06 Mise au point sur la possibilité qu'a le Parlement en matière d'initiative des lois.

Bonsoir,
je me présente, je suis un fédéraliste européen convaincu et j’ai adopté un soutien (critique) au TCE (j’espère que ca ne me condamne pas) qui correspondait pour moi à un grand pas en avant, même une fois raboté par la conférence intergouvernementale ayant suivi la convention sur l’avenir de l’Europe.

Étienne m’a gentiment dit sur son blog :
Soyons positifs : venez donc sur le forum nous aider à imaginer une démocratie qui ne soit pas factice : je suis sûr que votre esprit critique nous aidera à éviter quelques erreurs.

Dans ce cadre, ma première contribution sera une mise au point sur la possibilité qu’a, contrairement à ce qui a était dit, le Parlement d’être à l’initiative des lois. (Cela reprend un email initialement adressé à Étienne).


Je vous écrit pour aborder un point que tout le monde y compris vous a
pris comme une vérité incontestable, à savoir que le Parlement ne
pouvait pas être à l’initiative des lois.

Certains ont du vous répondre en disant qu’en pratique, c’était le
gouvernement qui déposait jusqu’à 95% des propositions de loi, et que
bon nombre de celles qui restaient étaient téléguidées par lui.
Certes, mais l’exemple de la loi sur l’IVG est le contre-exemple
montrant à quel point ce pouvoir peut s’avérer nécessaire. Mon propos
n’est donc pas celui-là.

I) Le monopole et ses exceptions :

La Commission a le monopole de l’initiative des lois dit-on. Ceci
s’appuie sur un paragraphe qui semble clair :

Article I-26 : (…) §2. Un acte législatif de l'Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission...
Cependant, la fin de la phrase dit également :
... sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement.
Précisément, il y a deux cas depuis le traité d'Amsterdam, trois dans le TCE où le traité/la Constitution en dispose autrement :

Traité actuel : l’article 192 (Parlement européen) ou de l’article 208
(Conseil, c’est à dire les ministres nationaux sur un domaine donné)
TCE : les mêmes (192 CE == III-332 du TCE) + l’initiative d’un
million de citoyens

En ce qui concerne le parlement européen en particulier :

192 CE | 332 TCE : « Le parlement européen peut demander à la commission de soumettre toute proposition appropriée sur les questions qui lui paraissent nécessiter l'élaboration d'un acte de l'Union pour la mise en œuvre de la constitution. Si la commission ne soumet pas de proposition, elle en communique les raisons au Parlement européen. »
Donc contrairement à ce qui a été affirmé partout, le Parlement européen peut être à l'origine des lois. En pratique, cela consiste à ce qu'il demande à la Commission européenne de lui préparer un texte (elle a donc le monopole de la préparation des lois, mais pas celui de l'initiative), qu'il peut ensuite amender. Bien sur, nulle garantie sur ce que le texte final corresponde intégralement à ses souhaits initiaux, tout cela est une affaire de bataille avec le Conseil, bataille qui peut parfois être rude, mais le PE a récemment montré ses muscles à plusieurs reprises :
  • Brevetabilité des inventions biotechnologiques, le premier projet de
    directive rejeté (1995);

  • Offres publiques d’achat, directive proposée une première fois en
    janvier 1989 et adoptée seulement en 2004 après un long bras de fer
    législatif

  • Directive sur les services portuaires et par deux fois (en 2003 par
    30 voix d’écart, et en 2005 suite à l’insistance de la Commission par
    120 voix pour, 25 abstentions et 532 pour la rejeter)

III) L’ accord interinstuttionnel « Agenda 2000 - Mieux réformer »

Cependant, je vois venir votre objection. Cet article 192/332 peut
être vidé de son sens si la Commission interprête le verbe « demande »
selon son bon plaisir et envoie à la corbeille tout projet qui ne lui
plait pas. Si on en reste au texte du Traité/de la proposition de
Constitution, ce danger existe.

Cependant, et cela fait partie des subtilités qui font que la pratique
de l’UE est moins mauvaise que la théorie ne le suggère, il existe
également ce qu’on appelle un accord interinstitutionnel entre la
Commission, le Parlement Européen et le Conseil nommé l’Agenda 2000
pour mieux légiférer
.

