10 Le cœur de la Démocratie : formation, expression et respect de la volonté générale

Si l’on comprend la Démocratie comme un système politique qui fonde la souveraineté du peuple sur l’expression de la volonté générale, une Constitution démocratique ne devrait comprendre que les articles proclamant que :

• la souveraineté est celle du peuple tout entier.
• cette souveraineté est l’expression de la volonté générale.
• chaque décision politique doit être un processus tendant à satisfaire de mieux en mieux la volonté générale au cours du temps.

Il faudrait peut-être y ajouter des articles définissant les conditions nécessaires que les protocoles de l’expression de la volonté générale devraient remplir.

Le reste devra nécessairement être construit par le processus d’expression de la volonté générale, nous ne pouvons donc pas l’anticiper.

En particulier, tout ce qui concerne l’exécutif, la justice et les rapports sociaux en général.

OK pour désigner la volonté générale comme le coeur battant d’un projet démocratique

Bienvenue parmi nous, François :slight_smile:

Je trouve ce recentrage très intéressant. C’est vrai que tout devrait s’articuler autour de cette idée force : ce qui caractérise une démocratie, c’est sans doute la recherche honnête de la volonté générale, son éclairage maximum par une éducation et une information optimales, et finalement son respect scrupuleux par ceux qui sont temporairement chargés de la faire appliquer, sous le contrôle vigilant des citoyens.

Et si on se donne les moyens de nous consulter en temps réel, à tout moment et sur tous les sujets, si on se donne [bgcolor=#FFFF99]un moyen de toujours connaître précisément l’état actuel de la volonté générale[/bgcolor], il suffit de désigner les hommes chargés de d’appliquer, ces hommes ayant pour principale mission de s’effacer devant la volonté de ceux qui les mandatent.

Un outil comme [bgcolor=#CCFFFF]l’Expérience Démocratique[/bgcolor] (voir commentaires sur mes pages Journal et Liens) vise précisément cet objectif enthousiasmant et central pour la Cité ; c’est pour ça que j’aime tant ce projet : j’y vois une chance inouïe pour les hommes de s’affranchir et d’enfin disposer vraiment d’eux-mêmes.

Ceci dit, je suis sûr que décrire ici ces seuls principes fondateurs ne suffira pas à nous protéger des abus de pouvoirs : il faut sûrement préciser les modalités de mise en oeuvre de la volonté générale, (quitte ce qu’elle modifie tout ça plus tard, bien sûr), car, comme on dit, le diable est dans les détails, non ?

Amicalement.

Étienne.

[b]OK pour désigner la volonté générale comme le coeur battant d'un projet démocratique[/b] Je trouve ce recentrage très intéressant. C'est vrai que tout devrait s'articuler autour de cette idée force : ce qui caractérise une démocratie, c'est sans doute [b]la recherche honnête de [color=red]la volonté générale[/color][/b], [b]son éclairage maximum par une éducation et une information optimales[/b], et finalement [b]son respect scrupuleux[/b] par ceux qui sont temporairement chargés de la faire appliquer, sous le [b]contrôle vigilant des citoyens[/b]. [/color]
Pourquoi [color=red]devrait[/color] ? Pour le moment je n'ai pas d'autre définition que celle fondée sur l'expression de la volonté générale. Il est important de partir de définitions claires, le flou, l'approximatif dans les concepts sont contraires à la démocratie, où tout se joue [color=red]cartes sur tables[/color] car entre égaux.
[color=orange] Et si on se donne les moyens de nous consulter en temps réel, à tout moment et sur tous les sujets, si on se donne [bgcolor=#FFFF99][b]un moyen de toujours connaître précisément l'état actuel de la volonté générale[/b][/bgcolor], il suffit de désigner les hommes chargés de d'appliquer, ces hommes ayant pour principale mission de s'effacer devant la volonté de ceux qui les mandatent. [/color]
En ce qui concerne [color=red]ceux qui sont temporairement chargés de la faire appliquer[/color], je n'ai, pour l'instant, pas d'idées.
[color=orange] Un outil comme[/color] [bgcolor=#CCFFFF][b][url=http://demexp.net/dokuwiki/][color=red]l'Expérience Démocratique[/color][/url][/b][/bgcolor] (voir commentaires sur mes pages [i]Journal [/i]et [i]Liens[/i]) vise précisément cet objectif enthousiasmant et central pour la Cité ; c'est pour ça que j'aime tant ce projet : j'y vois une chance inouïe pour les hommes de s'affranchir et d'enfin [i]disposer vraiment d'eux-mêmes[/i].

Ceci dit, je suis sûr que décrire ici ces seuls principes fondateurs ne suffira pas à nous protéger des abus de pouvoirs : il faut sûrement préciser les modalités de mise en oeuvre de la volonté générale, (quitte ce qu’elle modifie tout ça plus tard, bien sûr), car, comme on dit, le diable est dans les détails, non ?[/color]


Je pense que ce principe unique suffit. En effet, il est très simple et extrêmement fort, son application s’oppose par principe à toute volonté particulière de s’imposer. De plus il est assez simple à mettre en place.

Je suis en train d’essayer de décrire comment faire pour exprimer en pratique la volonté générale et bien sûr DemExp ainsi que l’informatique y jouent un rôle central, normal : tout ceci n’est que de l’information. J’ai commencé avec
http://liroquois.free.fr/mediawiki/index.php?title=Initier_un_débat_local

Ensuite je vais passer au cas national et ensuite international. C’est la même chose il suffit de modifier légèrement les protocoles. L’idée est simple : on vérifie en permanence que la volonté générale est bien exprimée en faisant des tirages sur échantillons représentatifs, un vote sur échantillon complet ne présentant d’ailleurs aucune difficulté. Il est bien évident qu’une telle procédure rend absurde la volonté que pourrait avoir un homme d’aller contre cette volonté sans auparavant avoir convaincu l’ensemble des citoyens du bien fondé de sa position.

Quant au problème de l’exécutif, on verra plus tard. Je crois que ce n’est pas bien compliqué, une fois admis le principe de souveraineté effective du peuple par expression de sa volonté.

Salut,

Effectivement, l’Etat ne devrait-il pas être garant de l’expression de la Volonté générale ? Ne devrions-nous pas explicitement l’inclure dans cette constitution ?

Avec du recul (de quelques siècles …), le fait d’élire ou nommer des représentants n’est qu’un moyen, un outil. Bien évidement, il faut définir le fonctionnement de cet outil.

Gardons à l’esprit le rôle même de cet outil. De plus, prenons en compte les moyens technologiques et la révolution informatique actuelle pour les inclure dans cette définition de l’outil décisionnel et représentatif.

Bref, peut-être que la constitution devrait conserver une portée dont le périmètre ou le coeur (à voir) est l’idée et le concept d’un fonctionnement démocratique. Ensuite, dans un second temps définir l’outil choisi et ses règles de fonctionnement.

@+
Salokine.

Démocratie/volonté générale/état de Droit

Bonjour.

Je suis d’accord, comme tout le monde sans aucun doute, que la démocratie est le système qui permet à la volonté générale de s’exprimer et d’être exécutée.

La difficulté commence quand on doit définir la volonté générale. J’en reste pour ma part à la définition ordinaire : volonté du peuple (de la Nation) telle qu’elle s’exprime par la loi (qui est un acte voté par le peuple directement ou par ses représentants, et destiné à créer du droit).

En ce sens, la volonté générale est à distinguer de la volonté des particuliers ou des groupes de particuliers et de la volonté des populations locales (on peut aussi parler de démocratie locale, mais ce n’est pas le sujet ici). Il faut aussi distinguer cette volonté générale de la volonté du gouvernement telle qu’elle s’exprime (dans le respect de la loi) par des règlements qui n’ont pas force de loi. Et il faut aussi la distinguer de l’expression aléatoire d’opinions passagères.

