« la loi « n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » »
Décision du Conseil constitutionnel de la République française, 23 août 1985. (1)
Je suis d’accord avec tout ce qui a été dit précédemment.
En particulier, il faut que le domaine de la loi ne soit défini que par exclusion. Mais cette exclusion ne se limiterait pas à des domaines dans lesquels le Parlement (le législateur) n’a pas le pouvoir de légiférer, comme le dit AJH. Même, je dirais que selon cette approche (partage en « domaines de compétences », « matières ») il n’y a aucune limite à créer, hormis celles qui découlent d’un partage des compétences entre parlements régionaux, parlement d’un États fédéré, et d’un État fédéral selon les cas. Et toute autre disposition constitutionnelle, comme le fait que le Parlement n’a pas à revenir sur le résultat d’un référendum d’initiative citoyenne. Pour le reste, il faut essentiellement apprécier cette limitation d’après le résultat (la loi proposée).
Cette exclusion, étant fixée par la constitution, doit inclure les dispositions de la Charte des droits fondamentaux. Cela me semble être une chose capitale, une notion qui se situe au cœur de l’esprit des constituants du XVIIIe siècle, et du libéralisme politique. Cette notion consiste à protéger les individus et les citoyens contre tous les pouvoirs, y compris contre les pouvoirs publics lorsqu’ils édictent des lois illégitimes. Cela n’entend pas simplement des lois arbitraires, car même l’expression de la volonté générale peut en venir à bafouer les droits élémentaires et les libertés fondamentales de certains individus.
[color=purple]Les dix premiers amendements forment la déclaration des droits (Bill of rights). [b]Ils affirment des droits des citoyens, sous la forme d'une limitation explicite des pouvoirs de l'État[/b], notamment en matière judiciaire. Il ne s'agit pas de droits positifs que l'État doit garantir au citoyen, mais d'actions dont il doit s'abstenir à son égard.[/color]
Constitution des États-Unis — Wikipédia
[color=purple][b]La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société[/b]. [...][/color]
Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 5.
Il me parait évident que dans l’esprit des constituants, « la Société » s’entend ici par la somme des individus dotés de droits et de libertés, ou ayant droit au bonheur (dans la formule américaine), non pas (seulement) comme une même entité dotée d’intérets, considérée notamment vis-à-vis de nations ou de personnes étrangères. On retrouverait alors la même notion qui préside aux premiers amendements américains.
Il faut figer dans la constitution le fait que les dispositions de la charte de droits fondamentaux doivent être prises en compte par le Conseil constitutionnel, et autres instances chargées d’appliquer la constitution, et le fait que ces instances peuvent invoquer ces dispositions même si la saisine ne le fait pas. On ne doit pas laisser ces latitudes à la « jurisprudence constitutionnelle » (la notion m’effraie - on devrait limiter ça aux seuls cas qu’on ne peut prévoir : d’où l’intérêt de la tournure des dispositions par la négative, quand elles sont bien fondées par ailleurs.)
« [A l'origine de la Ve République] la saisine du Conseil constitutionnel est doublement restreinte. Seules quatre autorités politiques (le Président de la République, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Premier ministre) peuvent saisir le Conseil et cette saisine ne peut intervenir que dans un délai bref, entre le vote et la promulgation de la loi (qui doit intervenir dans les quinze jours). La portée du contrôle de constitutionnalité est par ailleurs limitée puisque, dans l’esprit des constituants, le Préambule de la Constitution [...] ne peut pas être utilisé par le Conseil constitutionnel pour fonder la censure d’une loi. » (p 47)
« Cette situation va commencer à changer lorsque le Conseil constitutionnel, en 1971, prend l’initiative de contrôler la constitutionnalité d’une loi au regard du Préambule de la Constitution. [ndlr : recours relatif à la liberté d’association] » (p 47)
« En 1974, à l'initiative du Président de la République nouvellement élu, Valéry Giscard d'Estaing, la Constitution va être révisée pour permettre à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel. » (p 50) (2)
Concernant l'article 6 de la Déclaration de 1789, "La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation", j'ai quelques éléments à ajouter.
J’ai titré ce message en tenant compte également des remarques que j’ai faites précédemment : « la loi « n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » ». Je pense que pour que cela puisse être appliqué au mieux, la constitution doit permettre, après élaboration et même après promulgation des lois, une voie de recours pour les citoyens, au besoin directement, contre des lois qu’ils jugeraient inconstitutionnelles. De même pour les traités.
J’imagine que, dans l’esprit des constituants, la volonté générale désignait essentiellement la volonté de la majorité, mais : cette traduction n’est pas évidente en soi :
- y compris au sens démocratique, car à la limite, il devrait s’agir d’une volonté unanime, et que ce sont des raisons pratiques, notamment dues au temps limité de la décision, qui invitent à prendre cette convention (3) ;
- il n’est pas très exotique aujourd’hui, d’ajouter la notion de consensus, qui suppose, au delà de l’adhésion expresse de la majorité, le fait que la minorité juge la règle tolérable. Ce qui nous renvoie à l’interprétation large que je fais de l’article 5 de la DDHC.
Je connais très peu le domaine judiciaire, mais je suppose qu’il faut imposer aux tribunaux de tenir compte des dispositions de la constitution, et par eux, directement ou indirectement selon le cas, donner une voie de recours au cas où un accusé invoquerait l’inconstitutionnalité de la loi en vertu de laquelle il est poursuivi.
Je serais d’avis de permettre une saisine du Conseil constitutionnel directement par les citoyens, en étendant à cette fin le domaine d’application du référendum d’initiative citoyenne. Le seuil « pétitionnaire » (pardon Jacques) devrait être fixé très bas dans ce cas, car des lois inconstitutionnelles demeurant en vigueur sont une chose plus intolérable encore que l’absence d’une loi qu’un ou plusieurs citoyens estiment devoir être adoptée. Il faut sans doute compter avec la possibilité de se défendre devant les tribunaux, comme je l’ai évoqué au paragraphe précédent. Cependant, ça ne règle pas entièrement le problème.
Je trouve inacceptable, enfin, que le pouvoir de saisine du Conseil constitutionnel soit limité dans le temps : avant promulgation d’une loi, par exemple, mais toute autre limitation définie dans le temps me semble inacceptable.
(1) Décision relevée par Bastien François, Le régime politique de la Ve République, éd. La Découverte, 2006 (p52).
(2) Ibid
(3) Voir, à ce sujet, Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif.