J’avoue avoir été ramené ici par Loup Espiègle, pour avoir témoigné sur un autre site en faveur de la possession des armes à feu par le peuple.
Je rappelle que possession n’est pas port, et qu’un principe général comme celui-ci peut trouver des centaines d’interprétations différentes. Par exemple, moi je suis pour garder un contrôle relativement strict sur les armes courtes et de poing, mais d’autoriser beaucoup plus largement l’acquisition des armes longues, surtout celles à répétition manuelle (types Winchester, fusils et carabines de chasse, fusils réglementaires désuets, etc). Ce ne sont pas des armes de voyous, mais de chasseur et de résistant. La capacité (en nombre de cartouche) relativement faible, la lenteur du tir, mais la précision et la puissance les destinent par nature à la guérilla. Mais ce n’est qu’une idée personnelle, et une démonstration que le principe général n’implique pas nécessairement que demain votre voisin aura dans son jardin une mitrailleuse braquée sur vos fenêtres.
Mais pour autant, je ne suis pas dupe. En « ramollissant » la législation sur les armes, il est quasiment certain que l’on verra augmenter le nombre de morts et les blessures graves. D’un autre coté, si les voitures et les camions étaient interdits, ce serait chaque année des milliers de morts de moins. Mais on estime que l’utilité de la voiture prime sur les risques que son usage implique. On a fait ce choix de limiter les risques en fixant des limites de vitesse, de puissance, en instaurant le permis de conduire, etc… On peut concevoir de la même manière de cesser de se laisser tétaniser de peur à l’idée que les armes puissent se répandre, et poser la question en terme d’utilité et de droits, en admettant que la mort d’innocents (ou même de moins innocents mais ne méritant pas tant) fasse partie de ce « calcul ». On autorise même la vente libre de cigarette et l’alcool, alors que les avantages qu’ils ont comparé aux inconvénients sur la santé et la sécurité sont absolument dérisoires.
Omettons que le pouvoir a tout intérêt à ce que nous soyons désarmés, et analysons les raisons légitimes pour vouloir que la possession d’arme soit l’exception plutôt que la règle. La seule, vraiment puissante et légitime, que je vois, c’est celle du risque de violence, la crainte des moyens dont disposerait la folie. Et je suis très loin de la balayer d’un revers de la main. C’est puissant, c’est fort, car faire baisser la violence, vouloir de l’ordre et de la protection, est la raison pour laquelle nous sommes en société. On peut donc dire: « Autoriser les armes, c’est un pas en arrière, c’est revenir vers la violence et le danger. », et ce n’est pas faux. Mais examinons la chose plus en détail, car nous parlons là de généralités. La violence n’est pas une statistique, un chiffre dont la baisse ou l’augmentation fait qu’on vit plus ou moins bien. La violence est un fait, un acte, c’est la violation concrète de nos droits (généralement à la vie et à la santé, à la possession, et à la liberté de pensé et d’expression), et elle est commise par des individus.
Or ces individus n’apparaissent pas pour commettre le crime, puis s’évanouissent en fumée sans explication. Ils naissent, vivent et meurent comme nous, dans la même société, même si ce n’est pas forcément dans les mêmes pans de celle-ci. Et si l’on cesse de les essentialiser par le crime qu’ils commettent, ou qu’on craint qu’ils commettent, ce sont eux aussi des citoyens. Mais laissons de coté le criminel actuel, celui dont le crime est prouvé, et qui est entre les mains de la justice, qu’on suppose juste dans la société qu’on espère. Il s’agit de comprendre que la psychose, c’est de suspecter quelqu’un, parce qu’il a une arme, qu’il va nous agresser avec. Donc ceux-là même qui craignent qu’une société de la méfiance et de la paranoïa ne naisse, sont ceux qui n’osent pas avouer que la seule raison qu’ils voient à ne pas avoir peur de son voisin, c’est parce qu’il n’est pas armé. C’est à dire qu’on est dans une situation de méfiance, mais tempérée par la connaissance de la relative impuissance de l’autre.
Une société de confiance, ce n’est pas une société où l’on suspecte son voisin d’avoir l’intention mais pas les moyens, mais au contraire où on postule que le voisin n’a pas même l’intention de nous nuire, et donc peu importe les moyens de nous nuire dont il dispose, puisqu’il ne s’en servira pas. C’est là encore un principe général, et comme dit le proverbe, la confiance n’exclut pas le contrôle. Et du reste, même l’homme le plus aimable et tempéré du monde peut un jour péter un câble et se mettre à faire un carton dans son quartier. Mais si cette crainte doit faire qu’on supprime le droit à chacun, ce sont les voleurs de pouvoir qui ont gagné, car ils n’ont plus qu’à exciter les peurs pour justifier qu’on leur donne sans cesse plus de pouvoir, d’autorité, de légitimité.
Celà dit, on ne peut se mettre à penser ainsi (penser de manière positive et confiante) qu’en changeant radicalement la forme de la société, en la rendant plus humaine et moins administrative, plus locale et moins centraliste, plus souple au niveau du droit, etc. Vaste débat. Un de ces jours, il faut absolument que je poste quelque chose sur le bannissement, et la généralisation qu’on pourrait faire du concept dans le cadre d’une réflexion sur une société plus juste et plus efficace, qui permettrait notamment de retirer exceptionnellement le droit à une personne notoirement violente d’acquérir des armes, et ce malgré l’absence de crime ou même de délit, sur le jugement de ses pairs et voisins (droit du contrôle sur son environnement de vie). Mais c’est là une autre question, et je pense avoir assez bien exposé mes arguments quand à la légitimité de la détention d’arme, en tant que principe général.