Que la volonté générale doive être correctement informée, c’est vrai - comme de toute volonté particulière ou collective.

Là où les choses se corsent, c’est lorsqu’on veut déterminer quelle est la volonté générale à un moment donné.

Etienne (2004) voudrait que nous disposions d’un moyen de toujours connaître précisément l’état actuel de la volonté générale (par sondage, je suppose, ou quelque chose d’équivalent).

Je soutiens que c’est impossible. Un sondage (même considérablement facilité de nos jours par l’Internet) ne signifie pas la volonté générale mais la juxtaposition d’opinions individuelles instantanées le plus souvent sans vrai débat préalable. Les répondants s’expriment d’autant plus spontanément (assez souvent erratiquement) qu’ils savent que leur réponse, contrairement au vote d’une loi, n’aura pas d’effet obligatoire.

On en revient donc au processus législatif, qui, justement, est le moyen pour les citoyens (directement ou par leurs représentants) d’abord, de s’informer sur une question précise dans le cadre d’un vrai débat préalable ; ensuite, d’adopter en pleine connaissance de cause une décision qu’ils savent obligatoire. Selon moi, il n’est aucun autre moyen que la loi pour obtenir l’expression d’une vraie volonté générale dûment informée. Volonté générale = loi.

Par ailleurs, il me semble impossible de dissocier la discussion de la démocratie de celle de l’état de Droit (c’est une des rares bonnes choses du TCE que d’avoir proclamé les deux principes ensemble). Si la loi - même directement adoptée par le peuple - voulait m’imposer de ne pas manger de homard le vendredi, je compterais sur le pouvoir des juges pour déclarer cette loi abusive : ce serait un effet du principe de l’état de Droit.

Je suggèrerais de modifier le titre du présent fil de discussion en y mentionnant d’une manière ou d’une autre l’état de Droit. JR

La loi est l’expression de la volonté générale.
La loi n’est pas l’expression de la volonté des élus.
Les élus ont un travail qui est de chercher et de respecter la volonté générale,
et ce travail doit être contrôlé car le risque est grand que nos porte-parole se prennent progressivement pour nos chefs
et sustituent leur propre volonté à la volonté générale.

Jacques,

Vous écrivez : [bgcolor=#CCCCCC]Volonté générale = loi[/bgcolor].

Je ne suis pas d’accord du tout avec votre signe « égale » : [bgcolor=#CCFFFF]la loi est l’expression de la volonté générale[/bgcolor], ce qui n’a rien à voir avec une égalité qui serait commutative (inversable). En droit, l’indicatif vaut impératif : quand on dit « la loi est », cela signifie « la loi doit être ». L’une est soumise à l’autre, l’une doit correspondre à l’autre (et pas l’inverse). Par exemple, en ce moment, les lois sont prises par les élus en dépit de la volonté générale, souvent même contre elle, presque toujours sans chercher à la connaître, encore moins à la respecter, et c’est dans cette trahison du principe fondateur (« la loi est l’expression de la volonté générale ») par [bgcolor=#FFFF99]des élus qui se comportent comme des chefs au lieu de se comporter comme des porte-parole[/bgcolor], des élus qui se substituent à la volonté générale au lieu de chercher à la connaître et à la respecter, que la démocratie est violentée.

Il semble que vous voudriez mettre la loi au-dessus de la volonté des citoyens, par le seul fait qu’elle est la loi, sans contrôler le travail des élus et leur respect de la volonté générale à tout moment. Vous voudriez distinguer la volonté générale et les volontés particulières mais, Jacques, la volonté générale ne peut pas être autre chose que la somme des volontés individuelles et le décompte des opinions qui sont les plus courantes, ou bien nous acceptons la dictature d’une minorité.

J’ai l’impression que vous prétendez invalider ma volonté individuelle (et avec la mienne, celle de tous les autres citoyens) sous prétexte qu’elle serait [bgcolor=#CCCCCC]« passagère »[/bgcolor] : mais d’où sortez-vous cette exigence d’une volonté générale non passagère ? Et s’il me plaît d’avoir une opinion passagère ? Et s’il me plaît d’être libre de changer d’avis au gré des événements que je juge importants ? D’où viendrait que les opinions individuelles des citoyens seraient par nature plus versatiles et changeantes que les volontés individuelles des députés ?

Je sens, mais c’est peut-être un malentendu, vous allez me le dire, que vous préférez la réflexion, la pensée, l’opinion, la volonté, des élus à celles des électeurs : vous semblez préférer la volonté des élus à la volonté générale et c’est bien là le drame : c’est bien là que nous perdons la démocratie : la loi n’est pas, par nature, la volonté générale (il y a des lois « scélérates ») : elle devrait en être l’expression et si elle n’est que l’expression de la volonté des élus, si elle entre en contradiction avec la véritable volonté du plus grand nombre, on s’est éloigné de la démocratie et les lois sont devenues un outil d’oppression par une minorité au lieu d’être un outil de vie en société.

Le principe n'est pas : [color=purple][b]"la loi est l'expression de la volonté des élus"[/b][/color].

Le principe est : « la loi est l’expression de la volonté générale ».

• Vous, vous lisez ce principe en en déduisant que la loi est forcément l’expression de la volonté générale, par nature, simplement parce qu’elle est la loi.

• Moi, je lis ce principe en en déduisant que la loi doit être l’expression de la volonté générale, ce qui se contrôle, avec rigueur et à tout moment, même et surtout entre deux élections.


Quand vous dites [bgcolor=#CCCCCC]« il faut distinguer la volonté générale de l’expression aléatoire d’opinions passagères »[/bgcolor], je sens que c’est ma volonté à moi que vous considérez comme passagère et forcément collectée de façon aléatoire.

Je vous le dis franchement, je vois là une autoroute pour une aristocratie élective méprisant la volonté réelle des peuples au profit d’une caste de privilégiés. Je suis sûr que ce n’est pas ce que vous voulez consciemment, mais je suis sûr aussi que ce que vous prônez y mène : on le confirme tous les jours et partout, depuis des siècles.

[bgcolor=#FFFF99]Les élus doivent rester sous notre contrôle permanent et je ne me contente pas d’une élection tous les cinq ans pour cerner et respecter la volonté générale.[/bgcolor]

La loi est bien l’expression de la volonté générale, et la volonté générale (la volonté du peuple) s’exprime par la loi - et par les élections

Etienne (2120).

Nous sommes sans doute d’accord. Vous vous placez du point de vue de ce qui est, je me plaçais du point de vue de ce qui devrait être.

Si, comme vous le dites, nos représentants votent des lois qui ne correspondent pas à la volonté générale, il faut prendre les moyens d’y remédier : n’empêche que juridiquement la loi reste l’expression de la volonté générale et que la volonté générale (du peuple) s’exprime par la loi (et les élections). Une fois la loi adoptée, cette volonté collective prime la volonté individuelle de tous les citoyens - la vôtre, la mienne : je suppose que nous sommes du même avis là-dessus ?

Contrairement à ce que vous semblez penser, je ne crois pas que la volonté générale s’exprime toujours mieux par les représentants des citoyens que par les citoyens eux-mêmes : d’ailleurs, comme vous avez vu, je me suis rallié sans trop de difficulté à l’idée du RIC, et même en lui donnant un cadre beaucoup plus large : celui de l’initiative citoyenne de projet de loi (avec ou sans RIC).

Les mots « passagère » et « aléatoire », dans mon esprit, se rapportent aux sondages - pas à la loi : je continue en effet de penser qu’on (tout le monde) ne réagit pas lors d’un sondage comme on réagit lors d’un vote : soyez gentil et reconnaissez que l’aristocratisme n’a pas grand-chose à voir avec ce raisonnement (juste ou faux).

