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Monsieur Jacques Roman, grâce à qui j’ai pu découvrir ce site ce jour — il eut la courtoisie de citer une de mes interventions sur un autre blog — est un expert du droit constitutionnel et européen.
Il conclut son message n°3284 du 10 02 08 par cette affirmation :
« Même si le Conseil Constitutionnel devait donner tort sur ce point aux éventuels requérants, sa décision aurait le grand avantage d’éclairer définitivement la Constitution sur un point fondamental : la place hiérarchique du référendum dans nos institutions. »
Le Conseil Constitutionnel n’a pas à prendre position sur une telle question. Sa fonction n’est pas de discuter ou d’éclaircir la Constitution mais d’examiner la conformité de textes ou de traités avec celle-ci.
L’ affirmation du message n°3293 de Jacques Roman distinguent les sociétés de citoyens et les sociétés d’états : « De même, les droits dont il s’agit sont les droits de l’homme et du citoyen, alors que l’UE est une organisation intergouvernementale - donc une société d’États (de gouvernements) et que les droits directement en cause sont les droits des États membres, pas ceux des citoyens (cela même si le traité de Lisbonne fait référence à une Charte des droits fondamentaux qui, elle, est bien un instrument des droits de l’homme) ».
Elle frise le délire juridique.
Sans offenser l’auteur, j’observe qu’entre Etats et Gouvernements la différence est de taille et je crois me souvenir qu’un état est l‘autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire déterminés. Le Gouvernement n’exerce aucune souveraineté il ne possède aucune légitimation populaire.
En France, le principe de la république est (Constitution art.2, al.5) : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.» Je n’insiste pas sur la valeur juridique de l’affirmation citée.
Je remarque également que dans sa décision du 20 décembre 2007, comme dans celle du 19 novembre 2004, le Conseil Constitutionnel a pris position sur un point qui répond à la hiérarchie des institutions dans nos rapports avec l’Union européenne.
Ainsi aux alinéas 7 et 8 de ses considérations à propos du traité de Lisbonne il prend position sur le sujet :
« 7. Considérant…. qu’aux termes du premier alinéa de l’article 88-1 de la Constitution : «[i] La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences ; que le constituant a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ;
- Considérant que, tout en confirmant la place de la Constitution au sommet de l’ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de participer à la création et au développement d’une organisation européenne permanente…[/i] »
Cette position est conforme avec le § 34 de l’arrêt Matthews de février 1999 prononcé par la Cour européenne des droits de l’Homme reconnaissant : « que les textes résultant du processus législatif communautaire touchent la population de la même manière que ceux qui émanent exclusivement du corps législatif interne. » Cette Cour ayant souligné la portée nationale des actes législatifs européens, ceux-ci ne peuvent être contraires à la Constitution de chaque pays. Ils ignoreraient alors les principes de la Charte (Préambule et art.53) et, comble ! Ils seraient l’aboutissement d’une procédure législative viciée par la participation de membres du Conseil usant d’un mandat gouvernemental frappé de nullité constitutionnelle et, par voie de conséquence, eux-mêmes suspects de nullité.
En effet l’article 23 de la Constitution - dont le Titre III, auquel il appartient, définit la forme du Gouvernement et applique le principe de la « Séparation des Pouvoirs » de la Déclaration de 1789 - stipule: « La fonction de membre du Gouvernement est incompatible avec l’exercice de tout mandat parlementaire » Le mandat n’est limité ni dans forme ni dans sa nature ni dans l’espace où il s’exerce. L’incompatibilité est posée en principe universel. Elle protège le contrôle et la primauté du législatif sur l’exécutif et garantit contre toute mainmise de celui-ci sur la souveraineté du peuple.
L’article 89 alinéa 5 précise : « La forme républicaine du Gouvernement n’est pas révisable ». Il verrouille toute tentative de modifier la Constitution quant aux attributions de l’exécutif. En effet, Gouvernement y est écrit avec un G majuscule comme chaque fois que le texte met en cause l’institution gouvernementale aux titres III, IV et V de la Constitution. Pour confirmation de cette observation quand il s’agit du régime politique : « le gouvernement du peuple » le mot s’écrit avec un g minuscule. Il ne faut pas confondre, comme Monsieur Dominique Rousseau, l’article 95 de la Constitution de 1946 avec l’article 89 de celle de 1958 qui en cohérence avec l’article 16 de la Déclaration de 1789 met en cause le pouvoir exécutif. La Constitution de 1958 est fondamentalement incompatible avec le traité de Lisbonne, la bricoler ne sert à rien si ce n’est à la violer. Ce qui n’est pas bien du tout mais procure un sentiment de puissance à certain !
Il n’est donc pas constitutionnel d’envoyer des Ministres siéger au Conseil pour y approuver ou rejeter à la majorité qualifiée des actes législatifs suspects de nullité puisque votés par des membres usant d’un mandat gouvernemental (au sens des articles 1984 a 1987 du code civil), frappé de nullité constitutionnelle.
Imaginons, le cas d’un acte législatif adopté à la majorité qualifiée par le Conseil qui ne conviendrait pas à un ou plusieurs des 27 états membres de l’Union. Celui-ci ou ceux-ci auraient alors beau jeu de recourir à la Cour de justice européenne pour contester l’acte adopté par une assemblée dont certains membres usent d’un pouvoir frappé de nullité.
Ratifier un traité incompatible avec la Constitution d’un état membre met en péril le fonctionnement de l’institution législative européenne et celui de l’Union tout entière. Un tel acte est d’une irresponsabilité patente. Elle prive l’Union de son fonctionnement. Le contraire de l’effet recherché par la ratification ! Aux yeux de nos partenaires nos institutions ont fait du travail à la Française…
Même si les farouches constitutionnalistes ne sont plus de mise à l’ère où nous sommes. Les positions juridiques très avancées de Jacques Roman sont, de temps à autre, difficiles à soutenir.
Daniel Colomyès