Bonjour,
A J. Roman (2922):
Je vois où nous divergeons: c’est sur la définition même de « Démocratie ». Pour vous, la volonté d’une majorité absolue de citoyens a force de loi, à charge pour un organe judiciaire de décider en dernier ressort de la justice représentée par la loi (protection contre l’arbitraire).
Pour moi, la Démocratie, ce n’est pas la seule volonté générale, mais aussi sa subordination à des Principes supérieurs. Il faut, pour comprendre ce point de vue, revenir à Athènes (du temps de la République, bien sûr ), et se remémorer que les 2 siècles environ de la Démocratie ont été un combat permanent des faibles, des pauvres et des minorités culturelles (celles du moins qui avaient statut de citoyen…) contre les riches et les puissants de la Cité. Athènes n’a tenu en tant que Démocratie que tant qu’elle a systématiquement cassé, émietté, contré le pouvoir des majorités, au nom de la défense des minorités. Dès qu’elle a cessé, les riches ont repris la main, orienté l’opinion au nom du « bien commun », « trusté » les postes de décision, confisqué le pouvoir. Ca en a été fini de la Démocratie.
J’admets parfaitement votre raisonnement, qui est logique et juste dans le cadre de votre définition de la Démocratie. Mais (car il y a un « mais »!), je me dois d’être plus exigeant dans la définition de la Démocratie, ce qui me conduit à ma définition, et donc, in fine, à mes conclusions. Mes exigences quant à la Démocratie sont fondées sur une observation simple: si nous nous conformons à votre définition de la Démocratie, alors il y a un risque de glissement progressif des opinions publiques vers des volontés générales scélérates, soutenues (voir inspirées et entretenues…) par des castes au pouvoir (dont éventuellement les juristes gardiens de la Constitution). Dans ce cas, il est possible d’envisager un scénario de ce type: un groupe influent, puissant par sa position sociale et/ou sa richesse pécuniaire et matérielle, contrôle l’information, oriente l’opinion, et prend, de manière détournée, soit disant « au nom du bien commun », des décisions qui lui sont favorables, c’est-à-dire qui renforcent son pouvoir et sa puissance. Ca ne vous rappelle rien? Eh oui! c’est exactement ce que nous vivons!
En clair, limiter la Démocratie à l’expression de la volonté majoritaire est un leurre: ce seront toujours les bons orateurs et les forts en gueule (ou ceux qui ont les moyens de se payer un bon coach en communication, voire un cabinet tout entier, cf. les relations de N.S. avec le Boston Consulting Group) qui feront pencher la masse indécise ou partagée de leur côté. Hors, qu’y a-t-il de plus arbitraire que le choix d’un seul, quand ce choix est potentiellement orienté vers la satisfaction de l’égoïsme? Corollairement: comment s’en protéger? Réponse: en se référant à des principes extérieurs, absolus, admis par tous, et gardés par tous. Il n’y a pas d’autre solution, sauf à faire aveuglément confiance à l’intégrité des Hommes, qu’ils soient dans le Peuple ou promu dans la classe politique. Et vous même, si je ne m’abuse, écrivez sur un autre fil: « Le tirage au sort est proposé par ceux qui pensent que tous les pouvoirs sont corrompus dès le principe. Je ne suis pas de cet avis, et je pense que la corruption est présente à égalité chez l’individu (tiré au sort ou pas) et dans la collectivité. Le seul problème réel qui se pose en démocratie est celui de l’efficacité des contrôles que les citoyens et leurs représentants doivent exercer les uns sur les autres pour éviter la corruption. ».
Efficacité du contrôle entre les pouvoirs. Et comment savoir qui franchit la ligne rouge, si cette ligne rouge n’est pas tracée? Comment s’assurer que, une fois tracée, la ligne rouge ne pourra pas être déplacée, rendue floue ou partiellement effacée par ceux qui auraient la charge de la surveiller, dès lors qu’ils auraient intérêt, par copinage, pression, influence, etc, à la modifier? Et qui est plus à même de céder à la tentation que celui dont le métier est le gardiennage de la ligne rouge, celui qui fait carrière dans les réseaux, les groupes de pression, celui dont la place est assurée par cooptation de caste? Décidément, non, je ne conçois pas que la Démocratie existe sans ligne rouge (les Principes Fondamentaux), ni qu’il soit bon de confier la surveillance de cette ligne rouge à d’autres que ceux qui l’auront tracée, c’est-à-dire le Peuple réuni en Assemblée Constituante. Tout autre régime, d’exigence moindre, serait pour moi un simulacre, un leurre, mais pas une démocratie.
