Le bannissement: rapide aperçu historique, perspectives de modernisation et d'actualisation

Bonjour,

Celà fait un moment que je suis Etienne Chouard avec intérêt, mais ce n’est que très récemment que j’ai découvert ce forum, et la nature des discussions qui s’y tiennent. J’ai pensé utile, ou tout au moins intéressant, d’aborder ici, lieu de discussion politique pure nullement pollué par des questions d’actualité ou de géo-politique, d’évoquer le bannissement antique, de saisir son principe, et d’essayer d’en faire quelque chose de moderne pour plus de justice.

Ceux qui écoutent régulièrement les conférences d’ E. Chouard ont forcément entendu parler de l’ostracisme, qui est le fait, par un vote populaire annuel, de pouvoir exclure de la vie politique un « affreux ». C’est une forme de bannissement partiel. Le bannissement « plein » se manifeste régulièrement dans les anciennes sociétés germaniques, et notamment chez les scandinaves: suite à un crime quelconque ou une tentative de prise de pouvoir ratée, il n’était pas rare qu’un chef et ses guerriers (des hommes libres qui le suivaient par intérêt ou par solidarité clanique) soit banni, c’est à dire que sur un territoire donné, il perdait toute protection de la loi, celle de ses biens, comme celle de sa personne. Concrètement, il pouvait être volé et tué, ça n’était plus un crime. Le chef et ses guerriers avaient un petit délais pour préparer leur départ avant que le bannissement ne soit effectif. Les expéditions Vikings sont souvent la conséquence de bannissement.

Évidemment, ça nous paraît aujourd’hui très barbare, mais songeons que de nombreux pays pratiquent encore la peine de mort, dont certains pays considérés tout à fait civilisés, et que nous même l’avons aboli il n’y a pas un demi-siècle, et ce constat est relativisé. Songeons même à ce que représente une peine de prison ou une peine financière. C’est très violent tout de même. C’est une violation des droits de la personne sur décision d’un jury dans le meilleur des cas, d’un simple juge la plupart du temps. Quelque part, une société idéale, donc plus juste, devrait faire son possible pour respecter les droits des individus, et redonner son sens à ce qui est devenu la justice.

Car au fond, la forme actuelle de la justice fait oublier sa légitimité: si la loi est la règle que se donne une société, la justice est la répression de la violation de cette règle. Tout comme la loi doit être un fait politique et social, je pense que la justice doit être un fait politique et social, en tout cas dans la majorité des cas. Le bannissement, dans ce cadre, aurait parfaitement sa place. Mais pas le bannissement antique, « tout ou rien », mais la capacité plus générale pour une société à se prononcer sur le degré de tolérance dans l’exercice des droits d’individus « problématiques ».

Je donnais un exemple dans le sujet sur les armes et la démocratie: une personne notoirement violente, encline aux « coups de sang » et aux colères disproportionnées comparé à ce qui les a causé, sans même avoir forcément commis un délit ou un crime, pourrait se voir limiter son droit à posséder des armes si, par exemple, son quartier le jugeait plus prudent (lors d’un vote de quartier). Un voleur à l’arrachée récidiviste pourrait, après un procès d’un nouveau type (c’est à dire même instruction, même succession des plaidoiries de la défense et du ministère public, sauf que le jugement, au lieu de revenir à un magistrat, reviendrait à la communauté), se voir interdit de séjour et de passage dans la ville, mais sans voir atteint aucun de ses autres droits (il faudrait seulement restituer les fruits du larcin, ou compenser leur perte). Une bande de mineurs qui commencent à glisser sur la mauvaise pente, à sortir le soir tard en buvant trop et en ne fumant pas que du tabac, pourrait être interdit de traîner dans la rue passer une certaine heure, de se trouver avec certaines personnes ou à certains endroits, sans avoir à faire peser un couvre-feu sur toute la jeunesse de la ville comme c’est ainsi qu’on règle les choses actuellement. Ce serait là aussi une décision de quartier.

