel, dévaluation des lois élaborées par les autorités politiques au profit d’accords et arrangements privés (qu’ils soient dit éthiques ou non peu importe !).[/bgcolor]

Ainsi, en l’espace d’une vingtaine d’années, la victoire conservatrice contre la démocratie en Europe est très profonde : cependant, il n’y a jamais eu place pour la fatalité dans l’histoire des sociétés humaines.

Mais la production d’un nouveau projet de société démocratique (et donc anti-capitaliste car il n’est pas question d’accepter un réaménagement des droits vers le bas par rapport à l’histoire qu’ont vécu la majorité des peuples d’Europe occidentale de 1945 à 1975 et pour pouvoir faire mieux que ne fut l’Etat social de pouvoir public de cette période, il faudra nécessairement poursuivre la marginalisation des logiques marchandes et de pouvoirs privés en dépassant le capitalisme) suppose la reconquête d’une réflexion et d’une action autonomes par la formulation d’une utopie de transformation sociale qui ne soit pas coincée par les diktats de l’agenda européen.

Mais une Europe démocratique ne pourra être possible que si une coupure politique et symbolique est opérée par un mouvement social démocratique transnational qui aboutit à une refondation complète des rapports au pouvoir politique, à la fois au sein du champ national et au sein du champ européen, étant donné qu’aujourd’hui l’un et l’autre ne font plus qu’un seul système, un seul régime (sans aborder ici la question de l’articulation des luttes démocratiques à l’échelon mondial et de l’inter-influence de chaque niveau de pouvoir au sein du système mondial de marché qui se met progressivement en place).


Notes

1 COOL A., Président de l’Organisation Européenne/Confédération Internationale des Syndicats Chrétiens, 1964, Extrait de l’article “Les syndicats doivent vaincre leur nationalisme sinon l’Europe sera une Europe capitaliste”, Au Travail, Bruxelles, (presse CSC) , 16 mai 1964, p. 11.

2 Il faut bien comprendre que le renforcement de la démocratie à l’échelon national après 1945 passe à la fois par une accentuation de la reconnaissance du conflit politique (renforcement de la légitimité syndicale et parlementaire) ET la transformation du contenu et du rôle de l’État, de “pouvoir privé” en “pouvoir public”, ces deux éléments étant intrinsèquement liés.

3 Jean-Louis Quermonne, Le système politique de l’Union européenne, Ed. Montchestien, Paris, 1994, p.53.

4 Toute l’histoire de la contre-offensive démocratique déployée en Europe à la minute même où les compromis politiques d’après-guerre aboutirent à une refondation des systèmes politiques dans un sens plus démocratiques que dans l’entre-deux-guerres reste à écrire. Il est évident que les USA y jouèrent un rôle de premier plan, ainsi que les organisations économiques internationales telles que l’OCDE mais il ne faut pas non plus négliger le rôle des milieux universitaires et intellectuels à travers notamment l’attribution de prix, de chaires, de distinctions honorifiques à des travaux qui remettaient en cause l’économie de services publics et de réduction générale du temps de travail.

5 À ce titre, dans le processus lié à l’élaboration d’une Charte des droits fondamentaux au niveau de l’Union européenne, les observateurs aux réunions du Forum permanent de la Société civile qui fonctionnait comme « contrôle du peuple » sur le travail des personnalités officiellement chargées de la Charte, ont pu remarquer la participation active de divers mouvements religieux représentés en tant que tels.

6 Jean Leca le fait très justement remarqué : “Il n’est pas étonnant que la seule version concevable de démocratisation de la représentation par intervention d’un forum européen de citoyens soit une sorte de modernisation des États Généraux de la Monarchie française (certains projets de forums de citoyens discutés à Strasbourg reprennent même les trois « états » par la réunion périodique des représentants de la “société civile” -associations, groupes, etc-, des représentants des autorités politiques notamment parlementaires et enfin la bureaucratie européenne - le clergé !).”in “Sur la gouvernance démocratique : entre théorie normative et méthodes de recherche empirique”, La démocratie dans tous ses états, GOBIN C. et RIHOUX B. eds, Bruxelles, Éd. Academia Bruylant, 2000, pp., 38-39.

7 Belén Balanyá et alii, Europe inc. Liaisons dangereuses entre institutions et milieux d’affaires européens, Agone Éditeur, Marseille, 2000, 312 pages.

8 L’emploi en Europe 1994, Commission des Communautés européennes, Direction générale de l’emploi, des relations industrielles et des affaires sociales, p.28.

9 Idem.

10 Vasso Papandreou, « Avant-propos », p.3, in L’emploi en Europe 1990, Commission des Communautés européennes, Direction générale de l’emploi, des relations industrielles et des affaires sociales.

11 Cf « Vue d’ensemble : que savons-nous des politiques de valorisation du travail ? » par Mark Pearson et Stefano Scarpetta, p.12, in Revue économique de l’OCDE, n°31, 2000/2.

12 Et sans doute, est-ce la raison de l’inflation des préoccupations de sécurité dans les politiques nationales et locales.

13 Entretien avec Laurent Vogel, du BTS, Bruxelles, le 1er févier 2001.

L’Union européenne

Je réagis en bloc aux derniers messages de Gilles (5058) et d’Étienne (5062).