Je crois que continuer le débat sur ce point serait stérile, tant que chacun d’entre nous aura sa définition de « Démocratie », et que ergoter l’un avec l’autre ne nous mènerait qu’au conflit (outre de gâcher temps et énergie). Attendons donc de voir ce qu’en pensent d’autres intervenants, ou attendons d’être à la Constituante, pour en discuter plus longuement. Si toutefois vous voulez poursuivre le débat (ici si c’est pertinent, en privé sinon), je reste ouvert au dialogue.
Brieuc
P.S.: je modifie le message pour ajouter cette réponse à J. Roman, qui écrit: « À mon avis, on ne peut pas en conclure, comme vous le faites, que la démocratie a vocation particulière pour « défendre les plus faibles et les moins nombreux » : on pourrait même soutenir qu’un régime dictatorial, par nature, est beaucoup mieux placé qu’un régime démocratique pour protéger une minorité. »
Cette proposition lie deux idées qui ne s’enchaînent pas: le fait que la vocation de la Démocratie soit ou non de protéger les minorités n’est pas en lien causal avec sa capacité à le faire, comparativement à celle du régime dictatorial. Je considère personnellement que la dictature est plus à même en effet de protéger une minorité, et surtout la minorité la plus absolue: le un seul qui est au pouvoir. Par contre, la Démocratie est le seul régime à même de protéger en même temps toutes les minorités, et, pour peu qu’on y prenne garde, pour bien plus longtemps que n’importe quel régime despotique, fut-il éclairé, qui ne dure que le temps du despote.
Si je soutiens que la Démocratie a vocation à protéger les plus faibles et les moins nombreux, c’est en tant que vocation universelle, i.e. tant qu’il s’agit de protéger toutes les minorité (y compris la minorité majoritaire et la majorité elle-même) contre toutes les autres, tout le temps, et ce, quel que soit la recomposition continue du paysage des minorités (un individu peut appartenir en même temps à la majorité libérale française de souche et être homosexuel, par exemple). La Démocratie, c’est selon moi l’absence totale de domination d’un groupe sur les autres, que le dominant soit majoritaire ou minoritaire. En ce sens, la Démocratie ne s’accomode pas de la discrimination, qu’elle fut positive ou négative. La Démocratie, c’est le règne, au niveau public, de l’absolu des Principes Fondamentaux établis par le Peuple dans son entier, règne institué dans l’Etat de droit (avec un grand ‹ E ›) par la Constitution, et dont la pérennité ne peut être assurée que grâce à la vigilance constante du Peuple lui-même.
Dès lors que le régime laisse un groupe, fut-il le plus nombreux, voire le plus absolument majoritaire (50% des individus + 1) prendre des décisions qui lui sont favorables, au nom du dogme de « la satisfaction du plus grand nombre », il y a risque de léser dans leurs droits fondamentaux quelques uns des individus restants (par exemple, je ne suis pas certain que la majorité des français sous Vichy ait été mécontente de voir ceux que le pouvoir leur présentait comme des « salauds de juifs » étiquetés dans la rue: le bien commun et la satisfaction du plus grand nombre étaient dans ce cas confondus, et respectés ensemble, pour le plus grand malheur des juifs minoritaires). Dès que ce type de comportement intervient, ce n’est plus une Démocratie, mais bien une dictature du groupe dominant.
J’insiste particulièrement là-dessus, avec des raisonnement aux limites, parce que le compromis est très proche de la compromission, aussi bien par l’orthographe que par le principe. Faire des compromis sur l’application des règles stricte de la Démocratie, c’est déjà s’engager sur la voie de sortie de la Démocratie. La vraie Démocratie, celle qui respecte et défend tous les faibles et toutes les minorités, mais aussi toutes les majorités, ne peut pas s’accomoder de compromis sur ses Principes Fondamentaux. Pour le reste, tout est possible, et c’est bien le rôle de la Constitution que de déterminer le champ des possibles que le Peuple se donne à explorer.