Pour les cas les plus graves, les meurtres violents, la récidive de viol, le meurtre d’enfant, et les « délits d’initiés » qui représentent des sommes si colossales qu’elles pourraient permettre la construction de nombreux hôpitaux, ces crimes qui tendent à faire dire parfois « Ils ne méritent pas de vivre », ce pourrait aussi être un bannissement national en plus des réparations. Mais là pour le coup un bannissement plein, avec retrait de la protection de la loi, histoire de dire: « On est pas des sauvages, on ne va pas te tuer ou te mettre en cage pendant des années, mais on ne veut plus jamais te voir parmi nous ». Car derrière même le pire des criminels, il y a quand même un homme, et on ne peut pas le réduire à son crime. En le chassant, on se débarrasse de lui, mais on ne le « juge » pas, c’est à dire qu’on ne se met pas à essentialiser le mal qu’il y a dans l’acte en mal qu’il y aurait dans l’homme. On apprend à ne pas faire du procès d’un homme une croisade contre le mal. Au contraire, on intègre des notions sur les rapports entre la communauté et les individus, sur le sens et la portée de la loi et de la justice, et sur les droits des individus, notamment à une seconde chance, ailleurs.

Et les victimes, pourrait-on m’objecter. Les victimes, elles seront indemnisées pour leur perte matérielle (ce qui n’a rien à voir avec la condamnation financière, qui est prononcée au pénal, les dédommagements son jugés au civil), et s’ils ont perdu plus que du matériel (un ami défiguré, un enfant tué), quelque malheur que puisse subir le coupable, rien au monde ne leur rendra. La douleur, ils devront faire avec de toute façon. La changer par facilité et esprit de vengeance en haine contre le coupable n’aide personne. Pour autant, elle n’est pas illégitime, et on ne peut pas nier sa puissance. Aussi, si le banni, en pleine connaissance de cause, revient là d’où il a été banni et croise les victimes vengeresses, son sort est entre leurs mains. Mais si ce sont les victimes qui pourchassent le coupable pour le tuer en dehors de la zone de bannissement, ce sont eux qui deviennent les agresseurs d’un innocent. Ainsi, la vengeance, sans être délégitimée, est modérée, et c’est le banni qui décide de s’y exposer ou non.

Voilà l’idée générale: c’est d’avoir un arsenal populaire extrêmement souple et subtil pour pouvoir éviter les troubles ou punir les violations de la loi sans avoir recours à des non-solutions comme la peine financière, l’emprisonnement, la torture, ou la mort. On peux y opposer qu’être banni d’un endroit n’empêche pas de recommencer ailleurs. C’est vrai. Mais pour éviter la récidive doit on couper les mains au voleurs, le pénis aux violeurs, et la tête aux tueurs? En quoi allez en prison ou payer une amende empêche-t-il le moins du monde la récidive? L’amende contraint à une vie de misère où on travaille pour rembourser (n’est-ce pas ce qu’on reproche aux banques de nous faire?), et la prison brise un homme, lui fait nourrir de sombre desseins dans l’oisiveté, l’arrache à la société pour l’enfermer dans sa faute, qu’il finira par intégrer comme part de son identité. Le bannissement plein, c’est à dire le plus radical de tous, dit seulement qu’un individu n’est plus le bienvenu. Partout ailleurs, il est « neuf », libre de tirer une croix sur sa faute et de recommencer une nouvelle vie. N’est-ce pas ce qu’il est bon de souhaiter?

Je m’étonne que JR n’ait pas relevé que le bannissement « plein » pourrait être considéré comme étant à l’encontre des articles 6, 8, 13.1 et 15 de la DUDH. C’est dommage d’ailleurs, j’ai toujours eu un faible pour cette punition. Notons quand même qu’à l’époque Viking c’était une peine beaucoup plus dure qu’elle le serait de nos jours compte tenu des structures sociales de l’époque. Surtout pour les criminels financiers qui ne manquent pas de s’exiler d’eux mêmes aux Seychelles ou aux Bahamas.
Quant au bannissement « partiel », l’interdiction de séjour existe déjà dans le code pénal.