Contrôler les élus, c’est, en effet, toute la question. D’où ma proposition de reconnaître le « principe de redditionalité » (obliger les élus à rendre périodiquement compte de leur gestion : voyez le projet CIPUNCE) et aussi, dans certaines conditions, d’admettre la révocation de l’élu par les électeurs. Ca plus la non-réélection, ça devrait aller. La révocation pourrait se faire par une loi « collective » (récapitulant les révocations circonscription par circonscription et annonçant les élections partielles correspondantes), loi qui serait votée en fin d’année pour prendre effet le 1er janvier de l’année suivante (modalités à discuter, évidemment).

Autrement, que proposez-vous ?

Amicalement. JR

La Chambre du Peuple ne serait-elle pas un outils supplémentaire permettant de répondre à cette problématique ?

Son rôle me parait être le contrôle de l’expression de la volonté générale dans le processus d’élaboration des lois de nos représentants.

@+
Salokine

Bonjour :confused:

Je choisis ce fil tout jeune mais essentiel pour vous signaler [bgcolor=#FFFF99]un entretien passionnant avec Pierre Rosanvallon[/bgcolor] sur France Culture ce lundi matin (25 septembre, voir le menu ‹ Liens et documents › ci-dessus).

Cet historien important vient de publier un livre intitulé [bgcolor=#FFFF99]« La Contre-démocratie - La politique à l’âge de le défiance »[/bgcolor] (Seuil) et je m’y suis déjà plongé quelques heures aujourd’hui.

Il faut que vous lisiez ce livre, je crois : il va vous passionner, sur de nombreux points.

Il sera intéressant de discuter ensuite entre nous de l’apport de ses thèses dans notre propre réflexion, mais aussi de ses limites.

J’ai ouvert un billet pour en causer, sur le blog car le livre est, pour nous, important mais transversal : il n’y a pas de raison d’en parler plus sur un fil du forum que sur un autre. : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2006/09/25/46-la-contre-democratie-formidablement-decrite-par-pierre-rosanvallon-mais-sans-parler-des-constituants-a-la-fois-juges-et-parties

Rendez-vous sur le blog, donc. J’ai déjà quelques questions à propos des thèses de PR :

• Est-ce que les grèves, les manifs, les pétitions et autres actions non prévues par les institutions peuvent nous suffire comme contre-pouvoirs ? (c’est la thèse de Rosanvallon, pour ce que j’en ai compris) Moi, je dirais que non, bien sûr : les grèves et les manifestations ne sont qu’un pis-aller qui ne saurait remplacer de réels contre-pouvoirs institutionnels.

• Est-ce vraiment parce que les électeurs ont trouvé d’autres formes de résistance que le vote (des formes non institutionnelles que Rosanvallon appelle la « contre-démocratie ») qu’ils se désintéressent du vote ? Moi, je pense que c’est plutôt parce qu’ils voient bien qu’on les sous-estime entre deux élections et que les choix électoraux sont pipés.

• Quels rouages institutionnels honnêtes nous manquent-ils pour retrouver un intérêt à voter et participer nombreux à l’élaboration de la volonté générale ? (et ce qu’on dira là, il faudra peut-être le reproduire dans le forum si ce sont des idées nouvelles)

• Réactions et compléments divers à ce livre que vous pourriez connaître et nous signaler,

• …

Parlons-en sur la partie blog.

Amicalement.

Étienne.

La volonté générale : Rousseau relu et explicité par l’excellente Simone Weil

[color=black]Chers amis,

Je viens de finir un livre court (80 petites pages en gros caractères) et passionnant : « Note sur la suppression des partis politiques », de Simone Weil (1909-1943) (éditions Climats, 2006) :

Je reproduis ici un extrait intéressant qui précise la notion et l’importance de la volonté générale dans la pensée de Rousseau et décrit la nuisance des partis politiques dans l’expression de cette volonté générale.
(Extrait = p 26 à 37 dans la réédition chez Climats) :[/color]

Notre idéal républicain procède entièrement de la notion de volonté générale due à Rousseau. Mais le sens de la notion a été perdu presque tout de suite, parce qu'elle est complexe et demande un degré d'attention élevé.

Quelques chapitres mis à part, peu de livres sont beaux, forts, lucides et clairs comme Le Contrat Social. On dit que peu de livres ont eu autant d’influence. Mais en fait tout s’est passé et se passe encore comme s’il n’avait jamais été lu.

Rousseau partait de deux évidences.

L’une, que [bgcolor=#FFFF99]la raison discerne et choisit la justice et l’utilité innocente[/bgcolor], et que [bgcolor=#FF66FF]tout crime a pour mobile la passion[/bgcolor].

L’autre, que [bgcolor=#FFFF99]la raison est identique chez tous les hommes[/bgcolor], au lieu que [bgcolor=#FF66FF]les passions, le plus souvent, diffèrent[/bgcolor].

Par suite si, sur un problème général, chacun réfléchit tout seul et exprime une opinion, et si ensuite les opinions sont comparées entre elles, probablement elles coïncideront par la partie juste et raisonnable de chacune et différeront par les injustices et les erreurs.


C’est uniquement en vertu d’un raisonnement de ce genre qu’on admet que le consensus universel indique la vérité.

[bgcolor=#FFFF99]La vérité est une. La justice est une. [/bgcolor][bgcolor=#FF66FF]Les erreurs, les injustices sont indéfiniment variables. [/bgcolor]

Ainsi, [bgcolor=#FFFF99]les hommes convergent dans le juste et le vrai[/bgcolor], au lieu que [bgcolor=#FF66FF]le mensonge et le crime les font indéfiniment diverger[/bgcolor].

L’union étant une force matérielle, on peut espérer trouver là une ressource pour rendre ici-bas la vérité et la justice matériellement plus fortes que le crime et l’erreur.

Il y faut un mécanisme convenable. Si la démocratie constitue un. tel mécanisme, elle est bonne. Autrement non.

Un vouloir injuste commun à toute la nation n’était aucunement supérieur aux yeux de Rousseau — et il était dans le vrai — au vouloir injuste d’un homme.

Rousseau pensait seulement que le plus souvent un vouloir commun à tout un peuple est en fait conforme à la justice, par [bgcolor=#FFFF99]la neutralisation mutuelle et la compensation des passions particulières[/bgcolor]. C’était là pour lui l’unique motif de préférer le vouloir du peuple à un vouloir particulier.

C’est ainsi qu’une certaine masse d’eau, quoique composée de particules qui se meuvent et se heurtent sans cesse, est dans un équilibre et un repos parfaits. Elle renvoie aux objets leurs images avec une vérité irréprochable. Elle indique parfaitement le plan horizontal. Elle dit sans erreur la densité des objets qu’on y plonge.

Si des individus passionnés, enclins par la passion au crime et au mensonge, se composent de la même manière en un peuple véridique et juste, alors il est bon que le peuple soit souverain. [bgcolor=#FFFF99]Une constitution démocratique est bonne si d’abord elle accomplit dans le peuple cet état d’équilibre, et si ensuite seulement elle fait en sorte que les vouloirs du peuple soient exécutés.[/bgcolor]

Le véritable esprit de 1789 consiste à penser, non pas qu’une chose est juste parce que le peuple la veut, mais qu’à certaines conditions le vouloir du peuple a plus de chances qu’aucun autre vouloir d’être conforme à la justice.