Simplifions les choses si vous le voulez bien :

L’Union européenne a commencé en 1958 (et même avant, avec la CECA) comme une organisation internationale intergouvernementale dont les membres sont des États souverains. Depuis quelques années et depuis 2005 en particulier, cette méthode intergouvernementale montre ses limites, et l’opinion publique européenne semble majoritairement convaincue qu’il faut passer à une méthode plus démocratique impliquant la participation active des citoyens.

Cela ne veut pas dire qu’il faut rejeter en bloc tout ce qui a été fait par les gouvernements au cours des 50 dernières années, et qui est considérable.

En pratique : il faudrait décortiquer les traités existants, en mettant d’un côté ce qui est constitutionnel et doit être approuvé directement par les citoyens, et d’un autre les dispositions qui relèvent de ce qu’on appelle en France la loi et le règlement, dispositions qui devront être revues et adaptées par les organes démocratiques créés par la constitution de l’Union.

On se retrouvera alors face à un système fonctionnant de manière exactement comparable aux systèmes constitutionnels nationaux, étant entendu cependant que les compétences de l’Union seront des compétences d’attribution (prévues spécifiquement dans la constitution). Ces compétences pourront se développer à mesure que tous les États et toutes les populations le voudront. JR

Maastricht : " dépasser les 3 % " (Balladur).

Source : AFP.

12/10/2008 | Mise à jour : 18:22 |

L’ancien premier ministre Edouard Balladur (UMP) a estimé aujourd’hui que l’« on peut dépasser la limite des 3 % à titre provisoire », en référence aux critères de Maastricht, qui prévoient notamment un déficit public contenu sous la barre des 3 % du PIB, aujourd’hui à « Dimanche soir politique » (Itélé / Le Monde / France Inter).

« On peut dépasser la limite des 3 % à titre provisoire, à condition d’être bien déterminé à revenir en dessous le plus rapidement possible », a déclaré M. Balladur, ajoutant aussitôt : « Je ne voudrais pas que l’on saisisse cette occasion pour un débat entre pro et anti-européens ».

Henri Guaino, conseiller spécial du président de la République, avait déclaré le 2 octobre que « temporairement », face à la crise financière, les critères de Maastricht n’étaient « pas la priorité des priorités », des propos qui avaient provoqué l’émoi au sein du gouvernement et des parlementaires UMP.

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/10/12/01011-20081012FILWWW00125-maastricht-depasser-les-balladur.php

En clair : il faut respecter le traité de Maastricht, sauf quand la situation exige de ne pas le respecter. De toute façon, avec la récession qui arrive, quel pays européen pourra respecter les critères de Maastricht ?

Conclusion : le traité de Maastricht ne signifie plus rien du tout. Le traité de Maastricht est mort.

[font=Arial]01 Quels grands principes sont spécifiques à la construction européenne ?

[size=10][color=#111111]Bonjour à tous, Jacques Roman, NingúnOtro, Sandy, Zolko, Instit, alainguillou et à tous ceux qui nous lisent.

à [/color]Jacques Roman[color=#111111], (message 5068), merci d’avoir contribué et pris en compte mon message, tu as mis dans le mille, c’est la question du tri que tu évoques et la stratégie pour l’effectuer qui est au coeur des préoccupations. J’aimerais que dans ta prochaine réponse tu évoques aussi comment se débarrasser de l’influence des milieux patronaux et de l’idéologie néo-libérale « des marchés qui se régulent tous seuls » dont nous voyons aujourd’hui la faillite.
Je remarque que l’intergouvernemental des pays du Continent Européen fonctionne mieux à mon goût (prise en compte des volontés des gens) que l’intégration et le processus de construction européenne.

voir mon message http://etienne.chouard.free.fr/forum/viewtopic.php?pid=5057#p5057

Je serais pour la sortie de « L’Union Européenne » et une coopération intergouvernementale forte, projet par projet, avec les pays qui le veulent, c’est ce qui a été la base du succès de l’Agence Spatiale Européenne, du CERN et d’Airbus.

Quand je dis « pays », cela veut dire que le peuples de ces pays et pas seulement leurs représentants ont validé ce choix.

à [/color]Étienne[color=#111111] (message 5062), merci pour ce document, dont je partage beaucoup d’analyses, mais j’aurais aimé avoir ton point de vue, même bref, sur celui-ci.

à [/color]Instit[color=#111111] (message 5074), merci de contribuer, je ne crois qu’il faille commettre l’erreur de penser que le traité de Maastricht soit mort, ceci malgré le fait que moi aussi je suis toujours contre ce traité et contre plusieurs des inepties contenues dans celui-ci, ainsi que son orientation néo-libérale et anti-démocrate. Tu penses bien que les eurocrates ont plus d’un tour dans leur sac, ils ont simplement rangé provisoirement les « instruments de punitions » que constitue les critères de 3% jusqu’au moment où ils décideront qu’ils reprendront du service. Eux seuls veulent décider des règles à appliquer, notre but étant de nous mobiliser afin qu’ils tiennent compte de notre avis.

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Gilles,

Je trouve excellent le document de Corinne Gobin, un argumentaire riche, bien synthétisé et bien articulé.

J’apprécie particulièrement le signalement en termes scientifiques des techniques rhétoriques utilisées par les tyrans masqués pour gêner à l’avance toute contradiction. C’est très éclairant.

Je n’ai rien à redire à ce document et je l’aurais bien sûr signalé en 2005 (sur ma page de liens) si je l’avais connu à l’époque.

Étienne.