Je vous laisse lire son article 9 :
http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2004/ce081/ce08120040331fr00840090.pdf

[code]Engagements …

[ … ]

Article 9 : La Commission tient compte des demandes de présentation de
propositions législatives faites par le Parlement européen ou le
Conseil, formulées respectivement sur la base de l’article 192 ou de
l’article 208 du traité CE. Elle fournit une réponse rapide et
appropriée aux commissions parlementaires compétentes et aux organes
préparatoires du Conseil.[/code]
Pratiquement, cet accord est un gentleman agreement qui vient dire que c’est un « engagement » (titre
du chapitre) de la Commission vis à vis du PE que de « tenir compte »
(mot fort qui signifie « respecter » dans le langage feutré qui est cher
aux instances européennes) des initiatives législatives du PE
formulées dans le cadre de l’article 192 CE actuel.

Bien entendu, la Commission reste en droit de retoquer une demande
législative du PE si elle la juge anticonstitutionnelle notamment. Si
le PE persiste … Cour de Luxembourg ! Mais ca n’a jamais
expérimenté…

Entre parenthèses, c’est exactement le genre de garanties qu’aurait apporté à mon avis la loi européenne votée par le Parlement Européen et le Conseil pour encadrer le droit d’initiative législative d’un million de citoyens[1], qui à mon avis, a été critiqué à tort. J’espère qu’il sera repris dans un futur traité. Il est très important que les citoyens puissent participer, ca change tout à l’orientation des lois, on l’a particulièrement vu sur la directive des brevets logiciels.

[1] Noriaweb - Traité établissant une Constitution pour l'Europe - Recherche textuelle

IV ) La pratique

Pour tester ce nouveau pouvoir le Parlement européen a mis aux voix le
20 janvier 2000 une résolution - signée par les groupes PSE
(socialistes), Verts-ALE, GUE (Gauche unitaire, où siègent notamment
les élus du PCF et de la LCR) et ELDR (libéral), rejoints par deux
membres pasquaïens du groupe UEN - demandant à la Commission
européenne de présenter dans les six mois un rapport sur la
faisabilité de la taxe Tobin. Malheureusement, ce texte a été repoussé
à une très faible majorité (229 voix contre 223) à cause… du
sectarisme des partis d’extrême gauche de Lutte ouvrière et de la
Ligue Communiste Révolutionnaire. Triste affaire qui a refroidi les
ardeurs du PE à proposer des lois, qui nous est relatée par le député
européen Alain Lipietz :
http://lipietz.net/article.php3?id_article=217
http://lipietz.net/article.php3?id_article=214

Lors d’une autre belle bataille législative que j’ai suivi en tant que
partisan des logiciels libres, à savoir la directive brevets
logiciels, le PE emmené avec panache par Michel Rocard a fait une très
belle proposition[1], ignorée par le Conseil en première lecture qui joua
du bluff en espérant que le PE s’écrase… patatra : niet catégorique
du parlement européen en seconde lecture par 648 voix contre 14.

Suite à ce véto inattentu d’un parlement que comme
ATTAC[2] il avait sous-estimé, le Commissaire, furieux , a dit « bon,
ben démerdez vous, nous ne reproposerons pas de directive, et l’Office
Européen des Brevets va continuer à breveter les logiciels en dehors
de toute législation européenne ». Et bien Pottering (leader du PPE)
s’est rappelé à son bon souvenir en brandissant comme une menace
l’article 192 en lui disant que si le Parlement faisait une
proposition, il sera obligé de lui donner suite comme la commission
s’était engagé par l’accord interinstitutionnel.

[1] Brevets logiciels : quand Michel Rocard relève les « inélégances » de la Commission européenne : Brevets logiciels : quand Michel Rocard relève les "inélégances" de la Commission européenne - Brevets & Licences - Framasoft
[2] Voir le communiqué d’ATTAC complètement à côté de la plaque : http://www.france.attac.org/a4774

Voilà, en espérant avoir éclairci ce point. Le TCE ne donnait
effectivement pas au Parlement un droit d’initiative des lois…
puisqu’il le possédait déjà (l’accord interinstitutionnel n’aurait
nullement été abrogé par sa ratification bien sur).