Il y a plusieurs conditions indispensables pour pour voir appliquer la notion de volonté générale. Deux doivent particulièrement retenir l’attention,

• L’une est qu’au moment où le peuple prend conscience d’un de ses vouloirs et l’exprime, il n’y ait [bgcolor=#CCFFFF]aucune espèce de passion collective[/bgcolor].

II est tout à fait évident que le raisonnement de Rousseau tombe dès qu’il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus puissante qu’aucune passion individuelle. Les impulsions mauvaises, en ce cas, loin de se neutraliser, se portent mutuellement à la millième puissance. La pression est presque irrésistible, sinon pour les saints authentiques.

Une eau mise en mouvement par un courant violent, impétueux, ne reflète plus les objets, n’a plus une surface horizontale, n’indique plus les densités.Et il importe très peu qu’elle soit mue par un seul courant ou par cinq ou six courants qui se heurtent et font des remous. Elle est également troublée dans les deux cas.

Si une seule passion collective saisit tout un pays, le pays entier est unanime dans le crime. Si deux ou quatre ou cinq ou dix passions collectives le partagent, il est divisé en plusieurs bandes de criminels. Les passions divergentes ne se neutralisent pas, comme c’est le cas pour une poussière de passions individuelles fondues dans une masse ; le nombre est bien trop petit, la force de chacune est bien trop grande, pour qu’il puisse y avoir neutralisation. La lutte les exaspère. Elles se heurtent avec un bruit vraiment infernal, et qui rend impossible d’entendre même une seconde la voix de la justice et de la vérité, toujours presque imperceptible.

Quand il y a passion collective dans un pays, il y a probabilité pour que n’importe quelle volonté particulière soit plus proche de la justice et de la raison que la volonté générale, ou plutôt que ce qui en constitue la caricature.

• La seconde condition est [bgcolor=#CCFFFF]que le peuple ait à exprimer son vouloir à l’égard des problèmes de la vie publique, et non pas à faire seulement un choix de personnes. Encore moins un choix de collectivités irresponsables.[/bgcolor] Car la volonté générale est sans aucune relation avec un tel choix.

S'il y a eu en 1789 une certaine expression de la volonté générale, bien qu'on eût adopté le système représentatif faute de savoir en imaginer un autre, c'est qu'il y avait eu bien autre chose que des élections. Tout ce qu'il y avait de vivant à travers tout le pays — et le pays débordait alors de vie — avait cherché à exprimer une pensée par l'organe des cahiers de revendications. Les représentants s'étaient en grande partie fait connaître au cours de cette coopération dans la pensée; ils en gardaient la chaleur; ils sentaient le pays attentif a leurs paroles, jaloux de surveiller - si elles traduisaient exactement ses aspirations. Pendant quelque temps — peu de temps — ils furent vraiment de simples organes d'expression pour la pensée publique.

Pareille chose, ne se produisit jamais plus.

Le seul énoncé de ces deux conditions montre que nous n’avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie. Dans ce que nous nommons de ce nom, jamais le peuple n’a l’occasion ni le moyen d’exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux intérêts particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont systématiquement, officiellement encouragées.


L’usage même des mots de démocratie et de république oblige à examiner avec une attention extrême les deux problèmes que voici :

[b][color=red]Comment donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la possibilité d’exprimer parfois un jugement sur le grand problème de la vie publique ?

Comme empêcher, au moment où le peuple est interrogé, qu’il circule à travers lui aucune espèce de passion collective ?[/color][/b]


Si on ne pense pas à ces deux points, il est inutile de parler de légétimité républicaine.

Des solutions ne sont pas faciles à concevoir. Mais il est évident, après un examen attentif, que toute solution impliquerait d’abord la suppression des partis politiques.

[align=center]***[/align]
Pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.

On peut en énumérer trois :

[b]Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.

Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.

La première fin et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.[/b]
[Note : une usine à cratocrates :slight_smile: ÉC]

Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui.


Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s’est approché de la vie des partis.

Le troisième est un cas particulier d’un phénomène qui se produit partout où le collectif domine les êtres pensants.

C’est le retournement de la relation entre fins et moyens. Partout, sans exception, toutes les choses généralement considérées comme des fins sont par nature, par définition, par essence et de la manière la plus évidente, uniquement des moyens. On pourrait en citer autant d’exemples qu’on voudrait, dans tous les domaines. Argent, pouvoir, État, grandeur nationale, production économique, diplômes universitaires ; et beaucoup d’autres.

Le bien seul est une fin. Tout ce qui appartient au domaine des faits est de l’ordre des moyens.

Mais la pensée collective [celle des partis] est incapable de s’élever au-dessus des faits. C’est une pensée animale. Elle n’a la notion du bien que juste assez pour commettre l’erreur de prendre tel ou tel moyen pour un bien absolu.

Il en est ainsi des partis. (…)


Ce livre est aussi court que décapant.
Amicalement.
Étienne.
:confused:

Bonjour,

Ce fil, et en particulier le passage du livre de S. Weil reproduit ci-dessus par Etienne, pose un VRAI problème de toute démocratie dite « participative », dont le RIC ou le RIP sont des avatars: la légitimité des textes adoptés au terme du processus.

Rousseau a admirablement cerné la question: si le RIC est issu d’une foule passionnée, il n’a rien de démocratique, rien de légitime. Dès lors, il serait possible que des minorités passionnent les foules contre d’autres minorités, et par le truchement des « Public Relations », façonnent une « volonté générale » qui serait scélérate. Je pense par exemple au cas « épidermique » du contrôle de l’immigration ou à la « dérive sécuritaire » (contrôle et fichage des voyageurs aériens, passeport biométrique, puces RFID personnelle et permanente, vidéo-surveillance des lieux privés, etc).

La question dès lors est : comment déterminer quelle initiative est le fruit de la raison multiple des citoyens, et laquelle est le fruit d’une passion collective ?

La réponse est assez simple : une proposition issue de la volonté générale éclairée par la raison sera, par essence, respectueuse des principes fondamentaux (en gros : les droits de l’Homme et la morale au sens métaphysique, celle qui répond aux « impératifs catégoriques » de Kant), tandis que l’expression de la passion collective violera au moins un de ces principes.

C’est pourquoi la démocratie ne peut pas vivre sans une soumission volontaire à ces principes, écrits dans la Préambule à la Constitution, soumission qui doit être déclarée explicitement dans la partie I de la Constitution, et dont l’effectivité doit être contrôlée par des institutions décrites explicitement dans la partie II. Ceci est un des piliers de la démocratie, qui ne peut en aucun cas être modifié, même par une Assemblée Constituante ultérieure (sinon, on sort de la démocratie). Seule la Constituante initiale a le droit d’écrire ce principe de soumission, avec l’accord de la volonté générale raisonnée.

Corollaire: [bgcolor=#FFFF99]tout RIC ou autre initiative de démocratie participative, comme toute législation issue d’une l’assemblée représentative, DOIT être comparée aux principes fondamentaux, et les respecter absolument.[/bgcolor]

La question suivante est donc logiquement : qui contrôle la conformité des lois aux principes fondamentaux ?

Je pencherais pour un Conseil Constitutionnel qui serait en fait [b][bgcolor=#CCFFFF]une Assemblée Constituante Permanente[/bgcolor][/b], dont la composition serait simplement un tirage au sort national sur les listes électorales. Les membres y resteraient en poste pour trois ans, avec remplacement annuel par tiers. Pendant leur activité au sein de la Constituante Permanente[i] (et pour les x années suivant la fin de leur mission?? 5 ans p.ex?)[/i], ils seraient inéligibles à toute fonction publique. S'ils sont en mandat au moment de leur désignation, ils sont soit [i]ipso facto[/i] démis, soit déclarés inaptes à l'entrée en fonction au sein de la Constituante Permanente (c'est à trancher par la Loi).