En même temps, la civilisation scandinave de cette époque était plus dure dans son ensemble. Il faut voir comment se passaient les luttes de pouvoir, les Borgia, à coté, ce sont des agneaux. E. Chouard nous dit bien que souvent dans la démocratie athénienne, ceux qui avaient trompé ou déçu le peuple étaient tués. Le bannissement à la scandinave ou la punition des traîtres à l’athénienne n’est pas à prendre au pied de la lettre (encore que se garder cette possibilité pour faire un exemple de temps en temps, ça permettrait de rappeler qui doit avoir peur de qui), mais peut servir d’inspiration.

Je me doute que la déchéance des droits n’est pas quelque chose de politiquement correct aujourd’hui, où on estime plus naturel que des pays pratiquent encore la peine de mort, et où dans certaines affaires des suspects sont maintenu en détention pendant des mois, parfois des années, alors qu’ils n’ont même pas encore été jugé. Ce genre d’arbitraire là, par contre, est toléré. Etonnement, ce genre de violation des libertés semble admissible, mais qu’on mentionne que la protection donnée par la loi n’est pas un du, mais la reconnaissance de l’appartenance à une société, et que celui qui dépasse les bornes peut en être exclu sans pour autant que les institutions violent ses libertés, et ça semble quelque chose de barbare.

Quand je parlais de bannissement partiel, j’entendais aussi des variantes beaucoup plus subtiles que simplement l’interdiction de séjour (qui est tout de même une sorte de tout ou rien). Car il y a un problème dans notre droit actuel, c’est qu’il n’y a rien entre l’exercice de la liberté bornée par la loi, et le violation de la loi qui conduit à la punition. Et pourtant, dans la vie on se rend bien compte qu’il y a des abus de liberté qui sont dommageables à ceux qui les commettent et ceux à qui ils les font subir, sans qu’il n’y ait violation de la loi (ou c’est qu’on ne veut pas faire intervenir la police et la justice car ça ne ferait qu’empirer les choses). Par exemple une personne a la folie du jeu, rentre tard, dépense des sommes folles, et néglige sa famille. Les seuls qui sont gagnant sont les tenaciers du casino. Les proches n’ont aucun recours, si ce n’est l’internement psychiatrique, qui est plus un traumatisme qu’une solution. J’estime que la loi devrait donner la possibilité que dans son intérêt et celui de ses proches, que des mesures puissent être prises pour que cet homme puisse être empêché d’aller au casino (ou tout autre lieu de jeu), sans que ceux qui les ont prises soient, eux, considérés dans l’illégalité d’avoir violé sa liberté de circuler ou de dépenser son argent comme bon lui semble.

De même, il n’est pas rare de lire qu’un voyou avec le casier long comme le bras, tombant sur le petit ami karatéka d’une jeune fille qu’il essayait de détrousser, aille porter plainte au commissariat pour le changement d’aspect de son visage du à son intervention. S’il n’y a que des coups et contusions, la plainte devrait simplement être irrecevable: on ne peut pas pourrir la vie des autres régulièrement et avoir le droit de se plaindre quand on récupère les fruits dont on a semé les graines. Bref, moduler la protection de la loi, puisqu’aujourd’hui elle est complètement omniprésente, et ne laisse plus la place aux processus nuancés et humains qui permettent de fournir des réponses adaptés à des situations complexes.

Il y a trente ans en Inde dans l’état du rajastan , et pour un crime de sang, le coupable s’est vu infliger une insulte collective, tous les habitants du village l’on frappé avec leur chaussure ( insulte suprême là bas ) puis le criminel à été banni de la collectivité villageoise. Les villageois m’ont expliqué que cela équivalait à une mort sociale pour le condamné.