Point de départ de cette discussion : proposition de loi de la sénatrice Nathalie Goulet visant à prélever une taxe de solidarité sur les salaires des fonctionnaires internationaux
Pour la proposition de loi de la sénatrice Goulet, voir http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/nathalie-goulet-propose-taxer-fonctionnaires-internationaux-exon-r-s-d-imp-t-458587, d’où j’extrais le passage suivant :
[i]« Je veux que l’on revoie la convention de Vienne de 1961, qui exonère les fonctionnaires internationaux, recensés dans les 320 organisations internationales (UNESCO, ONU, FMI, Bureau international du travail) » précise-t-elle. Elle explique cette démarche en trois points : « mesurer la masse salariale des fonctionnaires internationaux français, mener un combat européen afin de connaître au niveau européen le nombre de fonctionnaires, et financer un fonds de solidarité ».
Elle va plus loin : « Est-il normal, que la Grèce soit dans une situation épouvantable, que le contribuable Français renfloue les caisses de la dette et que les fonctionnaires internationaux grecque européens ne participent pas à l’effort, en ces temps de crise »?
Pourtant elle l’avoue : « C’est un amendement d’appel, il faudra d’abord que le gouvernement recherche le nombre exact de ses agents dans les organismes internationaux, puis propose cette mesure aux partenaires européens ».
Rappelant le statut avantageux des fonctionnaires internationaux, qui ont des primes de déménagement, d’expatriation, elle trouve « un peu choquant » cette mesure d’exonération.
Elle veut que la France «porte l’idée d’une taxe de solidarité » même si les modalités restent à définir car les taux des impôts diffèrent selon les pays. Pour résoudre ce problème elle propose une déclinaison de solution de répartition de l’argent perçu. « Que le fond soit régi par la banque centrale européenne (BCE), qu’il soit réparti dans chaque pays , ou qu’il serve au fond social pour financer l’immigration, le développement, ou l’aide à la jeunesse » ajoute-t-elle. « En pleine crise il n’est pas normal que certains ne payent aucun impôt » dénonce-t-elle.[/i]
Cette proposition de loi (amendement à l’article 3 du projet de loi de finances, en fait) repose sur le mythe populiste que les fonctionnaires internationaux – notamment ceux de l’UE et de l’ONU – ne paient pas d’impôt sur les salaires, alors que la vérité est que ces salaires sont effectivement imposés (sous forme de « contribution du personnel » : l’appellation diffère, la chose est la même), comme il ressort des explications suivantes du gouvernement français(voir http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/emplois-stages-et-concours-825/delegation-des-fonctionnaires/parcours-professionnel-en/etre-ou-devenir-fonctionnaire/statut-de-fonctionnaire/article/statut-fiscal-des-fonctionnaires en rapport avec l’ONU) :
[i][…] La Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies (1946) affirme au paragraphe b) de la section 18 de l’ article V : « Les fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies seront exonérés de tout impôt sur les traitements et émoluments versés par l’Organisation des Nations Unies » Si des Etats-Membres imposent leurs ressortissants fonctionnaires sur le revenu, l’ONU rembourse le montant de l’impôt payé. En outre, les fonctionnaires éligibles à la Convention figurent sur une liste annuelle transmise par le Secrétaire Général à l’Assemblée Générale et aux Etats-Membres (Section 17).
Toutefois, si les fonctionnaires sont exonérés d’impôt national sur le revenu, ils sont redevables d’une contribution obligatoire perçue par l’ONU (Cf. Résolution de l’ Assemblée Générale de l’ONU du 18 Novembre 1948) au titre du principe d’égalité inhérent à l’Organisation.
A ce principe, et par souci d’égalité entre les Etats-Membres, a été institué, par la résolution 973(X) due l’Assemblée Générale des Nations Unies du 15/12/1955 un fonds de péréquation reposant sur le système suivant : dans un premier temps, toutes les recettes provenant de l’impôt interne sont créditées au fonds où ces sommes sont portées au crédit des comptes ouverts au nom de chaque Etat Membre (après calcul au prorata) ; dans un deuxième temps, ces sommes sont déduites de la contribution des Etats au budget ordinaire.
Le système appliqué dans l’UE semble être similaire à celui du système onusien : un impôt interne (communautaire) sur les traitements et une exonération d’impôts nationaux sur le revenu. [/i]
Il me semble pouvoir dire que l’amendement ne passera pas le stade de la discussion parlementaire, et que s’il passe il sera arrêté par le Conseil constitutionnel, comme fondé sur une erreur de fait et contraire au principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt – sans compter qu’on peut se demander si des mandats de négociation adressés au gouvernement ont bien leur place dans un projet de loi de finances.
Il reste que la proposition de Mme Goulet soulève la question beaucoup plus générale de savoir s’il ne serait pas légitime et opportun d’instituer, dans les difficiles circonstances économiques actuelles, une taxation spéciale des hauts revenus qui viendrait alors en parallèle avec l’ISF (impôt sur la fortune).
On peut estimer qu’une telle taxe conribuerait à l’équité sociale dans la mesure où l’on peut avoir des revenus élevés sans disposer pour autant d’une grande fortune (par exemple si l’on dépense au fur et à mesure) : avec l’ISF on ne débusque pas forcément (ou en tout cas pas proportionnellement) les hauts revenus.
Avec les deux types d’impôt (ISF, impôts sur les hauts revenus), on disposerait d’un système complet et (on l’espère) équitable couvrant tous les hauts revenus quels qu’ils soient, et pas seulement les salaires des fonctionnaires internationaux. Il y a des agents publics nationaux non fonctionnaires dont le salaire correspondra sans doute à la définition de « haut revenu ». En outre, comme on le sait, c’est dans le secteur privé que se trouvent les plus hauts salaires et les plus hauts revenus. Il n’y a aucune raison que seuls les fonctionnaires internationaux contribuent à l’effort de solidarité demandé par Mme Goulet.
Parmi les points à discuter :
– Définition du haut revenu (il devrait couvrir tous les revenus, pas seulement les salaires) ;
– Pourquoi, puisqu’il s’agit d’une taxe de solidarité spéciale, l’effort ne serait-il pas demandé à tous les revenus supérieurs au salaire minimum sur une base proportionnelle ? La règle est qu’on contribue à l’impôt à proportion de ses capacités : il n’y a pas que les hauts revenus qui puissent faire un effort de solidarité ;
– En partie, le choix de l’assiette de taxation dépendra des objectifs de politique publique fixés et de l’efficacité de la taxe : il se peut que la taxation des revenus les plus élevés ne suffise pas à assurer les rentrées fiscales recherchées ;
– Ce serait peut-être l’occasion de définir un écart salarial maximal applicable au secteur privé comme au secteur public : par exemple, de 1 (=salaire minimum) à 10 (salaire maximum) – mais si l’on veut éviter des problèmes de compétitivité internationale insurmontables, il faudra que cet écart soit fixé sur le plan mondial ou du moins sur le plan européen.
Ce sont là des questions qui peuvent nous interpeller en tant que bons démocrates. En attendant, Mme Goulet devra sans doute revoir sa copie. JR