Au cours de leur mandat, les Constituants doivent travailler sereinement, donc être autant que possible isolés des groupes de pression, des « bons conseils » et autres « demandes amicales ». Leur travail se borne en fait à vérifier que les lois proposées ne violent aucun des principes fondamentaux, lesquels doivent donc être écrits de manière simple, et être peu nombreux (d’ailleurs, s’ils sont trop nombreux ou détaillés, ils perdent inévitablement leur universalité). Tout citoyen avec un intellect normal peut donc théoriquement siéger sans encombre. Chacun, s’il est désigné, peut demander une exemption motivé par un motif grave (situation de famille, personne dépendante à charge, compétence rare et nécessaire au bien public, etc). Durant leur mandat, les Constituants sont localisés sur un site propice à leur travail, avec leurs proches. L’Etat pourvoit à leurs besoins immédiats, sans ostentation (logement, plus un traitement de nature à couvrir les frais quotidiens de leur famille). L’implantation d’association de lobbying à proximité du site est interdite par la Loi.

À la fin de leur mandat, ils sont réintégrés dans leur métier d’origine, sans que les conditions économiques qui prévalaient pour eux au départ (salaire, annuités de retraite, etc) puisse être changées par quiconque en aurait les moyens (employeur, …).

Au cours de leur première année, ils sont « tutoré » par un des membre de la Constituante dont c’est la dernière année. Au cours de la seconde, ils sont indépendants, et jouent leur rôle à plein temps. Au cours de la troisième, ils « tutorent » à leur tour un nouvel arrivant. Les couples « tuteur-nouveau désigné » sont établis aléatoirement. Seule une incompatibilité de personne forte et manifeste pourrait justifier une permutation avec un autre couple.


Je pense avoir fait le tour des points essentiels, s’il y a des commentaires, je suis tout ouïe :slight_smile:

Brieuc

Principes fondamentaux/état de droit, assemblée constituante (constitutionnelle?) permanente

Bonjour Brieuc (2912).

Trois remarques :

  • Ce que vous appelez conformité aux principes fondamentaux, c’est ce qu’on appelle classiquement « état de droit ». Sommes-nous d’accord là-dessus ?

  • En quoi une assemblée de citoyens tirés au sort est-elle qualifiée pour juger du respect de l’état de droit ? Est-ce qu’il n’y a pas là risque de confusion de la démocratie et de l’état de droit (deux choses normalement associées mais radicalement différentes) ?

  • Est-ce que des magistrats indépendants et formés au droit ne sont pas dans tous les cas la meilleure garantie du respect de l’état de droit ?

Rousseau (dans l’opinion que vous rapportez) me paraît précisément confondre démocratie et état de droit : l’opinion majoritaire d’une foule passionnée est à mon avis aussi démocratique que celle d’une foule réfléchie : c’est l’application du principe de l’état de droit (refus de l’arbitraire) qui corrige les excès de ce qui pourrait devenir une dictature démocratique.

Cordialement. JR

Tout dépend de la nature de l’assemblée constituante

Si les membres de cette assemblée sont des élus tirés au sort, ils seront quand même les mieux à même de juger de la constitutionnalité d’une loi ou d’un traité

Je ne pense pas que les gens éliraient pour aller créer la constitution de notre nation « une foule », mais plutôt des personnes ayant des hautes idées et des idées précises de cette constitution.

Si ces personnes sont inéligibles aux fonctions qu’elles instituent, alors on peut se dire qu’on aura affaire à des personnes plutôt objectives.

Reste simplement le problème du renouvellement de ce conseil constitutionnel dans le temps.

Bonjour,

À J. Roman (2916):

Je ne sais pas si ce que j’appelle « conformité aux Principes Fondamentaux » est ce que vous appelez « état de droit ». Il faudrait préciser le sens que chacun entend (et si le sens est différent, vos autres question sont sans objet en l’état, donc il faudra reformuler). Je développe donc ma pensée ici, afin que vous puissiez comparer. Je pense que la Démocratie ne peut exister par la seule volonté d’une majorité de personnes. La Démocratie se veut un régime universaliste, qui a pour vocation de défendre les plus faibles et les moins nombreux (y compris ceux qui, sur son territoire de compétence ne se reconnaîtraient pas en elle!) des abus autrement inévitables des plus forts et des plus nombreux. Pour cela, elle fait appel à des Principes Fondamentaux, qui sont extérieurs à elle-même. Ces principes sont posés a priori, et indépassables. Ce sont eux qui limitent le législateur (= classe politique) par le haut, législateur qui doit donc suivre d’une part la volonté générale, et d’autre part rester soumis aux Principes Fondamentaux.

Si ces principes ne sont pas respectés, il y a risque de dictature de la majorité, ou d’une minorité forte (c’est sans doute ce que vous désignez par « dictature démocratique », qui est selon moi un oxymore: on est plus du tout en démocratie). Par suite, dès lors que je considère (et peut-être est-ce là que nous divergerons dans les termes) que « état de droit » signifie « protection contre l’arbitraire », il est pour moi envisageable de trouver un état de droit qui soit scélérat (exemple: Vichy et les lois de discrimination envers les juifs: pas d’arbitraire, puisque la Loi est connue, et applicables de la même manière pour tous les juifs). Donc, état de droit et démocratie, comme vous le dites, ne sont pas la même chose. Et toujours selon ma pensée, le respect des Principes Fondamentaux est non pas une des garanties de l’état de droit (qui est le fait d’avoir une constitution, des institutions, des lois universelles, etc), mais bel et bien une des garanties de la démocratie. Autrement dit, la démocratie, c’est:

1 l’état de droit,
2 qui respecte les Principes Fondamentaux et
3 qui tire sa légitimité du Peuple.

Comme vous le voyez, le respect des principes n’établit pas l’état de droit, mais pose une des trois conditions de la Démocratie. Le respect de l’état de droit est le travail des juristes, qui interprètent la Loi, et l’appliquent selon la plus grande équité possible. Interpréter la loi et vérifier sa conformité à la Constitution est un travail de juriste, de magistrat, de professionnel, tant il est vrai que l’argumentation peut être spécifique (utilité d’un Conseil Constitutionnel). Par contre, vérifier la conformité de la même loi aux Principes Fondamentaux relève de la Raison Pure (au sens kantien), et est à la portée de chacun, pour peu qu’il s’en donne la peine.

Par suite, une Assemblée Constituante Permanente, tirée au sort parmi les citoyens, peut se charger de ce rôle. C’est même la seule manière de faire, puisque les Principes Fondamentaux sont extérieurs à la Démocratie, que le Peuple, réuni en Assemblée Constituante, a choisi de s’y soumettre, et que le Peuple est donc le seul à disposer de l’autorité pour juger si une loi les respecte ou les viole. Confier cette tâche à des professionnels de la politique ou de la justice serait un déni de démocratie, une confiscation du pouvoir supérieur du Peuple à définir par lui-même les principes qui guident (de l’extérieur, je le rappelle) son destin, et surtout l’universalité des lois auxquelles il accepte de se conformer. Ce serait risquer de voir un corporatisme quelconque utiliser le pouvoir de définir les Principes Fondamentaux pour usurper l’autorité, et tromper le Peuple. Vraiment, ce pilier de la Démocratie est trop important pour déléguer la plus petite parcelle de son gardiennage à des professionnels. Cela serait équivalent à l’acceptation de se taire en toute circonstance pour « laisser parler les pros ».

À Sandy (2918):

J’ai proposé, pour le renouvellement de l’Assemblée Constituante Permanente la formule du renouvellement annuel par tiers, avec « tutorat » des nouveaux par les anciens. Avez-vous une autre idée ? Toute suggestion est bienvenue.

Brieuc

A J. Roman (2916):

Je sépare cette réponse, qui est un commentaire plus philosophique sur la nature de la Démocratie, du message précédent, pour plus de clarté dans la lecture.

Vous écrivez: « Rousseau (dans l’opinion que vous rapportez) me paraît précisément confondre démocratie et état de droit : l’opinion majoritaire d’une foule passionnée est à mon avis aussi démocratique que celle d’une foule réfléchie : c’est l’application du principe de l’état de droit (refus de l’arbitraire) qui corrige les excès de ce qui pourrait devenir une dictature démocratique. »

Une question se pose ici quant à votre affirmation: qu’est-ce qui permet de juger de ce qui est arbitraire? Et corollairement, qu’est-ce qui nous en met à l’abri? La réponse de l’état de droit est « l’universalité de la Loi conforme à la Constitution ». Est-ce suffisant pour éviter l’arbitraire? Est-ce assez pour maintenir la Démocratie? Selon moi, c’est « non » dans les deux cas, et je le démontre dans la suite.

Rousseau, selon le point de vue où je me place, ne confond pas Démocratie et état de droit. Comme je considère que la Démocratie, c’est donc, sans ajout ni omission possible:

1 l’état de droit,
2 qui respecte les Principes Fondamentaux et
3 qui tire sa légitimité du Peuple,

et considérant en outre que la volonté générale issue d’une foule passionnée ne respectera pas les Principes Fondamentaux (qui sont, je le rappelle, issus de la Raison Pure, donc étrangers à la passion), toute décision qui serait « exigée » par la foule passionnée, et entérinée par l’état de droit, ne serait pas démocratique (manquement au deuxième point ci-dessus). Certes, l’état de droit sans référence aux Principes Fondamentaux pourrait refuser d’entériner la demande, mais ce serait soit par coup du sort, soit par réflexion arbitraire, sur des critères qui ne seraient pas les Principes Fondamentaux (et dans le meilleur des cas, sur des arguties juridiques au sein d’une caste professionnelle ratiocinant sur la Constitution). On trouve ici un arbitraire qui est incompatible avec la Démocratie, tout comme avec l’état de droit dans l’absolu. Donc, la volonté générale de la foule passionée n’est pas démocratique, et l’état de droit ne suffit pas à nous en protéger.

A ce point, il convient de déterminer le sens de « arbitraire », utilisé ici avec deux connotations qui semblent antinomiques, puisque je dis que l’état de droit est le refus de l’arbitraire, tandis que j’affirme que sa décision prise en dehors des Principes Fondamentaux est arbitraire. Le conflit se résout en considérant que les Principes Fondamentaux sont issus de la Raison Pure, et sont pour la Démocratie (pour la collectivité des individus) ce que sont les Impératifs Catégoriques de Kant pour le Sujet (assimilable en première approche à l’individu); c’est-à-dire les principes métaphysiques qui guident l’individu dans la détermination du bien et du mal, principes que l’Homme libre refuse de se voir imposer sans les comprendre, et donc refuse de se voir imposer au nom d’une « loi supérieure » qui ne serait pas pleinement explicitée (Dieu, la Tradition, le Marché, etc). C’est donc bien avec sa propre raison que l’Homme libre va chercher les règles qui lui dicteront le Bien et le Mal. Ces règles sont donc les Impératifs Catégoriques, issus de la Raison Pure, universels, et donc… absolus. De ce fait même, les Impératifs Catégoriques sont extérieurs au Sujet.

C’est ici précisément que l’on quitte l’arbitraire. Il en va de même pour la collectivité, qui, par la Raison Pure, se dote de Principes Fondamentaux, universels et absolus, et par suite, extérieurs à elle-même. En vertu de cet absolu, il devient possible de juger sans arbitraire tout acte de la société, et en particulier ses Lois. Tout jugement de l’état de droit qui ne se réfèrerait pas aux Principes Fondamentaux serait par essence basé sur un arbitraire quelconque (« c’est mieux ainsi », « c’est conforme aux lois du Marché », « je gagne plus de cette façon », « Dieu l’a voulu », etc). Par suite logique, toute décision de l’état de droit qui ne se réfère pas aux Principes Fondamentaux, est arbitraire dans son essence, même si sa portée devient universelle pour le Peuple, même si le Conseil Constitutionnel l’a jugée conforme à la Constitution. Il y a donc dans ce cas dichotomie entre l’arbitraire par essence de la décison et le refus de l’arbitraire à travers sa portée universelle et sa constitutionnalité, deux fondements de l’état de droit.

C’est bien pourquoi la Démocratie ne peut se passer ni des Principes Fondamentaux, ni de leur jalouse sauvegarde. La pensée libérale, de Mandeville à Hayek en passant par Smith, Riccardo et tous les autres, a le plus souvent rejeté l’impératif catégorique kantien, au nom de la liberté individuelle, et de l’appel à la jouissance immédiate plutôt qu’au refoulement civilisateur, selon le postulat de base du libéralisme (en particulier économique): « la somme des vices privés fait le bien public ». Dès lors, pourquoi se retenir? Seulement voilà, ce postulat est par essence incantatoire, et donc parfaitement arbitraire.

Il se trouve qu’au cours des 2 siècles après les Lumières, la lutte d’influence entre la rigidité morale, exprimée de Montesquieu à Kant puis Freud, et l’égoïsme prôné par les libéraux a été féconde en étincelles de génie. Mais depuis le début du XXème siècle, l’aspect « démocratique-autoritaire » recule, et cède de plus en plus de terrain. C’est devenu le règne presque parfait du laisser-faire et de l’arbitraire individuel, jusque dans les décisions publiques, dans l’éducation, la culture, etc. Alors que nous aurions pu avoir un âge d’or démocratique, avec une vraie liberté individuelle encadrée par des principes publics solides, nous avons un ramassis d’égotistes identiques dans leurs désirs. Le résultat est un retour absolument flagrant à la barbarie, qui est par essence le règne de l’arbitraire (brûler des innocent(e)s dans un bus, détourner impunément des fonds publics pour soi et ses amis, tuer pour un balladeur, mentir ouvertement et sans vergogne en public, violer sans remords, gouverner selon son désir du moment, etc).

L’urgence est donc au rétablissement, dans la conduite publique tout au moins, d’une part importante de principes, qui, tant qu’à faire, seraient aussi bien fondés par la Raison Pure (qui affranchit l’Homme libre de tout dogme).

Mais je m’attarde sur des considérations qui ne sont pas en relation directe avec le sujet de la Constitution, bien qu’elles y apportent, voudrais-je croire, un éclairage intéressant pour simplement savoir où nous voudrions aller.

Brieuc

P.S.: il va de soit que tout ce qui précède est une opinion, basée sur l’interprétaion de textes historiques, et n’engage que moi. Toute discussion est ouverte!

État de Droit/démocratie

Brieuc (2919, 2921).

Le Vocabulaire juridique Cornu donne de l’ « état de Droit » les définitions suivantes : a) au sens large, situation résultant pour une société de la soumission à un ordre juridique excluant l’anarchie et la justice privée ; b) en un sens plus restreint, nom que mérite seul un ordre juridique dans lequel le respect du Droit est réellement garanti aux sujets de droit, notamment contre l’arbitraire (cette définition est fondée sur l’idée de subordination de l’État au droit).

Ce que vous appelez « conformité aux principes fondamentaux » correspond donc à la définition b) du Cornu, qui est également celle sur laquelle je fonctionne. On parle aussi de l’« État de droit » (avec un E majuscule), à savoir de la forme d’État (avec majuscule) dans lequel l’état de Droit est garanti.

Je diffère un peu de vous en ce qui concerne la définition de la démocratie : pour moi, c’est le régime dans lequel le peuple (pour simplifier : la majorité des citoyens plus un) exerce le pouvoir directement ou par ses représentants, et rien d’autre.

À mon avis, on ne peut pas en conclure, comme vous le faites, que la démocratie a vocation particulière pour « défendre les plus faibles et les moins nombreux » : on pourrait même soutenir qu’un régime dictatorial, par nature, est beaucoup mieux placé qu’un régime démocratique pour protéger une minorité.

Pour assurer le respect de l’état de Droit, vous proposez une assemblée constitutionnelle permanente tirée au sort parmi les citoyens. L’idée ne me paraît pas bonne, parce que le respect de l’état de Droit renvoie à l’ordre juridique, et par conséquent à l’interprétation des règles juridiques sur lesquels cet ordre repose. Des citoyens tirés au sort (même volontaires) n’auraient pas les compétences voulues : leur opinion personnelle serait le plus souvent fondée sur des considérations politiques plutôt que juridiques ; les décisions de l’assemblée constitutionnelle ne porteraient pas vraiment sur le maintien de l’état de Droit et la protection contre l’arbitraire (y compris l’arbitraire démocratique), mais reviendraient plutôt à l’exercice effectif du pouvoir.

On peut trouver difficile de concilier l’existence d’un organe à compétences juridiques se prononçant en dernier ressort avec l’idée de souveraineté du peuple. Mais il faut distinguer démocratie directe (le peuple prend lui-même les décisions relatives à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics - autrement dit à la manière dont il entend se gouverner) et démocratie représentative (le peuple décide d’agir par des représentants lorsqu’il estime ne pas être en mesure de prendre les décisions directement).

Il me semble évident que lorsque le peuple a choisi d’agir par des représentants, ces représentants doivent offrir toutes les garanties de compétence voulues par rapport à la mission à remplir. Sous cet angle, le tirage au sort ne me paraît acceptable que lorsqu’il s’agit d’observer des situations ou de faire des rapports (et encore, pas toujours). On ne tire pas son dentiste au sort, et on ne donne pas procuration à n’importe qui pour acheter une maison : pourquoi le peuple devrait-il se passer des garanties élémentaires de compétence qu’on exigerait pour son propre compte ?

Les organes juridiquement compétents pour faire respecter l’état de Droit doivent avoir la connaissance du droit dans tous ses aspects (comme le Conseil constitutionnel pour la constitution); on ne peut pas attendre cette connaissance de personnes tirées au sort ; ces organes doivent être composées de personnes ayant les plus hautes compétences juridiques possibles - pas de tirés au sort. JR

Je croyais qu’on parlait d’une assemblée constituante composée de citoyens qui auraient au préalable été élus avant d’être tirés au sort, non ?

Sinon concernant le conseil constitutionnel, tout dépend du rôle qu’on veut lui donner et de ce qu’on attend de lui

Si on attend du conseil constitutionnel qu’il défende l’esprit de la constitution, alors c’est un organe politique
Si on attend du conseil constitutionnel seulement une compétence juridique, c’est à dire une interprétation des textes et un jugement, alors c’est un organe juridique

Je pense que le 2ème choix est irréaliste, cela dérivera toujours vers un organe politique du fait de la nature même de ce qu’ils ont à juger ( des lois )

Par contre je suis en total désaccord sur votre notion de représentant.

Pour moi, la nécessité de se choisir des représentants n’a absolument rien avoir avec la notion de compétence. Je n’aime pas du tout cette idée qui justifie clairement le carriérisme et la construction d’une classe politique dont on voit les résultats concrètement de jours en jours.

Un énarque ne sera pas forcément meilleur représentant qu’un agriculteur, c’est d’idées que l’on parle, pas de compétences.

Selon moi cette nécessité est uniquement due aux problèmes d’organisation qu’une démocratie totalement directe poserait.

On le voit bien, pour être député, pour être ministre etc … il faut fournir un travail à temps plein.
L’ensemble des citoyens devraient à temps plein prendre les décisions politiques …
Et ce n’est pas possible.

Bonjour,

A J. Roman (2922):

Je vois où nous divergeons: c’est sur la définition même de « Démocratie ». Pour vous, la volonté d’une majorité absolue de citoyens a force de loi, à charge pour un organe judiciaire de décider en dernier ressort de la justice représentée par la loi (protection contre l’arbitraire).

Pour moi, la Démocratie, ce n’est pas la seule volonté générale, mais aussi sa subordination à des Principes supérieurs. Il faut, pour comprendre ce point de vue, revenir à Athènes (du temps de la République, bien sûr :wink: ), et se remémorer que les 2 siècles environ de la Démocratie ont été un combat permanent des faibles, des pauvres et des minorités culturelles (celles du moins qui avaient statut de citoyen…) contre les riches et les puissants de la Cité. Athènes n’a tenu en tant que Démocratie que tant qu’elle a systématiquement cassé, émietté, contré le pouvoir des majorités, au nom de la défense des minorités. Dès qu’elle a cessé, les riches ont repris la main, orienté l’opinion au nom du « bien commun », « trusté » les postes de décision, confisqué le pouvoir. Ca en a été fini de la Démocratie.

J’admets parfaitement votre raisonnement, qui est logique et juste dans le cadre de votre définition de la Démocratie. Mais (car il y a un « mais »!), je me dois d’être plus exigeant dans la définition de la Démocratie, ce qui me conduit à ma définition, et donc, in fine, à mes conclusions. Mes exigences quant à la Démocratie sont fondées sur une observation simple: si nous nous conformons à votre définition de la Démocratie, alors il y a un risque de glissement progressif des opinions publiques vers des volontés générales scélérates, soutenues (voir inspirées et entretenues…) par des castes au pouvoir (dont éventuellement les juristes gardiens de la Constitution). Dans ce cas, il est possible d’envisager un scénario de ce type: un groupe influent, puissant par sa position sociale et/ou sa richesse pécuniaire et matérielle, contrôle l’information, oriente l’opinion, et prend, de manière détournée, soit disant « au nom du bien commun », des décisions qui lui sont favorables, c’est-à-dire qui renforcent son pouvoir et sa puissance. Ca ne vous rappelle rien? Eh oui! c’est exactement ce que nous vivons!

En clair, limiter la Démocratie à l’expression de la volonté majoritaire est un leurre: ce seront toujours les bons orateurs et les forts en gueule (ou ceux qui ont les moyens de se payer un bon coach en communication, voire un cabinet tout entier, cf. les relations de N.S. avec le Boston Consulting Group) qui feront pencher la masse indécise ou partagée de leur côté. Hors, qu’y a-t-il de plus arbitraire que le choix d’un seul, quand ce choix est potentiellement orienté vers la satisfaction de l’égoïsme? Corollairement: comment s’en protéger? Réponse: en se référant à des principes extérieurs, absolus, admis par tous, et gardés par tous. Il n’y a pas d’autre solution, sauf à faire aveuglément confiance à l’intégrité des Hommes, qu’ils soient dans le Peuple ou promu dans la classe politique. Et vous même, si je ne m’abuse, écrivez sur un autre fil: « Le tirage au sort est proposé par ceux qui pensent que tous les pouvoirs sont corrompus dès le principe. Je ne suis pas de cet avis, et je pense que la corruption est présente à égalité chez l’individu (tiré au sort ou pas) et dans la collectivité. Le seul problème réel qui se pose en démocratie est celui de l’efficacité des contrôles que les citoyens et leurs représentants doivent exercer les uns sur les autres pour éviter la corruption. ».

Efficacité du contrôle entre les pouvoirs. Et comment savoir qui franchit la ligne rouge, si cette ligne rouge n’est pas tracée? Comment s’assurer que, une fois tracée, la ligne rouge ne pourra pas être déplacée, rendue floue ou partiellement effacée par ceux qui auraient la charge de la surveiller, dès lors qu’ils auraient intérêt, par copinage, pression, influence, etc, à la modifier? Et qui est plus à même de céder à la tentation que celui dont le métier est le gardiennage de la ligne rouge, celui qui fait carrière dans les réseaux, les groupes de pression, celui dont la place est assurée par cooptation de caste? Décidément, non, je ne conçois pas que la Démocratie existe sans ligne rouge (les Principes Fondamentaux), ni qu’il soit bon de confier la surveillance de cette ligne rouge à d’autres que ceux qui l’auront tracée, c’est-à-dire le Peuple réuni en Assemblée Constituante. Tout autre régime, d’exigence moindre, serait pour moi un simulacre, un leurre, mais pas une démocratie.

Je crois que continuer le débat sur ce point serait stérile, tant que chacun d’entre nous aura sa définition de « Démocratie », et que ergoter l’un avec l’autre ne nous mènerait qu’au conflit (outre de gâcher temps et énergie). Attendons donc de voir ce qu’en pensent d’autres intervenants, ou attendons d’être à la Constituante, pour en discuter plus longuement. Si toutefois vous voulez poursuivre le débat (ici si c’est pertinent, en privé sinon), je reste ouvert au dialogue.

Brieuc

P.S.: je modifie le message pour ajouter cette réponse à J. Roman, qui écrit: « À mon avis, on ne peut pas en conclure, comme vous le faites, que la démocratie a vocation particulière pour « défendre les plus faibles et les moins nombreux » : on pourrait même soutenir qu’un régime dictatorial, par nature, est beaucoup mieux placé qu’un régime démocratique pour protéger une minorité. »

Cette proposition lie deux idées qui ne s’enchaînent pas: le fait que la vocation de la Démocratie soit ou non de protéger les minorités n’est pas en lien causal avec sa capacité à le faire, comparativement à celle du régime dictatorial. Je considère personnellement que la dictature est plus à même en effet de protéger une minorité, et surtout la minorité la plus absolue: le un seul qui est au pouvoir. Par contre, la Démocratie est le seul régime à même de protéger en même temps toutes les minorités, et, pour peu qu’on y prenne garde, pour bien plus longtemps que n’importe quel régime despotique, fut-il éclairé, qui ne dure que le temps du despote.

Si je soutiens que la Démocratie a vocation à protéger les plus faibles et les moins nombreux, c’est en tant que vocation universelle, i.e. tant qu’il s’agit de protéger toutes les minorité (y compris la minorité majoritaire et la majorité elle-même) contre toutes les autres, tout le temps, et ce, quel que soit la recomposition continue du paysage des minorités (un individu peut appartenir en même temps à la majorité libérale française de souche et être homosexuel, par exemple). La Démocratie, c’est selon moi l’absence totale de domination d’un groupe sur les autres, que le dominant soit majoritaire ou minoritaire. En ce sens, la Démocratie ne s’accomode pas de la discrimination, qu’elle fut positive ou négative. La Démocratie, c’est le règne, au niveau public, de l’absolu des Principes Fondamentaux établis par le Peuple dans son entier, règne institué dans l’Etat de droit (avec un grand ‹ E ›) par la Constitution, et dont la pérennité ne peut être assurée que grâce à la vigilance constante du Peuple lui-même.

Dès lors que le régime laisse un groupe, fut-il le plus nombreux, voire le plus absolument majoritaire (50% des individus + 1) prendre des décisions qui lui sont favorables, au nom du dogme de « la satisfaction du plus grand nombre », il y a risque de léser dans leurs droits fondamentaux quelques uns des individus restants (par exemple, je ne suis pas certain que la majorité des français sous Vichy ait été mécontente de voir ceux que le pouvoir leur présentait comme des « salauds de juifs » étiquetés dans la rue: le bien commun et la satisfaction du plus grand nombre étaient dans ce cas confondus, et respectés ensemble, pour le plus grand malheur des juifs minoritaires). Dès que ce type de comportement intervient, ce n’est plus une Démocratie, mais bien une dictature du groupe dominant.

J’insiste particulièrement là-dessus, avec des raisonnement aux limites, parce que le compromis est très proche de la compromission, aussi bien par l’orthographe que par le principe. Faire des compromis sur l’application des règles stricte de la Démocratie, c’est déjà s’engager sur la voie de sortie de la Démocratie. La vraie Démocratie, celle qui respecte et défend tous les faibles et toutes les minorités, mais aussi toutes les majorités, ne peut pas s’accomoder de compromis sur ses Principes Fondamentaux. Pour le reste, tout est possible, et c’est bien le rôle de la Constitution que de déterminer le champ des possibles que le Peuple se donne à explorer.

À propos du conseil constitutionnel

Idéalement, c’est une institution juridique, son rôle est d’appliquer la constitution aux lois

Malheureusement, de par notre expérience, nous voyons bien qu’elle joue concrètement un rôle politique, les membres du conseil constitutionnel sont humains et ils peuvent difficilement ignorer que le contenu de la constitution est politique, tout comme le contenu des lois

Il me semble difficile d’empêcher qu’une telle institution soit détournée à des fins politiques

L’idée de garder une assemblée constituante permanente et de s’en servir comme conseil constitutionnel était intéressante, mais elle semble poser d’autres problèmes, notamment techniques, et on ne s’en sort pas

Je pense pour ces raisons qu’il est vain d’essayer de trouver un moyen de rendre le pouvoir d’une telle institution légitime

Je pense qu’en fait nous n’avons même pas besoin de mettre en place un tel pouvoir et qu’il est possible de le supprimer.

Je pense que garder cette institution comme un véritable conseil, c’est-à-dire une institution qui exprimerait des jugements mais n’aurait aucun pouvoir, est une bonne idée, à condition qu’on s’assure que leurs jugements soient pleinement connus par les citoyens, et à condition que les citoyens disposent de l’outil du RIC et à condition que le RIC donne un temps de réflexion suffisamment long aux citoyens pour que la raison l’emporte sur les passions.

Ainsi à la différence de la procédure actuelle :

  • Un député devrait poser un recours auprès du conseil constitutionnel pour déclencher la procédure.

  • Le conseil constitutionnel devrait alors rendre un jugement qui devrait être obligatoirement diffusé dans les différents médias d’information pour toucher un maximum de la population.

  • Un certain délai serait donné aux citoyens pour recueillir assez de signatures pour demander un RIC d’abrogation ou de modification de la loi.

  • Et dans le cas d’un RIC un long moment serait donné pour laisser réfléchir les citoyens sur la question.

  • Durant cette période, une chaîne de télévision tirée au sort devrait s’occuper de mettre en scène un débat contradictoire entre les défenseurs de la loi, ceux qui ont saisi le conseil constitutionnel, et un ou plusieurs des membres du conseil constitutionnel désigné comme porte-paroles.

  • Les citoyens seraient finalement invités à voter en faveur ou contre l’objet du RIC.

Une volonté générale ne vaut guère si elle ne s’appuie pas sur une information pluraliste.

Rien directement dans la constitution sur le pouvoir médiatique, on ne voit apparaître les médias publics que par le mode de désignation de son patron !!!

Et pourtant ce pouvoir mériterait peut être un titre à lui tout seul qui pourrait contenir des principes du type:

Les citoyens peuvent s’inviter dans les canaux de l’information nationale suivant une loi organique*.
Les citoyens peuvent initier des sondages d’initiative populaire.
L’état s’interdit tout controle des médias réunissant directement les citoyens

(*) En proposer une pourrait être l’occasion de tester la nouveauté constitutionnelle de juillet 2008.